C. UNE DÉMARCHE PRAGMATIQUE DEPUIS 2017

1. L'échec de l'endiguement normatif par la règle du « deux pour un »

La circulaire la plus récente sur la maîtrise des textes réglementaires et leur impact date du 26 juillet 2017.

Elle introduit notamment la règle dite du « 2 pour 1 », soit la suppression par les ministères de deux anciens textes réglementaires lors de l'instauration d'un nouveau projet de texte.

Cette circulaire part du constat que la maîtrise du flux des textes réglementaires n'a pas produit les résultats escomptés par le passé, l'empilement de normes constituant notamment un frein à la compétitivité des entreprises, et complexifiant l'administration des collectivités territoriales ainsi que le fonctionnement des services déconcentrés et la vie quotidienne des citoyennes et des citoyens.

En complément de la règle du « 2 pour 1 », la circulaire prévoit qu'« en cas d'impossibilité avérée », il convient a minima de procéder à « la simplification d'au moins deux normes existantes ».

Les auditions réalisées dans le cadre du rapport du Conseil économique, social et environnemental, dans le rapport précité, ont mis en doute la pertinence de cette prescription99(*).

Par ailleurs, cette règle n'est applicable qu'au pouvoir règlementaire autonome et a concerné seulement 56 décrets depuis 2017, pour une économie nette de 65,45 millions d'euros.

2. Des efforts dispersés de simplification depuis 2017
a) Des efforts ponctuels de simplification

Plusieurs mesures ont contribué, depuis 2017, à la simplification de l'activité des entreprises.

La plus réussie est incontestablement la Déclaration Sociale Nominative (DSN), émanation du choc de simplification de 2014, devenue obligatoire le 1er janvier 2017 pour l'ensemble des employeurs privés, qui remplace 29 déclarations. Les entreprises ont désormais trois fois moins de données à envoyer à l'administration, qui reçoit 23 millions de bulletins de paie chaque mois100(*).

LE SUCCÈS D'UNE SIMPLIFICATION : LA DSN

Le premier constat lié à la mise en place de la DSN est tout d'abord celui d'une réussite technique : un système d'information solide a été mis en place, garantissant une déclaration dématérialisée réalisée par les employeurs puis transmise de façon sécurisée à l'ensemble des acteurs de la protection sociale à une échelle industrielle. Ce succès est tel que la DSN a dépassé ses limites originelles : d'abord destinée à se substituer aux déclarations sociales obligatoires, elle a permis la mise en place du prélèvement à la source à partir de 2019, mais également la création du dispositif de ressources mensuelles (DRM) qui constitue la pierre angulaire des ambitieux chantiers de modernisation des prestations sociales versées sous condition de ressources (et demain de la solidarité à la source).

Pensée dès l'origine comme une émanation du « choc de simplification administrative », la DSN a été construite pour simplifier les procédures administratives au profit des employeurs, avec l'idée que c'est en simplifiant « à la source » que l'on améliore la qualité des données, avec des effets en cascade de facilitation pour la gestion par les organismes et de sécurisation in fine des droits des individus. La DSN s'appuie donc aujourd'hui sur trois piliers de simplification administrative au bénéfice des employeurs :

Demander aux employeurs les données qu'ils maîtrisent. C'est pourquoi la DSN véhicule les données de la paie, ce qui permet d'améliorer la qualité des données utilisées. Par rapport aux anciennes déclarations, c'est une véritable révolution. Au lieu de demander à l'employeur des données définies d'abord par les consommateurs des données (organismes et administrations), on leur demande d'utiliser les données présentes en paie.

Appliquer le principe « Dites-le nous une fois », qui interdit de solliciter à nouveau l'usager pour lui réclamer une donnée dont l'administration dispose déjà. Concrètement, cela signifie que la DSN applique le principe selon lequel une donnée reconstituable à partir des données déjà en DSN ne doit pas être réclamée à nouveau en DSN.

N'intégrer dans la DSN que des données normalisées, c'est-à-dire des données communes choisies après un travail de rationalisation des usages des organismes destinataires. Le passage de la déclaration annuelle de données sociales unifiée à la DSN a ainsi représenté une baisse importante des données demandées aux employeurs (de 800 à 350).

