LUTTE CONTRE LE TRAVAIL ILLÉGAL

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 152, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale, relatif au renforcement de la lutte contre le travail illégal. [Rapport n° 157 (1996-1997).]
Je vous rappelle que la discussion générale a été close hier.
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi. Mesdames et messieurs les sénateurs, je tiens, tout d'abord, à remercier à nouveau vos deux rapporteurs, MM. Souvet et Masson, pour la qualité des rapports qu'ils nous ont présentés hier.
Je veux aussi les remercier pour la clarté de leur exposé lors de la discussion générale.
Je me félicite, bien entendu, de l'appui de la majorité des groupes au texte qui vous est soumis et qu'au cours de l'examen article par article vous allez, mesdames, messieurs les sénateurs, encore améliorer.
Je veux d'ailleurs souligner dès à présent que le Gouvernement appuiera un très grand nombre des amendements qui ont été déposés, notamment ceux de vos deux commissions.
Même si l'examen article par article nous permettra, à Jacques Barrot et à moi-même, de revenir sur toutes vos préoccupations et toutes vos interrogations, je vais maintenant m'efforcer de répondre brièvement aux questions que m'ont posées les orateurs.
Je voudrais tout d'abord rappeler avec force et solennité que le Gouvernement entend bien faire de la lutte contre le travail illégal une priorité nationale en s'en donnant les moyens, qu'ils soient législatifs ou opérationnels.
Plusieurs orateurs ont abordé une question sémantique qui a donné lieu à des débats très animés à l'Assemblée nationale.
L'Assemblée nationale, vous le savez, a substitué à la notion de « travail clandestin » celle de « travail dissimulé », et a souhaité changer l'intitulé de ce projet de loi pour utiliser l'expression « travail illégal », qui recouvre non seulement le travail dissimulé, mais aussi, notamment, le marchandage, le prêt illicite de main-d'oeuvre et l'emploi d'étrangers sans titre.
Le Gouvernement a soutenu ces modifications terminologiques, même si je suis d'accord avec MM. Masson, Souvet, Hyest et un certain nombre d'entre vous pour dire que la rédaction actuelle des deux premiers articles pourrait sans doute être améliorée. C'est d'ailleurs ce que nous allons faire à l'occasion de la discussion des articles.
Les infractions de travail dissimulé, de marchandage, de prêt illicite de main-d'oeuvre et d'emploi d'étrangers sans titre constituent bien, sans aucun doute, une catégorie spécifique d'infractions qu'il est opportun de rapprocher entre elles. La future délégation interministérielle sera responsable de la lutte contre l'ensemble de ces infractions, et d'elles seules, contrairement à ce que vous avez affirmé hier, monsieur Fischer, et le projet que nous examinons aujourd'hui vise bien, je le répète, toutes ces infractions et non pas seulement le travail dissimulé.
Je dois confirmer clairement devant le Sénat que le Gouvernement veut éviter tout amalgame entre lutte contre l'immigration clandestine et lutte contre le travail illégal, tout simplement parce que, comme je l'ai rappelé hier à cette tribune, 10 % seulement des procès-verbaux concernent l'emploi d'étrangers sans titre.
Monsieur Fischer, madame Dieulangard, incontestablement, vos accusations sur ce point ne tiennent pas, je tiens à vous le répéter tout à fait solennellement.
M. Guy Fischer. L'intention y était !
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué. Point du tout, monsieur Fischer !
En réponse à votre intervention, monsieur Souvet, j'aimerais revenir sur quelques points.
Je ne peux que vous féliciter et vous remercier pour le travail que vous avez effectué avec les membres de la commission sur ce projet. D'ailleurs, tous vos amendements seront acceptés par le Gouvernement. Je ne citerai qu'un exemple, que vous avez évoqué hier, celui de l'utilisation de l'ordonnance pénale pour défaut de déclaration préalable à l'embauche, de façon à ne pas pénaliser outre mesure la négligence de certains employeurs. Bien entendu, je pourrais en citer bien d'autres, et l'examen du texte nous en donnera l'occasion.
Vous avez aussi insisté sur l'importance de la prévention et, là aussi, vous le savez, nous sommes parfaitement d'accord : elle est tout à fait essentielle.
