M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Dieulangard pour explication de vote.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vous surprendrai pas en disant que le groupe socialiste, comme lors de l'unique lecture qui nous a été concédée, votera contre ce texte.
Sur la forme, nous regrettons le rôle que l'on a fait jouer au Parlement, qu'il s'agisse des comités d'entreprise pour lesquels on nous a dit : « Tout est bouclé à l'échelon européen, il ne faut plus rien modifier car la France s'est engagée » ou bien qu'il s'agisse de la négociation collective, à propos de laquelle nous assistons à l'opportune sacralisation d'un accord signé entre certains partenaires sociaux. C'est transformer le Parlement en chambre d'enregistrement dans le premier cas. C'est nier le rôle du législateur et inverser la hiérarchie des normes dans le second cas.
Sur le fond, nous regrettons que la directive relative aux comités d'entreprise européens fasse l'objet d'une transcription a minima et que les négociateurs français n'aient pas cru devoir faire preuve de plus de pugnacité pour faire prévaloir une conception mieux formalisée de la consultation des salariés.
Nous ne méconnaissons pas les difficultés de la négociation entre plusieurs Etats dont les conceptions en la matière divergent fort. La notion de consultation, telle qu'elle est définie par le projet de loi à partir de la directive, est cependant beaucoup trop imprécise. Nous sommes loin de la conception française qui fait de la consultation une procédure permettant au comité d'entreprise de formuler un avis motivé sur la base d'informations communiquées par la direction.
Le comité européen ou la procédure de consultation qui en tiendra lieu, dans certains cas, semblent plutôt destinés à un rôle pédagogique de sensibilisation des salariés à l'environnement économique et de création d'une culture d'entreprise. C'est ainsi que les choses se passent dans les comités déjà créés sur l'initiative des directions de groupes multinationaux.
Les choix opérés dans le projet de loi nous font craindre que, dans ces conditions, les futurs comités d'entreprise européens ne soient d'abord des instruments de persuasion au service des employeurs.
La possibilité donnée aux groupes français de dissoudre les comités de groupe prévus par notre législation nous renforce dans cette inquiétude.
Mais c'est surtout l'article 6 de ce projet de loi qui motive notre opposition. En effet, présenté au Parlement à la sauvette, sous le fallacieux prétexte de l'urgence, ce texte a pour objectif, clairement énoncé dans l'accord du 31 octobre 1995, de modifier l'articulation des niveaux de négociation collective et « d'ouvrir des espaces d'expérimentation sociale aux entreprises ». Nous ne sommes pas, contrairement à ce qui nous a été reproché, opposés à l'innovation ni crispés sur des positions passéistes. Mais nous avons le souci de l'intérêt des salariés et de la cohésion sociale. Or ce texte va dans le sens opposé.
Sous le prétexte d'une meilleure adéquation de la négociation collective à la réalité du terrain, des accords dérogatoires au droit du travail vont être conclus sans qu'aucun contrôle intervienne. Seule une validation a posteriori par une commission paritaire de branche interviendra dans le cas où le salarié négociateur aura été élu. Encore les conditions d'éventuelle opposition au niveau de la branche sont-elles très restrictives et fondées sur un décompte en nombre des syndicats et non en pourcentage de voix obtenues aux élections professionnelles.
Aucun contrôle de la conformité de ces accords d'entreprise au droit du travail ne pourra avoir lieu puisqu'ils ne seront que déposés auprès de l'autorité administrative et non soumis à une procédure d'extension. Sous la pression du chantage à l'emploi, des salariés isolés vont donc être mandatés ou élus, dans des conditions que l'on imagine aisément lorsqu'on connaît, précisément, le terrain.
Sans expérience de la négociation, sans connaissance juridique, parfois sans aucun appui syndical quand ils auront été élus, ils seront amenés à signer des accords présentés comme les seuls possibles pour sauver des emplois. Aucune disposition n'a été prévue pour former ces salariés. Pis, leur protection est abandonnée à la négociation de branche, qui ne prévoira pas obligatoirement de leur appliquer les mesures légales minimales en la matière.
Enfin, le législateur aura pour tâche, dans ce nouvel édifice, d'adopter, à la demande des partenaires sociaux, de nouvelles dispositions législatives pour permettre à ces accords dérogatoires d'entrer en vigueur. C'est la première fois, à ma connaissance, que l'on nous présente une disposition où il est écrit en toutes lettres que, lorsque des actes illégaux auront été commis, cela aura pour conséquence que l'on change la loi. Il est vrai que nous sommes ici en droit du travail, où l'égalité des parties, qui fonde les relations contractuelles en d'autres matières, prend un caractère de plus en plus illusoire.
Ce projet de loi signe en réalité la fin de la politique contractuelle telle que nous la connaissions jusqu'à présent. Sans doute la crise du syndicalisme en France n'y est-elle pas tout à fait étrangère, de même, sans doute, la volonté de beaucoup de patrons de ne voir à aucun prix une section syndicale s'implanter dans leur entreprise.
