D. METTRE EN PLACE UNE VÉRITABLE STRATÉGIE DE L'INNOVATION

1. Inscrire les financements et dispositifs de soutien dans une stratégie globale et cohérente
a) Une vision trop « techno push » et linéaire de l'innovation

De nombreux intervenants ont insisté sur une vision française de l'innovation éloignée de la réalité. La France a une vision trop « techno push » 91 ( * ) de l'innovation. Comme l'a fait remarquer Didier Roux, les « grands groupes industriels - les "entreprises d'ingénieurs" - ont tendance, de façon erronée, à vouloir mettre sur le marché ce qui a été conçu par leurs ingénieurs et qui fonctionne. Or ce n'est pas parce qu'un appareil fonctionne qu'il correspond à un besoin du marché ». 92 ( * ) Dans les faits, la nouvelle connaissance issue de la recherche n'est pas forcément le moteur de l'innovation et celle-ci commence très souvent par l'hypothèse que fait une entreprise sur un marché non satisfait. Une grande partie des innovations proviennent de l'usage du produit ou service (modèle « market pull ») 93 ( * ) .

Cette vision « techno-push » de l'innovation a conduit les pouvoirs publics à réduire celle-ci à la recherche et développement et à développer une vision linéaire de l'innovation basée sur les TLR ( Technology Readiness Level ou niveau de maturité technologique). Or « le modèle linéaire et séquentiel qui débuterait par la recherche fondamentale, qui passerait le relais au développement appliqué, puis à l'ingénierie, à la production, au marketing et à la vente n'existe pas » 94 ( * ) . L'innovation serait plutôt un « modèle de liaisons en chaîne » 95 ( * ) ou « une succession de spirales capitalisant le progrès des connaissances selon un calendrier difficilement prévisible » 96 ( * ) .

b) Des financements par appels à projets qui ne favorisent pas l'élaboration d'une politique d'innovation efficace

Cette vision livresque de l'innovation a eu plusieurs effets pervers. Jusqu'à récemment, elle a conduit à soutenir l'innovation essentiellement au travers d'appels à projets fragmentés dont la durée était incompatible avec le temps long nécessaire à l'innovation .

Comme l'a fait remarquer Bruno Sportisse 97 ( * ) , la vision française de l'innovation a fait « croire que mener une politique d'innovation et affirmer des choix stratégiques peuvent se faire en multipliant les appels à projets. Ces AAP peuvent soutenir la recherche bottom-up mais non construire des feuilles de route industrielles et technologiques » .

Stéphane Siebert a enfoncé le clou : « les appels à projets sont ponctuels, avec des montants et durées limités. Or un important programme technologique est onéreux et exige du temps et de la continuité. Ainsi, le programme de développement des technologies dans le domaine des semi-conducteurs, qui explose actuellement à l'échelle internationale, a été initié il y a 25 ans. Faire un AAP sur cette question est hors sujet... Il est indispensable, en matière d'appels à projets, d'équilibrer les volets programmatiques, contractualisés et inscrits dans la durée, et les volets plus ponctuels, portant sur des objets dont le périmètre est plus réduit et pouvant être menés plus rapidement » 98 ( * ) .

En outre, la gouvernance de la politique d'innovation a été éclatée entre plusieurs ministères et plusieurs agences, ce qui a affaibli la cohérence interne de la politique de l'innovation .

Selon Bruno Sportisse, l'organisation de la politique d'innovation au travers d'appels à projets a également les inconvénients suivants : « Aucun acteur n'a à prendre la responsabilité de l'exécution opérationnelle et de la garantie des résultats. » En outre, « cela renforce la culture de recherche de financement et non de l'impact ». In fine , « cela entraîne des comportements de type : "take the money and run" ». 99 ( * )

Les investissements réalisés dans le domaine des énergies renouvelables illustrent cette problématique. Le comité de surveillance des investissements d'avenir 100 ( * ) a regretté que l'ensemble des énergies renouvelables aient été financées de manière indifférenciée, sans qu'un arbitrage technologique ait été réalisé au préalable, fondé sur une analyse des capacités d'industrialisation, des analyses de marché ou sur la stratégie énergétique de la France.

