EXAMEN EN DÉLÉGATION

Jeudi 15 juin 2023

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux Entreprises. - L'ordre du jour appelle désormais l'examen du rapport de nos collègues Olivier Rietmann, Gilbert-Luc Devinaz et Jean-Pierre Moga, qui ont eu la lourde tâche de mener à bien une mission d'information sur la simplification des normes et des règles applicables à nos entreprises.

Cette mission s'inscrivait dans la continuité des premiers travaux de la délégation, conduits en 2017 par Elizabeth Lamure et Olivier Cadic. Les difficultés liées à la charge administrative sont si nombreuses et l'impact pour nos entreprises si ample, que nous continuerons à nous attaquer à ce sujet, tant qu'il existera des voies de progrès pour soutenir l'emploi et la croissance. C'est d'ailleurs l'une des missions principales confiées à notre délégation par le Bureau du Sénat.

Nos rapporteurs ont travaillé quatre mois, réalisé de nombreuses auditions et effectué de très instructives comparaisons européennes. Une consultation publique des entreprises a été ouverte sur le site du Sénat en avril dernier et près de 800 réponses ont permis d'enrichir la réflexion.

La France semble très en retard dans la mise en oeuvre d'outils d'endiguement du flux normatif qui pénalise la compétitivité de nos entreprises. Ce dernier est déploré par tous, mais la volonté politique d'alléger ce fardeau est intermittente. C'est dans ce contexte que nos collègues nous présentent ce matin leurs conclusions.

M. Gilbert-Luc Devinaz, co-rapporteur. - Tout rapport parlementaire commence par des constats et un état des lieux. Le premier constat est celui de la prolifération des normes et de leur coût pour les entreprises. Ensuite, si ce constat est largement partagé, su et connu depuis trente-cinq ans, il est toujours sans solution, bien que différentes méthodes aient été utilisées. Enfin, la démarche pragmatique empruntée depuis 2017 connaît certes quelques réussites mais elle laisse largement les PME au bord du chemin.

Le premier constat est le suivant : il existe une accumulation de normes contraignantes auxquels s'ajoutent des normes volontaires, sans même évoquer le droit souple des régulateurs économiques, que nous avons laissé hors du périmètre de nos investigations. Dans une large part, ce processus est le reflet de notre organisation administrative et des attentes toujours plus complexes de la société. Mais si la complexité de la demande de norme est toujours croissante, rien n'interdit d'y répondre par des mesures simples.

Les chiffres donnent le vertige. En vingt ans, entre 2002 et le 1er avril 2023, le stock d'articles législatifs a augmenté de 76 % pour atteindre 93 959 ; et celui des articles règlementaires s'est accru de 56 %, pour s'établir à 253 118. La norme est surtout devenue plus bavarde puisque le nombre de mots utilisés par la loi a crû de 165 % pour culminer à 8 391 807 et celui des décrets de 114 % pour atteindre 5 753 107 mots.

Nul chef d'entreprise n'est censé ignorer les 11 176 articles du code du travail, les 7 008 du code de commerce ou encore les 6 898 du code de l'environnement ! L'adage « nul n'est censé ignoré la loi » est désormais une fiction juridique. Ce dénombrement ne prend pas en compte la lenteur administrative, celle des autorisations, angle mort de l'analyse de la complexité ; ou le coût psychologique de la norme, qui souvent dissuade la création de valeur. La peur de la sanction pénale, très, trop, présente dans le droit de l'entreprise, entrave en effet psychologiquement l'esprit d'innovation. Il n'intègre pas non plus la normalisation volontaire, qui est un atout pour l'entreprise en créant un avantage comparatif.

Le fardeau normatif représenterait chaque année 60 milliards d'euros soit 3 % du PIB. Il existe donc incontestablement un gisement de productivité à notre portée et au bénéfice des entreprises et principalement des PME, car la complexité normative est une entrave à la concurrence et une rente pour certaines professions. La complexité handicape plus lourdement la PME que la grande entreprise, qui a les moyens de la gérer ; elle entrave la croissance de l'ETI.

Deuxième constat : ce fardeau normatif est identifié et dénoncé depuis au moins 35 ans mais sans solution définitive, ce qui pourrait conduire à être modeste dans les préconisations. Nous serons au contraire ambitieux car il faut être radical. Chacun se souvient de l'apostrophe célèbre du président Pompidou enjoignant, en 1966, son gouvernement « d'arrêter d'emmerder les Français ». De même, tout le monde a oublié que chaque Premier ministre a, depuis lors, indiqué dans sa déclaration de politique générale une promesse de simplifier la vie des entreprises.

