CONTRATS DE SERVICES
ET DE FOURNITURES

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 9, 1994-1995) complétant, en ce qui concerne certains contrats de services et de fournitures, la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 relative à la transparence et de la régularité des procédures de marchés et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence, et la loi n° 92-1282 du 11 décembre 1992 relative aux procédures de passation de certains contrats dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications. (Rapport n° 51 [1996-1997]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Yves Galland, ministre délégué aux finances et au commerce extérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le projet de loi qui constitue la dernière étape de l'adoption des textes législatifs nécessaires à la transposition dans notre droit des directives européennes relatives aux procédures de marchés publics.
Je remercie tout d'abord M. Revol et les membres de la commission des affaires économiques et du Plan du remarquable travail de présentation et d'analyse qu'ils ont effectué. En effet, ce travail éclaire le texte, très technique, du projet de loi déposé en octobre 1994 sur le bureau de la Haute Assemblée.
La tâche n'était pas aisée, dans la mesure où le projet se présente comme un texte d'amendement et de complément à deux lois de transposition existantes. L'effort de reformulation et de présentation qui a été opéré par le rapporteur et la commission des affaires économiques et du Plan au Sénat a été, à cet égard, tout à fait exceptionnel.
La transposition du volet « services » des directives « marchés publics » intervient dans un calendrier très contraint. En effet, la directive sur les marchés de services des opérateurs publics - Etat, collectivités locales, établissements publics - devait être transposée à compter du 1er juillet 1993.
Le volet « services » de la directive concernant les contrats des opérateurs de réseaux - gestionnaires de grands services publics dans le domaine de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications - devait l'être au 1er juillet 1994.
De ce fait, la France a été condamnée, le 4 mai 1996, aux côtés de l'Allemagne et de la Grèce, par la Cour de justice des Communautés européennes pour manquement à son obligation de transposer la directive sur les marchés de services.
J'ajoute que, si la France tardait encore à transposer cette directive, la Commission pourrait engager une nouvelle procédure, cette fois en manquement, sur la base de l'article 171 du traité, pour non-exécution de la décision rendue par la Cour de justice. Cette dernière pourrait ainsi condamner la France à payer une astreinte.
Par ailleurs, au mois de juin dernier, la Commission a saisi la Cour de justice d'un nouveau recours en manquement, pour non-transposition du volet « services » relatif aux opérateurs de réseaux.
Si la plupart des Etats membres avaient, jusqu'à ce jour, pris du retard dans la transposition de ces directives, je constate aujourd'hui que tous nos partenaires devraient, à très court terme désormais, avoir achevé leur processus de transposition.
L'inscription à l'ordre du jour de votre assemblée de ce projet de loi était donc devenue tout à fait prioritaire. Toutefois, je puis vous indiquer que les entreprises - tant nationales que ressortissantes des autres Etats membres - n'ont pas eu à souffrir du défaut de transposition de ces directives, car la plupart des dispositions de celles-ci, notamment l'obligation de publicité communautaire, étaient suffisamment claires et inconditionnelles pour être directement applicables, en vertu d'une jurisprudence constante. La commission centrale des marchés, au ministère de l'économie et des finances, avait d'ailleurs donné toutes instructions en ce sens.
Je souhaiterais rappeler, en premier lieu, les grandes étapes du processus d'adoption et de transposition des directives européennes relatives aux marchés publics.
Il existe six directives communautaires sur l'ouverture des marchés publics. Quatre concernent l'harmonisation des procédures de passation des marchés publics portant sur les marchés de fournitures, travaux et services des opérateurs publics classiques - Etat, collectivités territoriales et certains organismes privés d'intérêt général - et, parmi ces quatre directives, une porte sur l'ensemble des contrats des opérateurs de réseaux, SNCF, EDF, France Télécom, organismes de distribution d'eau...
Les deux dernières directives harmonisent les procédures de recours administratifs et contentieux à la disposition des entreprises contre les procédures des opérateurs publics classiques et des opérateurs de réseaux.
Le processus législatif communautaire d'ouverture des marchés publics est donc, aujourd'hui, complètement achevé. La Commission s'est engagée, conformément aux dispositions qui sont prévues dans le texte même des directives, à les réviser en 1997-1998. A cet effet, la Commission va très prochainement déposer un Livre vert, qui fera l'objet d'un débat important.
A cette date, comme je l'ai indiqué, seules les dispositions relatives aux marchés de services des opérateurs publics et des opérateurs de réseaux ne sont pas transposées, ainsi que quelques corrections qui ont été apportées à la directive « fournitures » et qui figurent aux articles 1er et 10.
Je tiens, en second lieu, à vous apporter des précisions sur l'articulation des différents textes qui doivent assurer la transcription en droit interne des dispositions restant à transposer.
En ce qui concerne, tout d'abord, les pouvoirs adjudicateurs « publics » qui relèvent de la directive 92-50, il faut distinguer deux catégories.
La catégorie la plus traditionnnelle est celle des pouvoirs adjudicateurs « publics » : elle comprend l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements locaux publics ayant un caractère autre qu'industriel et commercial, comme les établissements publics de santé, les établissements publics d'enseignement, les offices d'HLM. Pour ces collectivités publiques, la transposition se fera dans le cadre d'un décret autonome modifiant le code des marchés publics. A cet égard, un projet de décret est en cours de mise au point au niveau interministériel. Ces dispositions auront une durée de vie brève puisqu'elles seront refondues dans le nouveau code des marchés publics, que j'aurai l'honneur de vous soumettre au début de l'année prochaine.
Une seconde catégorie comprend les pouvoirs adjudicateurs des organismes privés - mais sous contrôle public - chargés d'une mission d'intérêt général, dont les marchés sont soumis également à des procédures de publicité et de mise en concurrence. Sont ainsi concernées certaines associations sous contrôle public, les caisses de sécurité sociale, un certain nombre de sociétés d'économie mixte.
Ce sont précisément les contrats de ces organismes que vise le titre Ier du projet de loi, qui complète à cet effet la loi du 3 janvier 1991, soumettant la passation de certains contrats d'organismes privés d'intérêt général à des règles de publicité et de mise en concurrence : cette loi voit son champ d'application étendu aux contrats de services.
