N° 842

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 septembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' optimisation de la gestion de l' immobilier universitaire à l'heure de la nécessaire transition écologique et du déploiement de l' enseignement à distance ,

Par Mme Vanina PAOLI-GAGIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, MM. Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial des crédits de la mission « Enseignement supérieur » a présenté mercredi 22 septembre 2021 devant la commission des finances les conclusions de son contrôle budgétaire relatif à l'optimisation de la gestion de l'immobilier universitaire à l'heure de la nécessaire transition écologique et du déploiement de l'enseignement à distance.

I. L'IMMOBILIER UNIVERSITAIRE : DES ENJEUX DÉCISIFS IMPLIQUANT UNE GESTION PLUS ACTIVE PAR LES ÉTABLISSEMENTS

A. LE PATRIMOINE IMMOBILIER UNIVERSITAIRE : UN ENSEMBLE DISPARATE, COÛTEUX ET COMPLEXE À ENTRETENIR, À LA CHARGE DES UNIVERSITÉS DEPUIS LEUR ACCESSION À L'AUTONOMIE

Le patrimoine immobilier des établissements publics d'enseignement supérieur comprend 6 300 biens représentant 18,75 millions de mètres carrés de surface hors oeuvre nette (SHON) que se partagent 138 établissements sur un foncier de l'ordre de 5 300 hectares . Le parc universitaire représente ainsi à lui seul près de 20 % du patrimoine immobilier de l'État .

Étant donné son étendue, mais également les spécificités géographiques et fonctionnelles qui le caractérisent, ainsi que son caractère vieillissant, vétuste, et énergivore, le parc immobilier universitaire constitue un actif complexe et coûteux à entretenir et exploiter.

Depuis leur accession à l'autonomie, c'est aux établissements d'enseignement supérieur qu'il appartient d'assurer cette tâche . Dans la majorité des cas, l'État conserve donc la propriété du bâti, mais conclut des conventions d'utilisation avec les universités. Il incombe ensuite à ces dernières d'assumer l'ensemble des responsabilités qui se rapportent aux immeubles dont ils disposent.

La gestion immobilière se situe au coeur de multiples enjeux : le parc universitaire constitue à la fois un actif stratégique à valoriser , pour permettre aux universités de remplir leurs missions dans un environnement en pleine mutation et une charge financière à optimiser , l'immobilier représentant le 2 ème poste de dépense des universités, derrière la masse salariale.

B. DES DIFFICULTÉS DE GESTION MULTIPLES, RÉSULTANT DE FACTEURS INTERNES ET EXTERNES AUX UNIVERSITÉS ET ENTRAVANT L'OPTIMISATION DE L'IMMOBILIER UNIVERSITAIRE

Les travaux menés par le rapporteur ont mis en exergue la persistance de nombreux freins à l'optimisation , par les universités, de leur patrimoine immobilier, à commencer par la mauvaise connaissance qu'elles ont de ce dernier.

1. Une mauvaise connaissance par les universités de leur patrimoine immobilier, associée à une gouvernance perfectible

Les données relatives au bâti universitaire demeurent parcellaires et approximatives , qu'il s'agisse de son état, son exploitation ou encore des dépenses afférentes à son entretien. La gouvernance des sujets immobiliers se révèle également perfectible, en dépit des progrès réalisés ces dernières années . Si la majorité des établissements se dotent désormais d'une stratégie immobilière, la mise en oeuvre de cette dernière reste sujette à de nombreux aléas.

Au demeurant, de nombreux opérateurs ne disposent pas d'équipes immobilières suffisamment étoffées pour répondre aux enjeux stratégiques d'un parc aussi étendu, ce qui se traduirait par un manque d'expertise interne sur certains sujets. Enfin, le portage politique des sujets patrimoniaux, ainsi que l'intérêt des équipes présidentielles pour ces thématiques, demeurent très variables selon les universités.

