2. Des handicaps certains

De nombreux intervenants ont, lors des auditions, rappelé la persistance de difficultés inhérentes à la filière " fruits et légumes ", et ce malgré les différentes dispositions prises de 1992 à 1997. Ces problèmes sont souvent identiques à ceux relevés par la mission sénatoriale de 1993.

a) Les problèmes de production

Une offre toujours trop atomisée

L'offre
en matière de fruits et légumes est très atomisée : ce constat, effectué par l'ensemble des professionnels de la filière, s'avère exact à la fois entre les différentes espèces de fruits et légumes ainsi qu'au sein d'une même espèce, comme par exemple la poire.

On compte ainsi 56.000 exploitants qui cultivent 276.000 hectares de légumes (hors pommes de terre de grande culture) dont 5.000 sous serre. Si le nombre de producteurs a diminué de 35% depuis 1988, il reste encore très important au regard du nombre d'hectares cultivés, la moyenne d'hectares cultivés par producteur de légumes frais étant d'environ 4,9 hectares.

STRUCTURE DES EXPLOITATIONS DE LÉGUMES FRAIS (PLEIN AIR ET SERRES)

Producteurs (en milliers)

Superficies
(en milliers d'hectares)

Superficie moyenne
(en hectares)

1988

1990

1993

1995

1988

1990

1993

1995

1988

1990

1993

1995

86

79

64

56

254

271

260

276

3

3,5

4,1

4,9

Pour les fruits (vergers six espèces), l'enquête recense 37.000 exploitants pour 170.000 hectares.

EVOLUTION DES STRUCTURES DES EXPLOITATIONS DE VERGERS (6 espèces)

Producteurs (en milliers)

Superficies
(en milliers d'hectares)

Superficie moyenne
(en hectares)

1988

1990

1993

1995

1988

1990

1993

1995

1988

1990

1993

1995

50

46

40

37

162

168

177

170

3,3

3,7

4,4

4,6

Les groupements de producteurs , institués dans le cadre de la loi d'orientation agricole de 1962 sont encore très nombreux puisqu'on en compte près de 320 .

Ces groupements , dont le statut juridique est celui de coopérative (127), de syndicat (87) et de SICA (35) représentent plus de 50 % de la production organisée, mais jouent un rôle très ambigu .

Constitués pour renforcer le pouvoir de négociation des producteurs vis-à-vis des partenaires " aval " de la filière, ils constituent parfois un obstacle à une concentration plus poussée. Ainsi, à côté d'organisations ayant une véritable démarche commerciale, il existe certaines structures " boîtes aux lettres " dont la fonction est de permettre de bénéficier des aides et du retrait : ces groupements totalement sclérosés ou dépassés ont souvent une logique de production sans vocation commerciale affirmée et sont source d'affrontements permanents avec la majorité des producteurs.

Le problème de la surproduction

On peut, en effet, s'interroger sur une éventuelle surproduction structurelle. La mission sénatoriale sur les fruits et légumes avait déjà conclu, en 1993, à une stagnation, sur le long terme, de la demande intérieure de fruits et légumes en valeur absolue, en dépit de l'accroissement de la population et de l'augmentation des prix.

Outre cette inadéquation entre la production et la consommation , l'une étant caractérisée par d'amples variations, l'autre variant faiblement, la hausse des rendements pourrait davantage expliquer les périodes de surproduction que l'extension des superficies.

La récente proposition présentée par la Commission européenne prévoit d'ailleurs de réduire le verger communautaire de pommiers, poiriers, pêchers et nectariniers d'environ 20.000 hectares.

Ainsi, en 1995, le pommier avait perdu 6.000 hectares en un an, le verger pêcher et nectarinier poursuivait une tendance à la baisse avec une perte de 5 % depuis 1990, l'abricotier se stabilisant.

On constate notamment pour les fruits une diminution des superficies qui est compensée par la hausse des rendements, même si celle-ci finit par atteindre peu à peu un niveau plafond.