Je rappelle, à cet égard, que le projet de loi se borne à définir le champ d'application des procédures, à la fois à raison des organismes assujettis, du montant des contrats éligibles et, surtout, de la nature des prestations de services concernées. En revanche, la description des procédures de publicité et de mise en concurrence seront fixées par un décret d'application, comme ce fut le cas, d'ailleurs, pour le texte initial de 1991.
La définition des prestations de services visées - qui concerne l'essentiel de ce texte - apparaît complexe, dans la mesure où le monde des services est extrêmement divers et comprend aussi bien les services de nettoyage ou d'entretien que les services d'assurances ou le conseil juridique.
Si, dans le passé, il a été facile de donner une définition générique des fournitures et des travaux, cela n'a pas été possible pour les marchés de services et la Commission européenne a dû établir des listes de services.
Définir un champ d'application par référence à des listes n'est pas très conforme, je le reconnais, à nos traditions de présentation des textes de loi. Toutefois, le Gouvernement a dû se résigner à conserver cette présentation car il est apparu que cette façon de faire était finalement la plus claire pour les entreprises candidates aux marchés publics.
C'est ainsi que trois catégories de services sont décrites à l'article 2 du projet de loi.
En premier lieu, les contrats de services qui sont soumis à l'ensemble des mesures de publicité et de mise en concurrence européenne. Ce sont ceux qui représentent les enjeux économiques les plus importants dans le cadre de l'ouverture des marchés publics : les services d'entretien et de réparation, les services de transports, certains services financiers, les services informatiques, les services d'étude, les services d'architecture et d'ingénierie... Des prestations comme les contrats d'assurance, qui ne relevaient pas du code des marchés publics, devront à présent faire l'objet de publicité et de mise en concurrence, mais les modalités de passation de ces contrats seront adaptées à leur spécificité.
En deuxième lieu, les contrats de services dont l'enjeu est supposé moindre, et qui ne font l'objet que d'une simple information a posteriori à communiquer à la Commission de l'Union européenne lorsqu'ils ont été conclus : la directive donne pour exemple les services d'hôtellerie et de restauration, les services sociaux et sanitaires, les services culturels et sportifs...
En troisième lieu, enfin, les contrats de services qui ne sont soumis à aucune procédure de marché public : services liés à des transactions immobilières, contrats relatifs à l'achat de temps de diffusion audiovisuelle, contrats ayant pour objet des services d'arbitrage et de conciliation... Il s'agit en effet de types de contrats qui sont liés à des biens précis, ou qui sont si fortement marqués par l' intuitu personae qu'ils se prêtent mal à une mise en compétition de type classique.
Dans cette dernière catégorie, qui, je vous le rappelle, n'est soumise à aucune procédure particulière, entrent les prestations de services fournies par une collectivité publique à une autre collectivité publique dès lors que le prestataire public en cause intervient sur la base d'un droit exclusif, en application de dispositions législatives ou réglementaires. C'est le cas des prestations de maîtrise d'oeuvre qui sont apportées par certains services extérieurs de l'Etat à des collectivités locales.
Ces prestations font aujourd'hui l'objet d'amendements. Nous aurons donc l'occasion d'en reparler. J'aurais d'ailleurs souhaité que ce débat se déroule à l'occasion de l'examen du projet de loi, plus général, portant réforme des marchés publics, qui aura lieu en début d'année prochaine.
L'extension du champ d'application de la publicité et de la mise en concurrence aux contrats de services des organismes d'intérêt général va s'accompagner de l'extension corrélative des procédures de recours spécifiques aux marchés publics, notamment de celles du référé précontractuel, qui s'est très largement développé au cours de ces dernières années. C'est l'objet des articles 3 et 4 du projet.
Le titre II du projet de loi a pour objet de modifier la loi du 11 décembre 1992, relative aux procédures de passation de certains contrats - les opérateurs de réseaux - dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications.
Là encore, il s'agit d'étendre les procédures de publicité et de mise en concurrence communautaires aux contrats de services passés par les grands opérateurs de services publics - j'en ai cité quelques-uns tout à l'heure. Seuls les contrats de fournitures et de travaux de ces opérateurs faisaient, jusqu'à présent, l'objet de telles procédures.
Le dispositif prévu aux articles 6, 9, 12 et 13 est le même que pour les contrats de services des organismes privés d'intérêt général, visés au titre Ier, puisque l'on retrouve la même classification en trois catégories : contrats de services soumis à un régime complet de publicité et de mise en concurrence ; contrats, au contraire, exclus de toute forme de procédure ; enfin, contrats soumis à un régime allégé.
Des dispositions particulières, prévues aux articles 7 et 11, existent pour les opérateurs du réseau et pour les opérateurs miniers, qui ont le plus souvent une gestion d'entreprise et sont de plus en plus largement ouverts à la concurrence interne et internationale ; les pratiques de prestations de services « intra-groupes », qui donnent lieu, par exemple, au sein de ces entreprises, à la constitution de filiales spécifiques - notamment pour les prestations de transports ou d'informatique pour les besoins du groupe - sont exclues du champ d'application des procédures communautaires.
Je rappelle, à cet égard, que les conditions de fonctionnement purement industrielles et commerciales des opérateurs de réseaux ont justifié que soit appliqué à leurs marchés un régime beaucoup plus souple que celui des organismes publics stricto sensu : le niveau de la publicité communautaire est nettement plus élevé et il y a toujours possibilité de recourir à des procédures négociées plutôt qu'à des procédures d'appel d'offres, ce qui, naturellement, est beaucoup plus conforme à une logique de gestion d'entreprise.
Je terminerai mon propos en donnant quelques indications sur l'économie des marchés publics de services, notamment en France.
Les marchés de services représentent environ 10 % du total des montants des marchés publics - dont environ 47 % pour les travaux et 43 % pour les fournitures - sur une somme totale - c'est énorme ! - de 700 milliards de francs par an pour les seules entités publiques. A ce chiffre, il conviendrait d'ajouter, pour avoir une mesure plus complète de l'enjeu économique constitué par les marchés de services, les marchés passés par les organismes privés d'intérêt général ainsi que ceux des opérateurs de réseaux.
J'ajoute que ce chiffre est en évolution à la fois en valeur relative et en valeur absolue. Il s'agit là d'une conséquence d'un phénomène plus global, celui de la progression de la part des prestations de services dans notre économie.
