M. le président. « Art. 6. _ Lors de la création de Réseau ferré national, une dette de 125 milliards de francs vis-à-vis de la Société nationale des chemins de fer français est inscrite à son passif. »
Sur l'article, la parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. L'article 6 du projet de loi porte, de façon tout à fait précise quoique pour le moins laconique - il est constitué en tout et pour tout d'un alinéa - sur la question du transfert de la dette de la SNCF au nouvel établissement public gestionnaire de l'infrastructure.
Il est à noter que cette orientation du projet de loi est comprise dans le cadre d'un cantonnement d'une portée importante des actifs détenus par la SNCF puisqu'une part déterminante des immobilisations de la SNCF est placée sous le contrôle de l'établissement gestionnaire.
C'est l'article 6 qui justifie aux yeux de l'opinion, selon le Gouvernement, la reprise de la dette de la SNCF par l'Etat.
Que les choses soient claires ! Cette affirmation, abondamment développée, y compris dans la presse, est une contrevérité flagrante.
Dans quelle situation sommes-nous ?
Lors de la signature du contrat de plan 1990-1994, l'Etat avait effectivement repris une partie de la dette d'infrastructure de la SNCF correspondant aux emprunts les plus anciens ou grevés des taux d'intérêt les plus élevés.
Le problème est que cet effort particulier s'est limité à 38 milliards de francs au 1er janvier 1991, 38 milliards de francs destinés au service annexe d'amortissement de la dette couverte progressivement au travers de dotations en capital et d'aides du budget de l'Etat - aides d'ailleurs consenties à la baisse dans le budget de 1997 pour pouvoir gager le développement de la régionalisation - et assortis d'une gestion active de la dette consistant à tirer parti de l'évolution des taux d'intérêt pour substituer aux emprunts cantonnés dans le S2AD des emprunts grevés de taux moins élevés.
Ce S2AD présente en 1995 un petit bénéfice d'un peu plus de 128 millions de francs, dû essentiellement aux produits exceptionnels.
Le service présente, en juin 1995, un report de nouveau négatif de plus de 32,3 milliards de francs, illustrant à la fois un lent apurement de la dette cantonnée mais aussi les limites toutes relatives de la démarche mise en oeuvre, faute d'initiatives fortes en matière de restructuration de la dette.
La dette obligataire restant à la charge de la SNCF à la fin de l'année 1996 est-elle de 125 milliards de francs, de 134,2 milliards de francs ou de 144 milliards de francs ?
Quel périmètre doit-on, dans les faits, fixer à la dette transférée au nom de l'établissement public ?
S'agit-il de la dette d'infrastructure seule ou de l'ensemble de la dette à long terme de la SNCF, dont le périmètre est différent ?
Posons d'ailleurs une question de fond : quels objectifs fixe-t-on, quant à la dette, au nouvel établissement ?
Si aucune démarche de gestion active de la dette ni aucune opération de grande envergure en matière de restructuration de la dette n'est entreprise, à quoi cela peut-il servir de la transférer ?
Doit-on alors penser que le plus important est non pas de faire croire à la reprise de la dette, mais bien plutôt de cantonner les actifs ?
Dans l'esprit du projet de loi, les données sont claires.
En cumulant actifs transférés et dotation en capital initial, on aboutit à donner au nouvel établissement 142,2 milliards de francs de capitaux propres.
En y ajoutant la dette transférée, on aboutit à un total de bilan d'environ 275 milliards de francs, soit un peu plus de 51,6 % en fonds propres.
Le déficit prévisionnel de l'établissement en 1997, pour sa première année d'existence, risque fort de ramener la part des fonds propres au-dessous des 50 %.
Quant aux concours de l'Etat, ce que M. Bussereau et vous-même, monsieur le ministre, avez appelé la reprise de la dette, ils demeurent limités, en fait, à la dotation initiale, laquelle représente, je le rappelle, 8 milliards de francs.