LE VERGER FRANÇAIS EN 1995

b) Une mise en marché lacunaire

Le rapport de la mission sénatoriale ayant longuement abordé l'organisation des marchés des fruits et légumes en France, le groupe de travail s'est donc limité au fonctionnement de cette mise en marché.

L'analyse de la mise en marché des fruits et légumes permet de découvrir un grand nombre de dysfonctionnements au sein de la filière.


Tout d'abord , les intermédiaires de la filière restent dans une situation largement inégale. Comme le soulignait la mission sénatoriale, " il apparaît que les relations entre la production, sans doute en raison de sa position de faiblesse due à son inorganisation, et l'expédition sont parfois difficiles. Elles sont particulièrement tendues avec l'importation, alors même que celle-ci reste indispensable pour assurer l'approvisionnement du marché européen, comme avec les grossistes, qui restent un partenaire indispensable de la grande distribution, même si cette dernière a recours, grâce à ses centrales d'achat, à d'autres modes d'approvisionnement plus directs. "

Plusieurs intervenants ont souligné, par ailleurs, le manque de structures commerciales d'envergure nationale par produit et multi-produit : en effet, les organisations respectivement premier et second sur le marché pour les fruits et légumes, représentent seulement 5 et 10 % du marché national. On constate ainsi une quasi-absence de marques fortes et une concurrence exacerbée des produits industriels de remplacement fortement " marketés " qui mettent en valeur de manière croissante la naturalité des fruits et légumes.

De plus, outre un manque de stratégie de l'offre française, en termes d'image, d'innovation et de promotion, l'insuffisance de la synergie commerciale , à tous les niveaux de la commercialisation, de l'offre française avec l'offre des pays tiers a été à maintes reprises regretté.

Ainsi, le parent pauvre du secteur est la commercialisation . On y constate une faiblesse de l'investissement " marketing ", évalué à 30 fois moindre que pour les produits laitiers. Les raisons sont nombreuses : dispersion commerciale de l'amont, gestion traditionnelle " à court terme " du secteur, manque de prise de conscience des leaders de la filière des mécanismes commerciaux de la distribution de masse et absence de réactivité des producteurs à la défiance des consommateurs face aux méthodes de production perçues comme non respectueuses de la nature intrinsèque de ces produits.

La filière des fruits et légumes paraît, en outre, avoir un fonctionnement très complexe : en plus d'un approvisionnement inégalement réparti entre la production française et les importations, la filière commerciale des producteurs en circuit court (c'est-à-dire régional) se maintient aux environs de 30 % ; enfin, la part des centrales d'achat s'accroît fortement. Au stade de gros, la part de marché des grossistes reste majoritaire malgré une baisse de 11 points en 5 ans. Simultanément, le poids des centrales est en forte croissance, y compris dans le secteur de la restauration hors foyer.

En ce qui concerne les marchés d'intérêt national , le groupe de travail n'a pu que constater le phénomène déjà relevé par la mission sénatoriale en 1993, c'est-à-dire la limitation de leur rôle . Si ceux-ci jouent encore une fonction relativement importante dans les marchés de proximité, ils connaissent globalement une inadaptation aux besoins actuels et nécessitent donc une sérieuse réforme.

c) La pression exercée par les grandes et moyennes surfaces

Le marché des fruits et légumes constitue pour les GMS un secteur des plus rentables et en pleine croissance .

Au cours des sept dernières années, les grandes et moyennes surfaces ont vu, en effet, vu leur volume de vente en matière de fruits et légumes progresser de 700.000 tonnes, soit plus de 100.000 tonnes par an en moyenne. Leur part de marché moyenne est environ de 54 % (de 46 % pour l'artichaut à 68 % pour le concombre).

D'après certaines estimations, la marge de progression pour les dix ans à venir est de 15 % de part de marché , soit un million de tonnes, 100.000 tonnes par an. En termes financiers, une telle progression représente un gain potentiel, en 2005, de 10 milliards de francs de chiffre d'affaires annuel , soit plus d'un milliard de francs de profit potentiel.

C'est dans un tel contexte que les grandes et moyennes surfaces sont souvent accusées de forcer " l'amont " en effectuant des pressions sur les fournisseurs, notamment par la non répercussion des baisses de prix à la production.