La politique d'innovation française donne ainsi le sentiment d'une superposition de briques successives qui ne permettent pas de construire un mur en l'absence d'un architecte ayant dessiné le plan et contrôlant sa bonne exécution .

c) Une profusion d'instruments qui nuit à la lisibilité de la politique d'innovation

Au-delà de la multiplication des appels à projets, la politique de soutien à l'innovation s'est traduite par une inflation des dispositifs . En 2016, la commission nationale d'évaluation des politiques publiques 101 ( * ) rappelait que leur nombre était passé de 30 à 62 entre 2000 et 2015 et concluait : « [La multiplication des instruments] pose cependant un problème d'allocation des moyens et de pilotage : il est difficile de penser que l'État a la capacité de piloter de manière cohérente un ensemble de 62 dispositifs. »

Le dispositif de soutien à l'innovation finit par devenir illisible pour les bénéficiaires potentiels qui peinent à s'adapter à une succession trop rapide d'instruments trop nombreux .

L'une des principales conséquences de la complexité de l'écosystème français de soutien à l'innovation est un manque de recours aux aides et dispositifs existants par des entreprises innovantes pourtant éligibles , comme l'indique Anne Lauvergeon, co-présidente de la commission innovation du Medef : « C'est un élément qui nous rapproche beaucoup de la CPME : 80 % des aides à l'innovation vont à 20 % des entreprises françaises, c'est-à-dire que beaucoup de PME considèrent que ces aides ne leur sont pas destinées. Toute complexité supplémentaire ne ferait que les écarter encore un peu plus. Pour attirer des PME, il faut leur montrer que ce monde est aussi le leur, en simplifiant encore plus le système » 102 ( * ) .

En revanche, certains acteurs s'organisent à cette fin et tirent profit de la multiplicité des canaux de soutien. Cette pratique n'est pas condamnable en soi, mais elle peut s'accompagner d'un détournement des objectifs de l'action publique, qui, au lieu d'orienter les comportements, peut favoriser les chasseurs de primes .

Bruno Bonnel s'en est inquiété lors de son audition : « Beaucoup de personnes, notamment des consultants, sont à l'affût, dès que nous publions un appel d'offres. En parallèle, sur certains dossiers récurrents, on observe que 60 % des mêmes acteurs reçoivent les budgets : il faut absolument casser cette logique » 103 ( * ) .

d) Une politique de l'innovation encore trop marquée par le saupoudrage

L'innovation dans le secteur des deep tech non seulement exige des moyens financiers massifs en raison des coûts élevés des outils de production, mais ces derniers doivent être mobilisés rapidement dans la mesure où la création de valeur se concentre sur les acteurs les plus avancés selon l'adage « the winner takes all » . Compte tenu des capacités financières limitées de la France, « il faut donc choisir et renoncer » comme l'a indiqué Franck Mouthon 104 ( * ) , président de France Biotech.

Or la France a du mal à mettre en pratique cette stratégie, comme en témoignent les deux exemples suivants.

Évoquant la sélection des projets de maturation dans le domaine de la santé, Franck Mouthon a regretté qu'« en France, nous nous inscriv[i]ons souvent dans une dimension de transfert de technologie avec une volonté chiffrée de "créer de la boîte" : on éparpille les actifs et on ne consolide pas les portefeuilles. ...] Ne vaut-il pas mieux financer un gros projet que trois petits et se concentrer sur la valeur et la maturité d'un projet pour attirer des financements précoces, en particulier dans la phase d'amorçage ? Il faut en effet être rapide dans les tours de table pour pouvoir faire face à la concurrence américaine ou allemande » .