Le Conseil d'État a joué un rôle de lanceur d'alerte dès 1991, et dans son rapport de 2016, il qualifiait la complexité normative de « menace pour l'Etat de droit », sans que ses avertissements ne portent réellement. Depuis 2012, l'OCDE recommande elle aussi régulièrement d'alléger le stock. Naturellement, alléger la norme ne doit pas être synonyme de recul des garanties pour les salariés ou offrir un blanc-seing à l'entreprise pour faire n'importe quoi. Chaque norme possède sa légitimité et sa justification. Il faut cependant qu'elle soit claire et applicable car si elle ne l'est pas, elle est inutile et ne protège personne.

Depuis ces alertes, on a tout essayé, ou presque :

· avant 2007, des ordonnances pour simplifier le droit européen, pour adopter le droit outre-mer, pour codifier ;

· entre 2007 et 2012, des propositions de lois de simplification ;

· en 2013-2014, un choc de simplification au bilan mitigé, posant une méthode interrompue avant de déployer ses effets ;

· en 2018 et 2022, des lois d'abrogation des lois obsolètes, à l'initiative du Sénat ;

· en 2018, des tentatives de lutte contre la surtransposition des directives.

Le troisième constat a trait à ce qui a été fait depuis 2017 et à ce qui reste à faire. Depuis 2017, une démarche pragmatique est privilégiée, une simplification au fil de l'eau ou plutôt en fonction de certaines priorités : le déploiement des énergies renouvelables (avec la loi du 10 mars 2023), pour relancer le nucléaire (devant le Conseil constitutionnel), pour accélérer les implantations industrielles. On peut citer la simplification inachevée des seuils par la loi PACTE, ou la loi de 2018 pour un État au service d'une société de confiance, la réforme de la Déclaration Sociale Nominative (DSN), celle du Kbis ou encore la facturation électronique.

Mais à côté, que de complexité, par exemple la loi Climat et résilience de 2021 ! On peut également évoquer le « tsunami » des obligations de rapportage en matière de RSE, que redoutent même les grandes entreprises, avec la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), les aides à l'énergie -qui avaient laissé les boulangers désemparés car ils ne rentraient pas dans la bonne case, l'index senior (censuré) qui aurait demandé aux entreprises de récolter des données dont l'administration dispose déjà ou encore la formation des salariés au français (dans le projet de loi immigration pour le moment suspendu), dont l'étude d'impact mesurant la charge pesant sur les entreprises est indigente. Mais notre administration peut faire simple quand elle le veut : les aides pendant la Covid l'ont prouvé.

Pour aller plus loin et simplifier vraiment, nous pointons trois faiblesses. Premièrement, les études d'impact ne jouent pas leur rôle. Conçues initialement pour empêcher la norme, elles la justifient désormais. Le calcul du coût réel pour l'entreprise est méthodologiquement fragile : il n'est jamais corroboré à la réalité, par des enquêtes de terrain. Et personne ne contrôle la qualité de l'étude d'impact qui est souvent dramatiquement insuffisante.

Deuxièmement, la numérisation constitue parfois un prétexte pour ne pas simplifier. Je ne reviendrai pas sur le guichet unique, emblématique de la situation d'une administration dépassée par la complexité qu'elle a elle-même mise en place. Mais des leçons doivent être tirées dans leur dimension d'association des entreprises, sans parler de la nécessité de tenir compte des alertes émanant des acteurs de terrain.

Enfin, la dernière faiblesse concerne une culture administrative insuffisamment à l'écoute des entreprises et qui ne se met pas suffisamment à la place de l'entreprise. Les entreprises et les citoyens voient le nombre de normes augmenter, alors même que le processus cumulatif est ignoré, comme sa dimension psychologique, l'effet « ras-le-bol », perçu par le président Pompidou.

M. Jean-Pierre Moga, co-rapporteur. - Il me revient de présenter brièvement le parangonnage, autrement dit quelques comparaisons européennes qui montrent qu'il est bien possible de mettre en place des politiques de simplification des normes applicables aux entreprises qui sont efficientes, et donc permettre de diminuer considérablement cette charge.

