III. LES RECOMMANDATIONS

A. LA PÉRENNISATION DE LA CERTIFICATION ET L'AVANCEMENT DE LA FIABILISATION DES COMPTES

1. Les points de vue en présence

Alors que l'expérimentation de la certification touche à sa fin, il est légitime de s'interroger sur les conditions de sa pérennisation. À cet égard, les points de vue des acteurs font apparaître des polarisations plutôt marquées, mais aussi des nuances notables, qui ressortent notamment dans la « synthèse des réponses des administrations et des acteurs concernés » présentée dans l'annexe 16 du rapport précité de la Cour des comptes.

Pour l'AMF, « la démarche de certification doit rester volontaire, notamment du fait des coûts induits (honoraires des commissaires aux comptes, adaptation des logiciels, temps investi par les agents publics pour travailler sur la certification) ».

France Urbaine « ne souhaite pas que la démarche de certification puisse être obligatoire, du fait des coûts induits ».

Villes de France « ne souhaite pas nécessairement une généralisation des audits externes qui serait susceptible d'engendrer une dérive des coûts, sans contreparties manifestes à court terme, selon elle. Elle propose un seuil de 80 000 habitants si la certification devenait obligatoire pour les collectivités les plus importantes, tout en s'interrogeant sur le critère de la masse budgétaire, qui pourrait paraître plus adapté ».

Intercommunalités de France « soutient les préconisations de la Cour concernant [...] l'obligation de certification pour les collectivités les plus importantes, la proposition de démarches de fiabilisation alternative à la certification, la nécessité de prévoir une période transitoire pour permettre aux collectivités de se préparer, tout en proposant un cadre spécifique aux collectivités expérimentatrices ». Dans sa réponse écrite à votre rapporteur, l'association précise que « le seuil [de l'obligation] peut (doit) être évolutif. Une première vague pourrait viser :

- les départements et les régions ;

- les agglomérations ;

- les communes de plus de 50 000 - 100 000 habitants »

Au nom des départements, l'ADF considère qu'« au regard des efforts que l'exercice requiert de la part des collectivités concernées, l'association souhaite que la démarche de certification ne soit pas rendue obligatoire, même pour les collectivités les plus importantes ».

Sans prendre de position arrêtée sur l'obligation, Régions de France souligne néanmoins qu'« un temps d'adaptation sera nécessaire avant une généralisation de la démarche de certification, tant pour les collectivités que les commissaires aux comptes, notamment pour étaler les coûts qu'entraînent cette démarche ».

Du côté des administrations de l'État, la DGFiP relève « les bienfaits d'une démarche de certification des comptes mais elle s'interroge sur son caractère obligatoire en raison des coûts associés, externes et internes. Elle présente son projet de « synthèse de qualité des comptes », présenté par les comptables publics devant les organes délibérants des collectivités, comme « le dispositif alternatif le plus adapté ». L'intervention d'auditeurs externes et de dispositifs alternatifs à la certification lui semble également appropriée ».

La DGCL, pour sa part, « adhère à l'intérêt de la certification en tant que démarche d'amélioration de la qualité des comptes locaux et de développement d'une culture de contrôle interne. De même, étant donné les coûts liés à sa mise en oeuvre, la DGCL est aussi d'avis que la certification est adaptée aux plus grandes entités seulement, d'où l'intérêt d'explorer d'autres modalités d'amélioration de la qualité des comptes locaux pour les collectivités de taille moindre, mais aussi de valoriser le contrôle interne. [...] Elle préconise une période préparatoire suffisamment longue afin de s'assurer de l'adhésion des collectivités à la démarche ».

Enfin, dans le cadre de son rapport, la Cour des comptes « n'envisage pas que [les collectivités territoriales] soient toutes soumises à une obligation légale de certification, en raison des coûts induits et du faible poids relatif de beaucoup d'entre elles dans le total de la dépense publique locale. Il est toutefois souhaitable de promouvoir une démarche globale de fiabilisation, dont la certification ne serait qu'un des modes opératoires réservé aux entités représentant les enjeux les plus significatifs. Les autres entités ne sauraient être laissées à l'écart. Une palette de formules, allant des modes proposés par la DGFiP jusqu'à la certification annuelle par un commissaire aux comptes, pourrait être proposée aux collectivités, en laissant à chacune la possibilité d'opter pour un mode de fiabilisation plus élaboré que celui auquel elle serait tenue ».

2. Quel scénario retenir ?

Dans l'absolu et pour fixer les idées, trois types de scénarios sont donc envisageables :

- scénario 1 : une certification qui s'imposerait à toutes les collectivités territoriales ;

- scénario 2 : une obligation à laquelle ne seraient soumises que les plus grandes collectivités territoriales, les autres pouvant de manière discrétionnaire y adhérer ou préférer opter pour une autre solution de fiabilisation moins contraignante ;

- scénario 3 : une certification / fiabilisation qui pourrait être mise en oeuvre par toute collectivité territoriale qui le déciderait, mais sans aucune obligation et selon une logique de libre choix.

Choisir entre ces scénarios nécessite de tenir compte de critères objectifs, au premier rang desquels le coût de la certification pour la collectivité territoriale et les contraintes organisationnelles induites. Comme le relève la Cour des comptes, la certification ne présente pas non plus le même intérêt selon la masse budgétaire à auditer et à fiabiliser, ce qui renvoie à un critère relatif à l'enjeu budgétaire.