Le nombre élevé de stratégies d'accélération 105 ( * ) retenu par le Gouvernement dans le PIA 4 soulève également des interrogations. Conscients que les trois premiers PIA couvraient un nombre trop élevé d'actions, les pouvoirs publics ont missionné en 2019 une commission d'experts pour identifier 5 à 10 marchés émergents à forts enjeux de compétitivité. 22 marchés émergents ont été identifiés dont 10 prioritaires sur lesquels la France a le potentiel pour jouer le rôle de leader. Ce rapport a servi de base à la définition des stratégies d'accélération. Toutefois, à l'heure actuelle, 16 stratégies d'innovation ont été retenues et 2 sont en cours d'élaboration. Cette inflation des stratégies d'accélération interroge sur la capacité réelle à concentrer les moyens de soutien public sur un petit nombre de priorités .

e) Une évaluation à la fois trop pesante et inefficace

Marquée par une forte aversion au risque et la peur de se tromper, la politique de l'innovation en France se caractérise par une culture de l'évaluation théorique ex ante , qui a été largement critiquée par l'ensemble des intervenants.

D'abord, le formalisme attaché à l'élaboration des appels à projets et au processus de sélection fait perdre un temps précieux et pénalise la France face à des concurrents plus agiles . André Loesekrug-Pietri a ainsi expliqué avoir créé son association par réaction à cette lenteur des administrations, dont les méthodes sont « à l'inverse de ce qu'il faut faire » : « Les appels à projets durent jusqu'à 18 mois, dans un monde où la plupart des cycles technologiques durent de 3 à 9 mois. On peut avoir raison quand on lance l'appel mais on a souvent tort à son issue » 106 ( * ) .

Ensuite, l'excessive bureaucratie à laquelle sont soumises les réponses aux appels à projets tend à privilégier les grosses structures, qui disposent des compétences en interne ou peuvent faire appel à des consultants pour la rédaction des dossiers au détriment de start-up ou de PME, alors même que les projets de ces dernières peuvent s'avérer plus innovants .

Enfin, par souci d'impartialité, il est souvent fait appel à des jurys internationaux pour sélectionner les projets, ce qui peut conduire nos chercheurs et nos entreprises à dévoiler leurs projets auprès de leurs concurrents.

Globalement, l'utilité de l'évaluation ex ante paraît limitée dans la mesure où elle reste très théorique. La priorité devrait donc plutôt porter sur l'évaluation ex post des investissements réalisés et leur impact socio-économique .

L'ensemble des intervenants ont été unanimes pour estimer que l'évaluation ex post était au pire inexistante, au mieux peu significative faute d'indicateurs de suivi des impacts permettant aux instances de gouvernance de disposer de données chiffrées. Par ailleurs, tous ont souligné la difficulté à effectuer des réorientations de l'action en cas d'échec significatif de certains projets soutenus . Une autre critique émise par le comité de surveillance des investissements dans le rapport précité porte sur l'absence de démarche méthodologique coordonnée des évaluations, de sorte que les résultats peuvent difficilement être agrégés . Les évaluations ne permettent donc pas aux pouvoirs publics de bénéficier d'une analyse d'impact transverse au niveau des grandes priorités des PIA (impact global sur le développement durable, sur l'industrie, sur le numérique...).

2. Définir une politique globale et cohérente de l'innovation
a) Intégrer la dimension territoriale

Visant d'abord l'excellence scientifique et technologique, les politiques d'innovation menées au travers des deux premiers PIA n'ont pas cherché à favoriser le développement d'écosystèmes territoriaux . Au contraire, elles ont contribué à renforcer les avantages comparatifs des régions déjà les mieux dotées en capital scientifique et technologique, en particulier l'Île-de-France.

Toutefois, la prise de conscience de l'ancrage territorial de l'innovation a modifié le regard des pouvoirs publics sur la nécessité de créer un cadre favorable à l'émergence et la consolidation d'écosystèmes sur tout le territoire .

