M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Madelain pour explication de vote.
M. Jean Madelain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun des intervenants dans la discussion générale a souligné la nocivité du travail clandestin et la nécessité d'intensifier la lutte à son encontre. Le projet de loi du Gouvernement s'inscrit bien dans cette orientation.
Grâce au travail de la commission des affaires sociales, de la commission des lois et de leurs éminents rapporteurs respectifs, le texte se trouve amélioré, précisé et, nous l'espérons, rendu plus efficace.
Il convient de se féliciter après vous, monsieur le ministre, que ce texte n'ait pas fait l'objet de la procédure d'urgence car, nous l'avons vu lors de l'examen de l'article 10, la navette permettra certainement encore de nouvelles améliorations.
Quoi qu'il en soit, en l'état actuel du texte, le groupe de l'Union centriste le votera à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai personnellement été conduit à retirer un certain nombre d'amendements. L'un d'entre eux a suscité une discussion quelque peu passionnée, mais il n'est jamais mauvais que les positions des uns et des autres s'affirment. C'est en effet par la discussion et les échanges que l'on construit de bons textes de loi.
Ainsi, le projet de loi que nous venons d'examiner permettra incontestablement de combattre plus efficacement le travail illégal ou dissimulé.
Il vient s'inscrire dans le cadre de la lutte pour l'emploi et contre l'évasion des recettes fiscales et sociales, qui aggrave notre déficit public.
Je tiens à féliciter nos deux rapporteurs, MM. Louis Souvet et Paul Masson, du travail remarquable qu'ils ont effectué et qui a permis à la Haute Assemblée d'examiner ce texte dans les meilleures conditions et de l'améliorer.
Je remercie également le Gouvernement, en la personne de Mme Anne-Marie Couderc et de M. Jacques Barrot, pour la qualité d'écoute dont il a été fait preuve pendant l'examen de ce projet de loi.
Ainsi, la définition du délit de travail illégal est désormais clarifiée, dissociant définitivement les questions relevant du droit du travail de celles qui sont liées à l'immigration.
En outre, je pense qu'il était important que le Sénat réintroduise dans cette définition le caractère intentionnel du délit de travail dissimulé afin de ne pas modifier la charge de la preuve, ce qui aurait pu être source de difficultés lors de l'application de la loi.
Par ailleurs, les pouvoirs des différents agents de contrôle sont harmonisés, mieux coordonnés et renforcés.
Ainsi que l'a souligné notre rapporteur, M. Louis Souvet, il est mis fin à l'impuissance de certaines catégories d'agents de contrôle : lorsqu'ils découvriront des indices de travail dissimulé à l'occasion de leur mission principale, ils pourront constater et, désormais, rechercher les infractions.
Toutefois, je me réjouis que, sur l'initiative de notre rapporteur, M. Louis Souvet, le Sénat ait modifié la rédaction du texte concernant l'audition des salariés par les agents des organismes de sécurité sociale et des impôts ; ainsi, il est prévu qu'ils peuvent les entendre plutôt que les interroger, ce dernier terme ayant une connotation un peu trop vigoureuse.
Ce texte renforce également la prévention et les sanctions du travail dissimulé. Il est tout particulièrement intéressant, à mes yeux, qu'il ouvre la possibilité à l'administration de refuser pendant cinq ans l'accès aux aides à l'emploi ou à la formation à ceux qui auraient fait l'objet d'un procès-verbal constatant une infraction à la législation du travail dissimulé.
Pour conclure, le projet de loi ainsi modifié, contrairement à ce qu'affirme un quotidien du soir, constitue un progrès dans la lutte contre le travail dissimulé. C'est pourquoi le groupe du Rassemblement pour la République le votera. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. La discussion du projet aura confirmé ce que je déclarais lors de la discussion générale : il s'agit d'un texte en trompe-l'oeil, qui ne permettra pas de s'attaquer réellement aux donneurs d'ordre, aux « gros bonnets », comme l'on dit populairement, aux intérêts économiques et à la partie du patronat qui couvrent ces pratiques.
Je ne nie pas que certains articles apportent quelques améliorations ; nous les avons d'ailleurs approuvés. Néanmoins, le texte, déjà très timide, voté par l'Assemblée nationale est encore amoindri dans ses effets après son passage devant le Sénat.
