M. le président. « Art. 8. _ L'attribution de la prestation spécifique dépendance n'est pas subordonnée à la mise en oeuvre de l'obligation alimentaire définie par les articles 205 à 211 du code civil.
« Des recours en récupération des sommes équivalant au montant de la prestation spécifique dépendance attribuée sont exercés par le département :
« a) Contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire ;
« b) Contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande ou dans les dix ans qui ont précédé celle-ci ;
« c) Contre le légataire.
« Le recouvrement des sommes mentionnées au deuxième alinéa s'exerce sur la partie de l'actif net successoral qui excède un seuil fixé par décret.
« Tous les recouvrements relatifs au service de la prestation spécifique dépendance sont opérés comme en matière de contributions directes.
« Lorsque les recours en récupération sont portés devant le tribunal de grande instance ou la cour d'appel, le ministère d'avoué n'est pas obligatoire.
« Les dispositions de l'article 148 du code de la famille et de l'aide sociale sont applicables pour la garantie des recours en récupération prévus par le présent article lorsque la prestation est versée en établissement. »
Je suis saisi de sept amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 36 est présenté par Mme Demessine, M. Fischer, Mme Fraysse-Cazalis, MM. Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 61 rectifié est déposé par Mme Dieulangard.
Tous deux tendent à supprimer les huit derniers alinéas de l'article 8.
Par amendement n° 37, Mme Demessine, M. Fischer, Mme Fraysse-Cazalis, MM. Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter in fine le troisième alinéa a de l'article 8 par les mots : « sauf si celle-ci a lieu au profit du conjoint, des enfants ou de la personne qui de façon effective et constante a assumé la charge du bénéficiaire ; ».
Par amendement n° 38, Mme Demessine, M. Fischer, Mme Fraysse-Cazalis, MM. Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer le quatrième alinéa b de l'article 8.
Par amendement n° 39, Mme Demessine, M. Fischer, Mme Fraysse-Cazalis, MM. Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le quatrième alinéa b de l'article 8, de remplacer le mot : « dix » par le mot : « trois ».
Par amendement n° 40, Mme Demessine, M. Fischer, Mme Fraysse-Cazalis, MM. Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le sixième alinéa de l'article 8, de remplacer les mots : « fixés par décret » par les mots : « de 800 000 francs réactualisés annuellement, en fonction de l'indice du coût de la construction ».
Enfin, par amendement n° 41 rectifié, Mme Demessine, M. Fischer, Mme Fraysse-Cazalis, MM. Leyzour, Minetti, et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, après le septième alinéa de l'article 8, d'insérer un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu'une succession est constituée, en tout ou partie, d'une exploitation agricole ayant permis ou permettant l'installation d'un jeune agriculteur, il ne peut y avoir recours sur les biens constituant cette exploitation, aussi bien pour la prestation servie à domicile que pour celle servie en établissement. Un décret fixera les conditions d'application de cette disposition. »
La parole est à Mme Demessine, pour défendre l'amendement n° 36.
Mme Michelle Demessine. Avec cet article 8, les auteurs de la proposition de loi suggèrent de permettre la récupération sur succession d'une partie de ce qui aura été versé aux quelques personnes âgées dépendantes qui auront la chance d'avoir perçu la prestation spécifique.
Ainsi, après avoir limité les conditions d'accès à la nouvelle prestation, il nous est proposé de reprendre d'une main une bonne partie de ce qui aura été versé de l'autre après le décès de la personne bénéficiaire.
Nous ne sommes donc pas face à une entreprise d'amélioration globale du sort des personnes âgées dépendantes, mais plutôt face à une entreprise de rationnement des dépenses publiques.
C'est en tout cas un recul par rapport aux conditions d'attribution de l'actuelle ACTP aux personnes âgées dépendantes qui, je le rappelle, n'était pas récupérable sur les successions au profit de l'époux, des enfants du bénéficiaire de l'allocation ou au profit des personnes qui en ont assumé la charge.
Il convient également de considérer que la récupération sur succession ne pourra qu'avoir un effet dissuasif sur les personnes âgées, qui hésiteront à demander une prestation qui reviendrait à déshériter partiellement leurs enfants ou les personnes qui les ont aidés.