Compte tenu de leurs compétences dans le domaine économique 107 ( * ) , en matière d'enseignement et de recherche 108 ( * ) ou encore de formation professionnelle 109 ( * ) , les régions ont un rôle fondamental à jouer dans le développement et la spécialisation des écosystèmes 110 ( * ) .

Tout au long des auditions, l'échelon régional est apparu comme le niveau pertinent pour favoriser l'innovation : les régions ont une taille critique leur permettant d'avoir une force de frappe suffisante dans le domaine économique, tout en demeurant proches de leur territoire, dont elles connaissent le tissu économique, les centres de recherche, les établissements d'enseignement - bref, l'ensemble de l'écosystème.

Aussi, de nombreux intervenants ont insisté sur la nécessité de laisser aux régions plus d'autonomie, à l'instar d'André Loesekrug-Pietri qui a exhorté les pouvoirs publics à « adopter une vision beaucoup plus décentralisée et plus proche des écosystèmes » 111 ( * ) .

À cet égard, il convient de saluer les initiatives de la Banque des territoires qui visent à « stimuler les écosystèmes économiques qui engendrent l'innovation, la reçoivent et transforment la recherche-développement en une réalité économique, industrielle ou sociale » 112 ( * ) .

L'intégration de la dimension territoriale dans la politique d'innovation nationale a donc vocation à favoriser une logique « bottom up » de l'innovation dans laquelle chaque région est amenée à prendre en main son destin industriel et innovant .

Inversement, l'approche territorialisée de l'innovation peut renforcer l'efficacité d'une approche plus dirigée de l'innovation au niveau national . Comme l'a fait remarquer Nicolas Chung, directeur de la mission PIA à la Banque des territoires 113 ( * ) , via sa politique d'accompagnement des écosystèmes territoriaux, la Banque des territoires dispose d'une cartographie précise des secteurs d'activité des start-up, des domaines de recherche des laboratoires ou encore des cursus de formation pour ne citer que ces trois exemples . Ces informations s'avèrent indispensables pour arrêter une politique stratégique au niveau national telle que la sélection des secteurs prioritaires sur lesquels focaliser des soutiens massifs à l'innovation, mais également pour proposer des collaborations entre des partenaires potentiels qui s'ignorent.

b) Mettre en oeuvre une approche « holistique »

Compte tenu du caractère non linéaire de l'innovation, toute politique visant à la soutenir graduellement, au fur et à mesure de la montée du projet dans l'échelle TRL, est vouée à l'échec. Dès le départ, il convient de combiner les dispositifs de soutien à des projets en amont avec une capacité à appuyer les phases aval d'industrialisation .

Comme le rappelait le rapport ayant préparé la mise en oeuvre des stratégies d'accélération, la « condition d'efficacité d'une telle politique verticale d'accélération est de déverrouiller chaque maillon de la chaine d'innovation conjointement » 114 ( * ) .

Concrètement, il s'agit d'être capable de formaliser des feuilles de route partagées avec tous les acteurs publics et privés des filières concernées, afin de renforcer le cadre stratégique des actions envisagées et de fonder lesdites feuilles de route sur des orientations clairement assumées concernant les futurs usages à cibler. Une telle approche a l'avantage de mobiliser les écosystèmes autour d'objectifs clairs et alignés avec les besoins prospectifs des marchés .

Une approche « holistique » de l'innovation exige également d'harmoniser la politique d'innovation avec les autres dispositifs publics au niveau national . Comme l'a fait remarquer Antoine Le Roux, directeur général de l'administration de la région Rhône-Alpes chargé de l'innovation, « il faut rapprocher les politiques publiques du développement économique de celles de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et de celles de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle » 115 ( * ) .