Par ailleurs, du point de vue de l'organisation territoriale de notre République, le mouvement en direction de la certification et / ou de la fiabilisation des comptes des collectivités territoriales ne doit pas être une occasion d'empiéter, de façon détournée, sur l'autonomie et le principe de libre administration des collectivités territoriales. Cela serait contraire à ce qui est aujourd'hui souhaitable pour les collectivités. En témoigne, les propos du Président du Sénat qui a réaffirmé qu'« il est temps de desserrer les contraintes en redonnant aux collectivités la maîtrise de leurs compétences et en refondant leur autonomie financière. L'enjeu n'est autre que de libérer les énergies locales »31(*).

Dès lors, ces critères fournissent une grille d'analyse permettant d'orienter la préférence entre les trois scénarios évoqués.

À l'évidence, le scénario 1 (l'obligation générale) n'emporte l'adhésion d'aucun acteur, ni du côté des collectivités territoriales, ni de celui de l'État. Trop exclusif et unilatéral, il ne tient en effet pas compte de la diversité de situations des collectivités territoriales. En outre, dans la mesure où le passage à la certification suppose du temps et un accompagnement de la part des services de l'État, ceux-là ne seraient eux-mêmes pas prêts à assumer les conséquences d'un tel scénario en termes de mobilisation d'effectifs ni de soutien technique.

Le scénario 3 préserve la notion de liberté de choix et laisse la plus large marge de manoeuvre aux collectivités territoriales. Pour autant, il n'est pas pleinement satisfaisant, car il comporte le risque d'un relatif enlisement du chantier de la certification / fiabilisation des comptes ou, à tout le moins, d'une avancée ralentie. Or, l'expérimentation a permis une mise en mouvement utile sur laquelle il paraît important de pouvoir aujourd'hui capitaliser, en s'appuyant sur cette première impulsion pour aller plus loin désormais.

Dans cette perspective, le scénario 2 (graduation en fonction de la taille) paraît le plus approprié. Il présente l'avantage de tenir compte de façon satisfaisante de l'enjeu budgétaire relatif à la masse budgétaire certifiée et évite de faire peser une charge financière (coût de la certification) disproportionnée sur les collectivités territoriales de moindre taille, en particulier les petites communes, dont les budgets et les moyens sont déjà particulièrement contraints.

Plus précisément, une déclinaison concrète de ce scénario pourrait passer par une obligation de certification incombant aux régions. La loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral a en effet dessiné un nouveau paysage territorial, en instituant des régions au périmètre géographique souvent élargi. Il s'en est suivi un accroissement du poids budgétaire de beaucoup d'entre elles, leur budget s'élevant à plusieurs milliards d'euros (cf. Annexe 3). Non seulement cette échelle de grandeur justifie une démarche de certification, mais elle permet un lissage acceptable des coûts liés à ce processus.

Il est d'ailleurs significatif de noter que, seule parmi les associations représentantes des collectivités territoriales et de leurs élus, Régions de France n'exprime pas de réserve explicite à une telle obligation. Ce point recèle une importance certaine car, pour entrer en application dans de bonnes conditions, l'obligation de certifier ne doit pas être ressentie comme une punition supplémentaire infligée aux collectivités, mais doit au contraire faire l'objet d'une adhésion suffisamment solide. En tant qu'emprunteuses, les régions trouveront d'ailleurs leur intérêt bien compris dans une certification ajoutant à la qualité de leur signature vis-à-vis de leurs créanciers.

Il convient de souligner que si les associations représentatives ont exprimé des réserves, les collectivités expérimentatrices ne souhaitent pas un retour en arrière. Malgré l'engagement nécessaire au déploiement du dispositif, elles ont toutes relevé les progrès induits par la démarche budgétaire et comptable.

On peut espérer de cette mise en oeuvre au niveau des régions, à valeur d'exemple, un effet vertueux d'entrainement auprès d'autres collectivités territoriales disposant d'une surface financière conséquente. Il faut d'ailleurs remarquer que la ville de Paris, dont le budget s'élève à environ 8,5 milliards d'euros, compte d'ores et déjà parmi les collectivités territoriales expérimentatrices. D'autres grandes villes, intercommunalités ou départements pourraient ainsi souhaiter emboîter le pas des régions, selon des considérations qui leurs seront propres (recherche d'une qualité de signature, volonté de véhiculer une image de modernité, projet de révision de leurs circuits budgétaires et comptables, transparence à l'égard du contribuable...).

Hormis le cas des régions, les autres collectivités territoriales se verraient laisser libres de s'engager, ou pas, dans une démarche de certification ou de fiabilisation. Les différents modes de fiabilisation (cf. Partie I) offrent en effet une gamme de cheminements suffisamment gradués et divers pour répondre à la diversité des collectivités territoriales elle-même.

Proposition n° 1 : faire entrer les régions dans une démarche de certification et inviter les autres collectivités territoriales à s'engager sur la voie de la certification / fiabilisation de leurs comptes, sur la base du libre choix et en fonction de leurs moyens et objectifs.

Délai : dès 2023-2024

Acteur(s) : collectivités territoriales


* 31 Sénat, rapport « Pour le plein exercice des libertés locales - 50 propositions du Sénat pour une nouvelle génération de la décentralisation » (juillet 2020).

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