Comme le note Le Monde d'aujourd'hui, « la droite sénatoriale semble s'être fixé pour premier objectif de supprimer les quelques audaces introduites par les députés et jugées trop contraignantes pour les entreprises ».
Ainsi, vous supprimez l'amende administrative en cas de non-respect de l'obligation de déclaration préalable à l'embauche.
Vous supprimez la disposition renversant la charge de la preuve, qui obligeait l'entreprise à prouver sa bonne foi en cas de recours au travail clandestin par l'un de ses sous-traitants.
Vous supprimez la possibilité offerte à l'administration de suspendre le versement des aides à l'emploi en cas de verbalisation pour travail clandestin.
De même, vous avez refusé la plupart des propositions faites par mon groupe ou par nos collègues socialistes pour mener une lutte efficace contre le travail illégal.
Je pense, notamment, à notre proposition d'élargir aux documents comptables les documents mis à la disposition des agents luttant contre le travail illégal, proposition que vous avez rejetée en arguant de son caractère inquisitorial.
En fait, vous refusez de mettre en cause les entreprises qui sont les vrais profiteurs du système. On ne peut, en conséquence, que s'interroger, pour le moins, sur la réalité de la détermination du Gouvernement à remonter jusqu'aux véritables responsables, jusqu'aux donneurs d'ordre. D'ailleurs, n'est-ce pas le onzième texte sur le sujet que vous allez voter et qui risque de rester sans effet ? Cette attitude prouve que nous sommes bien en présence d'un texte alibi.
Si l'efficacité de la lutte contre le travail illégal est insuffisante, c'est d'abord, pensons-nous, par manque de moyens humains. Or, alors que le projet de loi instaure de nouvelles missions, il ne prévoit aucun renforcement sensible des effectifs de l'inspection du travail, dont les agents ont pourtant vocation à être les principaux acteurs de la lutte contre le travail illégal. La loi de finances pour 1997 a même restreint les moyens du ministère.
Dans ces conditions, les nouvelles mesures proposées risquent bien de se limiter, une fois encore, à un pur effet d'annonce.
Il ne s'agit nullement de faire de la lutte contre le travail illégal une « priorité nationale », comme l'affirme le Gouvernement ; il s'agit, selon nous, de caresser un certain électorat dans le sens du poil en utilisant l'équation : travail clandestin égale immigration clandestine, égale travailleurs en situation irrégulière.
C'est tellement vrai que, si le Gouvernement affirme vouloir rejeter cet amalgame, il présente, par ailleurs,l'actuel projet comme étant inséparable du projet de loi sur l'immigration.
Comment le Gouvernement pourrait-il être qualifié quand il encourage, de fait, le travail illégal par une politique sociale et économique de réduction du coût du travail, par un système d'exonération des charges et de réduction des cotisations sociales, par une flexibilité accrue, ou encore par l'annualisation du temps de travail ?
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen ne peut dédouaner le Gouvernement et sa majorité de leurs responsabilités actuelles en la matière, en votant un texte qui, de toute façon, ne permettra pas de lutter réellement contre le travail clandestin. C'est pourquoi il votera contre.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Nous voici donc au terme de ce débat sur un projet que nous, socialistes, jugions très important, tant les problèmes qu'il entendait régler prennent aujourd'hui de l'ampleur.
Nous étions donc décidés à travailler, avec le Gouvernement et avec sa majorité, à l'amélioration d'un texte qui, dans sa forme initiale, nous semblait bien pauvre compte tenu de l'importance des problèmes économiques et sociaux, des effets sur les comptes de la nation et des drames humains que peut susciter le travail clandestin, le travail dissimulé, le travail frauduleux, pour reprendre la terminologie de M. le président Fourcade.
Or, le texte que le Sénat va voter ce soir est bien en retrait de celui qu'a voté l'Assemblée nationale. Le Sénat revient notamment sur les améliorations que l'Assemblée nationale avait retenues sur la suggestion des députés socialistes.
Le projet de loi comportait deux volets importants. Nous voulions faire en sorte que chacun d'eux soit traité de façon efficace.
Le premier consistait à traquer le travail clandestin, à le combattre et à se donner les moyens de ce combat.
Le second visait à préserver l'intérêt des travailleurs victimes du travail clandestin.
Que constatons-nous ? Qu'il n'y a pas de véritable volonté politique de lutter contre le travail clandestin.
