M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'entends beaucoup parler d'éducation ces temps-ci et, pourtant, il me semble qu'aucune mesure réglementaire ou législative concrète ne voit le jour. Tout vient à point à qui sait attendre, me répondrez-vous, monsieur le ministre !
Pour l'heure, une grande confusion entoure les différents débats qui ont parallèlement lieu. Entre les innombrables fuites sur les travaux de la commission Fauroux, l'idée sans cesse relancée, différée puis relancée, du référendum sur l'éducation, les états généraux, qui ont fait quasiment « amphi vide », et le débat assez tardif au Parlement à ce sujet, il semble y avoir télescopage des initiatives.
Avons-nous affaire à une mascarade ? Certainement pas. Mais, monsieur le ministre, pourquoi avoir lancé vos états généraux parallèlement à la commission Fauroux, dont le champ d'investigation s'étend à l'ensemble de l'éducation nationale, sans attendre ses conclusions ? Le débat relatif aux états généraux ne serait-il qu'un prétexte afin de tâter le terrain, de faire le décompte de vos alliés pour la programmation - nous pourrions d'ailleurs en être - et de ceux qui sont partisans - là, nous n'en serions plus - d'un référendum sur l'éducation ?
Je sais que vous n'êtes guère favorable à ce référendum, monsieur le ministre, dont on ignore s'il concernerait l'ensemble de l'éducation nationale, donc l'enseignement supérieur et la recherche, ou une fraction de celle-ci. Je voudrais d'ailleurs souligner, préalablement au débat de fond sur les états généraux de l'enseignement supérieur, que la question du référendum ne signifie rien en tant que telle... au risque de décevoir un certain nombre de mes collègues.
Le référendum, monsieur Camoin, est un instrument de la démocratie. Ce qui importe, c'est la pertinence de la question qui est posée, le contenu et non le contenant. Alors, être « pour » ou être « contre » le référendum, cela ne veut pas dire grand-chose. Il existe d'autres débats plus sérieux, plus urgents et, me semble-t-il, plus essentiels. Ne dissimulons pas le vrai débat !
Monsieur le ministre, vous faites mine de vous atteler à ce débat. Vous avez, par dix questions fondamentales, recensé les problèmes et les missions essentiels auxquels doit faire face l'université. Sur ce point, il y a unanimité. L'identification est juste.
Comme d'autres l'ont relevé avant moi, ces dix questions constituent le plus petit dénominateur commun entre tous les partenaires du système éducatif de l'enseignement supérieur : les étudiants, les enseignants et les élus.
Les problèmes relevés sont fondamentaux.
Il ne faut pas se voiler la face : une augmentation des crédits permettrait de résoudre nombre d'entre eux. Or, depuis trois exercices, c'est-à-dire depuis le retour de la droite au Gouvernement, nous assistons à une dégradation des crédits, et donc à une détérioration importante des conditions de vie et d'études à l'université.
Vous nous avez expliqué, monsieur le ministre, le parallélisme des choix effectués en Italie et en Espagne, par des gouvernements pourtant différents, l'un de droite, en Espagne, et l'autre de gauche, en Italie. Même si nous ne sommes pas fermés à ce qui se passe dans notre environnement immédiat - et vous le savez bien, monsieur le ministre - il s'agit tout de même de l'université française, avec ses spécificités. Il s'agit, de surcroît, des promesses du candidat Chirac, devenu Président de la République. Donc, cherchons des solutions pour honorer ses promesses. On y tient !
Depuis 1993, les crédits destinés à l'enseignement supérieur n'ont progressé, en moyenne, que de 3,7 p. 100 par an, alors que, de 1990 à 1993, la moyenne annuelle s'élevait à 13,2 p. 100 ; vous l'avez fait observer et vous avez rendu hommage à ces chiffres.