L'ouverture des marchés publics de services dans le cadre de l'Union européenne, aujourd'hui, et, progressivement, dans le champ de l'Organisation mondiale du commerce, à travers l'accord sur les marchés publics, constitue une évolution économique majeure. En effet, les services prennent une part, en valeur, de plus en plus importante dans les marchés publics, car les administrations sont par nature de très gros consommateurs de services. Ces marchés de services ont un contenu en valeur ajoutée de plus en plus important, notamment du fait du développement des prestations intellectuelles - j'ai évoqué tout à l'heure les services de conseils et les services d'ingénerie - et sont de plus en plus le complément indispensable de marchés de fournitures de haute technologie : informatique, électronique professionnelle, etc.
N'oublions pas que la France est le deuxième exportateur mondial de services, services qui représentent 25 % du commerce mondial des marchandises. Elle a donc tout à gagner à une plus grande ouverture des marchés des services au sein de l'Union européenne, mais aussi au-delà. Il s'agit, à chaque fois, de favoriser la pénétration de nos entreprises faisant preuve d'une excellence et d'un savoir-faire dans des marchés difficiles, notamment en Asie ou en Amérique, alors même que nos marchés européens sont très ouverts.
Lors des accords de Marrakech, qui ont clôturé le cycle de l'Uruguay, un accord-cadre général sur les services, qu'on appelle GATS, a été signé : il transpose aux services les règles générales du commerce des biens, préserve l'exception culturelle, qui nous est si chère, et ouvre des négociations sectorielles au sein de l'Organisation mondiale du commerce.
Je serai, à la mi-décembre, à Singapour, où j'aurai l'honneur de représenter la France. Vous pouvez être assurés que j'y défendrai au mieux les intérêts de la France, dans le prolongement de ce que nous faisons ici, en matière de services. Nos intérêts sont très clairs : obtenir des ouvertures de marchés d'autres pays, notamment dans les zones émergentes, afin que nos entreprises puissent gagner le plus de marchés possibles.
Dans le domaine des marchés publics, nous devons aller au-delà de ce que contient l'accord de l'Organisation mondiale du commerce, en couvrant un plus grand nombre de secteurs et de pays, notamment parmi ceux qui sont en voie de développement.
S'agissant des services financiers, qui étaient prévus dans le cycle de l'Uruguay, à Marrakech, et pour lesquels les négociations ont échoué en raison du retrait de l'offre américaine, nous devons, alors que la période de transition se termine à la fin de 1997, faire aboutir les négociations afin de favoriser l'internationalisation de nos banques et de nos assurances.
Il en va de même pour les services de télécommunication de base. Là encore, c'était prévu à Marrakech, mais il y a eu échec des négociations et retrait de l'offre américaine. A la suite des textes qui ont été présentés par mon collègue François Fillon, au printemps dernier, nous devons nous réjouir de l'ouverture d'autres marchés pour France Télécom, qui est le quatrième opérateur mondial.
Enfin, nous aurons à mener la négociation sur l'accord relatif aux technologies de l'information et une négociation capitale sur l'investissement. Actuellement, une telle négociation se déroule à l'OCDE, qui devrait se terminer au mois de juin. Mais, parallèlement, il faut entamer une négociation sur l'investissement au sein de l'Organisation mondiale du commerce, car nous ne pouvons pas imposer à des pays émergents, qui n'appartiennent pas à l'OCDE, une réflexion qui serait le seul fait des sept pays industrialisés. Ce serait une mauvaise manière et, de surcroît, ce serait inefficace. Voilà pourquoi nous souhaitons ouvrir, parallèlement, dans l'intérêt de nos services, cette négociation sur l'investissement, à Singapour, au début du mois prochain.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les bases sur lesquelles nous vous invitons à discuter et à voter cette transposition des directives, et ce dans l'intérêt de nos services publics.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. M. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est pour le moins aride, M. le ministre l'a souligné. Il tend, vous le savez, à transposer, quelque peu tardivement, des directives européennes dans le droit français.
De façon à situer les enjeux, je rappelle, d'abord, que les marchés publics représentent une part significative de l'activité économique en Europe.
Tant en droit communautaire qu'en droit français, on distingue, d'un côté, les marchés publics stricto sensu et, de l'autre, les contrats passés par les opérateurs de réseaux ; il s'agit des entreprises exerçant leurs activités dans les domaines de l'eau, des transports, de l'énergie et des télécommunications.
Pour fixer les idées, sans vous inonder de chiffres, mes chers collègues, sachez qu'en 1993, par exemple, on a dénombré en France plus de 180 000 marchés passés par l'Etat, les collectivités locales, leurs établissements publics et les entreprises publiques, pour un montant total de l'ordre de 300 milliards de francs. Cela représentait près de 11 % du produit intérieur brut, les branches économiques les plus concernées étant le bâtiment, le génie civil, la construction navale, l'aéronautique et l'armement.
On évalue, par ailleurs, le montant des marchés passés par les opérateurs publics de réseaux à plus de 90 milliards de francs, somme à laquelle il convient d'ajouter ceux qui sont passés par les opérateurs à statut privé dans le domaine de l'eau, également visés par les textes.
A titre d'exemple, les contrats passés par la Lyonnaise des Eaux s'élèvent à 116 millions de francs en matière de recherche et à 27 millions de francs en matière d'assurance, dans le domaine de l'eau principalement.
Les instances communautaires ont progressivement réglementé l'ensemble de ces marchés, dont on a vu qu'ils représentent un enjeu économique d'importance.
De 1988 à 1993, le Conseil a ainsi adopté plusieurs directives, dont l'objectif était d'harmoniser les procédures de passation de ces marchés, en imposant des mesures de transparence et de mise en concurrence.
Vous trouverez dans mon rapport écrit le détail de cette construction progressive du droit européen en la matière, qui a donné lieu, au Sénat, au dépôt de deux rapports, en particulier celui de notre ancien collègue Robert Laucournet.
Sans entrer dans les arcanes du droit communautaire, je rappelle simplement que les directives sont classables en trois grandes catégories : les directives « classiques », qui concernent les marchés de travaux, de fournitures et de services ; la directive « opérateurs de réseaux », relative aux secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications, qu'on avait l'habitude d'appeler auparavant la directive « secteurs exclus », et qui concerne les marchés de travaux, de fournitures et de services passés par les entreprises opérant à titre principal dans ces domaines ; enfin, les directives « recours », qui instaurent des procédures de recours contre les manquements aux obligations communautaires définies par les directives.
