M. le président. Par amendement n° I-201, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 21, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Les entreprises privées assurant un service de distribution d'eau et d'assainissement sont nationalisées.
« II. - L'indemnisation des actionnaires des entreprises concernées est effectuée par la distribution d'obligations à coupon zéro courant sur vingt ans et une participation aux bénéfices constatés dont la part est fixée par décret. Le montant des sommes concernées ne peut être supérieur à la valeur de l'actif net desdites entreprises.
« III. - Les dispositions de l'article 39-1-5 du code général des impôts sont abrogées. »
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Cet amendement porte sur l'une des questions particulièrement sensibles et fondamentales qui se pose, en matière de service public dans notre pays.
En effet, aussi étrange que cela puisse paraître, lors de la Libération de la France, le législateur n'a pas cru devoir procéder à la nationalisation des services de l'eau et de l'assainissement, étant entendu qu'à l'époque - et cela reste en partie vrai - une part importante de l'adduction d'eau était réalisée par des régies locales.
Le temps a passé, l'eau a coulé sous les ponts, serait-on tenté de dire, et la situation a profondément évolué.
Les règles applicables en matière de concession de services publics d'eau et d'assainissement sont suffisamment connues de tous pour qu'on puisse se contenter de prendre en compte le fait qu'elles sont, pour une part essentielle, très exceptionnelles au regard du droit commun dans ces domaines.
Dans les faits, cela a conduit à assurer à un nombre particulièrement restreint de compagnies une maîtrise de l'ensemble de la filière et des positions commerciales fortes auprès des collectivités locales.
Plusieurs facteurs ont contribué à l'essor de l'activité de ces opérateurs, le moindre n'étant pas le mouvement d'urbanisation du pays qui a généré de nouveaux besoins collectifs en ces matières et qui a justifié, d'ailleurs, le développement transversal des groupes précités dans l'ensemble des activités, telles que l'eau, l'assainissement, la propreté, l'utilisation et le retraitement des déchets, la production énergétique.
Le deuxième facteur essentiel est la décentralisation qui a accru les pouvoirs et les responsabilités des collectivités locales en matière de traitement des eaux, responsabilités qui conduisent à la programmation d'importants investissements d'infrastructure.
Le troisième facteur est celui qui résulte de l'ensemble de la législation désormais en vigueur sur l'ensemble des problèmes de l'environnement, notamment sur les objectifs de la loi Barnier en matière de gestion des déchets, ou encore des dispositions propres à la nouvelle nomenclature comptable des collectivités locales qui les contraint à isoler les dépenses relatives à l'eau et à l'investissement de l'ensemble des dépenses locales et à rechercher l'équilibre dans ce budget annexe.
L'ensemble de ces facteurs continue de jouer un rôle moteur pour assurer la prépondérance des opérateurs que nous connaissons.
Pour autant, il est un point sur lequel la situation est particulièrement critiquable. Il s'agit de la péréquation tarifaire.
Si de nouvelles exigences sont sans cesse imposées pour parvenir à la meilleure qualité possible de l'eau fournie aux consommateurs, il n'en demeure pas moins que, sous des prétextes divers et plus ou moins fallacieux, le prix du mètre cube d'eau est soumis en France à de sérieuses variations.
C'est ainsi que certaines communes connaissent parfois des prix frisant ou dépassant 40 francs le mètre cube, alors que d'autres sont sous la barre des 10 francs.
Or, pour prendre un exemple connu, les éventuelles difficultés d'acheminement n'ont pas motivé - fort heureusement ! - du côté d'un opérateur public comme EDF, la mise en place de tarifs différenciés entre ses clients, tout au moins jusqu'à présent : le kilowattheure a toujours le même prix, que l'on habite Paris, Lille, Marseille, Strasbourg ou le Cantal.
C'est cet objectif fondamental qui justifie pleinement la mesure que nous vous proposons.
Quant aux conditions d'indemnisation des actuels actionnaires des entreprises concernées, elles sont assez nettement calquées sur celles qui furent appliquées à la Libération aux actionnaires des anciennes compagnies de gaz et d'électricité dont le patrimoine a été regroupé dans EDF-GDF.
Elles correspondent donc non pas à une spoliation des intérêts concernés, mais à la simple reprise d'un dispositif qui a fait la démonstration de son efficacité par le passé.
Quant au périmètre de la nationalisation, il comprend naturellement l'ensemble des sociétés membres des groupes constituées autour des concessionnaires de services publics et admises dans le périmètre des comptes consolidés de chaque groupe.
Enfin, s'agissant des avantages de la mesure que nous préconisons, soulignons, entre autres, le fait que l'on pourra ainsi mettre un terme aux affaires de trafic d'influence qui peuvent parfois résulter des négociations de concession de services publics.
Soulignons aussi que cette nationalisation dispensera l'Etat de payer l'avoir fiscal correpondant à la rémunération des actuels actionnaires privés.
Mais n'oublions pas l'essentiel : il s'agit de mettre en place un interlocuteur privilégié des collectivités locales en matière de services publics locaux, susceptible depermettre, à partir d'économies d'échelle significatives, une véritable péréquation tarifaire et une modération de la progression des prix offerts à la clientèle.
Comment, en effet, oublier dans ce cadre que les concessionnaires de services publics concernés ont souvent eu recours au versement de très importants droits d'entrée dans la conclusion des contrats d'affermage, droits d'entrée qui motivent, bien souvent, tant l'absence d'un réel entretien des installations que la hausse régulière des prix des prestations ? Je pense que vous aurez à coeur d'y mettre fin.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite à adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. J'ignore comment le groupe communiste républicain et citoyen souhaite que nous traitions les questions dont entend débattre devant le Sénat s'agissant des nationalisations. Pour sa part, la commission des finances désire que ces questions puissent faire l'objet d'une discussion approfondie, mais pas sur chaque amendement, car le problème doit, me semble-t-il, être apprécié dans sa globalité.
En tout état de cause, vous ne vous étonnerez pas que la commission des finances n'ait pas jugé opportun de nationaliser les entreprises du secteur concurrentiel. Elle travaille, en effet, depuis plusieurs années sur l'« Etat actionnaire » et il lui est apparu que, dans sa fonction d'actionnaire, l'Etat n'était pas d'une efficacité remarquable.
C'est la raison pour laquelle, madame Borvo, la commission des finances a émis un avis défavorable sur cet amendement. Nous pourrons peut-être tout à l'heure, lorsque nous aborderons l'examen des amendements relatifs aux nationalisations, approfondir davantage cette question.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-201, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(Après une première épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. Quel dommage !

Article 21