Si je fais ce rappel, ce n'est pas uniquement à votre intention, monsieur le ministre. En effet, nous avons aujourd'hui la chance d'avoir au fauteuil de la présidence M. Valade, qui a été rapporteur du budget de l'enseignement supérieur. Je me souviens de certaines critiques qu'il formulait en matière de budget au nom de la commission des finances, critiques que je partageais.
Pour venir à bout des problèmes que connaît actuellement l'enseignement supérieur, il lui faut donc des moyens humains, matériels, des moyens de fonctionnement et d'aide sociale. Pour moi, ce point est primordial, et je vous ai trouvé discrets, voire gênés, messieurs Gouteyron et Camoin. Certes, la remarque sur les moyennes par étudiant formulée par M. Camoin est juste et courageuse, mais elle reste au niveau du constat. C'est pourtant vous, messieurs, qui gouvernez la France, et donc qui devriez nous indiquer les voies.
Pour moi, je le répète, ce point est essentiel. Il devrait constituer l'effort numéro un. Si vous le permettez, monsieur le ministre, j'en ferai ma proposition numéro un.
Il est nécessaire que l'éducation redevienne la priorité budgétaire. Quand je dis « priorité », ne jouons pas sur les mots : je sais l'effort et le volume que cela représente. Toutefois, la progression de ce budget doit être vraiment significative. S'il est un domaine qui doit échapper à la rigueur, c'est bien celui-là. L'investissement dans l'avenir ne saurait supporter une pause.
Malheureusement, les derniers échos dont nous avons eu vent concernant les réductions draconiennes demandées pour la prochaine loi de finances laissent présager le pire. Selon la presse, aux termes du mandat de préparation qu'il vous a transmis, M. le Premier ministre vous a demandé de limiter la hausse des crédits de votre ministère à 1,3 p. 100 pour 1997, soit, autant le dire, une baisse des moyens octroyés à l'éducation en francs constants.
Alors, débattre, aborder tous les sujets inhérents à l'éducation, pourquoi pas ? Mais si on nous dit d'entrée de jeu que l'on n'a pas les moyens d'honorer les propositions qui seraient faites, c'est de la poudre aux yeux !
M. Claude Estier. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Selon vos propos à l'Assemblée nationale, qui m'ont été rapportés par l'écho des Pyrénées, la loi de programmation de l'université n'est plus à l'ordre du jour. Or, le 16 avril dernier, devant la commission des affaires culturelles du Sénat, en répondant à une de mes interrogations, vous vous étiez engagé - et je sais que vous avez beaucoup de mémoire, monsieur le ministre - à déposer une loi de programmation permettant de faire aboutir les démarches des états généraux de l'université.
Je vous avais d'ailleurs dit que quatre possibilités s'offraient à vous : la première, programmation et argent ; la deuxième, argent sans programmation ; la troisième, programmation sans argent ; enfin, la quatrième : ce que nous sommes en train de faire. A l'époque, je craignais que l'on n'en soit parvenu à la troisième possibilité. Aujourd'hui, je crains que l'on n'ait abandonné la loi de programmation et que l'argent ne soit toujours pas là.
Quand bien même cette loi de programmation serait encore à l'ordre du jour, je m'interroge un peu - je vous l'avais dit en son temps - sur les redéploiements énormes qui s'imposeraient pour en honorer les termes. Tous les secteurs de l'éducation nationale sont exsangues ; vous le savez, on ne peut déshabiller Pierre pour habiller Paul !
Ma première proposition, c'est un financement prioritaire.
Ma deuxième proposition consiste à commencer un deuxième volet du plan « Université 2000 ».
Je ne reviendrai pas sur les raisons en termes économiques et en termes d'emplois. On sait, là encore, que la réalisation de ce plan a été freinée depuis le retour de la droite au pouvoir, notamment par votre prédécesseur, M. François Fillon. Je m'employais d'ailleurs à chacune de nos rencontres à le lui faire observer et à dénoncer cette situation.
Ce deuxième volet est plus que nécessaire. Il permettrait un aménagement du territoire éducatif harmonieux, non en ajoutant encore des centres de formation supérieure, mais en consolidant ceux qui ont été créés au cours des dernières années dans les villes moyennes. Ainsi, on ferait réellement de l'aménagement du territoire et on améliorerait les conditions d'accueil des étudiants.