Voir nos collègues, d'habitude si attachés à la propriété, proposer de s'en prendre au droit d'hériter est une chose suffisamment rare pour qu'elle mérite d'être soulignée ! On ne peut que s'en étonner alors qu'à l'occasion de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, en avril dernier, ils se sont battus pour alléger les droits de mutation portant sur la transmission des entreprises, et au moment où tout semble indiquer qu'ils s'apprêtent à alléger encore l'impôt de solidarité sur la fortune.
On nous propose donc, d'un côté, de frapper les petites successions des bénéficiaires peu fortunés de la nouvelle prestation dépendance pendant que, de l'autre, on essaie d'alléger les successions concernant les entreprises et l'impôt spécifique des plus fortunés.
Permettez-moi de vous dire, mesdames, messieurs de la droite, que vous vous montrez aussi durs avec les petits que vous faites preuve de laxisme à l'égard des puissants.
M. Guy Fischer. C'est bien vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. C'est du Zola !
Mme Michelle Demessine. C'est donc cohérents avec nous-mêmes que nous proposons, pour notre part, que la nouvelle prestation ne soit ni soumise à l'obligation alimentaire ni susceptible de recours sur succession.
C'est tout le sens de l'amendement n° 36, que nous vous demandons d'adopter.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard, pour défendre l'amendement n° 61 rectifié.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je partage l'argumentation de Mme Demessine : il est intolérable de différencier les handicapés selon qu'ils ont plus ou moins de soixante ans.
Cette récupération sur succession, dont on sait bien qu'elle aura un effet dissuasif, ne peut être envisagée alors que les handicapés plus jeunes n'en feront pas l'objet et que certaines personnes, aujourd'hui bénéficiaires de l'ACTP, verront leur agrément disparaître demain et seront dès lors soumises à la récupération sur succession. Ce sont là des inégalités intolérables !
M. le président. La parole est à M. Fischer, pour présenter l'amendement n° 37.
M. Guy Fischer. Cet amendement a pour objet de compléter le troisième alinéa de l'article 8 en excluant toute récupération sur succession au détriment des enfants et petits-enfants des personnes âgées dépendantes ainsi que des personnes qui les auraient gracieusement prises en charge.
Il s'agit, vous l'aurez compris, mes chers collègues, d'un amendement que l'on pourrait qualifier d'amendement de repli. En effet, comme nous avons eu l'occasion de le dire en défendant l'amendement n° 36, nous sommes opposés au principe même d'un recours en récupération sur les frais occasionnés par la prise en charge de la perte d'autonomie.
Comme vous l'aurez compris, je pense, notre conception n'est pas celle d'une prestation d'aide sociale, mais nous souhaitons la mise en oeuvre d'un droit qui, pris en charge grâce à la sécurité sociale, n'est pas récupérable.
Néanmoins, puisque cette logique est refusée depuis le début de ce débat par la majorité de notre assemblée, il me semble pour le moins nécessaire d'exclure des possibilités de recours sur les successions les enfants et les petits-enfants ainsi que ceux qui ont pris soin des personnes âgées en perte d'autonomie.
Cette disposition paraît très injuste pour les personnes âgées qui, leur vie durant, par leur travail et souvent en s'imposant des sacrifices, ont accédé à une modeste propriété qu'elles comptaient bien léguer à leurs enfants. Ainsi, si le montant de la propriété excède 250 000 francs, les héritiers directs ne pourraient conserver la maison familiale. Cette situation crée d'ailleurs souvent, chez les personnes âgées, un malaise psychique susceptible d'aggraver leur état de santé.
De peur de perdre leur bien, les petites gens...
M. Michel Mercier. Ce texte ne vise pas les petites gens !
M. Guy Fischer. ... risquent de renoncer au bénéfice de la prestation parce qu'elles sont très attachées au bien qu'elles ont souvent mis toute leur vie à constituer. Nous savons bien qu'aujourd'hui les trois générations sont interdépendantes, et nous restons logiques avec nous-mêmes.
Nous proposons, en outre, qu'une personne ayant à assurer la charge d'une personne en perte d'autonomie puisse être récompensée - si je puis dire, car je n'aime pas ce terme - d'une aide qu'elle a apportée le plus souvent de manière entièrement désintéressée.
