C. LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE DES BÂTIMENTS UNIVERSITAIRES : UN IMPÉRATIF QUI PEINE À S'IMPOSER

1. Une implication encore inégale des universités, révélatrice des difficultés de gestion identifiées

Les auditions et déplacements réalisés par le rapporteur ont mis en exergue une grande disparité dans l'implication des universités en matière de transition énergétique .

Certains établissements, comme l'Université de Poitiers, ont ainsi été pionniers dans la prise en compte des impératifs écologiques et énergétiques . La direction de l'Université de Poitiers a ainsi décidé dès 2012, concomitamment à la signature de l'accord de dévolution, de faire du campus de Poitiers un éco-campus et de créer un poste de vice-président dédié au patrimoine et à l'environnement. L'Université de Poitiers s'est par la suite dotée d'un schéma directeur de développement durable, et a été l'une des deux premières universités à obtenir le label Développement durable et responsabilité sociétale.

Dans ce contexte, l'Université de Poitiers se situe désormais très en avance sur les objectifs fixés par l'État, que ce soit en termes de développement durable ou d'énergies renouvelables, ou encore s'agissant de la conformité au décret tertiaire.

Tel n'est cependant pas le cas de la grande majorité des établissements, si bien que le sujet de la transition énergétique se révèle particulièrement emblématique des difficultés de gestion auxquelles se heurtent les universités. Tous les obstacles identifiés précédemment (mauvaise connaissance du patrimoine, carences dans la gouvernance, freins budgétaires et juridiques) s'y conjuguent pour empêcher un véritable changement de paradigme en la matière .

En premier lieu, les universités n'ont pas toutes la même connaissance de la situation énergétique de leur patrimoine et peinent à identifier les pistes d'amélioration. Ainsi, selon l'outil OAD-ESR, seuls 53 % des établissements déclarent s'être dotés d'un outil de suivi des fluides .

L'Université Paris 1 a ainsi indiqué que : « la situation énergétique du patrimoine de l'université peut être globalement améliorée et des démarches de performance énergétique sont lancées. Cependant, elles requièrent une meilleure connaissance des consommations ».

Si le premier frein à la réalisation d'économie d'énergie réside donc dans la mesure fine des consommations au niveau de chaque site, de nombreuses universités évoquent également des obstacles budgétaires.

Le cas du campus de Villetaneuse, de l'Université Sorbonne Paris Nord, est à cet égard particulièrement emblématique : la démarche de schéma directeur d'énergie engagée en 2018 a conclu à un taux de 84 % du parc immobilier inadapté aux activités d'enseignement et 86 % des bâtiments nécessitant des interventions, notamment en termes de rénovation énergétique. Ainsi, 28 % des bâtiments concentrent 48 % des consommations énergétiques, tandis que 50 % des immeubles sont classés en étiquette énergétique de classe D, E ou F. Si donc les besoins ont été correctement identifiés, les décisions d'investissement n'ont pu, à ce stade, être confirmées, l'université ne disposant pas de moyens suffisants pour mener à bien ces opérations .

En effet, la transition énergétique repose essentiellement sur trois types d'actions : évolution des usages, amélioration des équipements techniques et enfin mise à niveau de l'enveloppe du bâti.

Les coûts afférents à l'évolution des usages et à l'amélioration des équipements techniques peuvent être maitrisés et donc pris en charge par les établissements au fil des ans : actions de sensibilisation et d'apprentissage des éco-gestes, remplacement des appareils d'éclairage par des appareils à Leds, remplacement des interrupteurs par des détecteurs de présence permettant le fonctionnement de luminaires uniquement lorsque c'est nécessaire, installation de capteurs dans les salles de grands volumes pour surveiller les consommations d'énergie et de fluide, etc.

Néanmoins, dans la plupart des cas, ces initiatives ne peuvent se substituer à des travaux portant sur le bâti : remplacement des menuiseries, reprise des murs, réfection des toitures, etc.

Or, ces derniers se caractérisent par un coût très élevé, une visibilité très relative, ainsi que des dépenses annexes significatives (désamiantage dans certains cas, fermeture d'espaces nécessitant la location de locaux durant les travaux, etc.) Le retour sur investissement de ces travaux est souvent particulièrement long, et peut parfois se révéler décevant, puisque l'évolution des usages impose désormais l'installation d'équipements informatiques particulièrement énergivores dans les nouveaux bâtiments.

