M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° I-76, MM. Régnault, Masseret, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Richard, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer avant l'article 16, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans le premier alinéa du I de l'article 1647 E du code général des impôts, le taux : "0,35 %" est remplacé par le taux : "1 %".
« II. - Le premier alinéa du I de l'article 1647 E du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée : "Ce pourcentage est porté à 1,5 % en 1998, 2 % en 1999."
« III. - Le deuxième alinéa du I de l'article 1647 E du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Cette imposition minimale ne peut avoir pour effet de mettre à la charge de l'entreprise un supplément d'imposition excédant le double de la cotisation de l'année précédente. »
« IV. - Les deux dernières phrases du paragraphe II de l'article 1647 E du code général des impôts sont supprimées. »
Par amendement n° I-179, M. Loridant, Mme Beaudeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 16, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans le paragraphe I de l'article 1647 E du code général des impôts, la mention "0,35 %" est remplacée par le mention "1 %".
« II. - Les deuxième et troisième phrases du paragraphe II du même article sont supprimées.
« III. - Le taux prévu à l'article 219 du code général des impôts est relevé à due concurrence. »
La parole est à M. Régnault, pour défendre l'amendement n° I-76.
M. René Régnault. Il s'agit d'un bon amendement. (Sourires.) Il ne devrait donc pas échapper à l'intérêt de l'ensemble des sénateurs qui, tout à l'heure, l'adopteront, avec d'ailleurs le soutien du Gouvernement.
En effet, il s'agit de faire en sorte que les entreprises qui, actuellement, acquittent une taxe professionnelle très modeste en payent davantage.
Nous sommes heureux de constater que le Gouvernement comme la majorité se sont ralliés aux longues explications données l'an dernier par les groupes socialistes de l'Assemblée nationale et du Sénat sur l'opportunité de créer une cotisation minimale de taxe professionnelle.
Cette disposition constitue un premier pas vers une modification de l'assiette de la taxe professionnelle permettant une moindre taxation des entreprises de main-d'oeuvre, une moindre pénalisation de l'emploi et une meilleure prise en compte des secteurs plus favorisés. Cela aurait pu également constituer un bon outil pour renforcer les moyens de la péréquation.
Cependant, la mesure de la loi de finances de 1996 a manqué d'ambition puisque le taux retenu - 0,35 % - est très faible et que ne sont pas prises en compte les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions de francs. Au total, très peu d'entreprises ont été concernées pour un produit symbolique. Par ailleurs, le Gouvernement avait réduit à due concurrence sa dotation au fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, le FNPTP, ce qui, convenons-en, était inacceptable.
Nous proposons donc, par cet amendement, d'instaurer un relèvement à 1 % du taux de la cotisation minimale, comme le suggérait l'Association des maires de France, ce taux augmentant progessivement jusqu'à 2 %. Par là même, nous aurons enfin permis que s'instaure une réelle équité entre les redevables de la taxe professionnelle.
Quant aux répercussions négatives pour les entreprises, soyons réalistes : un taux de 2 % représente 12 milliards de francs. Par rapport aux allégements de charges, qui ne créent que très peu d'emplois, c'est de faible importance.
En outre, il s'agit d'un retour à l'équité. Les résultats des grandes entreprises sont tout à fait convenables et marqués par un taux d'autofinancement supérieur à 100 %. Quant aux petites entreprises, elles ne seront pas touchées. Enfin, l'augmentation sera très progressive puisque l'amendement prévoit que l'imposition de l'année ne pourra dépasser le double de celle de l'année précédente.
La question de l'attribution de cette cotisation minimale demeure ; nous en reparlerons lors de l'examen de l'article 16. Mais il nous semble clair - l'année dernière, les parlementaires ont été unanimes sur ce point - qu'elle doit demeurer une recette pour les collectivités locales. Nous proposons donc d'utiliser son produit pour alimenter le fond national de péréquation de la taxe professionnelle. Cette recette pourra ainsi remplir pleinement son rôle de rééquilibrage des ressources entre collectivités territoriales, certaines étant très défavorisées par rapport à d'autres.
J'ajouterai qu'en portant à 1 % la cotisation minimale nous résolvons également le problème pratique que semble poser la disposition prévoyant une réduction concomitante de la dotation de l'Etat au FNPTP.