M. le président. La parole est à Mme Demessine, pour défendre l'amendement n° 38.
Mme Michelle Demessine. Nous proposons de supprimer l'alinéa b de cet article, qui prévoit qu'un recours en récupération des sommes équivalant à la prestation spécifique dépendance peut être exercé contre les donataires du bénéficiaire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande ou dans les dix ans qui ont précédé celle-ci.
Si nous avons déposé cet amendement de repli, cela ne signifie nullement que nous approuvions la possibilité du recours sur la succession dans les autres cas prévus par l'article 8 : nous avons proposé de supprimer cette possibilité. Mais nous voulons au moins repousser une disposition excessive, qui pourrait dissuader les personnes âgées et leur famille de solliciter la prestation spécifique dépendance.
Il n'est, en effet, pas raisonnable d'organiser un tel recours en récupération des sommes équivalant au montant des prestations. Une telle situation se traduirait par une considérable insécurité des donations effectuées.
Une personne âgée en parfaite santé ne pourrait ainsi effectuer une donation à ses enfants sans craindre que, si, dans les dix ans qui suivent, elle subit une perte importante d'autonomie - qu'elle ne peut évidemment pas prévoir - tout ou partie de la donation puisse être récupéré.
Remonter dix ans en arrière pour le bénéficiaire de la donation, c'est risquer de voir remettre en cause un projet de vie : achat d'une maison, financement des études de ses enfants ou simplement, compte tenu de la crise actuelle, possibilité d'assurer leur subsistance. Imagine-t-on les drames qui se cachent en perspective derrière cette disposition ? En tout cas, de nombreuses personnes âgées ayant aidé leurs enfants préféreront renoncer au bénéfice de la prestation spécifique dépendance plutôt que de voir leurs enfants spoliés par un recours sur leur succession.
C'est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, d'approuver cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Bécart, pour défendre l'amendement n° 39.
M. Jean-Luc Bécart. Avec cet amendement, notre groupe propose une alternative supplémentaire de repli au cas où nos amendements précédents seraient repoussés.
Pour nous, le recours sur les donations ne doit être possible que dans les trois ans qui ont précédé la demande.
Nous aurions évidemment préféré qu'aucun recours sur succession ne soit possible. Mais, puisque la majorité du Sénat va certainement en décider autrement, nous proposons que, de dix ans, le délai soit ramené à trois ans, ce qui correspond à un délai plus raisonnable pour la récupération des sommes ayant fait l'objet d'un recours en succession.
Alors que le délai pendant lequel il est possible de récupérer les sommes versées au titre de l'ACTP n'est actuellement que de cinq ans, un délai de dix ans paraît trop long, car il risque de pénaliser des personnes qui ont, par exemple, acheté un logement et qui risqueraient de devoir revendre leur bien pour rembourser les sommes correspondant à la prestation spécifique dépendance versée.
Revenir au délai de cinq ans prévu pour l'ACTP nous paraît encore trop long. Nous préférons, pour notre part, un délai de trois ans, qui évite les fraudes d'une personne qui se sent défaillir et décide de sauvegarder une partie de ses biens en prévision d'une demande de prestation spécifique dépendance qui risquerait d'écorner son patrimoine.
Nous proposons, pensons-nous, un compromis raisonnable.
M. le président. La parole est à Mme Demessine, pour défendre l'amendement n° 40.
Mme Michelle Demessine. Avec cet amendement de repli, nous proposons que la partie de l'actif net successoral sur lequel s'exerce le recouvrement des sommes faisant l'objet d'un recours en récupération au titre de la prestation dépendance ne porte que sur les sommes qui excèdent la somme de 800 000 francs, réactualisée annuellement en fonction de l'indice du coût de la construction.
En effet, un seuil de 300 000 francs paraît largement au-dessous de la valeur d'un grand nombre de logements modestes acquis au prix de nombreux sacrifices.
M. le président. La parole est à M. Bécart, pour défendre l'amendement n° 41 rectifié.
M. Jean-Luc Bécart. Avec cet amendement n° 41 rectifié, nous proposons de ne pas permettre les recours sur succession qui pourraient entraver l'installation de jeunes dans l'agriculture.