Nous avons proposé que les agents de contrôle aient accès aux documents comptables. Compte tenu des formes complexes que peut prendre aujourd'hui le travail clandestin, cela nous paraissait essentiel pour remonter les filières des donneurs d'ordre, qui sont, bien souvent, les principaux responsables et bénéficiaires du travail clandestin. Le Sénat ne nous a pas suivis sur ce point.
Par ailleurs, aucun moyen supplémentaire n'est prévu. Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que, dans le projet de budget pour 1997, un transfert de crédits avait été opéré de votre budget sur celui des transports. Ainsi, votre ministère se trouve privé de sommes importantes - tous les rapports en témoignent et vous ne l'avez pas démenti - ce qui se traduit par la suppression de soixante-douze postes de fonctionnaires.
Je relève aussi, comme M. Fischer, qu'il y a eu inversion de la charge de la preuve ; celle-ci incombe maintenant aux agents de contrôle. Ainsi, tout ce qui relève de l'intentionnel disparaît. Voilà qui ne témoigne guère d'une véritable volonté de rechercher les donneurs d'ordre !
Pour ce qui est de la préservation des intérêts des travailleurs et des salariés victimes du travail clandestin, nous n'enregistrons aucun progrès. Bien au contraire, nous décelons plutôt une régression.
Nous assistons à une remise en cause insidieuse du rôle des inspecteurs du travail et des contrôleurs du travail au sein de l'entreprise : ils avaient en quelque sorte le leadership , au sein de l'entreprise, en matière de préservation de l'intérêt des salariés parce qu'ils avaient le choix d'informer ou non les autres administrations de leurs constatations ; maintenant, ils devront transmettre l'ensemble des constatations qu'ils auront faites. Ils n'ont plus de libre arbitre.
Nous avions demandé, considérant que c'était important, que des attestations soient fournies aux salariés victimes du travail clandestin pour qu'ils puissent bénéficier d'une protection sociale, ce qui supposait, bien sûr, une prise en charge par la collectivité nationale.
En effet, ces salariés, n'étant pas reconnus, n'ayant pas de statut, n'étant pas déclarés, n'ont aucune protection sociale et ne touchent aucune indemnité des ASSEDIC. Au prétexte que personne n'a cotisé pour eux, on va leur refuser le bénéfice de ces prestations !
Certes, ils auront six mois d'indemnités ; mais ce n'est pas suffisant quand on sait que les ASSEDIC indemnisent pendant plus d'un an en cas de perte de travail. Il y a donc discrimination par rapport aux autres salariés.
M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, madame Dieulangard. Je vous prie de conclure.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. J'en termine, monsieur le président, en informant le Sénat que le groupe socialiste votera contre ce texte, qui lui semble bien trop modeste au regard de l'ampleur des problèmes qu'il prétend vouloir traiter. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Delaneau.
M. Jean Delaneau. Monsieur le ministre, nonobstant les arguments que viennent d'avancer M. Fischer et Mme Dieulangard, le groupe des Républicains et Indépendants votera votre projet, modifié par l'Assemblée nationale et amélioré encore, sur l'initiative, notamment, de nos deux commissions, par nos votes.
Je tiens, à cette occasion, à souligner l'excellent travail des commissions des affaires sociales et des lois. Grâce à nos rapporteurs, quelques dispositions parfois inefficaces, voire dangereuses, auront été gommées du texte. Le travail ainsi réalisé témoigne du rôle important du Sénat dans l'examen des projets.
On a dit tout à l'heure que le texte était amoindri, que c'était un trompe-l'oeil. Non !
Vous l'avez bien vu, monsieur le ministre, lorsque nous avons abordé le problème de la responsabilité des collectivités territoriales, tout le monde s'est engagé à participer à cette lutte contre le travail clandestin.
Bien sûr, un texte n'est jamais parfait, il peut toujours aller plus loin. Mais, comme on le dit, jusqu'où faut-il aller trop loin pour rester efficace ? C'était aussi un élément de notre débat.
Des progrès sont faits, certes, mais ils ne seront rien sans la volonté de tous de lutter de façon opiniâtre et sans relâche contre le travail clandestin.