En clair : faisons simple quand cela est possible ! Telle est l'objet de notre proposition ! En outre, nous irions ainsi dans le sens de l'équité entre les entreprises, certes, mais aussi entre les collectivités territoriales.
M. le président. La parole est à M. Loridant, pour défendre l'amendement n° I-179.
M. Paul Loridant. En chapeau, en quelque sorte, à la partie « finances locales » de la loi de finances, nous proposons cet amendement n° I-176.
La fixation d'une cotisation minimale de taxe professionnelle est une idée que notre groupe défend avec constance.
La création d'un plancher, l'an passé, montre qu'il s'agit d'une volonté politique largement partagée au moins au sein de la Haute Assemblée. Cette mesure figure d'ailleurs - mon collègue M. Régnault vient de le dire - dans la résolution finale du congrès de l'Association des maires de France - présidée, chacun le sait, par M. Delevoye - et fait partie des points positifs de la déclaration ayant entraîné une abstention motivée, et non un vote contre, des élus avec lesquels nous travaillons le plus souvent.
J'en veux pour preuve le soutien à une telle disposition exposé dans l'article paru dans le journal Les Echos du 19 novembre dernier, cosigné - excusez du peu ! - par MM. Delevoye et Carrez, tous deux membres du RPR, par M. Lemoine, maire de Chartres, apparenté au groupe socialiste, et par M. Dominique Frelaut, membre du parti communiste français, tous maires : cet article plaidait pour un aménagement réaliste de la taxe professionnelle. Nous sommes donc sur un terrain politique confortable, mes chers collègues.
Je ne veux pas reprendre ici toute l'argumentation de ces éminents spécialistes de finances locales, mais, au-delà de divergences réelles, le constat d'une taxe professionnelle qui multiplie les allégements sans cohérence ni maîtrise à moyen terme est unanimement dénoncé.
Comment, en effet, ne pas souligner la progression des exonérations et allégements compensés partiellement, qui conduisent l'Etat à prendre en charge plus du tiers du produit de cette taxe au profit des collectivités locales, ce à la place des entreprises ?
Aujourd'hui, ce système n'est plus viable. On ne peut pas sans cesse demander à l'Etat de se substituer aux obligations des entreprises, au détriment des autres contribuables.
En effet, quand l'Etat compense 50 milliards de francs d'exonération et d'allégement de taxe professionnelle, cela signifie que les ménages, par le biais de l'impôt direct, de la TVA, ou d'autres cotisations, supportent près de 45 milliards de francs.
Tout le monde est conscient, au sein même des collectivités locales, qu'il est indispensable de trouver de nouvelles ressources.
Apprendre, par exemple, que les assurances ne contribuent à la taxe professionnelle que pour 0,79 % de leur valeur ajoutée n'est pas seulement surprenant ; c'est également choquant quant on connaît leurs résultats.
M. René Régnault. C'est scandaleux !
M. Paul Loridant. Les collectivités locales constituent un élément essentiel du dynamisme de la nation. C'est pourquoi il faut les aider à soutenir l'activité et la croissance.
Bien entendu, certains sont favorables à une progression par palliers de cette cotisation minimale de taxe professionnelle. La possibilité de modifier et d'amender notre proposition leur est offerte ; j'ai cru comprendre que nos amis socialistes souhaitaient aller dans ce sens.
M. René Régnault. Tout à fait !
M. Paul Loridant. Tel est l'objet de l'amendement que les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen vous proposent d'adopter, amendement que je pourrais qualifier d'« amendement Association des maires de France ».
Pour vous permettre de vous mettre en accord avec les positions adoptées par l'Association des maires de France, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen demande que le Sénat se prononce par scrutin public.
M. René Régnault. Très bien ! Il faut que les maires de France y voient clair !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s I-76 et I-179 ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je voudrais tout d'abord dire à M. Régnault que son amendement, qu'il a d'emblée qualifié de « bon amendement », est perfectible.
M. René Régnault. Je l'admets !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il comporte, en effet, quelques failles.
En premier lieu, il prévoit d'augmenter sans compensation un prélèvement sur les recettes de l'Etat. Je ne suis pas sûr que le Gouvernement en soit satisfait !