Toutes ces directives se sont inscrites dans la perspective de la construction du marché unique - on l'a rappelé - et ont visé un même objectif : éviter la discrimination des candidats aux marchés publics en raison de leur nationalité.
Cette volonté d'assurer une égalité d'accès aux marchés publics des Etats membres a pour corollaire la mise en place d'un régime permettant une égalité de traitement sur la base de critères objectifs préalablement annoncés.
Les règles instituées imposent des obligations de procédure visant - ce sont là des mesures pratiques - à assurer la publicité des offres par le biais, par exemple, d'un avis de pré-information publié au Journal officiel des Communautés européennes, à coordonner les spécifications techniques des produits en instaurant une référence à des normes européennes, afin que le plus grand nombre possible d'entreprises concurrentes puissent soumissionner en toute connaissance de cause, à définir le mode même de passation des marchés, à définir les règles d'attribution du marché, à organiser la publication d'un avis d'attribution, afin de permettre un fonctionnement transparent du système, enfin, à ouvrir des procédures de recours en cas de manquement à ces obligations communautaires.
Le présent projet de loi a pour objet de parfaire la transposition de ces directives. Cependant, avant de vous en rappeler les grandes lignes, j'aimerais évoquer les négociations en cours au plan communautaire - M. le ministre en a fait état - dont l'objectif est, précisément, de modifier certaines de ces directives.
En effet, c'est la transposition d'un droit communautaire en quelque sorte déjà dépassé que nous sommes amenés à réaliser aujourd'hui. Le caractère évolutif des directives doit nous inciter à la vigilance tant en amont, au stade de leur révision, qu'en aval, au stade de leur transposition en droit national.
Je rappelle que, outre les clauses de révision prévues par certaines directives, ces dernières doivent prochainement faire l'objet de modifications, comme l'exige l'application de l'accord sur les marchés publics passé dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, accord dit AMP.
En particulier, s'agissant de la directive relative aux opérateurs de réseaux, la Commission européenne a dû tenir compte de la position exprimée par le Gouvernement français et par notre Haute Assemblée dans sa résolution du 12 octobre 1995.
Les modifications qu'elle propose visent, notamment, à ne pas soumettre les marchés des opérateurs de télécommunication aux règles issues de l'AMP, à maintenir l'égalité de traitement des opérateurs publics et privés d'un même secteur et à préserver la possibilité pour les opérateurs d'entretenir un dialogue technique précontractuel avec les fournisseurs d'équipements.
Je vous propose, mes chers collègues, de réaffirmer fermement la position du Sénat sur ces projets de révision, qui n'ont pas encore été adoptés définitivement par les instances communautaires.
En outre, je tiens à souligner les difficultés d'application ou d'interprétation rencontrées dans la mise en oeuvre des directives concernées. A défaut de pouvoir modifier le champ d'application et les procédures prévues par cette directive à l'occasion de sa transposition en droit français, je souhaite que nous profitions de ce débat pour souligner ces difficultés. Je prendrai deux exemples qui les illustrent.
Le premier exemple concerne les services financiers, qui recouvrent les services d'assurance, d'une part, les services bancaires et d'investissement, d'autre part. Pour ce qui concerne les contrats d'assurance, la directive impose un formalisme de passation des contrats ainsi que des délais qui ne sont pas toujours adaptés à ce type de marché. Je pense ici, notamment, au problème de la confidentialité des risques couverts et à la constitution de pools d'assureurs pour les risques importants.
Les mêmes critiques valent pour les services bancaires et d'investissement pour lesquels l' intuitu personae, la relation de long terme ou, au contraire, l'instantanéité sont importants.
Le second exemple a trait aux services de recherche et développement. Ces marchés sont couverts par les directives si l'entité adjudicatrice les finance à 100 % et est l'unique propriétaire des résultats. En pareil cas, les obligations d'information et de mise en concurrence qu'elles comportent posent des problèmes de confidentialité des actes de recherche. Elles entraînent également des difficultés d'application lorsque la recherche porte sur des systèmes complexes et intégrés.
Certes, les directives prévoient que, sous deux conditions, ces marchés peuvent bénéficier d'une procédure sans mise en concurrence. Le problème est que ces conditions sont délicates à justifier : il faut que l'entité adjudicatrice ne cherche pas à assurer une rentabilité ou à récupérer les coûts de la recherche et que la passation du marché ne porte pas préjudice à la mise en concurrence des marchés subséquents. Or, comment peut-on présumer les résultats de la recherche et donc prévoir les éventuels marchés subséquents ?
Dans ces conditions, cette disposition ne risque-t-elle pas de revenir purement et simplement à interdire toute exploitation commerciale des résultats ? Je souhaite, monsieur le ministre, que le Gouvernement fasse valoir ces arguments pour obtenir leur prise en compte dans le cadre de la révision des directives. (M. le ministre acquiesce.)
J'en viens maintenant à la présentation du projet de loi proprement dit, qui avait fait l'objet d'une première version déposée au Sénat à la fin de 1993 et à laquelle le Gouvernement a substitué une nouvelle version en 1994. Ayant tardé à parfaire la transposition des directives précitées, la France a fait l'objet d'une condamnation en manquement par la Cour de justice des Communautés européennes, le 2 mai 1996. L'urgence d'adopter ce projet de loi est donc aujourd'hui réelle. Je le précise, ce n'est que pour les pouvoirs adjudicateurs non soumis au code des marchés publics qu'une transposition législative est nécessaire.
Ce projet de loi devrait constituer le dernier texte de nature législative pris pour transposer les directives adoptées en 1992 et en 1993 sur les marchés publics.
Le texte qui nous est soumis tend à retranscrire très fidèlement les articles des directives précitées qui doivent être introduits en droit interne. Il procède, quand c'est possible, à une simplification, par rapport au texte de la directive, dans la présentation des obligations applicables.
La caractéristique majeure de ce texte est de procéder par modification et ajout aux précédentes lois de transposition déjà adoptées en 1991 et en 1992. Il s'agit, bien souvent, de soumettre des acteurs déjà identifiés à de nouvelles procédures. Le texte procède donc par renvoi aux dispositions déjà adoptées.