Selon toutes les prévisions officielles, un nombre important d'agriculteurs vont cesser leur activité en atteignant l'âge de la retraite dans les cinq ans à venir. De 800 000 agriculteurs encore en activité l'an dernier, nous risquons de descendre à moins de 400 000 d'ici à cinq ans, ce qui peut porter atteinte, notamment, à la sécurité alimentaire de notre pays. Et, quand on sait qu'un emploi direct dans l'agriculture génère en amont et en aval plusieurs emplois, cela a de quoi inquiéter. C'est d'ailleurs si inquiétant que le Gouvernement et les organisations syndicales de jeunes agriculteurs viennent de conclure, il y a quelques mois à peine, une charte nationale de l'installation, qui a fait l'objet d'un débat devant notre assemblée.
Ce débat a montré que les questions des locaux, du matériel et du foncier sont décisives si l'on veut compenser les départs et les cessations prévisibles d'activité de ces prochaines années.
Or, il apparaît à la lecture de cette proposition de loi que, compte tenu de l'extrême faiblesse des retraites agricoles, bon nombre de retraités agricoles seront en mesure de percevoir la nouvelle prestation spécifique de dépendance.
Dans ces conditions, la récupération des sommes versées au titre de la prestation spécifique dépendance aux anciens agriculteurs risque d'enrayer, voire, dans certains cas, de bloquer le processus d'installation que les syndicats agricoles souhaitent ardemment et que le Gouvernement s'est engagé à favoriser.
C'est pourquoi, par cet amendement, nous faisons appel au bon sens du Sénat et du Gouvernement pour qu'ils renonçent aux recours sur succession qui pourraient entraver l'installation des jeunes agriculteurs en les privant d'une partie des moyens de leur installation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 36, 61 rectifié, 37, 38, 39, 40 et 41 rectifié ?
M. Alain Vasselle, rapporteur, De manière générale, je tiens d'abord à préciser que, s'agissant du recours sur succession, nous avons déjà fait une avancée non négligeable par rapport au texte initial de la proposition de loi, puisque nous avons procédé à une harmonisation entre le recours concernant la personne qui était en établissement et le recours concernant celle qui était à domicile.
Je rappelle que, dans le texte initial, on récupérait au premier franc dans le premier cas et au-delà d'un seuil dans le second. Nous avons donc déjà fait un pas dans la direction de ce que souhaitent les auteurs d'amendements, même si le seuil à partir duquel s'appliquera le recours peut paraître trop faible aux yeux de certains. En tout cas, je ne peux pas laisser dire que l'on ne prend pas en compte la situation des familles les plus modestes qui se sont constitué un capital tout au long de leur vie.
L'amendement n° 36 ne se situe pas du tout dans la logique de ce que nous avons proposé et que je viens de rappeler à l'instant même. De plus, nous n'avons pas introduit l'obligation alimentaire. La commission a donc émis un avis défavorable.
Elle a également émis un avis défavorable sur l'amendement n° 61 rectifié, qui va dans le même sens, et a propos duquel je dirai à Mme Dieulangard qu'il ne faut pas confondre handicap et dépendance.
Par cette prestation spécifique dépendance, on a voulu sortir du système de l'invalidité. Si les personnes handicapées bénéficient, à travers l'ACTP, d'un accès à cette allocation dans des conditions tout a fait différentes de celles dont vont bénéficier les personnes âgées, c'est que - M. Bernard Seillier l'a rappelé à juste titre, ce matin, en commission des affaires sociales - elles n'ont pas pu se constituer un capital quand elles étaient jeunes, même celles d'entre elles qui ont pu travailler dans des centres d'aide par le travail ou qui ont exercé une petite activité. C'est l'une des raisons qui ont motivé une disposition de cette nature.
Il ne faut donc pas comparer la situation d'un handicapé et celle d'une personne qui est devenue dépendante avec l'âge, au-delà de soixante ans, voire parfois soixante-dix ans ou quatre-vingts ans, car on sait aujourd'hui que l'émergence de la dépendance se produit de plus en plus tard dans la vie grâce aux progrès de la médecine.
La commission est également défavorable à l'amendement n° 37, qui aboutit au même résultat que l'amendement n° 36.