Dans la mesure où les équipes qui initient ces travaux n'en bénéficieront donc pas nécessairement d'un point de vue politique, pour des raisons liées à la temporalité des retours sur investissement et à la nature des opérations, la communauté universitaire élue n'y est pas toujours favorable. En parallèle, les responsables des services supports (patrimoine, technique, financier, ressources humaines) ne sont pas toujours suffisamment sensibilisés aux enjeux climatiques et énergétiques. In fine , les discussions aboutissent donc souvent à la mise en oeuvre de travaux d'ampleur limitée, avec un faible rendu thermique (reprise des murs ou de la toiture, mais pas des huisseries par exemple).

Dans ce contexte, force est de constater que les projets ambitieux de rénovation thermique ne peuvent s'effectuer qu'au gré de projets plus larges , bénéficiant d'un soutien public important . Comme l'a souligné l'université Paris 1 : « le montant souvent élevé de ce type d'opérations fait que ces actions ne peuvent être intégralement réalisées sur fonds propres de l'université » et sont donc soumis dans le cadre du CPER.

Par ailleurs, l'Université de technologie de Troyes a signalé que souvent, les établissements d'enseignement supérieur ne disposaient pas d'un personnel technique apte à suivre des projets innovants en matières énergétique ; la réalisation de ces projets, ainsi que leur exploitation à court terme implique donc la plupart du temps le recrutement d'un ingénieur, voire la création d'un poste pérenne . Ainsi, le coût budgétaire total de l'opération est souvent plus élevé que prévu, et doit en tout état de cause inclure des dépenses de fonctionnement supplémentaires.

Enfin, les établissements se heurtent aussi, pour certains, à des obstacles d'ordre réglementaire (protection des monuments historiques, paysage urbain, sécurité) et administratif (complexité des processus de décision impliquant une grande diversité d'acteurs).

2. Une impulsion nationale encore récente, témoignant d'une prise de conscience tardive

Si la stratégie immobilière relève de la responsabilité de chaque université, elle s'inscrit dans le cadre d'une impulsion donnée par le ministère de tutelle et la DIE - notamment par le biais des avis formulés sur les SPSI de chaque établissement, qui comprennent désormais un volet dédié à la transition énergétique.

a) Un effort de formation indéniable

Cette impulsion prend en premier lieu la forme d'actions en faveur de la formation des gestionnaires immobiliers.

À titre d'exemple, s'agissant de la réduction des consommations de fluides, la DGESIP co-anime le réseau des économes de flux de l'enseignement supérieur, créé en 2015 et porté par l'Agence de mutualisation des universités et des établissements (AMUE) .

Fort d'une soixantaine de membres, ce réseau organise des échanges entre les économes de flux sur des thématiques communes , par le biais de rencontres sous forme d'ateliers interactifs, de mise à disposition de fiches partagées et, à compter de 2021, d'une plateforme collaborative. La DGESIP et l'AMUE proposent, dans ce contexte, des actions d'accompagnement et de formation.

La DGESIP finance également la participation de certains établissements au Concours Usages Bâtiment Efficace (« CUBE ») , organisé par l'Institut français pour la performance du bâtiment (IFPB). Portant sur un bâtiment spécifique, le concours vise à réduire la consommation énergétique par rapport à une situation de référence, en travaillant sur les usages des occupants et le pilotage des équipements. Selon les informations communiquées au rapporteur, lors des cinq dernières éditions, les bâtiments de l'enseignement supérieur engagés dans la démarche ont atteint une réduction moyenne de leur consommation de près de 12 % en un an.

En parallèle, la DIE a prescrit à l'ensemble des ministères et des opérateurs 28 ( * ) la mise en place d'une organisation transverse dédiée au management de l'énergie , constituée d'un réseau d'acteurs impliqués dans la performance énergétique du parc immobilier et pilotée par un « energy manager », ce dernier pouvant bénéficier d'une formation spécifique organisée par la DIE.

En septembre 2020, la DIE a également mis à disposition des opérateurs un outil de suivi des fluides interministériels (OSFi), proposant des fonctionnalités de collecte, de vérification et de traitement des factures de fluides. Cette application permettra d'analyser les consommations des différents bâtiments, mais également de détecter les gisements de performance et de suivre la mise en oeuvre de plans d'action (optimisation des contrats, contrôle des factures, mise en place de dispositifs de régulation, etc).