J'en viens au troisième point essentiel et donc à ma troisième proposition, qui a trait au statut de l'étudiant.
Ce statut constituait l'une des principales promesses du candidat Chirac - mais il en a fait tant et tant, et j'en ai déjà évoqué quelques-unes ! Depuis, c'est le silence radio !
Cette promesse devrait être tenue. Le nombre d'étudiants ayant doublé en dix ans, leurs conditions de vie se dégradent sans cesse. Les représentants des étudiants - vous avez d'ailleurs participé à leurs travaux - par exemple l'UNEF-ID, ont fait des propositions raisonnables, notamment pour que le système d'aide soit plus juste.
Mais il ne faudrait surtout pas que cette réforme marque un désengagement de l'Etat. Sur ce point, je préférerais donc que l'on parle d'une allocation personnalisée d'insertion et de formation pour tous les jeunes, et non pas seulement pour les étudiants, ce qui permettrait de créer un véritable statut des jeunes de seize à vingt-cinq ans, en incluant aussi bien le système des bourses que l'allocation de logement sociale et l'instauration d'un RMI jeunes. Toutefois, ce système ne sera viable que si les entreprises y participent, en s'engageant à la fois sur le terrain de l'alternance et sur celui de l'insertion.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je formulerai une quatrième proposition : une incitation fiscale ciblée pour les entreprises qui accueillent des jeunes en alternance, et pas seulement en apprentissage.
La réforme des premiers cycles est à l'ordre du jour. Tous s'accordent à le dire : elle passe par une meilleure orientation.
Je me félicite, monsieur le ministre, de ce que, sur toutes les travées, ce mot soit à l'ordre du jour et qu'il ait remplacé celui de « sélection », en vogue encore il y a une dizaine d'années, même si - j'ai l'oreille fine ! je crois entendre encore, mais à mi-voix, au sein de la commission, quelques velléités de sélection... Mais, honnêtement, elles s'estompent. Je sais, par exemple, qui ni M. le président de la commission, ni M. le ministre n'y sont favorables.
Cette orientation - il s'agit de ma cinquième proposition - commencerait dès le lycée, avant la terminale, avec rencontre entre étudiants et lycéens. Je ne suis pas en mesure de vous dire, monsieur le ministre, si c'est au collège qu'elle doit commencer. Là où je suis d'accord avec vous, c'est qu'elle doit absolument intervenir avant la classe de terminale parce que, souvent, les choix sont alors figés - et même les non-choix - et leur remise en cause est quelquefois compliquée.
Les mondes du lycée et de l'université ont tous deux leurs particularismes propres. Point n'est besoin de les gommer. Cependant, ces deux mondes se doivent d'être plus perméables et plus proches. Des échanges d'enseignants et d'étudiants pourraient voir le jour. Cette proposition me paraît intéressante et relativement aisée à mettre en oeuvre.
Ma sixième proposition a directement trait à cette réforme des premiers cycles. Ainsi, en conséquence directe de ma cinquième proposition, je proposerai que la première année du premier cycle universitaire commence par un semestre - pourquoi pas unique ? - permettant de réaliser trois objectifs : mise à niveau, apprentissage des méthodes de travail, complément d'information sur les différentes filières.
Ces deux propositions déboucheraient même sur des économies budgétaires, monsieur le ministre ! En effet, une meilleure orientation, une réussite plus rapide, moins de redoublements, moins de sorties de l'université d'étudiants sans diplôme, ne peuvent qu'engendrer des économies budgétaires.
Enfin, ma septième proposition concerne la voie technologique.
Tous les ingrédients existent pour en faire une filière d'excellence à part entière, du CAP à l'agrégation. Il reste à régler le conflit sur la charnière IUT-IUP. Mais ce problème, qui n'a besoin que d'un peu de liant, est en panne depuis trois ans !
