M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les récentes déclarations de M. le Président de la République tendant à « sérieusement examiner la possibilité de rendre le parquet indépendant du garde des sceaux » ont d'autant plus surpris que pendant sa campagne électorale, et à la différence de Lionel Jospin, il n'avait rien dit de tel.
A l'en croire, il serait arrivé à cette conclusion après avoir constaté que « les procureurs n'obéissent pas. »
Cette constatation est sans doute liée au curieux engagement du Président de la République d'un « budget de la justice plus important », alors que le Gouvernement vient de faire approuver par sa majorité un budget de la justice en francs constants sans aucune augmentation. Il s'apprête sans doute à faire des économies en ne recherchant plus un procureur dans l'Himalaya, hélicoptère à l'appui !
M. Jacques Mahéas. Absolument !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous estimions nous-mêmes nécessaire, dans le rapport Justice et transparence, que « le parquet échappe à l'autorité du garde des sceaux », et Jacques Toubon, qui était du même avis en 1992, l'est apparemment de nouveau.
Nous voici donc aujourd'hui unanimes à considérer qu'il n'est aucunement « entendu que l'autorité indivisible de l'Etat est confiée tout entière au Président par le peuple qui l'a élu » et « qu'il n'en existe aucune autre », en particulier « judiciaire », qui ne soit « conférée et maintenue par lui », contrairement à ce que déclarait le général de Gaulle le 31 janvier 1964.
M. Alain Vasselle. Très bonne référence !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'en arrive tout naturellement à ma question : le nouvel article 65 de la Constitution laissant entre les mains de l'exécutif la carrière et la discipline des magistrats du parquet, n'est-il pas nécessaire, pour les rendre « indépendants du garde des sceaux », de modifier la Constitution, au besoin par référendum, afin de contourner ce qui, dans notre pays, est le plus « profondément conservateur », c'est-à-dire la majorité sénatoriale ? (Rires et applaudissements sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vous comprendrez que je laisse le soin à la majorité sénatoriale de répondre à la dernière partie de votre question.
M. Jean Delaneau. On s'en chargera !
M. Emmanuel Hamel. Elle est conservatrice, c'est une valeur essentielle.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Elle aura bien des fois l'occasion de démontrer que, comme par le passé, et encore très récemment, elle adopte des positions progressistes et non immobilistes, comme le groupe auquel vous appartenez, monsieur Dreyfus-Schmidt, a souvent donné la preuve, et encore tout récemment. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jacques Mahéas. Et l'impôt sur la fortune ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Mais j'avais bien compris que cette dernière partie de la question n'était qu'accessoire par rapport à la première partie, à laquelle je veux maintenant répondre en tant que ministre de lajustice.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, je reprendrai les propos que j'ai tenus publiquement : il existe deux façons d'appréhender la déclaration de M. le Président de la République jeudi dernier, soit par le petit bout de la lorgnette, disons à travers une lorgnette politicienne, soit, au contraire, en considérant l'ampleur du dessein qui a été esquissé par le Président de la République et qui, en fait, consiste à savoir si, à la fin du xxe siècle, nous devons ou non conserver à la justice française la place, le rôle, l'autorité, le pouvoir et la responsabilité qui sont les siens depuis la Révolution française.
L'autorité judiciaire doit-elle devenir un véritable pouvoir ? Comment, dès lors, résoudre le problème de la séparation et des relations entre les différents pouvoirs ? Faut-il, par exemple, fusionner l'autorité de poursuite avec l'autorité d'instruction et de jugement, alors que, selon notre tradition, celles-ci sont bien distinctes ?
J'arrête là mes questions propos. Le dessein et les hypothèses présentés par M. le Président de la République sont en fait sous-tendus, si nous allons jusqu'au bout, par une nouvelle vision de la justice dans notre pays, c'est-à-dire un véritable bouleversement en ce domaine, deux cents ans après la Révolution.
Par conséquent, monsieur Dreyfus-Schmidt, c'est tout l'intérêt d'une commission de réflexion, composée bien entendu de juristes et de praticiens du droit, mais aussi de philosophes, de sociologues, d'hommes et de femmes capables d'envisager cette question dans toute son ampleur. Cette commission, dont M. le Premier ministre et moi-même sommes en train de définir la composition et la mission, sera mise en place au début du mois de janvier, afin qu'elle puisse se mettre au travail dans les prochains mois et exercer, au niveau nécessaire, cette réflexion qui est fondamentale.
Voilà de quoi il s'agit !
Monsieur Dreyfus-Schmidt, connaissant les positions qui sont les vôtres et les propos que vous avez souvent tenus dans cet hémicycle, un peu longuement quelquefois - mais, peu importe, ils sont souvent intéressants (Sourires) - je ne doute pas que vous serez l'un de ceux qui, au sein de votre groupe, sauront le mieux concevoir la difficulté mais aussi l'ampleur de cette tâche que le Président de la République nous a assignée.
Enfin, s'agissant du parquet lui-même, je rappellerai que, en 1993, cette majorité sénatoriale que vous prétendez si conservatrice a créé, lors de la révision de la Constitution, une formation du parquet au sein du Conseil supérieur de la magistrature, ce que le Président de la République de l'époque, et ce, depuis 1981 ! n'a jamais fait, contrairement à ses promesses.
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Désormais, la situation du parquet est tout à fait différente, ce qui montre bien, monsieur Dreyfus-Schmidt, que non seulement nous avons des idées pour l'avenir, mais que nous savons également agir dans le présent. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Vous avez vous-même répondu un peu longuement, monsieur le garde des sceaux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il a été plus long que moi !

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