M. le président. « Art. 24 bis. - Les boissons obtenues par mélange préalable entre les boissons visées au 5° de l'article premier du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme et des boissons sans alcool font l'objet d'une taxe d'un montant de 15 francs par litre.
« Cette taxe est recouvrée comme le droit de consommation visé à l'article 403 du code général des impôts.
« Elle est versée à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 83, Mmes Fraysse-Cazalis et Demessine, M. Fischer, Mme Beaudeau, M. Loridant, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer cet article.
Par amendement n° 32 rectifié, M. Oudin, au nom de la commission des finances, propose de rédiger ainsi cet article :
« Les boissons résultant d'un mélange préalable de boissons non alcooliques et de boissons visées au 5° de l'article L. 1 du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme supportent une cotisation spécifique perçue au profit de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés.
« La cotisation est fixée à 1,50 franc par décilitre.
« La cotisation est acquittée par les fabricants, les marchands en gros, les importateurs et les personnes qui réalisent l'acquisition intracommunautaire des produits mentionnés au premier alinéa.
« La cotisation est due, assise, contrôlée et recouvrée selon les mêmes règles, conditions, garanties et sanctions qu'en matière de contributions indirectes. Son produit est versé à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, déduction faite d'une retenue pour frais d'assiette et de perception dont le montant est fixé par arrêté. »
La parole est à Mme Fraysse-Cazalis, pour défendre l'amendement n° 83.
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. Décidément, monsieur le rapporteur, je confirme ce que j'ai dit tout à l'heure : il n'est pas sérieux de financer la protection sociale en France de cette manière !
Vous regrettez le niveau du débat ; je le regrette aussi. Je déplore que nous en soyons réduits, dans cet hémicycle, à débattre des différentes catégories d'alcools français, alors que nous devrions parler de la santé. Cela étant, je suis au regret de vous dire à tous que le débat, en fait, est au niveau où vous l'avez vous-mêmes placé. Puisqu'on en est là pour financer notre protection sociale, voilà ce que cela donne ! Ce n'est pas brillant, il faut le dire.
M. Roland Courteau. Il ne faut pas exagérer !
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. A l'article 24 bis , le présent amendement - nous sommes toujours au même niveau ! - vise à instaurer une taxe spécifique sur les mélanges prêts à consommer entre une boisson non alcoolisée et un alcool fort, dits « premix ».
Evidemment, notre opposition se fonde sur les mêmes raisons que celles que nous avons développées précédemment, mais s'y ajoute ma perplexité face aux arguments avancés pour justifier cette taxation.
En effet, on préconise d'augmenter le prix des premix pour en limiter la consommation parce que cette boisson serait dangereuse pour les jeunes.
M. Roland Courteau. Elle l'est !
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. Si cette boisson présente un danger pour la santé publique, il faut non pas la taxer mais l'interdire ! On ne va tout de même pas taxer cette boisson, en sachant qu'elle est dangereuse, simplement pour remplir les caisses de la sécurité sociale ! Cette fois, on pousse la logique un peu loin.
Je le répète, ce n'est pas sérieux ; le groupe communiste républicain et citoyen ne peut pas accepter cela.
M. le président. La parole est à M. Cazalet, pour présenter l'amendement n° 32 rectifié.
M. Auguste Cazalet, en remplacement de M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. L'Assemblée nationale a souhaité instaurer une taxe sur les premix. Nous proposons une nouvelle rédaction qui s'inspire de celle visant la cotisation sur les boissons alcooliques au profit de l'assurance maladie, prévue à l'article L. 245-7 du code de la sécurité sociale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 83 et 32 rectifié ?
M. Charles Descours, rapporteur. Madame Fraysse-Cazalis, je n'ai jamais porté d'avis sur le niveau des débats. Les débats sont ce qu'ils sont, tout le monde peut s'exprimer.
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. Vous avez dit que vous ne souhaitiez pas que l'on rouvre le débat sur ce sujet, et vous avez eu raison !
M. Charles Descours, rapporteur. C'est vrai, mais le débat a été rouvert, et c'est la démocratie.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Et maintenant, il a été refermé !
M. Charles Descours, rapporteur. S'agissant des premix, la sagesse populaire, qu'il faut toujours écouter, appelait les mélanges, faits par les consommateurs eux-mêmes, à base de whisky et de coca-cola ou de je ne sais quoi des « hypocrites ».
Ce n'est pas parce que, maintenant, ce sont les grands fabricants qui font des « hypocrites », c'est-à-dire qui font les mélanges avant de les vendre, notamment aux jeunes, qui ont l'impression d'acheter du coca-cola alors que cette boisson comporte un tiers de whisky ou de je ne sais quoi, qu'on ne peut pas crier casse-cou. Voilà quelques années, une publicité vantait les mérites d'une boisson qui avait l'aspect du whisky, le goût du whisky,...
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. De l'alcool !
M. Charles Descours, rapporteur. ... mais qui n'était pas de l'alcool. Et maintenant, on va dire : « Cela a l'aspect du coca-cola, le goût du coca-cola, mais c'est de l'alcool » ? Non, vraiment, on est allé un peu loin.
Je ne suis pas du tout hostile à l'interdiction des premix mais, en attendant, il faut les taxer et affecter le produit de cette taxe à la sécurité sociale.
Si le Gouvernement, celui-ci ou un autre, interdit les premix, j'applaudirai. Mais, en l'état actuel des choses, ils ne sont pas interdits. Qu'on les taxe, c'est bien, et que le produit de cette taxe tombe dans la caisse de la sécurité sociale, c'est encore mieux !