Monsieur Masson, vous avez évoqué, au nom de la commission des lois, le développement important du secteur tertiaire, qui est, en effet, une des raisons pour lesquelles les formes du travail illégal évoluent rapidement aujourd'hui. C'est bien ce qui a motivé nombre des dispositions de ce projet de loi.
Vous m'avez interrogée également sur les intentions du Gouvernement en ce qui concerne le cumul d'emplois par les agents publics. Le problème que vous soulevez est un vrai problème ; heureusement, il ne concerne qu'un très petit nombre de fonctionnaires.
Contre le comportement de ceux-ci, vous avez rappelé vous-même que l'article 6 du décret-loi du 29 octobre 1936 prévoit des sanctions disciplinaires très lourdes, ainsi que des retenues sur traitement. Dans ces conditions, la création d'une nouvelle sanction pénale ne paraît peut-être pas nécessaire. Avant tout, il convient de mettre en oeuvre les dispositions existantes, et ce avec la plus grande rigueur, ce qui n'est peut-être pas le cas aujourd'hui.
M. Plasait a insisté fort justement sur le fait que le travail illégal rompt l'égalité économique entre les entreprises. Le travail illégal est bien une source de concurrence déloyale ; c'est incontestable. M. Plasait a raison de souligner que la lutte contre le travail illégal, qui est un impératif social, est également un moyen d'empêcher que se crée une dangereuse fracture économique dans le tissu de nos entreprises.
La nouvelle organisation interministérielle de lutte contre le travail illégal va, comme M. Plasait le souhaite, permettre une meilleure mobilisation des agents de contrôle dans les départements. Cette mobilisation se fera sous l'impulsion du corps préfectoral et du nouveau délégué interministériel.
M. Plasait a également souhaité aller plus loin en matière de prévention du travail illégal et a appelé de ses voeux, comme M. Hyest notamment, un mouvement significatif de diminution des prélèvements obligatoires.
Faut-il le rappeler, la démarche est d'ores et déjà engagée par le Gouvernement. Les ménages vont s'en rendre compte très bientôt à l'occasion du premier tiers provisionnel de l'impôt sur le revenu. Il est clair qu'il faut poursuivre dans ce sens, sans déséquilibrer les finances publiques. La prévention du travail illégal est un axe tout à fait majeur de la stratégie conduite par le Gouvernement sur ce point.
Monsieur Plasait, vous craignez que le développement de l'aménagement du temps de travail n'encourage certaines formes de travail illégal ; c'est vrai, il faut être attentif à ce risque, sans néanmoins le surestimer, car tout dépend des conditions pratiques de cet aménagement-horaires, semaines de travail. Nous serons évidemment très vigilants à cet égard.
Monsieur Hyest, vous avez raison : la complexité administrative favorise le développement du travail illégal. Nous travaillons à y remédier. J'ai rappelé hier l'état d'avancement des réformes en la matière, je n'y reviendrai pas.
Vous avez insisté fort justement sur les difficultés récurrentes qu'il y a à coordonner la police générale et les polices spéciales. C'est là un réel obstacle à l'amélioration de la lutte contre le travail illégal. Mais les dispositions du projet de loi qui visent à harmoniser les pouvoirs de contrôle, ainsi que la réforme du dispositif interministériel de lutte contre le travail illégal, sur le plan national et sur le plan local, vont permettre de le surmonter ; j'y veillerai personnellement dans le cadre de la mission particulière qui m'est confiée.
En ce qui concerne les aides à la formation et à l'emploi, je voudrais vous dire qu'il me paraît bien préférable que l'administration puisse en suspendre le bénéfice au vu d'un procès-verbal et non pas d'une décision de justice. Il s'agit là, en effet, non pas d'une sanction - il y aurait alors cumul de peines, ce qui n'est pas opportun - mais d'une mesure de prévention.
Je vous remercie, monsieur Gournac, de vos observations et du souci que vous manifestez, avec d'autres orateurs, que soit bien marquée la distinction qu'il convient de faire entre lutte contre l'immigration clandestine et lutte contre le travail illégal.
J'ai bien noté, par ailleurs, votre proposition d'étendre l'utilisation du chèque emploi-service à d'autres secteurs d'activité et votre appel à imaginer de nouvelles mesures de simplification incitatives à l'embauche. Telle est effectivement l'orientation dans laquelle Jacques Barrot et moi-même nous nous inscrivons.
Madame Dieulangard, j'ai l'impression que nous n'avons pas lu le même projet de loi ! Je suis au regret de le dire.