En premier lieu, nous pouvons évoquer l'Europe, car l'Union européenne a très tôt pris conscience du coût de la norme pour les entreprises. De 2007 à 2012, la charge administrative des entreprises découlant de la législation de l'UE a ainsi été réduite de 25 %, soit des économies annuelles estimées à 30,8 milliards d'euros. Aujourd'hui, il existe un pilotage politique de la simplification avec un vice-président de la Commission européenne en charge de ce dossier. Lancé en 2012, le programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT) vise à simplifier et réduire les coûts inutiles. L'Union européenne entend appliquer la compensation de toute charge nouvelle par la diminution d'une charge existante, avec un calculateur de charges administratives. L'analyse d'impact entend tester ses propositions sur les PME, bien que l'UE ne reconnaisse pas, et cela est regrettable, la catégorie des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Un organe indépendant contrôle la qualité des études d'impact. Ce mouvement de simplification devrait être encore amplifié pour accélérer la transition écologique.

Aux Pays-Bas, la simplification fait l'objet de programmes sectoriels à des moments clés de la vie des entreprises, en ayant recours à des PME types. La systématisation du test PME depuis 2019 permet de s'assurer du caractère réalisable et praticable de la norme nouvelle par cette catégorie d'entreprise. Une autorité indépendante donne son avis sur toutes les normes qui impactent les entreprises.

L'Allemagne, en suivant fidèlement les préconisations de l'OCDE, a baissé de plus de 12 milliards d'euros par an les coûts administratifs pour l'économie entre 2006 et 2011. C'est d'ailleurs à ce moment que le modèle économique allemand a décollé. Lorsqu'un ministre veut « faire une loi », le gouvernement fédéral allemand lui demande : « Faut-il vraiment faire quelque chose ? », « Faut-il faire une loi ? », « Les bénéfices attendus sont-ils à hauteur des coûts engagés ? ».

Depuis 2012, un indice du coût de la bureaucratie y est calculé en additionnant le coût de toutes les normes, et trois lois de simplification ont été adoptées. Celles-ci ont néanmoins eu un faible impact, le caractère fédéral de l'État amortissant le processus de simplification. Un Conseil national de contrôle des normes, créé par la loi en 2006, veille à la qualité des études d'impact des normes fédérales et européennes, avec le concours de l'office fédéral de la statistique. Le test PME est obligatoire depuis le 1er janvier 2016.

En Suisse, les tests PME ont été introduits en 1998 et réalisés depuis 2013 par des offices fédéraux. Ils sont obligatoires pour tout projet de loi concernant au moins 10 000 entreprises. Un forum PME, composé en majorité de chefs d'entreprises, analyse tout projet de réglementation occasionnant une charge administrative importante aux entreprises. Un « monitoring de la bureaucratie » publié en février 2023 a conduit le gouvernement suisse à présenter un projet de loi sur l'allégement des coûts de la réglementation pour les entreprises, contenant des prescriptions générales limitant la charge administrative pour les entreprises et prévoyant la création d'une entité de suivi de celles-ci.

En Grande-Bretagne, se débarrasser des normes européennes après le Brexit semble particulièrement complexe et perturbant pour les entreprises, qui ont interrompu le projet, radical d'effacement de la législation européenne : elles préfèrent parfois la complexité à l'insécurité juridique. Si l'on fait abstraction de cette dimension, deux instances oeuvrent à la simplification, depuis 2015. Ex ante, le Better Regulation Executive évalue l'impact de la norme sur les PME et peut conduire à son application différenciée si elle est disproportionnée. Elle les évalue après cinq ans d'application. Ex post, la Law Commission, propose des lois de simplification techniques et consensuelles.

La France est jugée pour sa part comme un très mauvais élève. Ainsi, le Forum économique mondial, qui calcule un indice de compétitivité mondiale particulièrement scruté, plaçait la France au 107ème rang sur 140 pays pour le fardeau administratif dans son dernier classement, en 2018.

De ce tour d'horizon, on peut retenir trois éléments structurants. En premier lieu, la simplification est une politique de long terme mais, pour réussir, elle ne doit pas être un enjeu partisan. Il faut donc établir un consensus partagé entre toutes les parties prenantes. Ensuite, la conception de la norme destinée à l'entreprise doit être constamment inspirée d'un principe simple : comment la PME va-t-elle pouvoir appliquer la norme que j'entends édicter ? ;

Enfin, l'étude d'impact crédible est celle qui est validée par une autorité indépendante. C'est la seule méthode pour contraindre l'auteur de la norme à justifier sa nécessité, à chiffrer son coût avec rigueur, et à expliquer le fait que le bénéfice attendu est supérieur à sa mise en oeuvre dans l'entreprise.