Le titre Ier du présent projet de loi modifie le titre II de la loi du 3 janvier 1991, qui soumet déjà à des obligations de publicité et de mise en concurrence la passation de certains contrats de travaux par des organismes privés sous influence publique, afin d'étendre aux contrats de fournitures et de services les obligations de publicité et de mise en concurrence.
Quels sont les acteurs concernés ? Le titre Ier s'applique aux personnes qui sont déjà mentionnées à l'article 9 de la loi du 3 janvier 1991. Il s'agit de personnes qui, tout en étant de forme juridique privée, ne sont cependant pas totalement affranchies d'une influence publique. Aussi bien les désigne-t-on comme personnes « sous influence publique ».
Cette catégorie recouvre les groupements de collectivités publiques qui auraient une forme juridique privée - on peut imaginer, par exemple, une association soumise à la loi de 1901, regroupant des collectivités publiques - et les organismes privés à financement public majoritaire. Il s'agit, entre autres, des caisses primaires de sécurité sociale, des comités de fêtes ou de l'Association pour la formation professionnelle des adultes.
Cette catégorie comprend également les organismes privés dont la gestion est contrôlée par un organisme public, c'est-à-dire par les juridictions financières. Il s'agit, par exemple, de l'ARC, dont on a beaucoup parlé, et d'associations faisant appel à la générosité publique, des fédérations sportives ou des sociétés anonymes d'HLM.
Enfin, elle compte aussi les organismes privés ayant une désignation publique de leurs dirigeants. C'est le cas de certaines sociétés d'économie mixte locales qui gèrent un service public administratif.
Parmi les principales dispositions du titre Ier, l'article 1er concerne les contrats de fournitures dont le montant dépasse 200 000 écus hors taxes, soit 1,3 million de francs. L'article 2 vise les contrats de services supérieurs à 200 000 écus hors taxes, qui sont assujettis suivant leur nature à trois régimes d'obligations différents - régimes dits « plein » ou « allégé » et « services exclus ».
Les articles 3 et 4 tendent à soumettre la passation des contrats de services à des possibilités de recours en cas de manquement aux obligations communautaires.
L'article 5 définit les contrats exclus des obligations de publicité et de mise en concurrence, par extension du champ d'application de l'article 12 de la loi du 3 janvier 1991.
S'agissant du titre II du projet de loi, quels sont les secteurs et les opérateurs concernés ?
Le titre II transpose les dispositions de la directive « opérateurs de réseaux » qui sont relatives à la passation des contrats de services.
Je rappelle que cette directive couvre les marchés d'un montant supérieur à certains seuils qui sont passés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications, par les pouvoirs publics - les Etats ou les collectivités territoriales - et par les entreprises publiques et les entreprises privées lorsqu'elles bénéficient de droits exclusifs ou spéciaux accordés par les pouvoirs publics.
Les dispositions de cette directive sont transposées par le code des marchés publics, d'une part, pour ce qui concerne les pouvoirs publics, d'autre part, pour ce qui a trait aux entreprises publiques constituées sous la forme d'un établissement public industriel et commercial local.
Les mêmes dispositions ont été transposées par la loi du 11 décembre 1992 s'agissant des entreprises publiques constituées sous la forme d'un établissement public industriel et commercial national ou sous la forme d'une société et des entreprises privées bénéficiant de droits exclusifs ou spéciaux.
Je ne citerai pas tous les opérateurs de réseaux pour lesquels la transposition de la directive implique la modification de la loi du 11 décembre 1992. Il s'agit de ceux qui interviennent dans les secteurs de la production, du transport ou de la distribution d'eau potable - notamment la Compagnie générale des eaux et la Lyonnaise des eaux - de la production, du transport ou de la distribution d'électricité - EDF - et du transport ou de la distribution de gaz de chaleur, comme Gaz de France.
Il s'agit encore des opérateurs de réseaux intervenant dans les secteurs de la prospection et de l'extraction de pétrole ou de gaz, de la prospection et de l'extraction de charbon et d'autres combustibles solides, tels les Charbonnages de France et les Houillères de bassin.
Il s'agit enfin des opérateurs de réseaux intervenant dans les transports ferroviaires - SNCF, RATP, sociétés concessionnaires ou ferroviaires de réseaux de tramway - les transports non ferroviaires, les installations aéroportuaires, les sociétés concessionnaires d'un aéroport, les installations portuaires et maritimes et les télécommunications, notamment France Télécom.
Quelles sont les principales dispositions du titre II ?
Afin de transposer la directive précitée, le titre II du présent projet de loi tend à modifier la loi n° 92-1182 du 11 décembre 1992 relative à la passation des contrats de services passés par les opérateurs de réseaux dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications.
L'article 6 étend le champ d'application de la loi précitée aux contrats de services.
L'article 7 soumet les contrats passés dans le cadre du régime dérogatoire que peuvent obtenir les organismes opérant dans les secteurs des hydrocarbures et des mines aux mêmes possibilités de recours juridictionnels applicables en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
L'article 9 définit les trois régimes d'obligations applicables aux différentes catégories de services.
L'article 10 étend aux contrats de services le champ des exclusions - achats déclarés secrets ou passés en vertu d'un accord international - prévues à l'article 5 de la loi.
L'article 11 tend à tenir compte d'une exclusion spécifique aux contrats de services passés par les opérateurs de réseaux avec des filiales spécialisées dans les services, ce que l'on appelle les entreprises liées.
Les amendements présentés par votre commission répondent à trois séries de préoccupations.
Il s'agit, tout d'abord, de veiller aux attributions du Parlement. Le projet de loi qui nous est soumis pose tout à la fois le principe et le champ d'application d'obligations qu'il reviendra au pouvoir réglementaire de définir.
Il s'agit, ensuite, d'assurer une correspondance rigoureuse entre les règles posées dans le projet de loi et celles qu'édictent les directives transposées, afin d'éviter que nos entreprises ne puissent se voir soumises à des obligations qui ne s'imposeraient pas à leurs concurrents dans d'autres Etats de l'Union européenne.
Il s'agit, enfin, de rectifier, comme toujours, quelques imperfections de forme ou de fond des dispositions proposées. Nous devrons, au surplus, nous prononcer sur quelques autres amendements.
Voilà, mes chers collègues, rapidement présentée l'économie générale de ce texte tel qu'il a été étudié par la commission des affaires économiques et du Plan.