Grâce à cela, la DSN permet actuellement aux employeurs de ne réaliser qu'un seul type de formalité pour se libérer de 70 formalités101(*), pour recouvrer les cotisations, contributions et impôts, calculer les droits des individus, et alimenter les services de statistiques publiques et de suivi des politiques publiques.

La DSN se traduit donc, pour les employeurs, par un gain de temps lié à l'unification des déclarations mais également à la sécurisation accrue des démarches déclaratives en fiabilisant les données de la paie et en facilitant l'identification et la correction d'éventuelles erreurs. Elle permet également de transmettre directement aux employeurs des éléments calculés par les administrations ou les organismes pour prélèvement à la source ou le taux AT-MP.

Aujourd'hui, la DSN est donc un vecteur majeur de simplification administrative au profit des entreprises et des droits sociaux :

- Adaptation immédiate des modalités pratiques aux situations de crise. Lors de la crise sanitaire du COVID, la DSN a facilité l'attribution des aides aux entreprises tout en maintenant les salariés dans leurs droits. Elle a permis l'adaptation immédiate des paiements de cotisation des employeurs et leur report partiel si besoin, la mise en place de l'activité partielle dans des conditions financières plus avantageuses qu'en période normale, la déclaration par les employeurs d'arrêts maladie pour de nouveaux motifs.

- Gestion de la compensation rapide de l'indemnité inflation et donc la minimisation de son impact sur la trésorerie des employeurs.

- Application par les employeurs des exonérations fiscales et sociales sur les primes exceptionnelles de pouvoir d'achat (PEPA), et les primes de partage de la valeur (PPV) versées depuis 2022 pour la protection du pouvoir d'achat.

- Remontée, depuis le 1er septembre 2022, des taux modulés de la contribution patronale d'assurance chômage des entreprises de 11 salariés et plus relevant des secteurs d'activité dont le taux de séparation moyen est supérieur à 150 % dans le cadre de la réforme du bonus-malus, prévue par le décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019.

D'après une enquête réalisée par l'IFOP en juin 2022 sur un échantillon de chefs d'entreprises et d'experts-comptables, 70 % des interrogés estiment que la simplification des démarches des entreprises a progressé, et 79 % qualifient la mise en place de la DSN comme étant un progrès qui a apporté de vraies simplifications à leurs entreprises.

Source : réponse écrite de la DGE, 31 mars 2023.

La loi n° 2018-727 du 17 août 2018 « pour un État au service d'une société de confiance » (dite « Loi ESSOC ») a reconnu pour sa part :

- un « droit à l'erreur » : droit à rectification, en cas d'erreur commise pour la première fois ou sur demande de l'administration, reconnu sauf mauvaise foi ou fraude et en dehors des questions de santé, de sécurité des personnes et des biens et d'environnement ou d'application du droit européen ;

- un droit au contrôle sur demande dont les conclusions sont opposables à l'administration ;

- des allègements des pénalités fiscales en cas de rectification spontanée ou de régularisation ;

- l'opposabilité des prises de position, même tacites, prises par l'administration lors d'un contrôle ;

- l'extension des procédures de rescrit et d'opposabilité des prises de position de l'administration.

Elle comprend aussi de nombreuses mesures de simplification des formalités, d'allègement des normes et de dématérialisation des procédures dans des domaines divers : l'état-civil, la construction, l'accueil de la petite enfance, la participation de proches aidant aux services à la personne, les enquêtes publiques, les autorisations d'ouvrages de production d'énergie.

La loi PACTE n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises a entendu contribuer à simplifier la vie des entreprises, notamment dans son chapitre premier. La réforme du « Kbis »102(*), lancée le 1er novembre 2021103(*), supprime l'exigence de présentation d'un extrait d'immatriculation par les entreprises dans leurs démarches administratives. Elle est remplacée par la communication à l'administration chargée de traiter une demande du numéro unique d'identification (ou numéro SIREN) délivré par l'INSEE. Ce numéro permet à l'administration de recueillir, par l'intermédiaire du registre national des entreprises (RNE), les données relatives à l'auteur de la demande qui lui sont nécessaires. Alors que les entreprises produisent annuellement 240 000 extraits d'immatriculation au RCS pour les 42 procédures administratives recensées, la suppression de l'exigence de Kbis concerne plus de 200 procédures.