La France est encore loin de ces exigences minimales et notre collègue Olivier Rietmann va désormais vous indiquer les pistes que nous préconisons pour les atteindre.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Après ce panorama européen et cet état des lieux en France, il me revient de vous présenter les sept recommandations issues de ces quatre mois d'auditions, de ces déplacements et visioconférences, sans oublier l'exploitation de la consultation publique ouverte sur le site du Sénat et qui a recueilli environ 800 témoignages d'entreprises. Le verbatim des exemples demandés de l'impact organisationnel des normes sur l'entreprise évoque une « furie administrative » entraînant toujours davantage de « complexité », des « normes complexes, coûteuses et inutiles » créant une inévitable « anxiété permanente » en même temps qu'une « perte de chiffre d'affaires ». Parfois « inapplicables », ces normes démontrant le « fossé -présent entre l'administration - et la réalité ».

La politique de simplification doit donc conduire l'administration à effectuer une profonde révolution culturelle : elle ne peut plus en effet être une démarche descendante, partant des administrations ou des acteurs politiques nationaux, mais doit au contraire être une démarche ascendante qui part de l'utilisateur de la norme pour en faire un « bénéficiaire ». Fondamentalement, l'administration doit faire confiance à ses usagers, particuliers comme entreprises. La sanction ne doit concerner que la fraude, et ne plus être considérée comme un objectif de réussite ou d'efficacité pour l'administration qui contrôle. Ce renversement de perspective permet également d'intégrer le ressenti de la complexité et a le mérite de prendre en compte la dimension psychologique des freins à la liberté d'entreprendre et à l'innovation, qui a une réalité objective.

Notre première recommandation est la suivante : avant de lancer une politique de simplification, il convient au préalable de se doter d'une méthodologie rigoureuse et partagée entre toutes les parties prenantes de l'évaluation, pour identifier et recenser le stock exact de normes actuellement applicables aux entreprises. Cet exercice permettrait de construire un agrégat, afin de mesurer son évolution, facilitant les comparaisons européennes et permettant de fixer un objectif d'allégement de leur poids.

La deuxième recommandation consiste à engager une politique publique de long terme, associant tous les acteurs de la norme : le Parlement, avec une programmation pluriannuelle de la simplification ; le gouvernement avec la discussion de son état d'avancement tous les six mois en conseil des ministres, ce qui permettra au Président de la République de donner l'impulsion nécessaire à cette politique de simplification. Nous proposons de lui rattacher un Haut-commissaire à la simplification, collaborant étroitement, d'une part, avec le Secrétaire général du gouvernement et, d'autre part, avec le Secrétaire général pour les affaires européennes, pour la prévention des surtranspositions de directives européennes. Ce Haut-commissaire sera doté d'un correspondant dans chaque ministère, autorité indépendante ou agence de l'État. Il veillera à la simplification dans l'administration.

Sans associer étroitement les premiers concernés, la simplification n'a aucune chance de réussir. Notre troisième recommandation consiste à associer étroitement les entreprises au sein d'un « Conseil national de la simplification pour les entreprises », où elles seront majoritaires. Autour d'un effectif restreint, cette instance pourra donner un avis public pour chaque projet de loi, d'ordonnance ou de décret créant une charge nouvelle significative pour les entreprises. En cas d'avis négatif, le gouvernement devra transmettre un projet modifié ou des informations complémentaires en vue d'une seconde délibération.

La quatrième recommandation vise à renforcer l'association des entreprises aux normes les concernant. La concertation doit être systématique, car le droit négocié est plus efficace dans le domaine économique qu'un droit imposé, comme le succès de la normalisation volontaire l'a montré. Elle doit se réaliser au stade de l'élaboration même de la décision, au niveau global (aspect macroéconomique), de la branche d'activité (aspect sectoriel) et de l'entreprise (aspect microéconomique).

L'étude d'impact doit pouvoir être discutée, et ce débat nécessite du temps. C'est pourquoi elle doit pouvoir être engagée dès l'annonce d'une norme ou d'une politique publique ayant un impact significatif sur la vie des entreprises. L'étude d'impact doit également concerner les amendements du gouvernement ayant un impact significatif sur les entreprises et être mise à jour au cours de la navette parlementaire.

Un service mutualisé, interministériel, consacré à l'appui des administrations centrales, doit être créé pour évaluer la charge des normes pour les entreprises, et mesurer leurs impacts. Il doit être procédé régulièrement dans les administrations à une revue du stock des normes, des procédures et des autorisations administratives, aux moments clés de la vie des entreprises.

