M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 1997.
Dans la discussion des articles de la première partie, nous en sommes parvenus à l'examen de l'article 21. Avant la suspension de séance, j'avais appelé en discussion les amendements n°s I-202, I-203 et I-204. Mme Beaudeau a défendu l'amendement n° I-202.
La parole est à M. Loridant, pour défendre l'amendement n° I-203.
M. Paul Loridant. Cet amendement tend à substituer aux dispositions de l'article 21 une mesure visant à abroger la loi de privatisation que M. Balladur et sa majorité ont fait voter en 1993.
Nous avons examiné, à la fin de la matinée, le coût exorbitant pour la collectivité de l'ouverture du secteur des télécommunications à la concurrence et la semi-privatisation de France Télécom, qui préfigure une privatisation réelle.
Alors que le Gouvernement prétend diminuer de manière draconienne les déficits publics, il est tout à fait singulier qu'il poursuive le programme de privatisation engagé depuis trois ans et qui se révèle particulièrement coûteux pour notre pays. En effet, nous en sommes arrivés au point où les privatisations engagées coûtent plus cher que ne rapporte la vente des entreprises publiques. Je vous renvoie au dossier de Thomson Multimédia, société vendue pour un franc, mais qu'il faut au préalable recapitaliser. Tout cela se traduit, en fait, par un surcoût et, surtout, par des dizaines de milliers de licenciements qui accroissent le déficit de la sécurité sociale et de l'assurance chômage.
En 1996, la privatisation des entreprises du secteur public a coûté près de 5 milliards de francs aux finances de l'Etat, et n'aura donc pas représenté un gain net.
L'Etat n'accepte en effet de jouer son rôle d'actionnaire et, par conséquent, de recapitaliser les entreprises publiques que pour mieux préparer la vente du capital de celles-ci aux intérêts privés. Les investissements qu'il consent ainsi à réaliser servent en fait à préparer les bénéfices futurs pour les prochains propriétaires. Ils sont complétés par l'abandon des activités jugées les moins immédiatement rentables, accompagné du cortège de licenciements et de suppressions de postes.
Consciente de l'incapacité des marchés financiers à absorber le volume des privatisations, la commission dite de privatisation est elle-même conduite à sous-estimer le prix des actions afin de pouvoir les vendre et de réussir l'opération de privatisation.
Nous assistons ainsi à un véritable bradage du patrimoine national.
On comprend mieux pourquoi, face à cette gabegie et devant les milliers de licenciements qui se préparent chez Thomson, chez Alcatel Alsthom à Lannion et dans le Loiret, ou encore chez Renault qui prévoit, avec Peugeot, une restructuration qui toucherait près de 40 000 salariés, nos concitoyens réclament désormais l'arrêt du processus de privatisation.
Notre amendement correspond donc à l'intérêt national et à la volonté des salariés. C'est pourquoi nous vous invitons, mes chers collègues, à l'adopter.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, pour défendre l'amendement n° I-204.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Dans la logique de notre amendement de suppression de l'article 21, nous proposons de ne pas taxer les ressources financières dont France Télécom ne pourra pas se servir.
Je tiens à rappeler que le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat s'est prononcé contre la déréglementation des télécommunications et contre la privatisation de 49 % du capital de l'entreprise qui assurera prioritairement les missions de service public, lesquelles, même réduites au seul « service universel », demeurent indispensables à la population.
Cet article 21 confirme les craintes que nous avions au printemps dernier sur l'avenir de France Télécom.
Tout nous conduit à penser que le Gouvernement continue sa pression sur cette entreprise publique très performante afin de favoriser une concurrence à laquelle les entreprises privées ne sont toujours pas capables de faire face.
Dans l'attente d'une renationalisation du secteur des télécommunications, nous proposons, par cet amendement, de permettre à France Télécom de déduire de son régime d'imposition les frais générés par sa semi-privatisation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s I-202, I-203 et I-204 ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Le Sénat a très longuement débattu de France Télécom et a été très largement consulté. Les mesures proposées par le Gouvernement sont la traduction fiscale des votes de notre assemblée. Par conséquent, en toute cohérence, la commission des finances émet un avis défavorable sur l'ensemble de ces amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Défavorable.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il s'agit tout de même de 37,5 milliards de francs !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-202.
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Il me paraît tout de même gênant que notre assemblée envisage, sans en parler outre mesure, de prélever 37,5 milliards de francs sur France Télécom pour des charges de retraites car on n'est pas sûr que l'Etat saura les honorer.
Je sais bien que cette opération a reçu l'aval des autorités de Bruxelles pour lesquelles elle est considérée comme irréprochable sur le plan comptable.
Je voudrais être sûr, chers collègues de la majorité, que vous approuvez bien cette opération et que vous entendez, par un vote à main levée, dans quelques instants, décider de prélever d'un seul coup 37,5 milliards de francs sur France Télécom et de transférer la charge de retraites correspondante au budget de l'Etat. L'enjeu est de taille.
Je me permets de porter un regard ironique sur les autorités de Bruxelles. Elles sont soucieuses sur tel ou tel point qui ne permettrait pas de baisser le taux de la TVA concernant la télévision de proximité alors que le coût de cette mesure représenterait au maximum 7 millions de francs. En revanche, lorsqu'il s'agit de 37,5 milliards de francs, elles prétendent qu'il n'y a aucun problème comptable.