M. le président. La parole est à M. Leyzour.
M. Félix Leyzour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté a connu un parcours pour le moins tumultueux. En effet, après une première présentation à la fin de 1993, il fut retiré, avant qu'une nouvelle mouture soit déposée en 1994 sur le bureau du Sénat. Puis ce fut l'enterrement du texte.
Aujourd'hui, le Gouvernement exhume ce projet de loi, qui a pour objet de modifier deux lois existantes et qui vise à transposer les directives européennes sur les marchés publics, la directive « fournitures », la directive « services », la directive « travaux » et la directive « opérateurs de réseaux ».
Le poids des marchés publics confère une grande importance à de tels textes. Selon M. le rapporteur, plus de 5 500 milliards de francs sont consacrés aux marchés publics par les quinze membres de l'Union européenne. Pour la France, les dernières données connues, celles de 1993, font apparaître que les marchés publics représentent 11 % du produit intérieur brut. Ces quelques chiffres illustrent la nécessité de ne pas se tromper quand on légifère dans de tels domaines.
Or toutes les décisions, tous les choix préconisés par la Communauté européenne, et acceptés par notre gouvernement, s'inscrivent dans une tendance à l'exacerbation de la concurrence entre opérateurs publics au sein de l'Union. Cette concurrence, érigée en dogme intangible, montre chaque jour son impuissance à satisfaire les besoins humains et sociaux. Le mythe de la « main invisible » qui permettrait de faire coïncider l'intérêt général et l'intérêt particulier dans un processus d'autorégulation du marché est mis à mal.
Pourtant, tous les actes gouvernementaux sont de plus en plus orientés vers une construction européenne répondant aux exigences des marchés financiers.
Ainsi, au cours de ces derniers mois, a-t-on vu et entendu des hommes politiques d'outre-Rhin préconiser un Maastricht II et un Maastricht III, avec des critères de convergence de plus en plus restrictifs. Mais, surtout, on a vu les ministres français leur emboîter le pas avec célérité.
Dès lors, il conviendrait, selon certains, de réduire encore le montant du déficit autorisé et d'instaurer de réels mécanismes de sanction pour ceux qui s'écarteraient de l'orthodoxie. C'est en fait un appel, dicté par le traité de Maastricht, à rogner plus encore sur les dépenses publiques et sociales.
Comment ne pas ressentir, avec ce projet de loi, cette prégnance des marchés financiers ?
En 1992, lors de l'examen du projet de loi visant à permettre la transposition de la directive « opérateurs de réseaux », il a été expressément indiqué que la mise en concurrence devait permettre une économie de près de 100 milliards de francs pour l'ensemble des pays de l'Union européenne.
Nous n'avons pas la religion du déficit public, comme le pensent certains ! En revanche, nous n'avons pas les mêmes moyens et les mêmes objectifs pour parvenir à l'équilibre budgétaire.
A-t-on bien mesuré ce que veut dire une concurrence toujours plus forte pour des secteurs déjà en grande difficulté ? Je pense particulièrement au secteur du bâtiment et des travaux publics, dont les professionnels ont manifesté leur inquiétude et leur désarroi quant à l'avenir. Ce choix de l'exacerbation de la concurrence a également des conséquences sur l'emploi, la qualité des services, ainsi que sur la sécurité des usagers et des salariés.
L'obsession de la réduction des coûts est destructrice non seulement pour notre économie nationale, mais aussi pour la recherche de véritables coopérations fructueuses.
Mais, au-delà d'une volonté idéologique, ce sont tous les mécanismes institutionnels actuels de la Communauté européenne qui sont conçus pour favoriser la libéralisation, la déréglementation. Ainsi, la Commission peut décider seule des directives concernant l'introduction de la concurrence au sein du secteur public, en vertu de l'article 90 du traité de Rome. Par ailleurs, le Conseil des ministres européen peut accepter ces directives à la majorité.
Un pays peut donc se trouver embarqué dans l'aventure malgré son choix national. Voilà ce que permet la déréglementation, qui met en concurrence les opérateurs publics entre eux et avec les opérateurs privés, qui met en compétition les systèmes publics et sociaux et qui encourage le dumping entre Etats.
Pourquoi, dans un tel contexte, le Gouvernement a-t-il décidé de nous transmettre ce texte finalisant la transposition des directives précitées ?
Le premier motif, le seul point évoqué par M. le rapporteur, c'est la condamnation en manquement de la France par la Cour de justice des Communautés européennes, le 2 mai dernier, en application de l'article 169 du traité de Rome.
A ce sujet, notre rapporteur a expliqué qu'il était urgent de prendre des dispositions car « La France pourrait se voir condamnée à verser une amende ou des astreintes si elle persistait à ne pas transposer la directive "services" 92-50. »
Ainsi, jour après jour, les Françaises et les Français peuvent découvrir, dans leur vie quotidienne, jusqu'où peuvent aller les reculs de souveraineté.
On nous explique même que ces directives doivent être totalement transposées en droit interne, puisque l'article 55 de la Constitution assure la primauté du droit communautaire sur les lois. En clair, nous, les représentants du peuple français, nous avons le choix entre transposer les directives et les faire appliquer, ou ne pas les transposer et verser une amende.
Chacun conviendra qu'il s'agit d'une drôle d'alternative ! Quel que soit le chemin emprunté, nous serions obligés d'avoir un résultat similaire. La démocratie, la souveraineté du peuple français n'en sortent pas grandies, c'est le moins que l'on puisse dire.
Le second motif de ce projet de loi n'apparaît pas dans le rapport, mais plusieurs de nos collègues l'ont soulevé lors de la réunion de la commission des affaires économiques et du Plan.
Est-ce un hasard du calendrier si nous devons discuter d'un tel texte, alors même que le Gouvernement a préparé un projet de loi portant création de l'établissement public « réseau ferré national », le RFN, et organisant l'éclatement structurel de la SNCF ?
Est-ce un hasard du calendrier si nous devons discuter de ce projet de loi n° 9, alors même que, le 20 juin dernier, le Gouvernement acceptait un accord d'ouverture du marché de la distribution de l'énergie qui va affaiblir EDF et GDF ?