La loi PACTE simplifie également la répartition des 199 seuils d'effectifs applicables aux entreprises en trois niveaux : 11, 50 et 250 salariés, comme indiqué plus haut.

La loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP comme « as soon as possible ») escompte simplifier la vie administrative par des mesures diverses d'adaptation du droit. Son titre III contient ainsi des dispositions relatives à la simplification des procédures applicables aux entreprises.

Une ordonnance n° 2018-474 du 12 juin 2018 harmonise à droit constant les définitions des revenus utilisées pour l'assiette des cotisations de sécurité sociale, de la contribution sociale généralisée et de la contribution à la réduction de la dette sociale.

La facturation électronique est en voie d'être généralisée par l'ordonnance n° 2021-1190 du 15 septembre 2021. À compter du 1er juillet 2024, toutes les grandes entreprises auront l'obligation d'émettre et de transmettre leurs factures de manière dématérialisée. Elles auront l'interdiction d'envoyer les factures par mail. Les TPE/PME, au 1er juillet 2024, ont la seule obligation de recevoir les factures par une plateforme unique.

Une autre réforme financière en préparation pourrait avoir une grande portée : le rapprochement des systèmes de recouvrement en matière fiscale et sociale qui faciliterait les démarches des entreprises. Une mission « France recouvrement » et un service à compétence nationale ont été institués à cet effet par un décret n° 2019-949 du 10 septembre 2019 et, dans un premier temps, une ordonnance n° 2021-1843 a transféré à la DGFiP le recouvrement des accises104(*) sur l'énergie, l'alcool et le tabac. Un portail commun de recouvrement de la DGFIP, des Douanes et de l'URSAFF, « portailpro.gouv.fr », a été ouvert début 2021.

b) Le contournement des seuils, ou la simplification au milieu du gué

Malgré les assouplissements opérés par la loi PACTE de 2019, les charges et obligations nouvelles découlant du franchissement de 49 seuils différents105(*), avant leur réduction, continuent de constituer un « mur » difficile à franchir rendant plus difficile la croissance des entreprises et notamment des PME. Toutefois, il convient de rappeler que, à défaut de seuil associé à une obligation, l'obligation serait applicable à toute entreprise. L'existence d'un seuil limite le nombre d'entreprises soumises à l'obligation.

La réforme des seuils par la loi PACTE devait notamment permettre un abaissement du coût du travail pour les 55 000 entreprises entre 20 et 50 salariés du fait du relèvement des seuils relatifs au fonds national d'aide au logement (FNAL) et à la participation de l'employeur à l'effort de construction. Le coût de ces mesures a été de près de 500 millions d'euros pour les finances publiques. Selon le modèle Mésange106(*), le relèvement de ces seuils, combiné avec la règle de franchissement en 5 ans, était de nature à créer environ 7 000 emplois à long terme.

La mesure est entrée en vigueur au 1er janvier 2020. Son évaluation doit tenir compte du contexte de crise connu par les entreprises en 2020 et 2021.

En outre, et depuis la loi PACTE, plusieurs dispositions législatives ont introduit des mesures conditionnées à un seuil d'effectif, seuil qui n'est pas toujours aligné sur les seuils de 11, 50 et 250 salariés.

Effectif

Mesures

Texte

à partir de 11 salariés

Possibilité à titre expérimental de mettre en place une commission « insertion »

LOI n° 2020-1577 du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée » 

 

MAJ annuelle du DUERP

LOI n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail  

Plus de 20 salariés / max 250

Déduction forfaitaire cotisation patronales sur heures supplémentaires

LOI n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat 

A partir de 50 salariés

Insérer dans les négo salariales obligatoires un volet mobilité ou à défaut l'élaboration d'un plan de mobilité

LOM 2019 

Entre 50 et 300 salariés

Et plus de 300 salariés

Indicateurs environnementaux BDESE

Indicateurs supplémentaires

Décret n° 2022-678 du 26 avril 2022 relatif aux indicateurs environnementaux devant figurer dans la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE)

à partir de 1 000 salariés

Publication annuelle écarts de représentation H/F parmi les cadres dirigeants/instances dirigeantes

LOI n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle

(en orange, seuils dérogeant à l'alignement sur 11/50/250 salariés)

Dans le cadre du troisième rapport du comité d'évaluation de la loi PACTE, publié en septembre 2022, France Stratégie a analysé entre 2018 et 2021 les évolutions du nombre d'entreprises situées juste au-dessus (n ; n+1) et juste en dessous (n-1 ; n-2) des différents seuils sociaux de 11, 20, 50, et 250 salariés, sur la base des données d'effectifs moyens annuels. Il apparaît des effets contrastés :

- Pour le seuil de 11 salariés, l'effet semble nul : les entreprises juste en dessous du seuil restent autour de 51 % plus nombreuses que celles juste au-dessus du seuil depuis 2018.