Mais l'essentiel est ailleurs. Il est dans l'utilisation qui est faite par les plus habiles ou les plus puissants de l'évolution technologique et de la mondialisation qui fragilisent les salariés des pays développés.
Sous le prétexte d'une relance de la politique contractuelle, ce texte fait sauter les derniers verrous qui donnaient certaines garanties de bonne exécution à la négociation collective. En faisant descendre le niveau de celle-ci à l'entreprise, dans les conditions que l'on nous propose, il ouvre grandes les portes de la déréglementation totale de notre droit du travail.
La seule règle sera que tout ce que l'on a fait signer aux salariés d'une entreprise aura force de loi dans celle-ci. C'est l'aboutissement logique d'un processus qui profite d'une conjonction d'éléments favorables pour mettre à bas l'édifice légal de protection des salariés lentement élaboré depuis cinquante ans.
Vous ne serez donc pas étonnés, mes chers collègues, de notre opposition totale et déterminée à ce texte.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je ne voudrais pas que les interventions de M. Fischer et de Mme Dieulangard donnent mauvaise conscience à la majorité du Sénat au moment d'approuver ce texte tel qu'il ressort de travaux de la commission mixte paritaire.
Je le rappelle, ce texte comprend deux parties : l'une est l'application en France d'une directive européenne ; l'autre, l'article 6, est la traduction législative de l'accord interprofessionnel qui a été signé en octobre de l'année dernière par un certain nombre de partenaires sociaux.
Je ferai d'abord remarquer qu'on ne peut pas, d'un côté, faire de l'Europe sociale le thème essentiel des congrès ou des discours et, d'un autre côté, lorsqu'un accord a été négocié, puis signé par dix-sept pays, non seulement la France et ses partenaires de l'Union européenne mais également deux autres pays, dire que nos négociateurs n'ont pas été assez pugnaces et que l'on n'a pas pu imposer la conception française des relations du travail.
Il faut être logique : nous sommes dans une perspective européenne, nous construisons l'Europe sociale, nous avons discuté, nous sommes parvenus à une directive européenne ; il nous reste aujourd'hui à la transposer dans notre législation. Il n'y a pas de a minima ou de a maxima.
Il n'est pas question de revenir sur un accord européen aussi important pour l'avenir, qui permettra de pouvoir traiter, dans le cadre du droit social auquel nous sommes tous attachés, le fonctionnement des grands groupes internationaux qui ont des établissements en Europe.
L'article 6, M. Fischer y est opposé parce que, chacun le sait, tous les partenaires sociaux ne l'ont pas signé ; Mme Dieulangard l'a rejoint.
S'agissant d'un accord signé à titre expérimental par les partenaires sociaux et qui prévoit la possibilité d'accords d'entreprise sous le contrôle a priori et a posteriori des commissions de branche, il me semble que, dans cette période de blocage social où chacun, par réflexe corporatiste, défend ses traditions, ses statuts, en se moquant totalement des problèmes d'emploi et de développement de notre pays, il vaut mieux laisser se dérouler l'expérience.
Lorsqu'il faudra traduire cette innovation de manière définitive dans les textes, le Parlement reprendra tous ses droits, tirera les leçons de l'expérimentation et verra de quelles limites il convient d'entourer l'initiative de l'ensemble des partenaires.
Nous sommes dans une société corsetée, rigidifiée, après quatorze années d'adjonctions successives au code du travail et de réglementations paralysantes. Or nous sommes les champions d'Europe en matière de taux de chômage ! Tous les organismes internationaux qui étudient la société française actuelle estiment que cette situation provient en grande partie de la rigidité de nos textes et du corporatisme dans lequel nous sommes installés.
Voilà un appel d'air ! Il est logique que la représentation nationale donne ses chances à cette négociation.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande d'adopter les conclusions de la commission mixte paritaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. Mon propos sera bref, car, avec son talent, sa compétence et son expérience, le président Fourcade a répondu à Mme Dieulangard et à M. Fischer mieux que je ne saurais le faire.
Je souhaite simplement rappeller que la directive est issue de négociations menées entre partenaires sociaux européens, l'Union des industries de la Communauté européenne représentant les employeurs et la Confédération européenne des syndicats représentant les salariés, et aussi que la transposition de la directive elle-même a été négociée avec les partenaires sociaux, chez qui elle a recueilli une très large approbation.
S'agissant de l'article 6, le président Fourcade a très bien dit ce qu'il fallait en dire. Je m'étonne seulement que des sénateurs appartenant à des formations qui se veulent progressistes puissent adopter une position aussi anachronique. (Mme Nelly Olin applaudit.)
M. Guy Fischer. Nous revendiquons notre progressisme !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte adopté par la commission mixte paritaire.

(Le projet de loi est adopté.)

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