En faisant le tour de la situation, notamment en se souvenant de la discussion budgétaire, on ne peut que voir confirmée cette analyse.
Ainsi la contribution de l'Etat au service annexe et aux charges d'infrastructure est-elle exactement réduite des 799 millions de francs ajoutés dans la « corbeille » de la régionalisation, tandis que la participation aux charges de retraités de la SNCF évolue erratiquement, ajustée au plus près des besoins et, en l'occurrence, à la baisse dans le budget de 1997.
Le véritable concours est donc, je le répète, de 8 milliards de francs, gagé sur les recettes du compte spécial d'affectation du produit des cessions d'actifs du secteur public, en clair des privatisations.
Le Gouvernement joue au chef de gare dans cette affaire, en séparant du train de la dette de la SNCF, déjà relativement allégée dans le passé du petit train du service annexe, une partie de sa dette.
Pour autant, cette dette ne disparaît pas. La seule trouvaille pour décharger les wagons consiste à brader telle ou telle entreprise, comme le groupe CIC, qui est pourtant un interlocuteur indispensable des collectivités publiques régionales et que l'on veut intéresser au développement du transport ferroviaire.
M. le président. Monsieur Billard, il vous faut conclure.
M. Claude Billard. Je conclus, monsieur le président.
Il n'y a donc pas de reprise de la dette. Non, monsieur le ministre, encore une fois, non !
Si cet article n'est pas modifié, nous ne pourrons évidemment pas le voter.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ainsi que nous venons de le souligner, l'article 6 porte sur la question du transfert d'une partie des dettes financières de la SNCF au passif du nouvel établissement gestionnaire de l'infrastructure.
Dès sa première année d'existence, cet établissement sera contraint, compte tenu de l'insuffisance de ses ressources, de lever sur les marchés financiers au moins 18 milliards de francs de titres de créances. Au mieux, en utilisant en totalité la dotation en capital assurée par l'Etat, on pourra réduire ce besoin d'émission aux alentours de 10 milliards de francs.
Cependant, dès 1998, l'établissement se retrouvera probablement dans l'obligation d'émettre à nouveau pour 18 milliards à 20 milliards de francs de titres sur les marchés.
Est-il besoin de rappeler qu'il ne s'agit là que des émissions rendues nécessaires par l'insuffisance des ressources de l'établissement au regard de ses charges ?
De telles conditions de démarrage soulèvent quelques interrogations.
Premièrement, l'Etat interviendra-t-il, notamment en accordant une dotation d'équilibre en 1997 et en 1998 ?
Deuxièmement, si tel est le cas, pourquoi l'Etat n'intervient-il pas directement pour la SNCF, sans passer par la création d'un nouvel EPIC ?
Troisièmement, la séparation infrastructure-exploitation ne tend-elle pas, dans les faits, à favoriser une mise en concurrence entre exploitants divers ?
Le fait que les redevances pour 1997 et 1998 soient connues puisqu'elles figurent dans le projet de décret pour 1997 et 1998 est-il lié à des contingences politiques de court terme ou à la volonté d'envisager une réduction des charges du gestionnaire d'infrastructure par mise en concurrence des prestations de services sur les éléments d'actifs qui seraient éventuellement les moins rentables ?
Une part de la réponse pourrait alors être fournie par une rapide analyse du compte d'exploitation : une partie - le réseau grandes lignes - est assez largement bénéficiaire, malgré un affaissement de la marge constaté ces dernières années, une deuxième partie - la banlieue parisienne - est naturellement équilibrée grâce à la compensation croissante des collectivités locales et à la participation plus importante des usagers, et deux autres parties - les TER et le fret - connaissent une situation déficitaire plus ou moins marquée.
On sent confusément que les quatre branches essentielles de l'activité de la SNCF vont être appelées à connaître des évolutions de plus en plus différenciées.
