III. LES PRIORITÉS DE VOTRE COMMISSION : LIBÉRER L'INITIATIVE POUR FAVORISER L'EMPLOI

Votre commission des finances considère qu'il convient de s'engager résolument dans la voie de la réduction des prélèvements obligatoires. Se rapprocher rapidement de la moyenne européenne (43 % du PIB), puis descendre à 40 % sont des objectifs réalistes si la croissance attendue par le gouvernement est au rendez-vous.

A. RÉFORMER L'IMPÔT SUR LE REVENU

Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie reconnaît la nécessité d'une réforme de l'impôt sur le revenu. En septembre dernier, notamment , il déclarait sur France Inter, " Dans les années qui viennent, il faut que la réflexion soit non seulement avancée mais que l'action soit mise en oeuvre. Il y a une mise à plat [ ] qui est certainement nécessaire et il me semble que c'est un chantier auquel il faut qu'aujourd'hui les parlementaires, notamment, s'attaquent et réfléchissent ".

Mais c'est en vain que l'on chercherait dans les documents soumis au Parlement des allusions à la question de la réforme de l'impôt sur le revenu et la moindre trace de cette préoccupation pourtant, semble-t-il, encouragée par le Premier Ministre, lorsqu'il affirme que " notre fiscalité souffre autant de sa structure déséquilibrée que de son niveau excessif ".

Du fait de cet immobilisme, notre système d'imposition du revenu constitue un frein à l'initiative et donc à la croissance d'autant plus pénalisant que l'on s'inscrit dans une Europe où, à l'heure de l'Euro, le facteur travail est de plus en plus mobile.

Peut-on indéfiniment maintenir des taux pour les tranches les plus hautes sensiblement plus élevés que dans les autres pays ?

Peut-on indéfiniment laisser persister une progressivité de fait très forte à l'entrée du barème qui crée une véritable " trappe à chômage " ?

Bref, peut-on différer encore cette remise à plat de l'impôt sur le revenu ? Il est temps de regarder autour de nous et de se demander s'il ne faut pas se mettre au " diapason de l'Europe ".

1. Une progressivité excessive par rapport au reste de l'Europe

L'impôt sur le revenu français est très concentré. Il pèse essentiellement sur les hauts et très hauts revenus : en 1997, les 5 % de contribuables situés en haut de l'échelle des rémunérations recevaient 22 % du revenu et payaient 50 % de l'impôt ; les 50 % du bas de l'échelle recevaient 18,6 % du revenu et payaient 2,8 % de l'impôt.

Le taux marginal le plus élevé, qui est de 54 % au-delà de 293.600 francs, est considérable même s'il doit être replacé dans le contexte général de notre fiscalité, et en particulier des abattements de 10 et 20 %, dont bénéficient les salariés, qui jouent jusqu'à près de 780.000 francs pour un célibataire et le double pour un couple.

Certes, le taux moyen est nettement inférieur, même à ce niveau de revenu, puisqu'il atteint 31 % pour un célibataire disposant de 800.000 francs de revenus. S'il est d'ailleurs encore plus élevé chez les Belges, les Hollandais ou les Danois, il se situe nettement au-dessus de celui des pays anglo-saxons vers lesquels les cadres ont le plus facilement tendance à s'expatrier.

Comme le souligne le rapport de M. de La Martinière, rédigé en 1996, " les contribuables à revenu élevé sont surtout sensibles à leur taux marginal d'imposition. L'important, pour un cadre supérieur, c'est le revenu supplémentaire qu'il peut tirer de ses efforts. S'il juge que la pression fiscale est confiscatoire, il est tenté de réduire son offre de travail ou bien, ce qui est de plus en plus le cas, de se délocaliser à l'étranger " .

2. Une " trappe à chômage "

L'excessive progressivité à l'entrée du barème, déjà soulignée dans les rapports de MM. Ducamin et La Martinière, a été également mise en évidence par les travaux de François Bourguignon de l'École des hautes études, dans un rapport remis l'an dernier au premier Ministre dans le cadre du Conseil d'analyse économique. Les effets de seuil des prestations sociales sous condition de ressources et de l'impôt sur le revenu conduisent à des situations dans lesquelles le supplément de revenu est absorbé par la baisse des prestations d'assistance et l'augmentation des impôts. Ils peuvent atteindre 100 % dans le passage du RMI à l'emploi et connaissent des ressauts injustifiés dans les tranches les plus basses du barème.