- Pour le seuil de 20 salariés (fortement remanié par la loi), on constate plutôt un effet positif : une légère baisse de l'effet d'accumulation est observée : les entreprises juste en dessous du seuil sont 28 % plus nombreuses que les entreprises juste au-dessus en 2018 et 2019, elles ne sont plus que 23 % en 2020 puis 21 % en 2021.

- Pour le seuil de 50 salariés, l'effet d'accumulation reste stable avant l'instauration de la loi Pacte, puis diminue à partir de 2019, passant de 26 % d'entreprises plus nombreuses juste en dessous du seuil comparé à celles au-dessus en 2018, à seulement 17 % en 2021. L'effet est donc plutôt positif.

- Autour du seuil de 250 salariés, la volatilité de la dynamique est difficilement interprétable car les entreprises concernées se comptent seulement en dizaines. On peut toutefois noter un possible effet croissant d'accumulation sous le seuil. Donc un effet inverse de celui espéré.

Toutefois ces résultats sont très préliminaires, ils demandent à être confirmés et suivis dans le temps et l'interprétation de ces évolutions doit également être prudente au regard du contexte de crise sanitaire. De plus, dans la mesure où la loi PACTE prévoit qu'un seuil est considéré franchi lorsqu'il l'a été pendant 5 années consécutives, il est encore tôt pour mesurer les effets de la loi.

La Fédération nationale des groupements d'employeurs soulignait, lors de son audition du 18 mars 2021 par la délégation aux Entreprises, la persistance de la difficulté de calculer les seuils pour les groupements d'employeurs, lesquels doivent, chaque mois, calculer quatre effectifs :

1. effectif droit du travail,

2. effectif de la partie 2 du code du travail,

3. effectif « sécurité sociale »

4. effectif pour l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH) pour les seuls salariés permanents.

Une entreprise ayant recours à un groupement d'employeurs doit faire trois calculs d'effectif pour les salariés mis à disposition :

1. effectif des salariés du groupement mis à disposition depuis moins d'un un an,

2. effectif des salariés du groupement mis à disposition depuis au moins un an,

3. effectif OETH.

Les groupements d'employeurs, qui répondent aux besoins de recrutement des entreprises, notamment des TPE et PME, de façon tout à fait efficace et pertinente, sont ainsi confrontés à des complexités administratives inacceptables.

Selon l'article L. 1253-8-1 nouveau du Code du travail issu de la loi du 8 août 2016, pour l'application du Code du travail, à l'exception de sa deuxième partie, les salariés mis à la disposition, en tout ou partie, d'un ou de plusieurs de ses membres par un groupement d'employeurs ne sont pas pris en compte dans l'effectif de ce groupement. Cette disposition appelle quatre remarques.

1/ Une distinction entre salariés mis à disposition et salariés permanent

En premier lieu, l'exclusion des salariés mis à disposition nécessite de faire la distinction entre salariés « permanents » (inclus dans l'effectif), c'est-à-dire ceux affectés à la gestion du groupement et les salariés mis à disposition. Contrairement à la solution retenue pour les entreprises de travail temporaire, le Code du travail ne fait pas cette distinction pour les groupements d'employeurs. Par ailleurs rien ne s'oppose à ce qu'un salarié « permanent » soit également mis à disposition. Le Code du travail le prévoit expressément pour les groupements d'employeurs coopératifs qui peuvent « recruter des salariés soit pour les affecter exclusivement à l'activité de groupement d'employeurs, soit pour les affecter à la fois à cette activité et à ses autres activités » (C. trav., art. R. 1253-38). En cas d'utilisation mixte d'un salarié permanent, le calcul de l'effectif doit se faire au prorata du temps consacré à chaque activité.