Madame Fraysse-Cazalis, je ne comprends pas plus votre amendement que votre philosophie. Je suis donc opposé à l'amendement déposé par le groupe communiste républicain et citoyen et je suis favorable à l'amendement présenté par la commission des finances, sous réserve de l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 83 et 32 rectifié ?
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur les premix. C'est un vrai sujet de santé publique. J'ai saisi le Conseil supérieur d'hygiène publique, qui m'a remis, au début du mois de septembre, un avis motivé.
Il faut distinguer la taxation de la boisson elle-même. La taxation, nous y sommes, c'est le sens de l'amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale et que le Gouvernement a accepté. Comme vient de le dire M. Charles Descours, ce dispositif va dans le bon sens. Bien évidemment, s'agissant de la lutte contre les premix, qui constituent une vraie tromperie pour les consommateurs, car ce sont des mélanges d'alcool et de soda, il ne faut pas s'en tenir à la seul taxation spécifique qui, d'ailleurs, comme vous pouvez le remarquer, est, en l'espèce, assez lourde.
Il est d'autres dossiers sur lesquels nous travaillons. Je pense ici au conditionnement, à la publicité, à un certain nombre de pistes que nous sommes en train d'expertiser à l'échelon interministériel. J'aurai l'occasion, dans les semaines qui viennent, d'annoncer des mesures complémentaires à propos des premix, au-delà de la taxation dont nous parlons actuellement.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est opposé à l'amendement n° 83 déposé par Mme Fraysse-Cazalis, mais il est favorable à l'amendement n° 32 rectifié, présenté par la commission des finances.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 83.
M. René Régnault. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Pour ce qui me concerne, j'apprécie la teneur de cet amendement et je souhaite en donner la raison même si tous ne la partagent pas, y compris au sein de mon groupe.
Mon département, monsieur le secrétaire d'Etat, est plus concerné ou au moins est aussi concerné que les plus concernés par le développement de l'alcoolisme, cette maladie dont nous voyons les ravages tous les jours.
Nous savons, à l'écoute des associations de buveurs guéris, que le développement de la maladie, en particulier chez les jeunes ou chez les femmes, est dû à la consommation de boissons qui paraissent anodines du fait de leur goût sucré et de leur couleur qui les feraient s'apparenter à des produits sans danger. On les absorbe et, sans s'en rendre compte, on glisse dans la dépendance. Ce n'est que lorsque cette dépendance est installée que s'inquiète parfois la personne concernée, et toujours son entourage.
Je me trouve donc devant un vrai problème. L'article 24 bis prévoit une taxe que vous voulez dissuasive, ce que je comprends. Il n'en demeure pas moins que le produit de cette taxe est un taux multiplié par une assiette. Or, qu'est-ce que l'assiette sinon la quantité de boisson qui sera consommée ? Les premix seraient donc des produits comme les autres, qui serviraient à financer la sécurité sociale ou à autre chose.
Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, j'aimerais connaître votre sentiment sur ces boissons. Je sais que vous en avez déjà entendu parler à l'Assemblée nationale, y compris de la bouche de parlementaires de votre majorité qui, élus de mon département, sont aussi inquiets que moi devant l'effet dévastateur croissant de ces boissons.
Quelles sont les intentions du Gouvernement ? J'aimerais entendre que le Gouvernement est prêt à tout mettre en oeuvre rapidement pour que ces boissons soient interdites.
M. François Autain. Prohibition !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat. M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Je me suis déjà exprimé sur les premix, mais, puisque vous m'interpellez, monsieur le sénateur, je vais vous donner quelques éléments de réponse supplémentaires.
Je crois avoir été l'un des premiers à avoir pris publiquement position contre ces premix, et j'ai immédiatement assumé mes responsabilités de secrétaire d'Etat chargé de la santé. Je crois que vous pouvez m'en donner acte.
Cela étant, nous avons un sujet à traiter, la taxation, ainsi que les autres pistes que j'ai évoquées et qui trouveront leur concrétisation à la suite de l'avis qui nous a été remis par le Conseil supérieur d'hygiène publique. Dans les toutes prochaines semaines, je serai à même de vous dire précisément les mesures qui seront prises.
Vous avez posé une question particulière s'agissant du rendement financier. Cela ne vous a pas échappé, la taxation des premix a été alourdie par l'Assemblée nationale. Cependant, nous n'avons pas rectifié en conséquence le rendement attendu de la taxe, tant il paraît évident que le niveau élevé de la taxation retenu par l'Assemblée nationale aura pour conséquence mécanique la réduction de la consommation. En effet, quand le prix d'une boisson augmente de près de 50 % - ce sera l'effet induit de la taxation au niveau qui a été fixé par l'Assemblée nationale - on enregistre évidemment un recul de la consommation.
S'agissant maintenant de la prohibition, puisque c'est ce dont vous parlez, le dossier est juridiquement intéressant, mais nous ne l'épuiserons pas ce soir. La prohibition des premix a sa logique, elle a été exprimée ce soir par Mme Fraysse-Cazalis ; M. Charles Descours n'était pas loin de partager sa position, tout comme vous à l'instant, monsieur Régnault. C'est une question qui, sur le plan juridique, mérite un examen très minutieux, car on ne peut pas accepter cette logique pour les premix sans considérer que, pour d'autres produits, elle serait aussi pertinente.
Je veux dire par là que la prohibition dépasse les seules boissons en question et qu'elle a un « spectre » plus large. Elle doit faire l'objet dans notre pays d'un véritable débat et non pas résulter d'un mouvement du menton à la faveur de l'examen de la situation d'un produit particulier.
Voilà, monsieur le sénateur, ce que je suis en mesure de vous dire sur ce sujet de santé publique particulièrement important.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 83, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 32 rectifié, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 24 bis est ainsi rédigé.
La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

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