2. Une équation financière complexe à résoudre

La dotation allouée par l'État à l'entretien, l'exploitation et la maintenance des bâtiments, de l'ordre de 407 millions d'euros par an, se révèle nettement inférieure aux besoins constatés. De surcroît, ces crédits ne sont pas sanctuarisés, puisqu'ils sont globalisés au sein de la subvention pour charges de service public versée aux opérateurs, les établissements déterminant ensuite librement les moyens réels qu'ils allouent à l'exploitation et l'entretien des bâtiments qui leurs sont confiés. Dans un contexte marqué par de fortes pressions sur la masse salariale, la tentation est grande, pour les universités, de faire du budget immobilier une variable d'ajustement .

En raison du faible montant des dépenses de maintenance, l'État doit recourir à de grands rendez-vous (contrats de plan État-régions) ou des opérations ponctuelles (Plan Campus, France Relance) pour remettre le patrimoine immobilier à niveau .

Ces financements ponctuels demeurent cependant insuffisants pour enrayer la dégradation du parc immobilier et inadaptés dans leur temporalité pour répondre à des enjeux de long terme ; le besoin global d'investissement dans l'immobilier universitaire est en effet estimé actuellement à environ 7 milliards d'euros par la Conférence des présidents d'université, soit un chiffre bien au-delà des dotations cumulées de France Relance (1,2 milliard d'euros) et des CPER 2021-2027 (3 milliards d'euros). Par ailleurs, la temporalité des politiques publiques - environ 10 ans entre la décision de financer un projet et sa livraison - se heurte à celle, nettement plus courte, des financements publics ponctuels (France Relance) ou récurrents (CPER).

Dans ce contexte, la recherche de nouvelles sources de financement s'impose comme un prérequis indispensable à la mise en place d'une programmation pluriannuelle des investissements et donc, à celle d'une stratégie immobilière soutenable d'un point de vue économique . Pour l'heure, les financements alternatifs sont encore peu développés : le recours à l'emprunt est interdit pour les établissements d'enseignement supérieur, les cessions génèrent des recettes limitées pour les établissements, et les opérations de valorisation se heurtent encore à plusieurs obstacles juridiques, en dépit des récents assouplissements.

3. Un cadre juridique particulièrement rigide et contraignant

De nombreux établissements regrettent la faible souplesse offerte par les règles de la commande publique . Les diverses obligations procédurales se traduisent en effet par un allongement significatif des délais et des incertitudes significatives concernant le coût final des opérations immobilières.

De surcroît, les instruments contractuels mis à disposition des universités pour organiser des coopérations locales se révèlent souvent inadaptés pour créer des structures partenariales de long terme.

C. LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE DES BÂTIMENTS UNIVERSITAIRES : UN IMPÉRATIF QUI PEINE À S'IMPOSER

Les auditions et déplacements réalisés par le rapporteur ont mis en exergue une grande disparité dans l'implication des universités en matière de transition énergétique . Si certaines universités sont en pointe dans ce domaine, la plupart n'ont qu'une mauvaise connaissance de leur situation énergétique, et peinent à identifier des pistes d'amélioration.

De nombreux établissements invoquent par ailleurs des obstacles de nature budgétaire : si les coûts afférents à l'évolution des usages et à l'amélioration des équipements techniques peuvent être maitrisés et donc pris en charge par les établissements au fil des ans, tel n'est pas le cas des travaux portant sur le bâti (remplacement des menuiseries, reprise des murs, réfection des toitures etc.), associés à un coût très élevé et un retour sur investissement particulièrement long .

Dans ce contexte, force est de constater que les projets ambitieux de rénovation thermique ne peuvent s'effectuer qu'au gré de projets plus larges , bénéficiant d'un soutien public important . Or, au niveau national, l'impulsion dans ce domaine est encore récente et témoigne d'une prise de conscience tardive . Si plusieurs actions en faveur de la formation des gestionnaires immobiliers ont ainsi été mises en place, l'ampleur des financements publics consacrés à la transition énergétique reste encore limitée.