D'autres coordinations peuvent être nécessaires, telles que la levée des verrous réglementaires pour le déploiement de certains prototypes ou pour la mise sur le marché de médicaments innovants, l'évolution du cadre fiscal pour favoriser l'innovation ou encore la commande publique. À cet égard, votre mission d'information regrette que les stratégies d'innovation financées par le PIA 4 n'aient pas intégré, lors de leur élaboration, cette composante dans leurs feuilles de route 116 ( * ) .

Le lancement du PIA 4 s'est accompagné d'une réforme profonde de la gouvernance de la politique d'innovation qui devrait encourager une approche « holistique » . Un comité interministériel de l'innovation a été créé : présidé par le Premier ministre, co-présidé par le ministre de l'économie et des finances et de la relance, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche, et de l'innovation, composé de six ministres, de l'ensemble des administrations concernées (SGPI, DGE, DGRI), de deux opérateurs (ANR et Bpifrance) ainsi que de six personnalités reconnues pour la richesse de leurs expériences et leur vision en matière d'innovation, ce conseil a pour mission de fixer les priorités stratégiques de la politique d'innovation française .

Par ailleurs, l'attribution au SGPI de la présidence du comité exécutif du comité interministériel transforme ce dernier en coordinateur de la politique d'innovation dirigée de l'État .

c) Coordonner la politique de l'innovation avec les autres dispositifs publics au niveau européen

L'Union européenne est devenue un acteur majeur dans le soutien à l'innovation.

Le programme « Horizon Europe » est le neuvième programme-cadre de recherche pour la recherche et l'innovation . Il dispose d'un budget de 95,4 milliards d'euros destiné aux activités de la recherche et de l'innovation pour la période 2021-2027 dans toute l'Europe . En outre, a été créé le Conseil européen de l'innovation (EIC) . Cette agence de l'innovation européenne est dotée d'un budget de 10 milliards d'euros et a vocation à financer la recherche sur des technologies émergentes, mais également un projet pilote d'accélérateur et un fonds dédié de 3 milliards d'euros afin d'accélérer le développement des PME et start-up innovantes.

Au-delà des programmes-cadres européens de recherche et d'innovation, l'Union européenne a multiplié les plans d'investissement visant, notamment, à soutenir la R&D et l'innovation : plan d'investissement pour l'Europe 117 ( * ) de 2015, prolongé par le plan InvestEU en 2020, plan NextGenerationUE 118 ( * ) .

Afin de pouvoir profiter de cette manne financière, une articulation plus efficace entre les programmes nationaux et les programmes européens est souhaitable . En particulier, la coordination nationale concernant la construction des programmes cadres européens, à la fois dans les phases de définition, de négociation, et de lobbying doit être très nettement améliorée . Selon Jean-Luc Beylat, membre du bureau de la commission « innovation » du MEDEF, « les plans de filière français, à quelques exceptions près, n'ont pas d'équivalent à l'échelon européen ». Nous devrions prendre exemple sur les Allemands qui « parviennent même à structurer les projets européens en fonction de leurs dynamiques propres de filière : l'industrie 4.0, dont tout le monde parle aujourd'hui, vient d'un projet allemand » 119 ( * ) .

Concrètement, cela signifie que les opérateurs français en matière de recherche doivent être plus présents en amont dans la définition, au niveau européen, des orientations et de la nature des appels à projet afin d'assurer leur articulation avec la stratégie nationale de recherche et d'innovation .

Il semblerait que la leçon ait été retenue pour la création du conseil européen pour l'innovation. Non seulement la France a été à l'initiative de ce projet, mais elle s'est fortement impliquée dans sa conception et sa mise en oeuvre à travers le directeur de l'Inria, qui fait partie du conseil d'administration. Lors de son audition, celui-ci s'est félicité que « les start-up françaises so[ie]nt les premières bénéficiaires des programmes de l'EIC » 120 ( * ) .

3. Soutenir une gouvernance resserrée et agile capable d'exécuter les décisions en « circuit court »
a) Une gouvernance resserrée et agile...