Il est des hasards qui sont plus que troublants ! Concernant les rapports entre la SNCF et le RFN, je crois qu'il est primordial de donner une réponse claire. Il ne suffit pas d'opposer les conditions techniques contenues dans un cahier des charges à la volonté d'ouverture et de déréglementation européenne. A l'article 11 du présent projet de loi relatif aux entreprises liées, nous pouvons opposer l'article 2 du projet portant création de l'établissement public RFN, prévoyant l'indépendance entre le RFN et la SNCF, puisque le RFN disposerait de son propre conseil d'administration et donc de la liberté de choix.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont consulté les syndicats et la direction sur cette question. La réponse est claire : tous estiment que le RFN aura le droit de faire appel à d'autres opérateurs pour la gestion et l'entretien du réseau, service directement concerné par le texte que nous examinons aujourd'hui. Or, la direction s'en remet aux conditions techniques pour écarter cette éventualité.
Vous comprendrez dans ces conditions, monsieur le ministre, mes chers collègues, que nous soyons inquiets et fortement opposés au texte qui nous est soumis.
Le second hasard que j'évoquais concerne EDF et GDF, et, là encore, je voudrais prendre un exemple concret. Hormis l'Etat en tant que collectivité publique, c'est la SNCF qui est le plus gros client d'EDF, et cela se comprend aisément.
L'application des directives « services » pour les opérateurs de réseaux, en liaison avec l'accord européen du 20 juin sur la distribution de l'énergie, va permettre à la SNCF de négocier avec d'autres opérateurs. Ainsi, c'est la guerre économique que nous instaurons au lieu de rechercher les conditions d'une réelle coopération entre la SNCF et EDF.
Enfin, je voudrais souligner ce que dit M. le rapporteur sur le problème de la réciprocité entre les pays de l'Union européenne et les pays tiers, principalement les Etats-Unis et le Japon. En effet, dans son rapport du 5 juillet 1995, notre rapporteur expliquait que ces directives « marchés publics » devraient être modifiées dans le cadre de l'OMC, l'accord sur les marchés publics, annexé à l'accord du GATT.
Chacun sait les ravages qui se produisent dans un secteur tel que les télécommunications, où la guerre économique a été largement lancée par les Etats-Unis. Il y a donc de quoi s'inquiéter en ce qui concerne d'autres secteurs.
Aujourd'hui, M. le rapporteur nous explique que, malgré les efforts de la France, « le compromis sur la modification des directives reste insatisfaisant sur certains points ».
Je crois sincèrement que l'aveu de tels problèmes, qui sont autant d'échecs pour le gouvernement de la France, devrait nous amener à réfléchir à une autre organisation des services et du secteur public en Europe. Cette exigence monte.
N'est-il pas significatif à cet égard que les cheminots européens manifestent aujourd'hui même à Bruxelles ? Il y aura là de 6 000 à 8 000 cheminots français, à l'appel de leurs syndicats CGT, CFDT, FO et FMC, ainsi que leurs collègues d'Allemagne, de Grande-Bretagne, d'Italie, de Belgique, des Pays-Bas, du Danemark, d'Autriche, du Luxembourg, d'Espagne et du Portugal.
L'objectif commun, à quelques jours du conseil des ministres des transports, les 12 et 13 décembre, c'est le retrait pur et simple du Livre blanc. Nous serons attentifs à ce que dira M. Pons, qui a dû manoeuvrer en recul ces derniers temps sur la création du réseau ferré national.
Les sacro-saints principes de libéralisation, de déréglementation, de concurrence ne font que renforcer les gâchis humains, sociaux et économiques au sein de l'Union européenne. Et c'est de plus en plus difficile à faire passer.
C'est pourquoi, comme en 1990 et en 1992, lors de la transposition de ces directives, les sénateurs du groupe communistre républicain et citoyen se prononceront résolument contre ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous occupe ce matin, et qui a effectivement connu un parcours tumultueux, complète les dispositions, d'une part, de la loi du 31 janvier 1991 pour les marchés relevant du droit commun et, d'autre part, de la loi du 11 décembre 1992 pour les secteurs dits « exclus » - à savoir l'énergie, les télécommunications, les transports et l'eau - tout en respectant leur esprit, à savoir assurer aux entreprises communautaires l'égalité d'accès aux marchés publics des Etats membres, tout en tenant compte de la spécificité des marchés concernés. C'est pourquoi le groupe socialiste ne fera pas obstacle à ce texte.
Néanmoins, je souhaite vous faire part, monsieur le ministre, de nos inquiétudes quant aux évolutions possibles de la réglementation des marchés publics à l'occasion des négociations internationales, notamment de l'organisation mondiale du commerce et de sa transcription en droit communautaire.
Le cycle de l'Uruguay a considérablement modifié les règles relatives aux marchés publics en les étendant aux contrats de travaux et de services ainsi qu'aux entités des secteurs de l'eau, de l'électricité et des transports. Pour donner suite à ces négociations, la Commission a proposé des modifications des directives « marchés publics », notamment de celle qui traite des secteurs dits « exclus », qui allaient bien au-delà de ce qu'exigeait l'accord sur les marchés publics, l'AMP. Le Parlement européen a fort heureusement rejeté ce texte, le 16 juillet dernier.
Je profite donc de l'examen de ce projet de loi pour vous demander, monsieur le ministre, si le Gouvernement entend bien être très ferme sur les points suivants : tout d'abord, un respect strict de l'exigence de réciprocité, d'ailleurs prévu dans l'AMP ; ensuite, la non-application de cet accord au secteur des télécommunications, qui va devoir faire face à la déréglementation que vous avez voulue, ce qui n'est pas une mince affaire, et, enfin, pour l'avenir, la prise en compte, dans toutes les négociations internationales, notamment lorsqu'il s'agit d'industries de réseaux comme les télécommunications, l'eau, les transports et l'énergie des missions de services publics qui sont bien peu défendues ces derniers temps. En un mot, un peu plus de service public pour un développement plus solidaire des territoires !
M. Yves Galland, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yves Galland, ministre délégué. Je voudrais répondre brièvement à MM. Estier et Leyzour, qui m'ont interpellé.
Tout d'abord, je comprends les raisons pour lesquelles, dans la logique des textes de 1991 et 1992, M. Estier soutiendra ce projet de loi.
Je voudrais par ailleurs qu'il ne s'inquiète pas quant à la volonté du Gouvernement français d'être ferme vis-à-vis à la fois de l'Union européenne et de l'Organisation mondiale du commerce.