En faire une filière d'excellence passe par la généralisation de l'alternance sous statut scolaire et de la validation des acquis professionnels. Tout le dispositif législatif existe. Il a été mis en place par les gouvernements de gauche, notamment par la loi sur la validation des acquis professionnels. Il ne reste qu'à l'appliquer !
Monsieur le ministre, j'ai noté que, lors des débats à l'Assemblée nationale, vous aviez reproché aux socialistes, et plus particulièrement à mon ami Jean Glavany, de ne pas être constructifs, de critiquer et de ne pas émettre de propositions.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Vous avez fait le contraire ! C'est bien, monsieur Carrère !
M. Jean-Louis Carrère. Vous ne pouvez pas généraliser cette critique à l'ensemble des socialistes, puisque j'ai pris la précaution de vous énumérer les propositions qui me paraissaient constituer les avancées les plus significatives en les numérotant.
Non seulement vous ne pouvez pas réitérer ces critiques, mais je vous invite également à revenir sur celles que vous avez formulées à l'Assemblée nationale : en relisant les débats, ce que j'ai fait ; et vous verrez que la plupart des propositions que je viens de formuler figuraient, certes de manière disséminée, un peu difficile à repérer, dans le discours que vous aviez incriminé.
Monsieur le ministre - je sais que vous êtes attaché à une certaine cohérence - vous ne pouvez pas nous dire : vous êtes négatifs, vous ne proposez rien et, dans le même temps, lorsqu'on formule des propositions, comme l'a fait notre collègue Ivan Renar, déclarer : vous n'êtes pas sérieux, cela va coûter trop cher.
Dans une démocratie, les rôles respectifs d'une majorité et d'une opposition sont clairs, même si l'opposition que nous constituons essaie d'être la plus sérieuse, la plus cohérente et la plus conséquente possible.
Comme je le disais à l'instant, certaines de mes propositions trouveraient un écho dans la simple application de lois élaborées par des gouvernements antérieurs, qu'il s'agisse de la mise en oeuvre du plan « Université 2000 » ou de l'amélioration de la voie technologique.
Vous me reprocherez sans doute d'être un peu critique, monsieur le ministre, mais je ne peux m'empêcher de constater que la politique éducative des gouvernements auxquels vous avez appartenu depuis 1993 est bien différente de celle qui a été menée par les gouvernements socialistes pendant dix ans, sous la conduite, notamment, d'un ancien Premier ministre qui s'adressera à vous cet après-midi ; je veux parler, bien sûr, de Michel Rocard.
Pendant ces dix années, de grandes réformes ont vu le jour. Il n'a pas toujours été facile de convaincre les organisations représentatives, les usagers et les parlementaires, mais une détermination réelle de changer en mieux l'éducation nationale a toujours animé les gouvernements de gauche et les a poussés à mener leurs réformes jusqu'au bout.
La postérité leur a donné raison : qui songe aujourd'hui à remettre en cause, dans leur principe, la loi Savary, les mesures de revalorisation en faveur des personnels de l'éducation nationale, le plan « Université 2000 » ou la création des IUFM, même si, je vous l'accorde, les modalités de fonctionnement de ceux-ci ont été révisées - et elles devaient l'être - par vos soins ?
Il a existé un réel souffle en faveur de l'enseignement. Qu'est-il devenu aujourd'hui, sous l'égide de votre gouvernement, monsieur le ministre ? Je ne vois qu'effets d'annonce, consultations, commissions, disputes au sein de la majorité et, au bout du compte, rien, sauf quelques tentatives de réforme pour le moins revanchardes ou ultralibérales, que le Conseil constitutionnel, saisi par nous, n'a d'ailleurs pas manqué de censurer, qu'il s'agisse de la loi sur les universités nouvelles ou de la réforme de la loi Falloux.
Je disais en commençant mon propos : j'entends beaucoup parler d'éducation, ces temps-ci. J'ajouterai : je vois peu d'actes concrets en faveur de l'éducation. Je vous semble peut-être un peu sévère, monsieur le ministre, mais l'heure est grave.