Ainsi, à la date du 16 mars 2021, 18 opérateurs ont souscrit à l'OSFi, donc 6 universités 29 ( * ) . Partant, la connaissance qu'ont les universités de leur consommation de fluides pourrait s'améliorer dans les mois à venir .

b) Les prémices d'une orientation des financements publics vers la transition énergétique

Les pouvoirs publics ont récemment mis en place un certain nombre d'incitations financières en faveur de la rénovation énergétique.

Ainsi, la nouvelle vague de CPER (2021-2017) devrait donner la priorité aux opérations de rénovation, notamment à visée d'efficacité énergétique , alors que jusqu'à présent, les objectifs stratégiques définis par l'État dans les mandats de négociation des préfets de région pour les CPER privilégiaient les constructions neuves.

La DIE a également lancé en mars 2020 un programme intitulé « Travaux immobiliers à gains rapides énergétiques » (TIGRE), comportant un appel à projets pour financer des actions à faible investissement et temps de retour sur investissement rapide («quick wins ») . Les opérateurs auditionnés ont cependant souligné que ce programme était chichement doté, et donc peu à même d'entrainer un changement de paradigme.

Le programme « TIGRE »

Ce programme vise à déployer des dispositifs de réduction de la consommation énergétique.

Plus de 700 projets ont été présentés par les établissements publics d'enseignement supérieur pour un total de 41 millions d'euros, avec l'aide du MESRI et l'analyse des Ingénieurs Régionaux de l'Équipement (IRE) des rectorats.

Au total, 366 projets lauréats ont été retenus, pour un financement total de 13 millions (soit 39 % du total du programme), dont 3 millions d'euros dans le cadre de la phase 1 du programme TIGRE et 10 millions d'euros dans le cadre de la phase 2, financée dans le cadre du plan de relance.

Ces projets permettront une économie de plus de 41 000 MWh/an, et une réduction des émissions de gaz à effet de serre de près de 6000 TCO2eq/an.

Source : DIE

Enfin, le plan France Relance s'est fixé comme objectif de jouer un rôle d'accélérateur dans les travaux de rénovation énergétique initiés par les universités.

Les projets financés, qui concernent donc aussi bien la rénovation du bâti que les équipements et l'exploitation, devraient permettre des économies d'énergie de l'ordre de 320 gigawattheure par an , soit 6 % des consommations énergétiques annuelles estimées.

Répartition des projets financés dans le cadre du plan de relance

(en %)

Source : commission des finances, à partir des données de la DIE

L'impact de ce plan est particulièrement significatif dans certains territoires. Ainsi, en Ile-de-France, les projets retenus devraient permettre un gain énergétique de l'ordre de 26 % des dépenses actuelles, pour un coût total de 224 millions d'euros.

Néanmoins, le plan France Relance constitue un effort ponctuel, et ne s'inscrit pas dans une vision pérenne et à long terme . Partant, les projets proposés par les universités doivent porter sur de la rénovation à court terme, ce qui exclut de facto une part considérable des opérations envisageables et ne permet pas de déployer une véritable stratégie.

Sa mise en oeuvre dans des délais contraints nécessite par ailleurs une forte mobilisation des services , afin de réaliser un maximum de dépenses à très courte échéance. Le plan pourrait donc se révéler contreproductif si les bénéfices ne sont pas à la hauteur de l'investissement humain.

Enfin, dans la mesure où il implique de monter très rapidement des projets complexes, le plan France Relance profite essentiellement aux universités les plus agiles ou à celles qui sont déjà fortement mobilisées sur le sujet - pas nécessairement aux établissements qui en ont le plus besoin.

Dans ce contexte, s'il convient de saluer les initiatives qui ont été prises en matière de transition énergétique au cours des dernières années, force est toutefois de constater qu'elles demeurent limitées et que leur impact reste marginal tant d'un point de vue financier que temporel.


* 28 Note n°2020-10-6329 du 8 décembre 2020.

* 29 Sorbonne Université, université de Caen, université de Saint Denis, université Lyon 3, université d'Angers, université Bretagne occidentale.

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