2/ Une exclusion dans l'exclusion

En deuxième lieu, il existe une exclusion dans l'exclusion : le législateur a prévu que devait être écartée de la mesure toute la deuxième partie du Code du travail. En effet, la CJUE a jugé que l'article L. 1111-3 du Code du travail, qui exclut les titulaires de certains contrats aidés de l'effectif de l'entreprise, est incompatible avec les articles 2 et 3, § 1 de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne. Selon la CJUE, une telle exclusion a d'une part « pour conséquence de soustraire certains employeurs aux obligations prévues par la directive et de priver leurs travailleurs des droits reconnus par ladite directive », et d'autre part est « de nature à vider lesdits droits de leur substance » en ôtant à la directive son effet utile. Exclure les salariés des groupements d'employeurs de l'effectif en matière de représentation du personnel aurait également été contraire à l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne instituant un droit fondamental à l'information et à la consultation des travailleurs. En 2016 le législateur a ainsi joué la carte de la prudence pour les groupements d'employeurs, pour éviter des conflits. Le calcul de l'effectif s'effectue donc selon les règles de droit commun pour l'exercice du droit syndical, la détermination de la représentativité patronale pour l'application des dispositions issues de la loi du 8 août 2016, les élections professionnelles (comité social et économique), la négociation collective obligatoire lorsqu'un seuil d'effectif est prévu (par exemple 300 salariés pour la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels).

3/ Un seuil d'effectifs différent pour la sécurité sociale

En troisième lieu, l'exclusion n'est applicable qu'aux dispositions du Code du travail qui font référence à un seuil d'effectif. Le Code de la sécurité sociale en est exclu. La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, dite « Pacte », prévoit, depuis le 1er janvier 2020, des modalités de décompte de l'effectif de l'entreprise (donc du groupement d'employeurs) fixées par le code de la Sécurité sociale pour le calcul et le recouvrement des cotisations107(*). On remarquera que certaines dispositions du Code du travail se référant à une condition d'effectif sont calculés selon les modalités du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi Pacte : c'est le cas de la formation professionnelle pour le taux de contribution de 0,55 % applicable jusqu'à 10 salariés inclus.

4/ Un seuil d'effectif différent pour les utilisateurs

L'application de ces règles aux utilisateurs est également compliquée. Pour l'effectif « droit du travail », l'article L. 1111-2 du Code du travail prévoit que le salarié mis à disposition de l'utilisateur par le groupement d'employeur, n'entre dans l'effectif que s'il y travaille depuis un an. En revanche pour l'effectif « sécurité sociale » les salariés mis à disposition n'entrent pas dans l'effectif de l'utilisateur.

Si les difficultés soulevées par la double comptabilisation des salariés mis à
disposition dans le nombre des bénéficiaires de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés du groupement d'employeurs et dans celui de l'entreprise utilisatrice sont désormais résolues, l'article D. 5212-3 prévoyant que les salariés du GE ne sont décomptés que dans l'entreprise utilisatrice et non plus dans le groupement d'employeurs, en revanche le groupement d'employeurs doit toujours inclure dans l'effectif OETH les salariés permanents.

Source : FNGE, 16 mars 2021.

Plusieurs obligations légales en termes de dialogue social, de partage des profits ou encore de comptabilité s'appliquent toujours aux entreprises lorsqu'elles franchissent le seuil de 50 salariés.

Les délais rallongés pour lisser les dépassements de seuils ne font ainsi, pour ETHIC108(*), que « reculer l'inéluctable : au bout de 5 ans dans le meilleur des cas, l'entreprise devrait faire face à une montagne d'obligations et de taxes »109(*), comme : « la création d'un comité économique et social, le quintuplement de la contribution au FNAL, passant de 0,1 % du plafond de la sécurité sociale à 0,5 % de la totalité des rémunérations, la contribution en faveur du logement des salariés, représentant 0,45 % de la masse salariale, la mise en place obligatoire de la participation, l'acquisition de chèques vacances sans exonération de charges sociales, la mise en place d'un local de restauration, l'abondement du compte personnel de formation, la conclusion d'un accord ou l'établissement d'un plan d'action pour la prévention des risques professionnels ainsi que le programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail, la conclusion d'un accord collectif sur l'égalité femmes-hommes, la protection des lanceurs d'alerte... »110(*).