Il en va de même pour l'amendement n° 38, qui, lui aussi, est un amendement de compromis par rapport à la proposition initiale, et pour les amendements n°s 39 et 40, ce dernier tendant à ce que le seuil fixé par décret s'élève à 800 000 francs.
Enfin, l'amendement n° 41 rectifié a semblé tout à fait sympathique à l'agriculteur que je suis. Mais une disposition de cette nature a-t-elle vraiment sa place dans un tel texte ? En tout état de cause, la commission s'est prononcée contre.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les sept amendements ?
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Le Gouvernement a approuvé la proposition de loi sénatoriale, dont le recours sur succession était un élément, l'obligation alimentaire ayant, je l'observe, été écartée. Celle-ci ne me paraissait d'ailleurs ni gérable ni judicieuse.
Le recours sur succession se justifie pour un certain nombre de raisons que M. le rapporteur vient d'exposer excellemment. Je comprends ceux qui souhaitent que ce recours sur succession soit pratiqué avec un grand sens de la mesure et de l'équité. Le Gouvernement est très sensible à ce souhait. Il est certain que le recours sur succession doit être mis en oeuvre avec sagesse et mesure pour que les personnes puissent malgré tout transmettre à leurs héritiers un bien qui ne dépasse pas un certain montant. Je ne peux m'engager, en l'instant, sur des chiffres, mais il est évident que nous tiendrons compte des suggestions du Sénat.
Cela étant dit, le Gouvernement ne peut que s'opposer aux amendements n°s 36, 61 rectifié, 37, 38, 39, 40 et 41 rectifié, qui s'inscrivent dans une logique différente de celle de la proposition de loi telle que l'a voulue la majorité sénatoriale.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Sur cet article important, le groupe socialiste et le groupe communiste républicain et citoyen ont déposé de nombreux amendements pour essayer de modifier le dispositif.
Pour ma part, j'observe, en premier lieu, que le dérapage constaté de l'ACTP était dû essentiellement, d'une part, au fait que c'était une prestation en espèces et, d'autre part, au fait qu'il n'y avait aucune perspective de récupération.
Il est clair que, dans cette affaire, il fallait éviter que nos comptes sociaux ne s'enflamment et que les dépenses d'aide sociale ne croissent dans des proportions insupportables, qui se traduiraient à terme par une réduction de l'ensemble des prestations touchant tous les assujettis. En effet, hélas ! contrairement à ce qu'ont l'air de considérer certains, la ressource n'est pas infinie, et ce genre de démagogie se traduit toujours par une mise en cause des prestations elles-mêmes.
Nous essayons donc de remédier à la première dérive par le passage de l'espèce à la nature et à la deuxième par la récupération.
Malgré la demande de certains de nos collègues, nous avons écarté l'obligation alimentaire, d'abord, en raison du grand âge qu'atteignent les gens qui sont atteints de dépendance et, ensuite, parce que, dans la crise que connaît à l'heure actuelle notre société, les familles ne peuvent pas supporter à la fois le traitement de leurs parents et l'établissement de leurs enfants.
En revanche, nous voulons conserver une récupération sur succession, en équilibrant, comme l'a dit notre excellent rapporteur, la récupération pour l'allocation versée en établissement et celle qui est versée à domicile. A cet égard, nous souhaitons que le Gouvernement fixe un seuil raisonnable.
J'observe, en second lieu, monsieur le ministre - il faudra s'efforcer de résoudre ce problème avant la parution du décret - que les valeurs successorales ne sont pas les mêmes sur tout le territoire. L'amendement n° 41 rectifié, relatif aux jeunes agriculteurs, illustrait d'ailleurs cette disparité.
De fait, compte tenu de la baisse de la valeur d'un certain nombre de terres, une récupération à partir d'un certain seuil pourrait gêner une exploitation agricole, commerciale ou artisanale, mais non une famille propriétaire d'immeubles dans une grande agglomération où les prix sont relativement élevés.
Aussi, ne conviendrait-il pas, monsieur le ministre, de prévoir, dans le décret qui fixera le seuil de récupération, une espèce de modulation, en distinguant les zones fortement urbanisées, les zones normales, dirai-je, et les zones vraiment rurales, afin que la récupération sur succession soit égale ? Nous ne voudrions pas que la récupération soit confiscatoire dans certains cas et inutile dans d'autres.