II. ACCÉLÉRER LES RÉFORMES À COURT TERME, CHANGER DE PARADIGME À PLUS LONG TERME

A. À COURT TERME, UN CERTAIN NOMBRE DE PROGRÈS À RÉALISER, DANS LA CONTINUITÉ DES EFFORTS DÉJÀ ENGAGÉS

1. Affiner la connaissance qu'ont les universités de leur patrimoine immobilier: un prérequis indispensable à tout effort de rationalisation

Les universités doivent pouvoir disposer d'éléments plus fiables concernant leur parc immobilier, afin de pouvoir planifier les investissements à moyen et long terme, et donc inscrire la gestion immobilière dans le cadre d'une stratégie soutenable économiquement.

Dans ce contexte, le rapporteur serait favorable à un travail de rationalisation des indicateurs demandés , permettant de constituer une base de données plus restreinte mais également plus qualitative. Cette démarche doit aller de pair avec un effort de formation des gestionnaires du patrimoine à l'utilisation des outils de suivi informatique. Enfin, l'interopérabilité des systèmes d'exploitation des opérateurs et des tutelles , quand elle n'est pas assurée, semble indispensable.

2. Professionnaliser et renforcer la gouvernance immobilière

La professionnalisation des équipes immobilières doit s'accélérer ; elle constitue un prérequis à la conception et la réalisation de montages juridiques et financiers complexes. Il importe donc que les universités soient en mesure de recruter des compétences adaptées et diversifiées .

En parallèle, afin de pouvoir aborder de manière transversale les problématiques relatives à l'immobilier universitaire et de renforcer le portage politique de ces sujets , il conviendrait d'augmenter la part des établissements qui disposent d'un vice-président en charge du patrimoine et de la transition écologique.

Enfin, étant donné le degré élevé d'expertise de l'Établissement public d'aménagement universitaire de la région d'Ile-de-France (EPAURIF), il serait opportun d'élargir au niveau national son périmètre géographique , afin de permettre à tous les établissements de disposer d'un opérateur métier compétent pour optimiser la gestion de leur patrimoine .

3. Garantir un pilotage pluriannuel des ressources et des dépenses en matière immobilière

Afin d'éviter que les crédits consacrés à l'entretien des bâtiments ne servent de variable d'ajustement du budget des établissements, il semblerait judicieux de rendre obligatoire la constitution d'un budget annexe immobilier pour tous les établissements - seules les universités ayant bénéficié de la dévolution du patrimoine étant actuellement assujetties à cette obligation.

A terme, il serait envisageable de faire du schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI) un véritable outil de pilotage pluriannuel des dépenses immobilières. Cela supposerait, en premier lieu, que l'élaboration de ce document soit rendue plus contraignante pour les établissements. En parallèle, le volet financier de ce schéma pourrait être renforcé pour permettre un fléchage annuel des ressources sur les besoins identifiés, et un contrôle par le Mesri du respect de la trajectoire établie. Enfin, effort de planification gagnerait à inclure de façon plus systématique un volet énergétique, afin de garantir une programmation intelligente des opérations , permettant d'optimiser la durée d'indisponibilité des bâtiments, de réduire le coût de la main d'oeuvre, tout en assurant progressivement la rénovation énergétique du bâti universitaire.

4. Revisiter le cadre juridique applicable à la commande publique

S'agissant de la commande publique, il serait en premier lieu opportun de permettre une mutualisation, entre les établissements, des bonnes pratiques ou des dispositifs innovants .

En parallèle, des assouplissements paraissent indispensables, qu'il s'agisse de l'allègement des procédures, de l'abaissement des seuils. Dans ce contexte, le rapporteur serait favorable à la réalisation d'une enquête portant sur les difficultés rencontrées par les établissements d'enseignement supérieur dans ce domaine, afin de dégager des pistes d'évolution à court et moyen terme.

B. À MOYEN TERME, ÉLABORER DES MODES VERTUEUX DE FINANCEMENT POUR LA MAINTENANCE ET LA RÉNOVATION DE L'IMMOBILIER UNIVERSITAIRE

Pour le rapporteur, un changement de paradigme s'impose en matière de gestion patrimoniale. Dans un environnement en pleine mutation, l'enseignement supérieur doit mener de front plusieurs transitions : transition numérique, transition énergétique et écologique, transition économique, transformation des campus en territoires d'innovation au service de l'attractivité des territoires, etc.

