M. le président. Par amendement n° 79, M. Fischer, Mmes Demessine et Fraysse-Cazalis, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, après l'article 5, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Les conventions et accords comportent des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois, règlements, conventions et accords collectifs en vigueur sur le territoire de la République. »
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le ministre, le 4 juin 1996, vous présentiez à l'Assemblée nationale l'article 6 de ce projet de loi en ces termes : « Les dispositifs qui font l'objet de ce texte présentent une double caractéristique : d'une part, ils sont issus d'un accord interprofessionnel, d'autre part, ils ne remettent pas en cause le principe de la hiérarchie des normes sociales et la complémentarité des niveaux de négociation. »
Concernant le premier point, je préciserai que l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 est loin d'avoir fait l'unanimité puisque trois syndicats, dont la CGT-FO et la CGT, ont refusé de l'avaliser, le jugeant attentatoire au droit à la négociation collective.
Vous conviendrez, monsieur le ministre, attaché que vous semblez être au dialogue social, notamment avec les organisations syndicales représentatives sur le plan national, que c'est une opposition dont il faut pour le moins tenir compte.
C'est d'autant plus vrai que, y compris parmi les syndicats signataires, certaines voix se font entendre pour condamner vigoureusement les dispositions que vous souhaitez voir autoriser par le Gouvernement.
Il en est ainsi, par exemple, de la section CFDT du ministère du travail pour qui « ce projet de loi met à bas tous les principes sur lesquels s'est bâti le droit du travail, et notamment la notion d'ordre public social telle que codifiée par l'article L. 132-4 du code du travail ». Ce dernier est ainsi rédigé : « La convention et l'accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public de ces lois et règlements ».
Qu'en est-il réellement, monsieur le ministre, concernant le second point de votre propos relatif au respect des normes sociales ?
Si nous sommes, comme vous l'aurez compris, plus enclins à croire qu'il s'agit d'un texte poursuivant dans la logique de démantèlement du droit du travail, nous sommes néanmoins tout à fait prêts à nous ranger à vos côtés pour affirmer qu'il n'est est rien.
Dès lors, mes chers collégues, pour lever toute ambiguïté et pour rassurer les partenaires sociaux, et plus généralement les salariés, vous aurez sans doute à coeur d'émettre un avis favorable sur l'amendement n° 79, qui n'a pour seul dessein que d'affirmer toujours aussi actuels les principes sur lesquels s'est fondé le droit du travail dans notre pays et tout d'abord la notion « d'ordre public social » telle qu'elle a été définie par le Conseil d'Etat dans son avis du 22 mars 1973 et codifiée à l'article L. 132-4 du code du travail : un accord collectif ne peut contenir que des dispositions plus favorables aux travailleurs que les dispositions légales ou réglementaires, ou des avantages non prévus.
Autrement dit, toute nouvelle négociation aboutissant à la mise en place de nouvelles mesures en matière de droit du travail ne saurait être légale si elle n'améliore pas la situation existante.
Par ailleurs, l'adoption de cet amendement permettrait de lever la contradiction interne du projet de loi relevée par Gérard Lyon-Caen : « La loi va courir après des illégalités qu'elle aura à l'origine encouragées et qu'elle devra par la suite couvrir ».
En effet, si cet amendement était adopté, aucune disposition illégale, source de contentieux et de nouvelle législation, ne pourrait être mise en place.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. La commission a pensé qu'il ne convenait pas, dans ce texte, de redéfinir le droit de la négociation collective. Elle émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 79.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Monsieur Fischer, j'ignore qui vous avez consulté. En tout état de cause, sachez que les responsables chargés de préserver le principe de l'ordre public social peuvent vous confirmer solennellement qu'il n'est pas remis en cause ici.
Le Gouvernement est donc opposé à l'amendement en raison de son objet même, qui vise à recréer dans le code du travail une disposition y figurant déjà, en son article L. 132-4.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 79.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. J'ai dit tout à l'heure dans quelle ambiance se situaient, au niveau européen, les dispositions dont nous traitons, en ayant pris la précaution, auparavant, d'indiquer que, de toute façon, c'était mieux que rien. Mais enfin, ces quarante accords conclus juste avant que le texte ne soit produit sont tout de même très révélateurs !
Chacun ici a présent à l'esprit l'exemple concret auquel se rapportait mon propos, événement qui a provoqué son moment d'émotion : je veux parler de ce groupe américain implanté en France, en Angleterre et en Allemagne, qui a décidé de convoquer, sur la base de modalités plus floues que celles qui sont contenues dans la directive, un certain nombre de délégués et de représentants, les uns syndicaux, les autres simplement élus, en Ecosse. On les y a quasi séquestrés pour leur faire accepter une convention avant que ne soient prises les décisions dont nous avons à débattre aujourd'hui, pour ensuite faciliter une convocation de la nouvelle instance créée en vue de faire avaliser par les intéressés, aux conditions fixées par cette transnationale - plus précisément par son patron américain, qui s'étonnait qu'on lui résiste et qui ignorait qu'il existât des lois sociales sur ce continent - un vaste système de délocalisations et de reculades face aux avantages acquis.
Je voulais rappeler cet exemple pour montrer combien il est nécessaire de s'entourer du maximum de garanties et de précautions.
Naturellement, comme nous savons bien que M. le ministre du travail pense comme nous et a la même appréciation que nous du caractère détestable d'un certain nombre de pratiques patronales et transnationales, nous étions sûrs qu'il pourrait accepter cet amendement. Son refus a donc une signification politique !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 79, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels avant l'article 6