La cinquième recommandation a pour objet d'expérimenter, de tester et d'évaluer les normes applicables aux entreprises. Ex ante, l'expérimentation apparaît particulièrement justifiée pour lever une incertitude sur la pertinence, l'efficacité ou les modalités de mise en oeuvre d'une mesure. Par ailleurs, le recours au « test PME » doit être systématisé pour toutes les normes créant une charge importante pour les entreprises, dans l'objectif de confronter l'étude d'impact théorique de sa mise en oeuvre concrète avec une évaluation grandeur nature sur un panel de textes concernant directement les entreprises. Notre tradition juridique conduit en effet à penser la norme comme applicable à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, pour ensuite, éventuellement, les alléger pour les ETI ou les PME puis exempter de leur application les petites PME ou les TPE. Une démarche ascendante est préférable, afin de construire la norme économique en ciblant prioritairement les PME puis l'adaptant à la taille de l'entreprise. Ex post, une revue régulière du stock des normes pesant sur les entreprises doit être réalisée aux moments clés de leur cycle économique et l'efficacité des normes les plus contraignantes doit être évaluée de façon indépendante.

Selon notre sixième recommandation, l'administration doit produire moins de circulaires et éditer davantage d'informations sur la norme, dans un langage accessible et compréhensible. En effet, les coûts de mise en conformité avec les normes ont tendance à diminuer lorsque les PME se familiarisent avec leurs exigences. Par ailleurs, à de nombreuses occasions, les entreprises renoncent à demander une aide publique car elles ne comprennent pas le vocabulaire utilisé et/ou les procédures exigées par les administrations. La pédagogie de la norme constitue donc un élément indissociable de son acceptabilité. L'administration doit avoir l'obligation d'accompagner et de conseiller les entreprises, avec la création d'indicateurs de performance. Cette pédagogie doit accompagner systématiquement les réformes affectant la vie des entreprises. Les grandes lois et réformes économiques impactant les entreprises doivent faire l'objet de la publication sur les sites internet des administrations d'une Foire aux questions (FAQ), en simplifiant le langage administratif.

Enfin, la septième recommandation est la suivante : dans le domaine économique, le « droit souple » doit alléger le « droit dur ». Le droit souple peut contribuer à enrayer la tendance au droit bavard s'il permet de recentrer le droit dur sur les dispositions qui doivent vraiment relever de lui. Le droit souple ou la régulation garantissent une association des entreprises, et notamment les PME, à l'élaboration de la norme qui les concernent. En conséquence, il améliore la compétitivité des entreprises françaises, puisqu'elle est partagée au niveau international et garantit la pertinence de la norme en prévoyant un mécanisme de péremption de la norme volontaire si elle n'est pas utilisée par les entreprises, car non pertinente ou obsolète. L'option entre le droit dur et le droit souple doit donc être envisagée dès l'étude d'impact, afin de choisir la procédure la plus pertinente entre la norme obligatoire et la normalisation volontaire.

Chers collègues, si vous suivez ces propositions de recommandations, nous pourrons élaborer et déposer rapidement une proposition de loi qui reprendra cette architecture, sachant que l'essentiel des recommandations relève de bonnes pratiques administratives, qui doivent être impulsées par le Premier ministre dans l'ensemble des administrations.

Avec le soutien du président de la délégation aux Entreprises, cette proposition de loi pourra être discutée lors de la prochaine session parlementaire. Il faut donner cette opportunité à nos entreprises d'améliorer leur compétitivité en allégeant un fardeau que nous avons tous contribué à créer.

M. Serge Babary, président. - Je vous remercie.

M. Vincent Segouin. - Ces normes ont le don de m'agacer, particulièrement lorsque je constate qu'elles coûtent 60 milliards à l'économie française. Avez-vous réalisé une évaluation de l'action du Conseil national d'évaluation des normes qui a été mis en place ? Quels résultats a-t-il permis d'obtenir, notamment à la lumière de ses objectifs initiaux ?

Ensuite, ne pensez-vous pas qu'il est inefficace de demander à l'administration de réduire et de simplifier les normes ? En effet, elle a au contraire tendance à les développer. Enfin, je partage votre souhait de mener de vraies études d'impact, afin d'estimer les coûts afférents à une future décision. Malheureusement, nous avons beau le répéter lors de l'examen de chaque loi, elles ne voient jamais le jour. Ne pensez-vous pas que la Cour des comptes serait l'institution la plus indiquée pour gérer l'ensemble de ces questions ?