Je souhaite, d'abord, que l'université française puisse conserver le renom qu'elle avait, qu'elle puisse former le plus d'étudiants possible, le mieux possible, en leur garantissant des conditions d'études décentes, en leur permettant l'accès à l'emploi et en les armant pour la vie.
Je souhaite, ensuite, que les enseignants et les personnels qui travaillent dans les universités ne voient pas leurs conditions de travail se dégrader.
Je souhaite, enfin, que les échanges inter-universités, notamment avec l'étranger, continuent de fonctionner, garantissant ainsi l'enrichissement réciproque des étudiants et des enseignants.
En revanche, je tiens à souligner le danger que présenterait la dénaturation de l'université si on lui appliquait des solutions qui ne lui sont pas inhérentes.
La France est l'un des rares pays qui connaissent une aussi forte dualité de système au sein de l'enseignement supérieur : universités et grandes écoles.
L'université à la française comporte des spécificités, notamment ses méthodes de travail et l'espace de liberté qu'elle représente, qui nécessitent une certaine tournure d'esprit. Il serait donc dangereux de vouloir appliquer à notre université les méthodes des grandes écoles.
L'information et l'orientation - je ne reviendrai pas sur ce point - doivent jouer un rôle prépondérant : le nouvel étudiant doit s'habituer à l'université et à son mode de fonctionnement, mais l'université doit être prête, pédagogiquement, à accueillir ce nouvel étudiant.
N'allez surtout pas voir dans mes propos, monsieur le ministre, un refus de changer quoi que ce soit dans le système universitaire. Je vous ai clairement exprimé mes propositions et incité à agir concrètement au plus vite. Simplement, je ne voudrais pas que notre université perde son âme. Mais - j'y reviens en guise de conclusion - il faut des crédits, voire une véritable loi de programmation.
Je citerai, pour terminer, la conférence des professeurs d'université, la CPU, votre meilleure alliée depuis deux ans, monsieur le ministre, mais qui semble actuellement vous « lâcher » sur un point, puisque, selon elle, il n'y a « pas de grande réforme à budget constant dans l'université française. L'Etat doit réaffirmer son engagement en faveur de l'enseignement supérieur. Il doit le faire dans une loi de programmation ».
Monsieur le ministre, les jeunes, les enseignants, les personnels attendent une réponse concrète de votre part, de la part du Premier ministre et du Président de la République. Ils attendent des crédits pour l'université et des dispositions significatives. Rassurez-les, rassurez-nous ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Emmanuel Hamel. Vous êtes devenu d'une grande sagesse, mon cher collègue !
M. Michel Rocard. Il l'a toujours été !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur Carrère, je ne suis pas un esprit systématique et je ne pratique pas volontiers la polémique, même si, lorsque j'y suis contraint, je me rends à cette nécessité. Je vous donne volontiers acte que, cette fois, au Sénat, tel n'a pas été le cas.
A l'Assemblée nationale, des propositions concrètes, positives pour beaucoup d'entre elles, ont été formulées par votre groupe.
M. Guy Allouche. Il fallait les reprendre !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je considère - je l'ai d'ailleurs noté dans mon discours - que les points de vue exprimés au cours de ces six derniers mois, grâce au travail qui a été réalisé, se sont considérablement rapprochés ; je pense, en particulier, à la proposition du semestre unique en début de première année - à défaut d'être unique, il pourrait être commun à de nombreuses filières - pour donner aux étudiants des méthodes de travail, pour leur présenter les différentes filières. Je ne sais pas si nous pouvons la retenir telle qu'elle - la mise à niveau pourrait induire des effets de « secondarisation » - mais c'est une bonne piste. Ce que vous avez dit à propos de l'orientation ou de la voie technologique me paraît également intéressant.