Une note de l'Institut des politiques publiques de mars 2022 montre « qu'une part importante des entreprises sous-déclarent volontairement leur effectif en-dessous de ce seuil et que cela leur permet d'éviter les obligations qui leur incombent. Le respect de la loi en matière de dialogue social ou de partage des profits apparaît ainsi lié à l'effectif que les entreprises déclarent et non à leur effectif réel. Ces résultats illustrent la façon dont le code du travail peut être contourné dans un univers réglementaire complexe et en l'absence de moyens de contrôle suffisants. Ils invitent à réfléchir à la mise en place de modalités de contrôle du respect des lois plus directes et plus efficaces. Ils invitent également à considérer avec prudence les résultats de plusieurs études récentes qui chiffrent le coût des obligations légales au seuil de 50 salariés en supposant qu'elles sont en pratique intégralement respectées. Les entreprises françaises sont beaucoup plus nombreuses à déclarer un effectif de 49 salariés que de 50 salariés dans leur déclaration fiscale. Ce pic à 49 salariés est régulièrement attribué aux obligations supplémentaires qui se déclenchent au seuil de 50 salariés : les entreprises refuseraient de franchir ce seuil - dit “seuil social” - afin d'éviter par exemple d'avoir à installer un comité d'entreprise (désormais CSE à compétence élargie). Cette croissance moindre des entreprises limiterait in fine la productivité et l'emploi. Cependant, lorsqu'on calcule directement l'effectif des entreprises à partir de données administratives portant sur l'ensemble des salariés, le pic à 49 salariés disparaît intégralement. C'est donc l'effectif déclaré par l'employeur et non l'effectif réel qui plafonne à 49 salariés ».

Selon ces économistes, « ce phénomène s'explique par le fait que l'effectif légal est difficile à calculer et n'est pas public, de sorte que le respect de certaines obligations légales dépend en pratique de l'effectif déclaré. Le coût à mal déclarer son effectif semble par ailleurs faible de sorte que les entreprises qui craindraient les obligations légales ont tout à gagner à déclarer un effectif erroné qui leur permet de les éviter. Ces résultats remettent en partie en cause les résultats associant un effet délétère sur la croissance aux seuils d'effectif ».

Pour la CPME111(*), la réforme opérée en 2019 a « permis aux chefs de TPE/PME d'avoir une vision d'ensemble simplifiée de leurs obligations légales en fonction de leur effectif », mais « il est encore compliqué pour un chef d'entreprise de TPE/PME de calculer son effectif. Une simplification et une clarification nette du calcul de l'effectif est nécessaire en dépit de ce qui a été déjà fait sur la question. On peut imaginer la création par l'administration d'un tableur qui permettrait d'expliquer les règles de calcul ainsi qu'un accompagnement plus soutenu de de l'État ».

Cette simplification demeure toutefois insuffisante et elle propose : « de passer à 100 salariés, le seuil actuel de 50 salariés à partir duquel un renforcement massif des obligations s'impose à l'entreprise. L'atteinte du seuil de 50 salariés est une grande inquiétude pour les chefs d'entreprise et freine aussi les projets d'embauche à l'approche de ce seuil. Un pavé d'obligations issues du code du travail s'impose alors au dirigeant de PME. Effectivement, à partir de ce seuil, le chef d'entreprise change de métier. De créateur de valeur pour son entreprise, il passe gestionnaire social de sa structure. Structure dans laquelle il n'y a pas de personnel formé à ces sujets complexes (consultations ponctuelles/récurrentes du CSE, négociations annuelles obligatoires, etc.). Ainsi, à ce seuil, les entreprises ne sont pas encore suffisamment structurées pour faire face à toutes les nouvelles obligations qui s'imposent à elles (même après 5 ans) ».

Réunis le 28 mars 2023 lors d'une table-ronde consacrée à la question des seuils, les autres organisations représentatives des entreprises ont néanmoins fait savoir que, selon elles, les seuils ne seraient plus un sujet si toutes les obligations et procédures « subies » par les entreprises étaient simplifiées. La stabilité législative leur semble prioritaire mais, dans un contexte de réelle simplification des normes applicables aux entreprises.