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Le Conseil national d'évaluation des normes qui a été mis en place en 2013 s'attache aux normes concernant les collectivités territoriales, mais non celles s'appliquant aux entreprises. En son sein, on n'y retrouve que des élus, mais pas des chefs d'entreprise. De notre côté, nous appelons la création d'une instance spécifique pour les entreprises.

M. Vincent Segouin. - Ce Conseil national a-t-il preuve de son efficacité ? Si tel est le cas, ne faut-il pas l'étendre aux entreprises ?

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Il faudrait poser la question à la délégation aux Collectivités territoriales, qui a d'ailleurs publié un rapport récent sur la prolifération des normes applicables aux collectivités territoriales.

Ensuite, quand bien même la volonté de simplification existe, elle n'a aucune chance de se matérialiser si elle n'est pas impulsée au plus haut niveau de l'État. Nous préconisons donc la création d'un poste de Haut-commissaire à la simplification, directement rattaché au Président de la République. Nous favorisons donc une politique publique de simplification, dont l'état d'avancement serait discuté tous les six mois en Conseil des ministres. En effet, lorsque nous avons auditionné Mme Holder, l'ancienne présidente du Conseil de la simplification pour les entreprises, elle nous a expliqué que tant que ce Conseil a eu un lien direct avec le Président de la République, les démarches avançaient rapidement. Mais à partir du moment où il a été placé sous la tutelle d'un ministère ou de Matignon, cela n'a plus été le cas.

Enfin, il ne semble pas forcément pertinent de confier l'évaluation des études d'impact à la Cour des comptes. Ainsi, les exemples européens montrent que les succès ont été liés à la création d'une instance indépendante dédiée. Celle-ci examine tous les projets de loi et de décrets avant de transmettre son avis (favorable, favorable avec réserves, défavorable) aux producteurs de la nouvelle norme, mais aussi au Parlement. En outre, cet avis doit être public. La composition de ce type d'instance est réduite : d'une seule personne en Suisse à un collège de dix personnes en Allemagne. Selon les pays, les avis de l'instance indépendante sont opposables ou non, mais à chaque fois qu'un avis est défavorable, la copie doit être revue par le Gouvernement. Autre exemple, la Commission européenne a mis en place un comité d'évaluation des normes, qui réalise à chaque fois des « tests PME » et des études d'impact avant de rendre son avis.

La semaine dernière, j'ai posé des questions à Olivia Grégoire avec des exemples précis. On considère ainsi que l'étude d'impact est obligatoire pour un projet de loi en France. Néanmoins, l'étude de l'impact, pour les entreprises, de l'index senior, introduit dans la loi sur la réforme des retraites a été qualifiée de « sans objet ». Comment peut-il en être ainsi ?

En résumé, l'instance doit être indépendante, composée d'un collège et d'un service administratif et elle doit disposer d'un réel pouvoir. En général, les personnes y sont désignées ou élues pour quatre à six ans, avec possibilité de renouveler le mandat. Les entreprises doivent y être représentées fortement, au même titre que l'administration.

M. Gilbert-Luc Devinaz, co-rapporteur. - Nous n'avons pas d'autre choix que de passer par l'administration, puisque cette autorité n'existe pas et qu'elle doit donc être créée. Cependant, il ne faut pas tout mettre sur le dos de l'administration, qui ne fait qu'appliquer les normes votées par le législateur. C'est la raison pour laquelle les études d'impact sont primordiales.

Ensuite, il existe effectivement un certain état d'esprit dans l'administration, qui pourrait être revu au cours de la formation des fonctionnaires. Il s'agit de faire en sorte que l'administration et ses agents se mettent à la place de leurs interlocuteurs, qu'il s'agisse des entreprises ou des citoyens. Durant ma carrière, j'ai dû m'occuper pendant quatorze mois du fonds régional d'aide au transport, au moment où les entreprises françaises devaient mettre en place les normes ISO. Un de mes collègues avait la charge du fonds régional d'aide au BTP et il passait beaucoup trop de temps sur des dossiers, alors même que les subventions en jeu étaient très modestes. Pour ma part, je procédais différemment : issu d'une culture de gestion analytique, j'avais calculé le coût de l'instruction d'un dossier pour déterminer le temps que je devais y consacrer, afin de ne pas dépenser plus en coût que le montant de la subvention.