Pour une fois, le débat a progressé ; il a tout à gagner à sortir des frontières idéologiques traditionnelles. Il me semble trouver là la justification d'une méthode à la fois de bon sens et de représentation démocratique de l'avenir, que d'autres - je m'adresse notamment à M. Michel Rocard ici présent - ont employée à certaines époques sur des sujets encore plus dramatiques que ceux qui ont été évoqués aujourd'hui, même si nous en connaissons tous le poids.
Je constate - et c'est pour moi un motif de très grande satisfaction - que les points de vue deviennent compatibles, même s'ils ne sont évidemment pas identiques. Bien entendu, monsieur Carrère, le rôle de l'opposition et celui de la majorité ne se confondent pas. Il est naturel que l'affirmation de l'opposition comporte une part d'utopie et une part de critique. Quoi de plus normal lorsque la critique et l'utopie sont de bonne foi et ne sont pas directement en contradiction avec la réalité ?
Comme nous sommes dans ces rôles-là, je vous citerai à mon tour deux chiffres.
Vous avez évoqué le très grand effort budgétaire - je l'ai moi-même noté à la tribune - qui a été accompli à certaines époques. Permettez-moi de vous dire qu'il souffrait cependant de quelques lacunes. Je vous en donne une en exemple, qui n'est pas négligeable : la traduction de cet effort budgétaire en emplois.
Puisque je viens de parler de M. Michel Rocard d'une manière positive, je citerai, à titre d'exemple, les deux lois de finances de 1989 et 1990, années où il était Premier ministre. En 1989, le nombre des étudiants augmentait de près de 80 000 ; en 1990, il s'accroissait de 70 000 - je vous communiquerai les chiffres précis s'ils vous intéressent.
M. Emmanuel Hamel. Ils baissent !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. En 1989, M. Rocard a créé 1 000 emplois d'enseignants et 242 emplois de personnels IATOS. Les chiffres sont du même ordre en 1990 : 1 479 emplois d'enseignants et 254 emplois de personnels IATOS. Cette année, au lieu des 80 000 étudiants supplémentaires constatés en 1989, on en a compté 10 000 de plus. Combien ai-je créé d'emplois d'enseignants ? J'en ai créé 2 000 !
M. Jean-Louis Carrère. Il y a trois ans qu'il n'y en avait pas eu !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Combien ai-je créé d'emplois de personnels IATOS ? J'en ai créé 2 000 cette année, au lieu de 254 en 1990 ! (Exclamations sur les travées socialistes.) Ce n'est pas une critique !
M. Guy Allouche. Et avant !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Avant, je vous donne les chiffres : 1 625 et 1 100 dans les précédentes lois de finances !
C'est donc dire qu'il faut demeurer prudent dans l'utilisation des chiffres.
Nous savons tous dans cet hémicycle qu'il existe des contraintes budgétaires, et qu'elles étaient moins lourdes voilà quelques années qu'elles ne le sont aujourd'hui. Personne ne s'en exonérera !
M. Emmanuel Hamel. Libérons-nous de Maastricht !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Par conséquent, nous devrions - singulièrement ceux qui croient à l'Europe - ...
M. Emmanuel Hamel. J'y crois aussi, mais je suis pour une Europe positive, qui libère l'homme des contraintes monétaires, pour son épanouissement !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... essayer de faire progresser encore cette recherche d'un accord, sinon général, du moins largement partagé, en y incluant les contraintes. Nous commencerions alors à dire la vérité à nos interlocuteurs, aux universitaires, aux personnels et aux étudiants, puisque ce sont ces contraintes qui borneront l'avenir et qui délimiteront les grands axes du devenir de l'université que nous cherchons à construire ensemble.
Il ne s'agissait donc pas, monsieur Carrère, de l'une de nos polémiques habituelles...
M. Guy Allouche. Ah ! ces Pyrénéens...
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... mais je souhaitais vous indiquer que j'avais retenu à la fois ce qui me paraissait positif et ce qui me paraissait discutable dans le discours que vous avez prononcé au nom du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents devant se réunir dans quelques instants, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Yves Guéna.)