Par ailleurs, l''obligation de recevoir les membres de la délégation du personnel du Comité social et économique (CSE) « au moins une fois » s'applique aux entreprises de moins de 50 salariés et le CSE doit se réunir tous les deux mois pour celles de plus de 300 salariés112(*). Selon la CPME : « le rythme de l'actualité d'une PME ne nécessite pas un suivi mensuel de ses projets sociaux majeurs et ces réunions finissent par être vidées de leur contenu essentiel avec des ordres du jour dépourvus de substance ». Elle propose donc de : « supprimer les seuils de 50 et 300 salariés dans ce domaine et de prévoir que le CSE se réunisse au moins une fois tous les deux mois et ce, quel que soit la taille de l'entreprise (avec toujours la possibilité de prévoir une deuxième réunion à la demande de la majorité de ses membres). Cette mesure aurait vocation à privilégier la qualité des échanges sur la quantité ».

La simplification des seuils reste donc au milieu du gué.

Il pourrait être proposé d'aller plus loin dans l'alignement des méthodes de décompte des ETP et de prévoir un alignement complet sur la méthode prévue par le code de la sécurité sociale. Un tel alignement aurait l'avantage de réduire la charge de travail pour l'employeur et de  limiter les risques de sous-déclaration. Cependant, des études doivent être menées en amont pour vérifier la pertinence et la faisabilité technique de la méthode prévue par le code de la sécurité sociale pour le décompte (et qui justifient actuellement l'objet de méthodes de calcul ad hoc prévues par le code du travail).

Il paraît plus aisé de simplifier les formules utilisées s'agissant de certains seuils. Par exemple, autour du seuil de 11 ETP, certaines obligations s'appliquent aux entreprises de « moins de 11 salariés », d'autres s'appliquent « à partir de 11 salariés », d'autres encore « jusqu'à 11 salariés » et d'autres enfin « au-delà de 11 salariés ». À droit constant, il pourrait être envisagé d'établir une formule-type pour toute obligation113(*), afin d'améliorer la clarté des textes au regard des formules utilisées. Cette piste nécessitera un important travail de légistique pour reformuler les obligations existantes d'une part, et vérifier que toute nouvelle obligation introduite respectera cette formule-type d'autre part.

En outre, les obligations restent nombreuses pour certains seuils et sont dispersées dans des codes différents. À droit constant, il pourrait être envisagé d'établir des guides à destination des entreprises, retraçant, pour chaque taille d'entreprise, l'ensemble des obligations qui s'appliquent.

Enfin, il pourrait être envisagé d'homogénéiser davantage les seuils sur les seuils pivots de 11 salariés, 50 salariés et 250 salariés. Sur le stock des obligations afférentes à des seuils différents (par exemple : 12 salariés, 40 salariés, 300 salariés), il conviendrait d'envisager une réévaluation du seuil pour l'aligner sur celui de 11 salariés ou 50 salariés ou 250 salariés. Sur les nouvelles obligations introduites, il conviendrait de prévoir un alignement sur les seuils de 11 salariés ou 50 salariés ou 250 salariés, avec, pour l'administration, l'obligation de motiver le recours à un seuil différent. Cette hypothèse impliquerait d'évaluer les conséquences économiques et financières de l'alignement des seuils existants sur ceux de 11 salariés, 50 salariés et 250 salariés car l'abaissement d'un seuil (ex : passer de 300 à 250) entraînerait mécaniquement une augmentation des entreprises soumises à l'obligation ; au contraire, le relèvement d'un seuil (ex : passer de 40 à 50) entraînerait mécaniquement une diminution des entreprises soumises à l'obligation. D'autre part, en recentrant l'ensemble des obligations sur un nombre limité de seuils différents (11, 50, 250), l'effet de seuil sera renforcé (ex : le passage de 10 à 11 salariés entraînerait davantage de nouvelles obligations) : ces effets de seuils renforcés doivent faire l'objet d'une évaluation économique de l'impact sur la croissance des entreprises.

Dans cet objectif, une expérimentation ciblée sur une certaine catégorie d'entreprises ou certains seuils pourrait être conduite par France Expérimentation.