Tous les intervenants ont prôné une gouvernance resserrée et agile, avec des acteurs mandatés explicitement pour mettre en oeuvre les politiques d'innovation .

En effet, ce modèle de gouvernance permet de prendre des décisions rapidement, en « circuit court ». Or la vitesse est vitale en matière d'innovation technologique et le gagnant est celui qui met le premier son innovation sur le marché : « une bonne innovation avec six mois de retard n'a aucune valeur » 121 ( * ) .

Le fonctionnement de la DARPA sert de référence en matière de gouvernance, avec une pyramide hiérarchique très plate, des niveaux de décision peu nombreux et une logique bureaucratique de gestion de contrats réduite au minimum .

Le mode de recrutement des chefs de projet de la DARPA contribue également à garantir ce type de gouvernance : nommés pour trois à cinq ans, universitaires ou issus de l'industrie, ils se caractérisent à la fois par des compétences technologiques et scientifiques reconnues, par leur aptitude à gérer des projets risqués et complexes et par leur capacité à animer des communautés d'innovation.

Ce mode de gouvernance reste encore insuffisamment développé en France, mais plusieurs initiatives sont encourageantes.

D'abord, un nombre croissant de structures publiques ont mis en place des procédures accélérant considérablement les délais d'élaboration des projets ou d'instruction des demandes de projet .

Bruno Sportisse a indiqué à la mission d'information : « Lorsque j'ai pris la responsabilité de l'Inria en 2018, il fallait 24 mois de préparation pour créer des projets s'étendant sur 48 mois d'exécution, alors pourtant que cet établissement est réputé, à juste titre, pour son agilité. En outre, il n'était pas possible de créer des projets pluridisciplinaires à cheval sur plusieurs laboratoires, ce n'était pas dans les cadres canoniques académiques. Notre stratégie 2019-2023 entend réduire le délai de préparation des projets à 4 mois et fluidifier la création de projets pluridisciplinaires entre laboratoires. » 122 ( * )

De même, Emmanuel Chiva a expliqué : « En mars 2020, nous avons sanctuarisé 10 millions d'euros pour lutter contre la première phase de la pandémie de Covid. Nous avons reçu 2 580 projets en trois semaines, traités en un mois et demi ! Un vrai stress test pour les procédures de l'Agence, qui se sont révélées efficaces et opératoires . » 123 ( * )

Par ailleurs, le lancement de chaque PEPR (programme et équipement prioritaire de recherche) 124 ( * ) s'est accompagné de la nomination d'un pilote scientifique tandis que le pilotage du programme est assuré par un ou plusieurs organisme(s) national(aux) de recherche et, le cas échéant, un établissement d'enseignement supérieur . Ainsi, le PEPR sur la santé numérique est copiloté par l'Inserm et l'Inria tandis que le PEPR sur l'hydrogène décarboné est copiloté par le CNRS et le CEA.

De la même manière, chaque stratégie d'accélération est pilotée par un coordinateur interministériel rattaché au SGPI ayant pour mission de coordonner et suivre l'ensemble des actions mises en oeuvre . Il a vocation à superviser la stratégie en lien avec les ministères, les experts et les scientifiques compétents réunis au sein d'une unité dédiée ( task force ). Il existe donc une réelle volonté d'instaurer une gouvernance bénéficiant à la fois de plus d'autonomie et de plus de responsabilités .

Enfin, la création de l'Agence de l'innovation de défense, de l'Agence d'innovation des transports et de l'Agence de l'innovation en santé témoigne du souci des pouvoirs publics de promouvoir une gouvernance resserrée et agile.