Il faut cependant veiller à ce que, en menant cette lutte, on n'aille pas jusqu'à tuer certaines entreprises où travaillent aussi des salariés en situation régulière. Il faut donc faire en sorte qu'il ne leur en coûte pas trop. Il faut dissuader, mais non pas aller jusqu'à détruire des entreprises, même si, parmi elles, il y a des coupables.
Les mesures qui seront prises seront suffisamment dissuasives pour permettre de progresser encore dans cette lutte de chaque instant, et de tous, de façon à défendre l'emploi, car c'est, au bout du compte, notre seul objectif. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Je tiens tout d'abord à remercier le Gouvernement d'avoir présenté ce projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre le travail illégal. Ce texte est fort important, tous les orateurs l'ont souligné.
Je ne crois pas un seul instant qu'il soit un trompe-l'oeil, comme l'a dit de façon très exagérée M. Fischer.
Je ne partage pas non plus toutes les critiques de Mme Dieulangard.
La navette qui va s'instaurer entre les deux assemblées devra pourtant permettre d'étudier de plus près les dispositions que nous avons votées, en particulier pour remonter les filières des responsables qui envoient des travailleurs illégaux en France. Sur ce point, peut-être, le texte ne répond pas à toutes les attentes.
Je remercie, par ailleurs, nos deux commissions et leur rapporteur. Je veux m'excuser auprès d'eux d'avoir été, pour la première fois de ma longue carrière parlementaire, contre deux commissions à la fois, position tout à fait surhumaine, qui ne pouvait qu'aboutir au résultat que nous avons constaté.
L'Assemblée nationale avait voté une disposition qui - je le répète - me paraissait intéressante. Peut-être, là encore, la navette donnera-t-elle l'occasion de revoir cette question, en particulier le libellé de l'article 131-26 du code pénal, car vos arguments juridiques, messieurs Souvet et Masson, sont tout à fait fondés ; en même temps, il y a là des éléments humains qui pourraient nous amener à une réflexion nouvelle.
En tout cas, nos travaux ont été fructueux. Les non-inscrits voteront, bien entendu, ce texte tel qu'il ressort des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Louis Souvet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur. Je serai bref.
Un journal du soir nous a reproché d'avoir assoupli certaines dispositions du projet de loi. Je m'interroge : est-ce notre rôle d'élaborer des lois qui ne sont pas applicables ? Nous avons bien vu que, dans le texte qui nous venait de l'Assemblée nationale, certains points n'étaient pas applicables. Il ne s'agit pas de courtiser un certain électorat, puisque 10 % seulement des travailleurs en défaut sont étrangers. Il ne s'agit donc évidemment pas de cela, contrairement à ce qui a été prétendu.
Le Sénat a mis en place des règles strictes. Il a rendu plus sévères, dans certains cas, celles qui existaient ; il a supprimé celles qui ne lui paraissaient pas pouvoir être mises en oeuvre. C'est pour cela que le Sénat peut être fier du travail qu'il a effectué.
Je cite de mémoire quelques points.
Il a ajouté, par exemple, les pouvoirs de contrôle dans les pépinières d'entreprises, dans les entreprises domiciliataires ; le projet de loi ne le prévoyait pas. En outre, cette disposition est plus sévère que celle qui existait.
Il a rétabli l'interdiction des droits de famille - ce point a été longuement débattu.
Il a ajouté le délit de marchandage, notamment pour la passation des marchés publics. Cette disposition, qui n'était pas prévue initialement, est plus sévère que celle qui existait.
Il a renforcé la coordination des corps de contrôle. Cette mesure, qui n'était pas initialement prévue n'est pas inutile.
Il a ajouté des corps de contrôle à ceux qui existaient.
On peut donc affirmer que, sur certains points, le Sénat a accompli un travail très important et a aggravé les dispositions présentées.
Je ne pense pas, par ailleurs, que ce texte soit en retrait par rapport à celui qui a été adopté par l'Assemblée nationale, même si nous avons retiré des dispositions qui ne collaient pas avec la réalité de la vie tout court ou de celle des entreprises.
Notre rôle, monsieur le ministre, nous l'avons bien compris, est de lutter à vos côtés afin de faire diminuer autant que possible ce fléau qu'est le travail au noir - j'emploie cette expression afin de recouvrir l'ensemble des dispositions contraires au travail au grand jour. Vous nous trouverez toujours à vos côtés à cette fin. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

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