En deuxième lieu, il ne comporte pas de réaffectation de la cotisation minimale versée au titre de la taxe professionnelle au budget de l'Etat. Or vous savez que, cette année, par le biais de l'article 16 du projet de loi de finances, nous avons tous ensemble décidé d'adopter une telle disposition : nous avons pu constater, en effet, des imperfections dans l'application du dispositif que nous avions mis en place l'année dernière.
En dernier lieu, s'agissant plus précisément de la cotisation minimale - qui fait recette au Sénat, je le vois bien -, ...
M. René Régnault. Cela pourrait faire recette !
M. Alain Lambert, rapporteur général... je voudrais souligner que MM. Régnault et Loridant - ils parlaient non pas au nom du président de l'Association des maires de France, mais en leur nom propre, comme nous le faisons tous ici - savent très bien, puisqu'ils siègent tous les deux au sein de la commission des finances, que M. Christian Poncelet a souhaité que nous puissions aller aussi vite que possible dans l'appréciation de l'effet de cette cotisation minimale sur la valeur ajoutée. Cela nous a conduit à « presser » le Gouvernement, qui nous a d'ailleurs répondu ne pas pouvoir aller plus vite, pour obtenir les premiers éléments d'information concernant la collecte de cet impôt, qui aura été levé pour la première fois cette année.
C'est au vu de ces résultats, monsieur Régnault, que nous pourrons élaborer la bonne législation fiscale. Par conséquent, il ne paraît pas raisonnable à la commission des finances de faire ce que vous proposez : sans avoir la moindre idée de l'effet de cet impôt, vous proposez de porter son taux à 1 % en 1997, à 1,5 % en 1998 et à 2 % en 1999. Vous faites fort, tous ensemble !
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est vrai que, tous ensemble, nous pourrions faire encore plus fort !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il est totalement impossible d'envisager ce relèvement, tant que nous n'aurons pas pu apprécier les effets de ce nouvel impôt.
Cela me conduit à vous dire, monsieur le ministre - je parle sous le contrôle de M. Poncelet, président de la commission des finances - que toutes les informations les plus complètes possible que vous pourrez nous donner sur les effets de cet impôt nous seront très utiles pour prendre nos décisions en la matière.
Cela étant, la commission des finances émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s I-76 et I-179 ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur ces deux amendements.
En réponse à la question que posait M. le rapporteur général, je dirai que, pour l'instant, nous avons beaucoup de mal à donner des indications chiffrées sur ce que rapportera la cotisation minimale de taxe professionnelle ; en effet, cette disposition est appliquée pour la première fois cette année. Les entreprises n'ont pas fait de déclaration, et elles ont jusqu'au 31 décembre prochain pour effectuer leur paiement. Naturellement, elles attendront plutôt le dernier moment pour le faire, d'où la difficulté dans laquelle nous nous trouvons.
Nous craignons cependant que le rendement ne soit plutôt inférieur à l'évaluation que nous avions faite l'année dernière.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-76.
M. René Régnault. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Je veux bien vous entendre dire, monsieur le rapporteur général, que vous souhaitez aller aussi vite que possible dans l'appréciation de l'impact de la cotisation minimale de taxe professionnelle. Je pourrais même prendre vos propos au comptant. Cependant, le Gouvernement ne m'a pas paru aussi déterminé que vous !
Vous venez de dire, monsieur le ministre, sans cependant apporter trop de précisions à cet égard, que le rendement de la cotisation minimale de taxe professionnelle serait sans doute inférieure à l'estimation - de 450 millions de francs à 490 millions de francs - faite l'année dernière. C'est bien la preuve du caractère extrêmement marginal de cette cotisation minimale au taux de 0,35 %.
L'amendement n° I-76, qui reprend les dispositions adoptées par les 6 000 maires de France réunis récemment à la porte de Versailles, prévoit un relèvement progressif de la cotisation minimale de taxe professionnelle et l'affectation de ce produit au fonds national de péréquation de la taxe professionnelle.
Je suis prêt à accepter que ce texte soit sous-amendé, y compris pour prévoir que le produit sera affecté à l'année n + 1 afin d'éviter toute incertitude sur le produit.
Nous pourrions donc très bien nous prononcer sur le principe d'une cotisation minimale de taxe professionnelle relevée, sur l'affectation de cette dernière au fonds national de péréquation de la taxe professionnelle et sur le décalage d'une année de l'affectation.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-76, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-179, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 40:

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 315
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 94
Contre 221

5