J'insiste, mes chers collègues, nous ne pouvons pas généraliser les prestations ou les aides individuelles sans aucun système de récupération. Tous les élus locaux ici présents ont eu l'occasion de voir des bénéficiaires de l'aide départementale ou de l'aide sociale faire une donation à leur famille avant d'être placés dans un établissement d'hébergement, espérant ainsi mettre à la charge du département, de la société, la totalité de leurs obligations. Il faut éviter ce genre de choses. Ce mécanisme de récupération - nuancé, je l'espère - que nous mettrons en place permettra un bon fonctionnement du système.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Très bien !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Pour faire écho aux propos de M. Fourcade, je dirai que c'est, bien sûr, dans l'esprit qu'il a évoqué que nous organiserons le dispositif lors de l'élaboration du décret d'application.
Actuellement, le recours sur succession, tel qu'il est pratiqué, comporte une franchise de 250 000 francs, avec doublement pour la propriété agricole. Il serait difficile de descendre en dessous de ce seuil. Il faudra plutôt voir comment on pourrait être au-dessus et voir si certaines situations peuvent être prises en compte.
C'est vrai, s'il n'est nullement question de confisquer les quelques actifs successoraux d'une famille, il ne faut pas non plus persévérer dans des abus dont nous avons tous des exemples.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous connu le cas d'enfants qui, après s'être désintéressés de leurs parents, viennent récupérer leurs biens à leur décès.
Cette société s'honore, certes, en apportant une aide à tous ceux qui en ont besoin, mais aussi en évitant qu'on aboutisse à un dispositif d'assistance aveugle dont les plus habiles seraient les premiers à profiter.
Ce dispositif sera appliqué de manière équilibrée. Nous avons bien écouté les auteurs des amendements et ceux qui se sont exprimés dans la discussion générale. Cela dit, le dispositif sénatorial a le mérite de moraliser la situation tout en évitant de solliciter de trop gros efforts de la part des familles, car telle n'est pas du tout notre intention.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 36 et 61 rectifié.
M. Bernard Seillier. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Sans vouloir allonger ce débat, où tout a été dit, je tiens à affirmer, après avoir entendu les propos tenus par Mme Dieulangard, qu'il est important et juste de maintenir, dans la législation, une différence entre, d'une part, les handicapés de naissance...
M. Jean Chérioux. Exactement !
M. Bernard Seillier. ... ou ceux qui ont été accidentés au cours de leur vie et qui n'ont donc pas pu cotiser pour obtenir des droits propres et, d'autre part, ceux qui deviennent handicapés en raison de leur grand âge.
M. Jean Chérioux. Mme Dieulangard entretient cette confusion à dessein !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Sur ce sujet très délicat, relatif à la prise en charge des personnes handicapées, qu'elles soient handicapées avant soixante ans ou dépendantes après soixante ans, d'autres considérations que les seules considérations d'ordre financier doivent être prises en compte.
Monsieur Fourcade, je pense qu'il n'est pas démagogique de considérer que deux catégories de handicapés, de nature et d'origine différentes, bénéficiaires, puisque tel est le choix que vous avez fait, de prestations à peu près identiques puissent toutes les deux entrer dans le champ de l'aide sociale et soient traitées de façon égale.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. la parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Avec les amendements n°s 36 et 61 rectifié, nous sommes au coeur du sujet.
Si l'on se place dans la logique de la prestation relevant de l'aide sociale, je n'ai aucune objection à la récupération sur succession.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que ceux du groupe socialiste voudraient orienter le processus vers une prestation versée dans le cadre d'une solidarité nationale.
Monsieur Fourcade, vous me dites - et je le comprends - qu'une telle orientation n'est pas possible financièrement. Mais ce n'est pas nous qui, l'an dernier, à la suite de promesses faites pendant une campagne électorale, avons engagé la discussion, déposé un projet de loi et annoncé que 11 milliards de francs étaient disponibles.
Nous étions prêts à accorder nos suffrages à un tel dispositif. Nous souhaiterions donc que l'on revienne vers ce système qui n'alourdirait pas les charges des collectivés locales mais que l'Etat assumerait.