Mes chers collègues, à certains moments il faut réagir ! C'est pourquoi je vous invite à voter notre amendement.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je voudrais simplement rappeler à notre excellent collègue M. Paul Loridant qu'il ne lui appartient pas de juger selon quel mode nous devons nous exprimer sur les montants qui sont inscrits dans les articles.
Chacun, quelle que soit la travée sur laquelle il siège, est responsable.
Les sentiments anti-européens de M. Loridant sont connus. La majorité ne les critique pas. En tout état de cause, nous avons parfaitement apprécié la portée de cet article et la commission des finances a rejeté ces amendements en toute connaissance. Les choses devaient être dites !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Je ne voudrais pas prolonger la discussion. Cependant, à ce stade du débat, une précision s'impose. En effet, trop souvent sur les travées de l'opposition, notamment sur celles du groupe communiste, ...
M. Paul Loridant. Républicain et citoyen !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. ... du groupe communiste républicain et citoyen, pardonnez-moi, monsieur le sénateur, on a tendance à mélanger les problèmes européens et à mettre sur le compte de Maastricht tout ce qui relève du droit européen ou des compétences de la Communauté européenne.
Pour la bonne information du Sénat, je voudrais rappeler, à propos de la soulte de France Télécom, qu'il faut distinguer trois catégories de problèmes.
La première catégorie de problèmes, qui en l'occurrence, n'est pas en cause mais dont nous avons débattu longuement hier et avant-hier, tient au fait que la France est naturellement tenue d'appliquer les traités internationaux qu'elle a régulièrement signés et ratifiés, ainsi que les directives et les règlements européens qu'elle a approuvés et transposés en droit interne. Nous nous sommes heurtés à cette nécessité lorsque nous avons examiné certains amendements prévoyant l'application d'un taux réduit de TVA sur les produits pour lesquels la réglementation communautaire, que nous avons nous-mêmes voulue et acceptée, ne le permet pas dans son état actuel, une modification de cette réglementation étant naturellement toujours possible.
J'en viens à la deuxième catégorie de problèmes et à la soulte de France Télécom. Il appartient aux autorités européennes, et en l'espèce à la Commission, de vérifier que les rapports financiers de tous ordres qui existent entre une entreprise, quel que soit son statut, public ou privé, et une collectivité publique, en général l'Etat mais éventuellement une collectivité locale, ne comportent aucune forme d'aide directe ou indirecte de la part des autorités publiques susceptible de nuire à la loyauté et à l'égalité des conditions de concurrence.
De ce point de vue, les autorités européennes ont eu à émettre un avis sur le versement de cette somme de 37,5 milliards de francs. Elles ont constaté que celle-ci correspondait bien au coût financier que représente la prise en charge par l'Etat, conformément aux engagements pris par celui-ci dans le cadre de la réforme du statut de France Télécom, du paiement des retraites des fonctionnaires de l'entreprise publique, qui l'assurait jusque-là. La valeur actualisée de ces charges de retraite a été évaluée par nos experts à 37,5 milliards de francs. Cette évaluation n'est pas contestée par la Commission européenne.
Enfin, le troisième problème a trait au jugement que l'on porte sur l'endettement et le déficit des administrations publiques de chacun des Etats membres de l'Union européenne pour apprécier la capacité de ces derniers à remplir les conditions de participation à l'union économique et monétaire, à compter du 1er janvier 1999.
Le service Eurostat, qui est l'autorité comptable à Bruxelles, a indiqué que la somme des 37,5 milliards de francs pouvait être considérée comme venant réduire le besoin de financement, c'est-à-dire le déficit au sens de la comptabilité européenne des administrations publiques françaises.
Tel est très exactement l'état de la situation. Par conséquent, compte tenu des choix politiques opérés, le traitement financier et comptable de cette soulte est particulièrement orthodoxe du point de vue des lois françaises et européennes.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-202, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-203.
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'utilise l'artifice de l'explication de vote, car je ne saurais laisser M. le rapporteur général, avec qui je travaille régulièrement, dire que les membres du groupe communiste républicain et citoyen, en particulier le sénateur Loridant, sont anti-européens.
Il nous faut nous mettre bien d'accord sur ce sujet : je n'ai pas le sentiment d'être anti-européen, même si je suis effectivement très critique sur la façon dont la construction européenne est conçue, conception dont M. le ministre vient de donner une illustration : une construction de l'Europe par les normes, selon des règles comptables.
Or, pour nous, la construction de l'Europe est un projet politique. A-t-on le sentiment, aujourd'hui, que les politiques ont le dernier mot, s'agissant de la façon dont l'Europe est construite ? Pour autant, je ne me sens nullement anti-européen. Je suis simplement très critique sur la façon dont cela se fait.
Je pourrais insister sur les opérations de jumelage, de coopération, etc., que je mène. Je ne le ferai pas ; mais, je vous en supplie, mes chers collègues, qu'il soit clairement établi dans cette enceinte que ce n'est pas parce que nous avons une vision critique de la façon de construire l'Europe que nous sommes anti-européens !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-203, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-204, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 21.
M. Paul Loridant. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.

(L'article 21 est adopté.)

Article 22