Dans le domaine de la simplification, l'Europe du Nord progresse plus vite que l'Europe du Sud. Quand je me suis rendu sur place, j'ai bien compris que les Néerlandais souhaitaient que la France adopte la même organisation qu'aux Pays-Bas ou en Allemagne, afin de susciter un effet d'entraînement pour les pays du sud de l'Europe. Aujourd'hui, le système hollandais est très perfectionné, au point de pouvoir porter une évaluation non seulement sur leurs propres lois, mais aussi sur les réglementations issues de l'Union européenne.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Je confirme la nécessité de disposer d'une instance indépendante dédiée. Il faut à la fois travailler sur les flux, mais aussi sur les stocks. Aujourd'hui, 400 000 normes pèsent sur les entreprises ou les citoyens. Il faut faire le ménage.

M. Jean-Pierre Moga, co-rapporteur. - Les commissions que nous avons étudiées sont assez légères. Elles arrivent à travailler rapidement et émettre des avis qui peuvent entraîner une réécriture des propositions, lorsqu'ils sont défavorables.

Il est vrai qu'en tant que législateur, nous contribuons à l'alourdissement des normes, lorsque nous multiplions les amendements. Tout le monde doit donc balayer devant sa porte. J'ai le sentiment que si l'administration est tout à fait consciente du problème, elle ne met pas en place les remèdes pour le moment.

Mme Annick Billon. - Je siège à la délégation aux Entreprises depuis 2014. Depuis cette date, nous parlons toujours de ce sujet, sans réussir véritablement à proposer des mesures de nature à inverser la tendance. Vos constats méritent d'être largement partagés : on n'a pas conscience de la profusion de textes dont nous sommes en partie à l'origine. Certains ont quand même intérêt à ce que la norme progresse : dans les secteurs des collectivités ou des entreprises, des cabinets prospèrent sur cette inflation normative. Il serait donc intéressant que la culture de lutte contre cette inflation soit partagée par les politiques, les entreprises, l'administration et le grand public.

Comment, selon vous, opérer cet électrochoc ? Ensuite, vous recommandations portent essentiellement sur des bonnes pratiques, en dehors de ce Haut-commissaire. Pensez-vous que certaines mesures pourraient être inscrites dans la loi afin d'influencer ce changement de comportement ? Parmi vos recommandations, quelles sont les trois mesures clefs qui permettront enfin de mener à bien la simplification de la norme ?

M. Michel Canévet. - Je souhaite m'assurer que l'autorité indépendante envisagée ne soit pas une autorité administrative indépendante supplémentaire, dont nous déplorons le nombre croissant et qui conduisent à dédouaner l'administration de l'exercice de ses propres responsabilités. Ensuite, à l'heure ou l'une des louables priorités porte sur la décarbonation, ne craignez-vous pas que des normes supplémentaires viennent entraver le fonctionnement des entreprises ?

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - La multitude d'auditions que nous avons menées montre qu'il ne faut pas attendre pas un « Grand Soir » de la simplification. La simplification est un travail de fond, qui se mène au quotidien, sur le long terme. La mise en place de ce Haut-commissaire et l'établissement d'un point d'étape tous les six mois en Conseil des ministres permettraient précisément d'assurer un suivi régulier. Il ne s'agit pas de mettre en place une administration supplémentaire, mais d'impulser une volonté politique.

Ensuite, il est exact que nous participons tous à cette complexité. Par exemple, il m'est déjà arrivé d'aller voir un collègue dans l'Hémicycle pour lui dire que son amendement allait entraîner une plus grande complexité pour les entreprises sans pour autant générer plus de richesse.

Par ailleurs, dans le registre du bon sens, le vocabulaire employé par l'administration doit être compréhensible. Pour y parvenir, cette administration doit être familiarisée avec le monde de l'entreprise, pour éviter les suspicions et les a priori.

Enfin, l'entreprise doit être associée à toutes ces instances et toutes les décisions, afin d'améliorer l'acceptabilité de la norme. En quelque sorte, l'entreprise doit être co-constructrice de la norme et nous devons décloisonner le travail en silo, ici comme ailleurs.

M. Gilbert-Luc Devinaz, co-rapporteur. - Il faut associer l'entreprise, mais au-delà, l'ensemble des acteurs. C'est la raison pour laquelle nous évoquons la création d'un Haut-commissaire qui pourra agir en ce sens. En outre, la clarification du langage employé doit effectivement être au coeur des préoccupations. Par exemple, le langage de la justice n'est pas toujours intelligible.