S'ajoute à cela la pratique des prix anormalement bas entraînant ainsi des perturbations des marchés, notamment en raison de la " masse commerciale " des grandes et moyennes surfaces. La négligence quant à la qualité du produit est, par ailleurs, souvent évoquée en raison de l'absence de personnel qualifié et de la mauvaise présentation des fruits et légumes.

Le développement du système EDI (échanges de données informatisées), dont le fax est l'exemple le plus rudimentaire, conduit, en outre, à traiter les fruits et légumes comme des produits manufacturés standard en transmettant l'information le plus rapidement possible. Si ce mouvement peut se concevoir pour la pomme ou la pomme de terre, produits stockables, il ne peut fonctionner efficacement que si l'offre est supérieure à la demande : en effet, en cas inverse, le téléphone et le gré à gré reprennent leurs droits. Par ailleurs, la généralisation de l'EDI ne doit pas se faire au détriment de la qualité .

Par ailleurs, votre commission s'interroge sur l'opportunité, comme le préconise M. Jean-Marie Ferrand dans son rapport, d'instaurer un mécanisme de " coefficient multiplicateur " qui permettrait de garantir un prix minimum à la production. La profession paraissant partagée sur l'utilité d'un tel instrument, le groupe de travail souhaite que le ministère de l'agriculture puisse effectuer des projections permettant d'analyser dans le détail les conséquences de la mise en place de ce système.

d) Une consommation " en panne "

La consommation mondiale moyenne de fruits et légumes est d'environ 50 kilogrammes par an et par personne, mais un quart de la population mondiale consomme plus de 100 kilogrammes par an 3( * ) .

En France, après une croissance de la consommation de l'ordre de 1 % par an jusqu'au début des années 1990, le groupe de travail a constaté une baisse de la consommation des fruits et légumes depuis 4 à 5 ans, les légumes ayant une meilleure résistance au déclin que les fruits.

Pour 1995 , avec 2,065 millions de tonnes consommées par les ménages à domicile, les fruits ont atteint leur plus bas niveau de la décennie et déclinent de 3,3 % par rapport à la moyenne 1990/1994, soit une baisse de 3,7 % en valeur. Pour les légumes , on assiste à une augmentation en valeur de 1,9 % par rapport à la moyenne 1990/1994.

CONSOMMATION MOYENNE DE FRUITS ET LÉGUMES
(EN KILOGRAMME PAR AN ET PAR PERSONNE)

 

LÉGUMES

FRUITS

En France

99 kg

73 kg

En Europe

125 kg

83 kg

Source : Food for Thought 1995

La consommation progresse peu et se déplace surtout vers des produits exotiques ou transformés.

De nombreux facteurs peuvent expliquer cette stagnation de la consommation à environ 170 kg par habitant et par an, notamment chez les enfants et les jeunes ménages :

- le manque de maîtrise de la qualité et la déception gustative qui en résulte ;

- la déstructuration des repas traditionnels ;

- l'évolution des comportements des consommateurs vers des produits plus facilement consommables ;

- le déficit de créativité et d'innovation des produits ;

- la défiance des consommateurs vis-à-vis de certains produits agricoles ;

- le manque de disponibilité de ces produits dans certains lieux de consommation.

Ces problèmes structurels du secteur des fruits et légumes, qui intéressent à la fois la production, la commercialisation et la consommation, semblent obéir à des tendances de fond que les mécanismes régulateurs des marchés tels qu'ils sont aujourd'hui organisés, ne parviennent pas à compenser.

En effet, l'évolution structurelle de la filière des fruits et légumes est soumise à une tension permanente entre des logiques antagonistes
: marché et organisation, spécialisation et polyvalence des opérateurs professionnels, centralisation et décentralisation des échanges et des circuits commerciaux.

Ces antagonismes sont probablement l'essence de l'économie fruitière et légumière , une économie mixte de marché, qui peut être un modèle d'avenir pour de nombreuses filières.

Le cadre communautaire rénové mis en place récemment devrait accélérer la modernisation de ce secteur en lui ouvrant de nouvelles perspectives.

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