En Europe et même dans les pays où sont au pouvoir des partis sociaux-démocrates, les gouvernements mettent l'accent sur la baisse de l'impôt sur le revenu. Le Royaume-Uni vient de décider d'un nouvel allégement au profit des classes moyennes et ne taxe qu'à 40 % les plus hauts revenus. L'Allemagne de son côté vient de voter une réforme fiscale ramenant le taux d'imposition maximum de 53 % à 48,5 % en 2002.

3. L'actualité d'une réforme d'ensemble

Face à la persistance de ces problèmes de structure, votre commission ne peut que rappeler les propositions faites lors de l'examen du précédent budget et qui restent mutatis mutandis , toujours d'actualité.

Pour les cadres et les revenus élevés il faudra bien abaisser le taux marginal, sachant que chaque point de baisse du taux marginal supérieur d'imposition représente, en raison de la faible taille de la population concernée, à peine 750 millions de francs. La commission des finances reprenant de plan de 1996, proposait d'abaisser le taux maximal à 47 %, sans oublier les revenus moins importants puisque la mesure faisait partie d'un ensemble comportant une élévation de la tranche dite à taux zéro assortie d'un abaissement du barème compris entre 2,5 et 5 points.

L'une des pistes pourrait consister à intégrer dans le barème l'abattement de 20 %, dont bénéficient les salariés, même si cela pose un problème d'égalité avec les non-salariés, pour qui les possibilités de dissimulation sont plus grandes. Une autre piste consisterait à remettre progressivement en cause la déductibilité de la CSG, ce qui permettrait d'affecter à une baisse du barème de l'impôt 9 milliards de francs par points déductibles, ce qui offre une marge de manoeuvre globale de 45 milliards de francs.

Par ailleurs, et l'on retrouve aussi un des éléments du dispositif du plan du Gouvernement de M. Juppé, on pourrait aussi s'efforcer de lutter contre cette progressivité excessive à l'entrée du barème. Afin que cette " trappe à pauvreté " ne se transforme pas en " trappe à chômage " , le gouvernement a déjà autorisé un cumul partiel entre le RMI et l'emploi. Pour amplifier cette correction, il conviendrait comme l'a demandé la commission de supprimer le mécanisme de la décote dont le montant est de 3.300 francs.

L'évolution du produit de l'impôt sur le revenu pour les quatre premiers mois de l'année - soit 103,6 milliards de francs - fait apparaître des recettes particulièrement importantes, supérieures de plus de 7 milliards de francs à celle de la même période de 1997 et de quelque centaines de millions au précédent record de 1996.

La conjoncture permet d'envisager une réforme indispensable si l'on veut redonner aux Français la volonté d'entreprendre .

B. S'ENGAGER POUR LA RÉDUCTION DU TAUX DE TVA SUR LES SERVICES A FORTE INTENSITÉ DE MAIN D'OEUVRE

Le droit communautaire autorise les Etats à appliquer un taux normal de droit commun qui ne peut être inférieur à 15 %. Ils ont également la possibilité, sans que cela ne soit une obligation, d'appliquer un ou deux taux réduits à une liste de biens et services limitativement énumérés.

En mars 1999 a été transmise au Sénat une proposition de directive (n° E 1236) visant à appliquer à titre expérimental un taux réduit aux services à forte intensité de main-d'oeuvre et cela afin de lutter contre le chômage et le travail au noir. Son application effective relève de la seule responsabilité des Etats mais les intentions du gouvernement apparaissent toujours floues.

Deux incertitudes existent: les " marges de manoeuvre " budgétaires dont il dispose et qu'il serait prêt à y consacrer, ainsi que la nature des services concernés par ce taux réduit : le logement, la restauration, les services d'aide à la personne, les travaux à domicile, etc...

Quatre préconisations peuvent être énoncées dans ce cadre.

Votre commission souhaite tout d'abord la mise en oeuvre de mesures lisibles et claires à destination des particuliers, sans effet d'annonce ni dispositif homéopathique.

Elle entend par ailleurs offrir un champ d'expérimentation potentiel le plus large possible ne devant pas, par exemple, exclure a priori le secteur de la restauration.

En outre, elle préconise que cette mesure s'inscrive dans un véritable mouvement de diminution des prélèvements obligatoires. Ces baisses ciblées ne doivent pas être compensées par la suppression de dispositifs fiscaux favorables aux ménages ou la création de nouvelles taxes sur les entreprises.

Enfin, elle demande au gouvernement d'agir dans la transparence. Il doit dissiper ainsi le flou actuel, informer la représentation nationale et faire que cette directive s'applique dès le projet de loi de finances pour 2000.