Hier, je suis intervenu au sujet de la pollution aux alkyls perfluorés et polyfluorés (ou PFAS selon l'acronyme anglais), des molécules toxiques et persistantes, identifiée autour de sites chimiques dans la région lyonnaise. Plus de 100 000 personnes sont ainsi empoisonnées en ce moment par ce produit. Le directeur de l'usine Arkema nous répond qu'il n'y a pas de normes à ce jour. Il faudrait donc bien en établir, dans ce cas précis.

Je souhaite également revenir sur la question de la décarbonation. Dans mon secteur, je suis agréablement surpris de la vitesse à laquelle nos entreprises intègrent cette nécessité, pour des raisons économiques, mais aussi culturelles, générationnelles. Je pense par exemple aux ciments Vicat et aux entreprises de Vallée de la Chimie du département du Rhône. Le système que nous proposons consiste bien à discuter de la norme au préalable avec les premiers intéressés plutôt que de l'imposer.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Les chefs d'entreprises ne sont pas allergiques à la norme quand elle permet de développer des marchés et de générer de la richesse. En revanche, ils sont allergiques à la norme pour la norme, à la norme « normative ».

M. Jean-Pierre Moga, co-rapporteur. - Je partage les propos de mes deux collègues. Cependant, nous nous rendons compte des modifications du climat : tout le monde comprend qu'il faut changer les habitudes et pratiques. Pour y parvenir, de nouvelles normes doivent être établies et elles seront d'autant plus acceptées qu'elles seront partagées. Dans ce domaine, la pédagogie est essentielle. D'ores et déjà, les entreprises que je rencontre en sont conscientes et certaines d'entre elles mettent en place leurs propres normes avant même qu'on ne leur impose. Les études d'impact doivent également se concentrer sur l'acceptabilité des normes par les petites entreprises. En effet, si les petites entreprises peuvent les mettre en oeuvre, les grandes le pourront également.

Mme Marie-Christine Chauvin. - Les entreprises ne sont pas opposées aux normes mais elles sont allergiques aux surtranspositions. Il faut donc que les services de l'administration soient aux côtés et au service des entreprises, pour les aider à concrétiser leurs projets, dans le respect des normes.

Je souhaite également revenir sur notre mission parlementaire de contrôle. Certes, la loi votée est parfois très bavarde, mais les décrets d'application viennent rajouter une couche de complexité supplémentaire. Il faudrait contrôler le respect, par les décrets, de la volonté du Parlement.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Nous partageons totalement ce point de vue. Nos préconisations prônent ainsi un contrôle ex ante et ex post. Ensuite, une meilleure communication est également essentielle. Par exemple, 85 % des chefs d'entreprise ne connaissent pas le « pacte Dutreil », de même que de nombreux experts-comptables qui les conseillent.

Il existe depuis huit ans le service appelé « France expérimentation », un dispositif qui permet de lever des blocages juridiques entravant la réalisation de projets innovants, grâce à la mise en place de dérogations, à titre expérimental, pendant trois ans. Ces dérogations font l'objet de contrôles.

Nous avons échangé avec un directeur de France Stratégie, structure dépendant de Bercy, qui partage notre point de vue sur la mise en place d'une instance indépendante de contrôle, d'évaluation et d'étude d'impact. Malheureusement, il n'a pas réussi à convaincre son ministère de tutelle et il en appelle au législateur pour modifier la donne. Nous devons donc agir et nous aurons besoin du soutien de tous sur ce sujet.

M. Serge Babary. - Je remercie chacun pour les travaux et commentaires effectués. Vous avez évité l'écueil qui consistait à s'attaquer au stock et qui aurait conduit à une tétanie. La mise en place d'instances pour réguler le flux permettra ensuite, à terme, de s'attaquer au stock.

Il s'agit désormais de porter le message. Une conférence de presse est organisée à 14 heures 30 cet après-midi et nous devrons ensuite porter le sujet auprès des ministres. Nous avons reçu une écoute attentive de la part d'Olivia Grégoire. Nous allons également contacter le ministre de l'Industrie et alerter le Président du Sénat, qui sera intéressé pour faire le point sur ce sujet, à l'issue de la parution de votre rapport.

Il me revient de vous soumettre son adoption.

Le rapport est adopté à l'unanimité.

Je vous demande maintenant votre accord pour permettre sa publication.

En l'absence d'opposition, la publication du rapport est décidée..

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