Certains intervenants ont fait remarquer que la France avait l'avantage de disposer, dans les grands domaines stratégiques (santé, agriculture, numérique, énergie...), d'organismes nationaux de recherche thématiques (Inrae, Inserm, Inria...). Il conviendrait donc de les transformer en opérateurs de programmes pour le compte de l'État afin d'en faire les « bras armés » de ce dernier, de l'aider à concevoir une stratégie, de la mettre en oeuvre en mobilisant un large écosystème et d'évaluer son impact réel .

b) ... Indissociable d'une évaluation régulière des projets et d'une veille stratégique

Une gouvernance agile doit être capable d'arrêter des projets ou des actions qui ne produisent pas les impacts attendus, d'opérer périodiquement des réallocations et de financer des actions ou des projets nouveaux sur des sujets émergents.

Il convient donc de systématiser les évaluations ex post en fixant, dès la création des dispositifs ou la mise en oeuvre des politiques d'aide à la recherche et à l'innovation, des objectifs chiffrés et des indicateurs quantitatifs susceptibles d'être évalués .

Dans son rapport précité 125 ( * ) , le comité de surveillance des investissements a constaté qu'à mi 2019, moins d'une action sur trois des PIA avait fait l'objet d'une évaluation et que certaines de ces évaluations étaient anciennes ou ne portaient que sur les processus et non sur les impacts et les retours sur investissement financiers et extra-financiers.

Depuis lors, des progrès ont été réalisés. Comme l'avait expliqué Neil Abroug, coordinateur national de la stratégie d'accélération sur les techniques quantiques, lors d'une audition publique organisée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, le « PIA 4 a mis en place une évaluation au fil de l'eau de l'exécution de chaque programme par des revues de programme. L'action la plus avancée aujourd'hui est le PEPR, qui doit durer 6 ans. Deux jalons décisionnels sont programmés dans 2 et 4 ans ; d'autres jalons sont également prévus, soit techniques (nombre de qubits, niveau de puissance de froid...), soit relatifs à l'écosystème construit autour du projet (nombre de publications, nombre de personnes recrutées, nombre de brevets déposés) » 126 ( * ) .

Une stratégie de l'innovation efficace doit également s'appuyer sur un exercice de prospective afin d'avoir une vision globale des enjeux sur les technologies émergentes à la fois en France et dans les principaux hubs technologiques mondiaux, sur les dynamiques de marché ainsi que sur les initiatives des principaux pays industriels . Le risque de ne pas conduire d'analyse stratégique préalable à la définition de priorités sectorielles est de passer à côté de sujets déterminants ou de prendre du retard sur des sujets émergents.

Compte tenu de la vitesse des changements technologiques et économiques, cette veille stratégique doit être réalisée régulièrement, afin de ne pas rater l'apparition de nouveaux marchés prioritaires susceptibles de positionner la France en véritable pays précurseur.

La préparation des stratégies d'accélération pour l'innovation a donné lieu à un remarquable exercice de prospective en matière technologique et d'innovation. Il s'agit maintenant de structurer et faire perdurer cette fonction de prospective stratégique au sein de l'État. En tant que coordinateur interministériel de la politique de soutien à l'innovation, le Secrétariat général pour l'investissement a vocation à conduire l'animation et la coordination de la veille stratégique et de la prospective de l'État en étroite collaboration avec le Conseil de l'innovation, les administrations, les opérateurs et les acteurs privés ou publics (comités stratégiques de filière, organisations syndicales, monde académique, think-tanks ...) .


* 91 Jean-Pierre Leac, Vers le market-push ? Cahiers de l'innovation .

* 92 Audition du 19 janvier 2022.

* 93 Jean-Pierre Leac (article précité).

* 94 Réponse au questionnaire de l'ANRT.

* 95 Stephen J. Kline et Nathan Rosenberg, « Studies on Science and the Innovation Process, 2009.

* 96 Sylvie Retailleau, alors présidente de l'Université Paris Saclay, audition du 27 avril 2022.

* 97 Audition du 16 février 2022.

* 98 Audition du 16 février 2022.

* 99 Audition du 16 février 2022.