* 99 Notre collègue Marie-Noëlle Lienemann « a émis des doutes quant à l'efficacité de cette mesure en considérant, par exemple, que la suppression de deux normes de faible envergure pour compenser l'édiction d'une norme ayant un large champ d'application, ne satisferait pas à l'objectif de maîtrise normative ». Il lui paraît donc plus efficace de recourir à une évaluation régulière des normes existantes pour les adapter aux évolutions de leur champ d'application. Alain Lambert a qualifié ce dispositif de « gadget », estimant notamment qu'il n'est pas assez ambitieux au regard du poids des normes existantes ».

* 100 « La déclaration sociale nominative ouvre de nouvelles perspectives », DARES 28 avril 2021.

* 101 Consultables :

https://www.net-entreprises.fr/media/documentation/fonctionnalites-dsn.pdf

* 102 L'extrait K ou Kbis permet à un entrepreneur ou une entreprise de justifier son inscription au registre du commerce et des sociétés (RCS) et de prouver son existence légale.

* 103 Date d'entrée en vigueur des décrets n°2021-631 et n°2021-632 du 21 mai 2021 relatifs à la suppression de l'exigence de présentation par les entreprises d'un extrait d'immatriculation au RCS ou au RM dans leurs démarches administratives.

* 104 Impôts indirects sur la vente ou l'utilisation de certains produits, notamment l'alcool, le tabac et l'énergie.

* 105 Les obligations étant très diverses, il n'y a pas vraiment de sens à les additionner car elles ne constituent pas un ensemble homogène : entre l'obligation d'afficher le règlement intérieur et l'obligation de mettre en place un CSE, le coût de transition est très différent pour l'employeur. Par ailleurs, certains seuils correspondent non pas à de obligations nouvelles mais à l'éligibilité à certaines aides.

* 106 Mésange est un modèle macroéconométrique développé conjointement par la DG Trésor et l'Insee, qui permet d'évaluer l'impact de diverses politiques économiques (ici la baisse du coût du travail pour certaines entreprises) dans un cadre bouclé. Voir « Le modèle macroéconométrique Mésange : réestimation et nouveautés » (2017), de Bardaji et al. :

https://www.tresor.economie.gouv.fr/Ressources/File/436147

* 107 L'effectif annuel issu de la mise en oeuvre de ces règles conditionne l'application au 1er janvier notamment, des dispositifs suivants :
- la contribution au Fnal au taux de 0,10 % ou de 0,50 % et par voie de conséquence la formule de calcul de la réduction générale ;
- le forfait social au taux de 8 % sur les contributions patronales de prévoyance complémentaire ;
- le forfait social au titre de l'épargne salariale (intéressement, participation, PEE) ;
- le bénéfice de dispositifs d'exonération liés à l'effectif (déduction forfaitaire patronale pour heures supplémentaires, exonération ZRR, exonération Lodéom) ;
- la périodicité des déclarations et des versements des cotisations à l'Urssaf ;
- la mise en oeuvre de l'interlocuteur unique et le versement en lieu unique ;
- le calcul des taxations d'office, le montant des majorations et pénalités ;
- les dispositions relatives au contrôle sur pièces et à la limitation de la durée du contrôle ;
- la contribution au versement mobilité (avec certaines particularités) ;
- l'épargne salariale (intéressement, participation, PEE) ;
- le bonus-malus des cotisations d'assurance chômage à compter de 2021.

* 108 ETHIC - Entreprises à taille humaine indépendantes et de croissance - est une organisation patronale et un mouvement d'influence représentatif (dont la répartition correspond à celle du maillage des entreprises en France) du tissu entrepreneurial français puisqu'il fédère un écosystème de plus de 300 entreprises de toutes tailles (CAC40, ETI, PME, TPE), issues de tous les secteurs ainsi que 16 fédérations dont 2 confédérations professionnelles et une communauté de 5 000 sympathisants.

* 109 Selon Mme Sophie de Menthon, lors du deuxième petit-déjeuner « La parole aux entrepreneurs » organisé par la délégation aux Entreprises du Sénat le 12 avril 2023.

* 110 « Les effets délétères du seuil de 50 salariés pour les industriels français », commission industrie de ETHIC et Plastalliance.

* 111 Contribution écrite du 5 avril 2023.

* 112 Articles L.2315-21 et L.2315-28 du code du travail.

* 113 Par exemple : « les entreprises de 11 salariés ou plus ».

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