M. René Ballayer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Ballayer.
M. René Ballayer. Monsieur le président, je suis désolé de ne pas être en accord avec la commission à propos de cet article.
La loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées dispose qu'il n'est exercé aucun recours en récupération de l'allocation compensatrice à l'encontre de la succession du bénéficiaire décédé « lorsque les héritiers... sont son conjoint, ses enfants ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ».
Monsieur le ministre, l'annonce de la prestation autonomie ouvrait des perspectives réconfortantes. Mais, si cette prestation est récupérable comme je viens de l'expliciter et contrairement à l'allocation compensatrice, ne risque-t-elle pas de provoquer un pénible sentiment de frustration ? Comment pensez-vous maintenir les personnes à leur domicile, essence même à mon avis de cette prestation de dépendance, et créer des emplois, si cette prestation est récupérable selon les modalités que je viens de décrire ?
Enfin, les conclusions de la commission, qui ne fait pas de différence entre l'hébergement en établissement et le maintien à domicile dans la mesure où les personnes âgées doivent être libres de choisir leur lieu de résidence me laissent vraiment pantois.
Je connais une femme, âgée de cinquante-sept ans, qui est devenue aveugle, atteinte par la maladie d'Alzheimer. Le médecin a décidé de la placer dans un centre spécialisé. Quinze jours plus tard, le mari et la fille la trouvent attachée à une chaise, ils décident de la faire revenir chez eux.
Je ne souhaite à personne de vivre une telle expérience, car s'occuper d'une personne aussi handicapée est un véritable sacerdoce.
Or, on va annoncer à cette famille qui a bénéficié de l'ACTP que l'Etat récupérera désormais ces sommes. Ce n'est pas possible ! C'est contraire à l'esprit d'équité et de générosité qui a toujours carastérisé M. Barrot, ce ministre que je connais bien et pour qui j'ai beaucoup d'estime.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Monsieur Ballayer, je voudrais vous apporter un éclairage supplémentaire pour que vous compreniez mieux les propositions de la commission.
Vous avez fait référence à l'ACTP. Mais, avec la prestation spécifique dépendance, nous sortons complètement du système de l'ACTP, ne réservant le bénéfice de cette aide qu'aux personnes handicapées relevant de la loi de 1975.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui crée une nouvelle prestation, la prestation spécifique dépendance, qui est une cousine germaine des prestations d'aide sociale. Elle s'inscrit de ce fait dans la logique de ces prestations. Telle est la raison pour laquelle la commission a prévu le recours en récupération sur succession. Elle ne l'a cependant pas complètement retenu pour les raisons qui ont été expliquées tout à l'heure par M. le président de la commission et par M. le ministre.
En effet, nous avons écarté la référence aux obligations alimentaires pour ne retenir que le recours en récupération sur succession et nous avons opté pour l'application d'un seuil pour ne pas pénaliser les familles modestes qui se sont constitué un capital tout au long de leur vie.
D'ailleurs, M. le ministre a eu l'amabilité de répondre tout à l'heure qu'il examinera les conditions d'application de ce seuil en fonction des diverses situations rencontrées sur l'ensemble du territoire national. Il suit ainsi la suggestion de M. Fourcade.
Compte tenu de la nature de la prestation et des objectifs que nous nous sommes fixés, nous avons adopté une disposition qui s'apparente à celles qui seront retenues pour les prestations d'aide sociale.
Il s'agit vraiment d'une prestation sui generis, comme l'a été le RMI. C'est une nouvelle prestation qui n'a rien à voir avec l'ACTP. Sans être complètement une prestation d'aide sociale, elle s'y apparente néanmoins, à la fois par les conditions d'attribution et la fixation de son montant.
Je voulais vous apporter cet éclairage pour que vous ne vous mépreniez pas sur les motifs qui ont guidé la commission, son rapporteur et son président, qui est le premier signataire de la proposition de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 36 et 61 rectifié, repoussés par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 11:

Nombre de votants 315
Nombre de suffrages exprimés 315
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 93
Contre 222

Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 37, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 38, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 39, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 40, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 41 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 8.
M. Guy Fischer. Le groupe communiste vote contre.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Le groupe socialiste également.
M. René Ballayer. Je vote contre !

(L'article 8 est adopté.)

Article 9