C. RÉDUIRE VRAIMENT LES CHARGES PESANT SUR LE TRAVAIL

L'exception française en matière d'emploi se traduit actuellement de deux façons :

- d'une part , un taux de chômage de 11,4% qui malgré une baisse récente, est toujours l'un des plus élevés des grands pays industrialisés ;

- d'autre part, un coût du travail peu qualifié qui reste supérieur à celui de nos principaux partenaires.



A ce titre, votre commission a toujours préconisé des mesures pérennes d'allégement des charges sur les bas salaires 1( * ) qui permettent de créer de véritables emplois productifs au sein de l'économie marchande, à la différence des emplois-jeunes ou des 35 heures.

Or le gouvernement après avoir longtemps critiqué cette position semble avoir changé d'avis notamment au vu des piètres résultats enregistrés par les 35 heures ou des conclusions du rapport remis l'été dernier au Premier ministre par le professeur Malinvaud . Aussi dans son rapport préparatoire au débat d'orientation budgétaire le gouvernement indique que, son " objectif est de réduire le coût du travail non qualifié et de favoriser ainsi la création d'emplois ".

Il a ainsi présenté un projet de réforme des cotisations sociales patronales dont les contours sont cependant flous et le mode de financement toujours incertain.

Il s'agit en principe d'étendre le champ de la ristourne dégressive actuelle en portant son plafond de 1,3 à 1,8 SMIC mais en réservant le bénéfice de cette extension aux seules entreprises ayant opté pour les 35 heures.

Le surcoût de cette réforme par rapport au dispositif actuel qui représente 43 milliards de francs d'allégements est chiffré, à terme, à 25 milliards de francs par le gouvernement. Il serait financé par la création de deux nouvelles impositions pesant sur les entreprises : d'une part une taxe mise en place à partir de l'actuelle TGAP et qui serait directement affectée aux comptes sociaux ; d'autre part, une contribution sociale sur les bénéfices des entreprises réalisant plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires.

Cette réforme mise en place dans la précipitation, dont le gouvernement affirme qu'elle n'accroîtra pas globalement les prélèvements pesant déjà sur les entreprises, entraînera de très importants transferts de charges aux dépens de celles qui devront s'acquitter ces deux nouvelles taxes. Par ailleurs outre les effets de seuil ainsi créés, elle consiste à faire financer des dépenses pérennes à forte inertie par des recettes éminemment fluctuantes au risque de créer un " effet de ciseaux " en cas de retournement de la conjoncture.

Elle devra par ailleurs se combiner, selon des modalités non précisées avec la mise en place de la " seconde loi " sur les 35 heures d'un coût global estimé en année pleine à 40 milliards de francs . Cette loi serait entièrement autofinancée selon le gouvernement par " les retours attendus pour les finances publiques ", que ce soit en terme de cotisations sociales, de gains d'indemnisation des personnes initialement sans emploi ou de surcroît d'imposition ! Une telle présentation est pour le moins sommaire et rapide...

Eu égard à l'ampleur des sommes en jeu, à leur impact tant sur les entreprises que sur l'équilibre des comptes sociaux, votre commission ne peut se contenter des informations contenues dans le rapport préparatoire au présent débat d'orientation budgétaire.

En effet, elle est inévitablement conduite à se poser les questions suivantes : comment s'opérera le basculement entre l'actuelle TGAP et la future " écotaxe " ? Quels en seront le rendement et l'affectation ? A-t-on des données précises sur le nombre et la répartition des entreprises qui verront ainsi leurs prélèvement s'accroître ? Que sera le coût total de l'aide structurelle versée au titre de la " seconde loi " sur les 35 heures ? On évoque en effet un montant de 40 milliards de francs, or dans la présentation qui est faite par le gouvernement cette aide est intégrée au sein de l'abattement supplémentaire de cotisations patronales dont le coût est, lui, estimé à 25 milliards de francs !

Baisser les charges sur le travail ne peut consister à augmenter certains impôts sur les entreprises pour en réduire d'autres : c'est une impasse qui n'aboutira à aucun résultat.

Votre commission maintient donc qu'il est nécessaire d'alléger franchement les charges sur les bas salaires conformément à la proposition de loi " Poncelet " adoptée en juin 1998, sans réserver ce dispositif aux entreprises ayant réduit le temps, ni le financer par de nouveaux impôts, mais par un réel effort de déploiement des dépenses publiques.

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