Le réseau grandes lignes est restructuré en fonction de la priorité donnée au réseau grande vitesse - on parle du TGV-Est et on oublie d'électrifier Paris-Bâle ! - tandis qu'on escompte d'un engagement plus fort des régions le retour à l'équilibre des TER et qu'on laisse dépérir le fret, faute de rechercher des solutions commerciales adaptées à la demande. Or on peut et on doit se placer dans la perspective d'un véritable développement du transport ferroviaire.
Le réseau grandes lignes doit assurer tout à la fois le développement du TGV et la remise à niveau des autres dessertes, notamment par une revalorisation des équipements.
Le réseau de la banlieue parisienne et celui des TER nécessitent d'incontestables efforts, y compris en matière de matériel, tandis que doit être étudié de très près le problème des fréquences de passage des rames.
L'activité fret doit être développée non en aménageant quelques corridors dédiés à certaines liaisons dites prioritaires, mais plutôt en cherchant à irriguer l'ensemble du territoire national, au plus près des besoins, et je pense là, notamment, aux petites et moyennes entreprises.
L'essentiel des investissements est à mettre à la charge du nouvel EPIC.
Comment y fera-t-il face alors que le seul transfert de la dette de la SNCF aura suscité, en deux ans, sans effort particulier, la levée de quelque 35 milliards à 40 milliards de francs de dettes supplémentaires ?
Comment assurer le développement futur, ce qui est indispensable au regard des objectifs du schéma national d'aménagement du territoire, si la gestion de l'existant engendre déjà des coûts supplémentaires ?
C'est aussi parce que l'on ne peut pas hypothéquer l'avenir en hypothéquant 125 milliards ou 134,2 milliards de francs d'actifs que cet article 6 doit être supprimé ou, au moins, profondément remanié.
M. le président. Sur l'article 6, je suis saisi de quinze amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Compte tenu de l'heure, je ne pourrai appeler que les trois premiers d'entre eux avant la suspension de la séance.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L'amendement n° 58 est présenté par MM. Garcia, Bony, Chervy, Courteau, Fatous, Mélenchon, Peyrafitte et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 150 est présenté par MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous deux tendent à supprimer l'article 6.
La parole est à M. Garcia, pour présenter l'amendement n° 58.
M. Aubert Garcia. Pour présenter cet amendement, je me bornerai essentiellement à citer un passage de l'avis de notre collègue Hubert Haenel, en m'efforçant, bien entendu, de ne trahir en rien sa pensée.
Voici donc ce qu'écrit, notamment, le rapporteur pour avis au sujet de l'article 6 :
« En apparence, l'opération s'assimile à la reprise par RFN, agissant au nom de l'Etat, de 125 milliards de francs... » - on sait aujourd'hui que le montant est en fait de 134 milliards de francs - « ... de dette de la SNCF. Or il ne s'agit pas de cela. La SNCF conserve en effet l'intégralité de la dette inscrite dans ses comptes. Mais RFN devient débiteur vis-à-vis d'elle de 125 milliards de francs, ce qui neutralise l'équivalent au passif de l'entreprise.
« La raison de ce montage est la simplicité. Il aurait en effet fallu substituer RFN à la SNCF comme débiteur des actuels - et très nombreux - créanciers de cette dernière, sur un grand nombre de lignes d'emprunt, négociables ou non. »
Un peu plus loin, M. Haenel explique :
« RFN sera donc majoritairement endetté vis-à-vis de la SNCF à long terme, en francs et à taux fixe. Cependant, près du quart de la dette de la SNCF est libellé à taux variable en devises, ce qui crée un aléa non négligeable sur la valeur du capital remboursé in fine et sur le montant des intérêts versés par RFN à la SNCF sur la période. Si l'on s'en tient au taux d'intérêt moyen de 1996, les intérêts pour 1997 seraient de l'ordre de 9 à 10 milliards de francs. Il est difficile de se prononcer au-delà. »
Je crois qu'il est effectivement difficile de se prononcer. En l'état, cet article ne permet pas de régler le problème de façon satisfaisante. C'est pourquoi, faisant confiance à la très grande compétence de notre collègue M. Haenel, nous demandons la suppression de cet article.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Et c'est pourquoi nous avons, nous, déposé un amendement tendant à le modifier ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Fischer, pour défendre l'amendement n° 150.