Ce texte n'est ni pauvre ni squelettique. Les débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale, comme ceux qui ont commencé dans votre Haute Assemblée, montrent bien que vous vous trompez. Ce projet de loi constitue une avancée importante, notamment par rapport aux dispositions que vous aviez votées quand la majorité que vous souteniez était au pouvoir, vous l'avez vous-même reconnu.
Quand vous affirmez que le projet de loi serait « à la limite dangereux pour les salariés », je me demande, là encore, si nous avons bien lu le même texte !
M. Jean Chérioux. Mme Dieulangard doit changer de lunettes !
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué. Qu'est-ce qui vous permet de dire que la lutte contre le travail dissimulé et contre le travail illégal ne s'appuiera pas assez sur l'inspection du travail ?
C'est une contrevérité que d'affirmer que le projet de loi entretient l'amalgame entre l'immigration clandestine et le travail illégal ; je me suis déjà exprimée longuement à ce sujet, de même que les rapporteurs et les différents orateurs.
Je suis vraiment au regret de dire, madame Dieulangard, que vous nous dressez un procès d'intention au lieu de participer à un débat sur un sujet qui constitue une priorité nationale et sur lequel devrait se dégager un consensus. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
En réalité, c'est vous qui faites un amalgame quand vous assimilez développement du temps partiel, du travail indépendant ou de l'intérim et travail illégal.
Pourquoi dites-vous que le projet de loi ne s'attache pas aux nouvelles formes de travail illégal ? Plusieurs dispositions très importantes de ce texte concernent la prévention et la répression du marchandage et du prêt illicite de main-d'oeuvre, qui - nous le savons bien - se sont beaucoup développés et contre lesquels nous devons lutter d'une manière très concrète.
M. Fischer a rejeté le texte de la même manière. Honnêtement, je n'ai vraiment pas compris pourquoi. Je suis persuadée qu'il approuve nos propositions, même s'il ne l'avoue pas.
Je suis très étonnée de l'entendre affirmer que le texte se limite à une seule forme de travail illégal, le travail dissimulé, alors que - je viens de le souligner - nombre de ses dispositions visent d'autres infractions, telles que le marchandage, le prêt illicite de main-d'oeuvre et l'emploi d'étrangers sans titre.
De même, comment soutenir qu'il est préférable de ne pas légiférer tout en déplorant que le texte soit - je reprends l'expression de M. Fischer - « trop timide » ?
Vous aussi, monsieur le sénateur, vous nous accusez de faire l'amalgame entre immigration clandestine et travail clandestin.
Vous avez longuement contesté une disposition relative au droit d'entrée des officiers de police judiciaire, qui ne figure pas dans le projet : vous vous trompez de débat.
Enfin, que signifie cet amalgame entre exonération de charges, zones franches et travail illégal ?
Une fois de plus, je ne puis que regretter que nous ne puissions parvenir à un consensus alors que les enjeux de ce texte sont de portée nationale.
Monsieur Ostermann, je sais que vous avez beaucoup travaillé - vous avez même déposé une proposition de loi - sur ce sujet.
Vous souhaitez rendre plus dissuasives les peines et les amendes existantes. Je comprends tout à fait votre souci ; mais il ne me paraît pas nécessaire de les accroître encore ; elles sont déjà variées et très importantes. Je rappelle qu'en 1993 quatre personnes condamnées pour recours au travail clandestin sur dix l'ont été à des peines d'emprisonnement.
Je crois qu'il faut tout mettre en oeuvre pour que les agents de contrôle puissent effectivement rechercher et constater les infractions, faire en sorte que les peines existantes soient effectivement prononcées et accroître les mesures préventives à portée financière, comme le refus d'aides à l'emploi ou les mesures relatives à l'accès aux marchés publics.
Vous soulignez que le salarié devrait lui aussi, dans certains cas, être mis en cause. Vous soulevez là un problème délicat. Il faut préciser que les salariés sont les victimes du travail illégal, car celui-ci remet en cause leurs droits sociaux. Au demeurant, la décision d'embauche appartient toujours, en dernière analyse, à l'employeur.
Le droit du travail est un droit protecteur des salariés et il serait dangereux d'altérer ce principe fondamental.