A ce propos, je vous indique que je me rendrai à Singapour au début du mois de janvier et que, sur un certain nombre de sujets qui tiennent à l'investissement, à la concurrence, aux normes sociales, je m'en tiendrai au respect strict du calendrier de Marrakech : l'accord de Marrakech, tout l'accord de Marrakech, rien que l'accord de Marrakech.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il n'est pas question d'anticiper une négociation tarifaire ou de revenir sur des engagements agricoles. La position de la France est tout à fait claire. Notre intervention dans la négociation sera extrêmement ferme à Singapour.
Concernant l'Union européenne, vous évoquez, monsieur Estier, la prise en compte des services publics. Je relève à ce propos que M. le Premier ministre a utilisé l'expression « service public à la française » ce qui montre bien l'intérêt du Gouvernement pour la notion de service public.
Vous avez également évoqué l'exigence de réciprocité.
Vous constaterez que nous veillons à son respect à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la réforme du code des marchés publics, qui sera présenté au Parlement au début de l'année prochaine. J'aurai en effet pris le soin, préalablement, d'écrire à la Commission européenne afin d'être bien certain que les orientations que nous prendrons feront l'objet d'engagements de réciprocité. En effet, nous savons très bien qu'un certain nombre d'anomalies peuvent persister sur le plan européen. Nous souhaitons donc obtenir des engagements préalables.
Monsieur Leyzour, vous vous êtes engagé dans des voies qui dépassaient largement les limites de ce texte. Puisque vous en avez parlé, je vais vous dire un mot de Maastricht, en prenant ma « casquette » de ministre du commerce extérieur.
Je n'ai pas visité un pays au monde qui n'ait rien à voir avec l'Union européenne, je n'ai pas rencontré un chef d'Etat ou un ministre des finances qui ne m'ait annoncé satisfaire à deux ou trois des critères de Maastricht. Ils n'ont qu'une seule raison de le faire : aujourd'hui, aucun Etat, dans quelque continent que ce soit, à quelque stade de développement qu'il se trouve - pays en voie de développement, pays émergeant, pays industrialisé - ne peut faire l'économie de la rigueur des marchés financiers. Ce n'est pas que cette rigueur soit un diktat, c'est qu'aucun pays aujourd'hui ne peut vivre sur la lancée des déficits et de leurs conséquences, qui se payent en terme d'emplois et de chômage.
Nous payons à l'heure actuelle le laxisme du passé et le redressement que nous sommes en train d'effectuer maintenant.
Vous avez parlé de la concurrence forte dans le secteur du BTP. C'est pour cela que, dans ce texte sur la réforme du code des marchés publics, dont vous aurez à débattre à l'échelon national, un certain nombre de mesures seront prises, qui font suite à une enquête menée auprès des collectivités locales et qui a donné lieu à 14 000 réponses des communes, des départements et des régions. Cela montre bien le souci qu'a eu le Gouvernement de collaborer, de coopérer, de prendre en compte les soucis des collectivités locales et l'importance que représente, pour ces dernières, le secteur des marchés publics. Un certain nombre de dispositions donneront de la souplesse au maître d'ouvrage en matière de prix anormalement bas, de sous-traitance, de prise en compte des critères de maintenance et feront en sorte que le moins-disant devra se transformer en meilleur achat.
Voilà un certain nombre des orientations prises par le Gouvernement. J'espère que vous aurez l'occasion de les soutenir avec d'autant plus de détermination que vous les appelez de vos voeux !
M. Félix Leyzour. On verra !
M. Yves Galland, ministre délégué. Monsieur Leyzour, absolument aucun hasard malicieux de calendrier n'est à l'origine du retrait du projet relatif au réseau ferré national ou de la discussion de ce projet concernant l'ouverture maîtrisée de la distribution de l'énergie. Le rapporteur et moi-même avons expliqué les raisons pour lesquelles nous examinons ce texte aujourd'hui.
Qu'il me soit simplement permis de vous dire que vous me paraissez bien peu confiant dans le savoir-faire et la technologie des entreprises françaises !
M. Félix Leyzour. Pas du tout !
M. Yves Galland, ministre délégué. Lorsque l'on s'attaque à l'ouverture des marchés, à l'ouverture maîtrisée des marchés, comme cela a été fait sur le plan de l'énergie - c'est le ministre de l'industrie que j'étais qui est à l'origine de ces négociations conclues par M. Borotra - lorsque l'on défend fermement, comme nous l'avons fait, la position française - celle de l'acheteur unique -, face à l'accès des tiers au réseau, quand on connaît les capacités formidables d'EDF, il faut savoir que cette société, qui est la première société d'électricité du monde occidental, va avoir à faire face à une ouverture maîtrisée du réseau, certes, mais aussi des réseaux de quatorze pays. C'est la société qui me paraît avoir le plus de compétitivité, de savoir-faire et de technologie, et devoir gagner dans cette ouverture maîtrisée de la concurrence.
Il en est de même, permettez-moi de vous le dire, pour nombre de nos autres sociétés. Partout où je me promène dans le monde, je m'aperçois que nous avons un savoir-faire mondial, par exemple en matière d'eau, avec nos grandes sociétés d'eau - c'est nous qui aujourd'hui sommes en train de privatiser, de prendre en concession ou en Built-Operate-Transfer les grands circuits d'eau dans le monde entier, que ce soit en Amérique latine, en Asie, ou dans les pays émergents - mais aussi dans d'autres domaines. J'étais récemment dans un pays où nous devons prendre en concession 800 000 lignes de téléphone.
Monsieur le sénateur, permettez-moi d'avoir cette différence avec vous et de penser que, pour nos entreprises françaises - à condition naturellement que nous soyons prudents et que nous assurions, ce dont parlait M. Estier tout à l'heure, une garantie de réciprocité - c'est une chance et non un handicap de s'engager dans cette direction !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier


DISPOSITIONS COMPLÉTANT, EN CE QUI CONCERNE CERTAINS CONTRATS DE SERVICES ET DE FOURNITURES, LA LOI N° 91-3 DU 3 JANVIER 1991 RELATIVE À LA TRANSPARENCE ET À LA RÉGULARITÉ DES PROCÉDURES DE MARCHÉS ET SOUMETTANT LA PASSATION DE CERTAINS CONTRATS À DES RÈGLES DE PUBLICITÉ ET DE MISE EN CONCURRENCE

Article 1er