M. Guy Fischer. Je vais compléter la démonstration de notre collègue M. Garcia et me livrer à un peu d'arithmétique.
Comme le souligne M. le rapporteur, l'article 5 est bien l'une des dispositions clés du projet de loi.
La solution retenue traduit comptablement la triple fonction de l'EPIC Réseau ferré de France.
Premièrement, cela permet d'isoler institutionnellement ce que vous estimez être du domaine de l'infrastructure, répondant en cela à l'exigence exprimée par les cheminots en novembre et décembre 1995.
Deuxièmement, la création de l'EPIC se conforme aux exigences de Maastricht et des critères de convergence, concernant notamment les déficits publics.
Troisièmement, elle constitue une réponse positive aux injonctions de la Commission de Bruxelles en créant les conditions de l'accès des tiers au réseau.
C'est donc en toute cohérence que nous demandons la suppression de cet article.
Cependant, au-delà de notre refus catégorique de cette séparation en deux entités, je tiens à éclairer notre assemblée sur ce que sera la situation réelle de RFF.
Une chose est sûre : l'EPIC est « plombé » avant même d'exister. Financièrement, ce doit être dur de commencer sa vie - c'est comme dans un mariage ! - avec plus de 134 milliards de francs...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est pourtant une belle dot ! (Sourires.)
M. Aubert Garcia. Ce n'est plus la dette, c'est la dot ! (Nouveaux sourires.)
M. Guy Fischer. ... de dettes Ce doit être dur, mais cela sera encore plus dur dans à peine douze mois.
Permettez-moi de « disséquer » les charges et les recettes de RFF pour 1997.
En 1997, RFF recevra 6 milliards de francs de péages provenant de la SNCF, 12 milliards de francs de l'Etat au titre de la contribution aux charges d'infrastructure, auxquels s'ajouteront les 8 milliards de francs de dotation en capital. On arrive ainsi à un total de recettes d'environ 26 milliards de francs.
S'agissant des dépenses, RFF versera 17 milliards de francs de redevance à la SNCF, devra assumer 9 milliards de francs de charges financières et 6 milliards de francs de créances sur dettes, financera 11 milliards de francs d'investissements, auxquels s'ajouteront des charges fiscales et des dépenses de personnels à concurrence de un milliard de francs. Au total, cela fait 44 milliards de francs de dépenses pour 1997.
Ainsi, dès 1997, les comptes de RFF feront ressortir un déficit de 18 milliards de francs, lesquels s'ajouteront aux 134 milliards de francs de dettes déjà existantes. On atteindra donc 152 milliards de francs au 31 décembre 1997.
Ces 18 milliards de francs seront sans doute trouvés grâce à un recours accru aux marchés financiers. Compte tenu des conditions actuelles d'emprunt, la spirale de gonflement de la dette n'est pas près de s'enrayer !
Dès lors, la solution pour parvenir à l'équilibre ne pourra provenir que d'une augmentation des péages demandés à la SNCF ou d'une location du réseau à d'autres opérateurs.
Voilà pourquoi les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer l'article 6.
M. le président. Par amendement n° 151, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit l'article 6 :
« Lors de sa création, le "Fonds de financement du réseau ferré national" inscrit à son passif la dette obligataire figurant au passif de la Société nationale des chemins de fer français à la clôture du dernier bilan publié. »
Compte tenu de l'adoption, hier, de l'amendement n° 42, cet amendement n'a plus d'objet.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à ils reprendront à quinze heures pour les questions d'actualité au Gouvernement, à l'issue desquelles se poursuivra la discussion du présent projet de loi.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. René Monory.)