* 100 Rapport précité : « Le programme d'investissements d'avenir : un outil à préserver, une ambition à refonder ».

* 101 Commission nationale d'évaluation des politiques publiques, Quinze ans de politiques d'innovation en France , janvier 2016.

* 102 Audition du 2 mars 2022.

* 103 Audition du 8 mars 2022.

* 104 Audition du 23 mars 2022.

* 105 Les stratégies d'accélération sont ciblées sur des secteurs technologiques dans lesquels la France est en capacité de se positionner comme leader. Elles mobilisent l'ensemble des leviers pour constituer une filière compétitive (de la formation initiale au financement des projets innovants, en passant par l'accompagnement des dirigeants) afin de donner aux entreprises françaises les moyens de devenir leaders dans leur secteur d'activité et d'assurer la souveraineté économique de la France.

* 106 Audition du 2 février 2022.

* 107 Les régions sont chargées de fixer les grandes orientations stratégiques en matière économique à travers le schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII).

* 108 Elles fixent également les grandes orientations stratégiques dans les domaines de l'enseignement supérieur et la recherche à travers le schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (SRESRI).

* 109 Même si la loi du 5 septembre 2018 relative à la liberté de choisir son avenir professionnel leur a ôté leurs pouvoirs en matière de subvention aux centres de formation des apprentis.

* 110 Les régions françaises sont incitées depuis plusieurs années à développer des spécialisations intelligentes par la Commission européenne. En effet, afin de promouvoir une approche stratégique et intégrée de l'innovation dans l'ensemble des États membres, la Commission a fixé un objectif de « spécialisation intelligente » dans le cadre de la programmation 2014-2020 du fonds européen de développement régional (Feder). Le bénéfice des fonds européens est désormais conditionné à l'élaboration par chaque région d'une stratégie de spécialisation intelligence (ou smart specialisation strategy - S3) afin de concentrer ses efforts et ressources sur les domaines d'innovation dans lesquels elle dispose d'atouts (tissu économique, établissements universitaires ou de recherche, ressources humaines...) par rapport aux autres régions européennes.

* 111 Audition du 2 février 2022.

* 112 Audition du 30 mars 2022. Le programme « territoire d'innovation » vise à soutenir le potentiel d'innovation des acteurs territoriaux pour développer les territoires du futur ; le programme « territoires d'industrie » vise à accélérer le développement industriel des territoires à travers l'aménagement des zones industrielles et la maîtrise du foncier, la réduction de l'impact environnemental des activités industrielles, la mise à disposition de ressources humaines qualifiées et l'accompagnement des acteurs locaux pour les aider à affiner leur stratégie territoriale.

* 113 Audition du 30 mars 2022.

* 114 Rapport précité, Faire de la France une économie de rupture technologique .

* 115 Audition du 30 mars 2022.

* 116 Dans le cadre de la stratégie d'accélération sur les technologies quantiques, cet « oubli » a été rattrapé, et l'État s'est engagé, à travers le GENCI (grand équipement national de calcul intensif), à investir26 millions d'euros dans une plateforme de calcul hybride.

* 117 Appelé également « plan Juncker », il s'agit d'un programme de 500 milliards d'euros pour financer la réalisation de projets industriels, dont des projets innovants portés par des PME et des ETI.

* 118 Plan de relance européen de 750 milliards d'euros validé par les 27 chefs d'État et de Gouvernement le 21 juillet 2020.

* 119 Audition du 2 mars 2022.

* 120 Audition du 16 février 2022.

* 121 Audition du 2 février 2022.

* 122 Audition du 16 février 2022.

* 123 Audition du 22 février 2022.

* 124 Les PEPR constituent le volet amont des stratégies d'accélération de l'innovation et visent à financer des programmes de recherche sur plusieurs années.

* 125 Le programme d'investissements d'avenir, un outil à préserver, une ambition à refonder.

* 126 La stratégie quantique : audition publique du 21 octobre 2021.

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