Pour autant, certaines dispositions visent déjà les salariés : le cumul d'une rémunération et d'une indemnité de chômage, ainsi que le cumul d'emplois pour les fonctionnaires font déjà l'objet de sanctions.
Enfin, vous proposez de créer dans chaque département, sous la responsabilité directe du préfet, une structure pluridisciplinaire spécialement chargée de lutter contre le travail dissimulé.
Les mesures qui vont être prises par le Gouvernement et la priorité que nous donnons à la mobilisation de tous les moyens de lutte répondent, je le pense, à votre souci ; nous pourrons en reparler.
Monsieur Bimbenet, je suis heureuse que le projet de loi qui vous est soumis réponde à la préoccupation que vous aviez exprimée l'année dernière, à l'occasion d'une question.
J'ai bien compris votre souhait de voir poursuivre les réflexions sur un dispositif de présomption de recours au travail dissimulé. Nous devons être d'autant plus prudents dans ce domaine que le régime des présomptions est d'un maniement inhabituel en matière pénale, où prévaut un régime de preuve bien spécifique.
Mais cela ne doit pas nous interdire de faire preuve d'imagination s'il s'agit d'assurer une répression efficace et bien ciblée des fraudes les plus graves.
Vous avez également exprimé la crainte que ne soit pas affecté à la lutte contre le travail illégal un nombre suffisant d'agents.
Ce projet de loi va bien dans le sens d'une mobilisation générale de tous les corps de contrôle disponibles, dont la liste est d'ailleurs complétée.
Cette mobilisation sera renforcée par la mise en place d'un dispositif, lui-même renforcé, de coordination interministérielle.
Soyez assuré que je veillerai personnellement à cette mobilisation permanente et à la coopération de tous les services concernés.
Vous insistez, enfin, sur l'information et la responsabilisation de nos concitoyens, qui, trop souvent, considèrent le travail au noir - pour utiliser le vocabulaire courant - comme normal. Je le dis une nouvelle fois, le Gouvernement s'emploiera à faire informer de la meilleure manière possible nos concitoyens des conséquences et des risques de cette forme d'emploi. L'information va de pair avec la prévention, et nous y sommes trés attachés.
Enfin, M. Jourdain a soulevé, comme M. Ostermann, le problème posé par les salariés dissimulés par leur employeur à leur demande et avec leur complicité.
Dans ce domaine, le principe reste celui de l'absence de responsabilité pénale du salarié. Quelle que soit, en effet, son attitude, la décision d'embauche et de non-déclaration appartient, en dernier recours, à l'employeur. C'est donc sur ce dernier que la responsabilité doit peser.
Vous avez également évoqué, monsieur Jourdain, le risque d'un alourdissement des tracasseries administratives à l'égard des entreprises. Je souhaite vous rassurer : toute la philosophie de ce projet consiste à mieux cibler la répression sur les fraudes les plus graves ou les plus complexes et à rendre cette répression la plus efficace possible.
Il s'agit donc non pas de multiplier les formalités et les tracasseries, mais, en s'appuyant sur celles qui existent déjà, de permettre aux agents de contrôle d'aller directement à l'essentiel, notamment pour identifier les donneurs d'ordre. Nous aurons l'occasion de revenir, au cours de ce débat, sur ce point important du projet de loi.
En revanche, il faut incontestablement simplifier les tâches administratives des entreprises ; je le disais tout à l'heure en répondant à un autre des intervenants. Hier, j'ai dressé la liste de toutes les actions qui sont actuellement en cours à cette fin car elles participent aussi d'une démarche de prévention. Hélas, les choses ne vont toujours pas aussi vite que nous le souhaiterions, mais, soyez-en sûr, monsieur le sénateur, le Gouvernement est tout à fait déterminé à avancer dans cette voie.
L'extension du chèque-service peut en être un très bel exemple. Nous mettons en place le chèque « salarié agricole » et nous étudierons l'extension de ce principe à d'autres professions qui le justifient.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je voulais vous apporter avant que nous entamions l'examen des articles.
Je tiens à vous remercier une nouvelle fois pour la qualité des travaux que vous avez menés et la qualité de vos interventions.
J'espère que le débat qui va s'ouvrir maintenant nous permettra d'enrichir ce texte en vue d'assurer une plus grande efficacité à la lutte que nous avons l'intention d'engager tous ensemble, contre le travail illégal. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.

Articles additionnels avant l'article 1er A