Dans ce contexte, il faut désormais privilégier une approche globale, permettant d'améliorer simultanément l'état du bâti, sa situation énergétique et son adéquation fonctionnelle, afin de faciliter l'émergence des campus de demain .

1. Ouvrir l'université sur son environnement socio-économique par le biais de la valorisation : dégager des ressources récurrentes pour l'entretien et l'exploitation

La valorisation du patrimoine universitaire constitue à la fois un des principaux leviers dont disposent les établissements pour bâtir les campus du XXI ème siècle et un moyen de développer leurs ressources propres . En ce sens, elle participe d'une dynamique particulièrement vertueuse, qui doit être encouragée.

En pratique, des synergies peuvent être trouvées avec les collectivités territoriales, les politiques d'enseignement supérieur présentant pour ces dernières un intérêt sous l'angle de l'aménagement du territoire et de l'attractivité. La valorisation doit permettre une meilleure intégration de l'université dans la ville, avec pour corollaire une diversification des offres de services aux étudiants, ainsi qu'une mutualisation des équipements.

Dans ce contexte, il paraitrait judicieux de créer un cadre juridique permettant une réelle gouvernance partagée avec les autres acteurs publics présents localement, de sorte que les établissements publics d'enseignement supérieur puissent participer dans la durée aux orientations prises sur les aménagements et les activités entreprises sur leur territoire d'implantation, ainsi qu'au pilotage des opérations qui les concernent. Le rapporteur serait ainsi favorable à l'ouverture du capital des sociétés publiques locales (SPL) aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel .

Des partenariats peuvent par ailleurs être noués avec le monde économique, afin de renforcer les transferts de technologie, l'entrepreneuriat étudiant et l'insertion professionnelle des jeunes diplômés.

Enfin, ces opérations de valorisation ayant habituellement pour conséquence de rendre un immeuble éligible à la taxe foncière, pour un montant souvent supérieur aux recettes perçues, il pourrait être opportun de réfléchir à un mode de calcul dérogatoire du montant de cette taxe, tenant compte du niveau des recettes perçues par l'université .

2. Initier un vaste plan d'investissement pour la rénovation globale du parc universitaire : réduire la facture énergétique pour préfigurer les campus de demain

Ces dernières années, la France s'est dotée d'objectifs ambitieux en matière de transition énergétique, par le biais d'engagements contraignants à l'échelle nationale, européenne et internationale. L'ampleur des progrès à accomplir étant considérable, un sursaut est indispensable pour faire de la transition énergétique du bâti universitaire une priorité stratégique.

Si des modes de financement novateurs, comme l' intracting , permettent actuellement aux établissements d'initier des travaux de rénovation énergétique à gains rapides, des opérations de plus grande ampleur sont absolument incontournables pour garantir le respect par la France de ses engagements .

Le financement de ces travaux ne pouvant être assuré par les établissements, étant donné l'équation budgétaire dans laquelle s'inscrit la gestion immobilière, le lancement d'un vaste plan de rénovation globale du bâti universitaire parait indispensable.

Pour le rapporteur, il est impératif que ce plan massif se concrétise dans un délai court, puisqu'en matière d'immobilier, comme de transition énergétique, l'inaction a un coût . Cependant, sa réalisation pourrait s'échelonner sur plusieurs années, à l'instar de l'opération Campus, afin de s'inscrire dans une réflexion globale sur les enjeux du campus de demain , en termes d'attractivité, de responsabilité sociétale, d'ancrage territorial, d'innovation ou encore de digitalisation. La dimension énergétique serait néanmoins au coeur de l'opération, afin de rendre possible des économies d'énergie substantielles à terme et donc un retour sur investissement.

L'élaboration d'une telle opération s'inscrirait dans la continuité des efforts déployés dans le cadre de France Relance : à la dotation de 1,2 milliard d'euros pour la réalisation de gains rapides succèderait une dotation plus importante pour la réalisation de gains différés .

Pour s'inscrire dans une démarche vertueuse, enfin, ce plan doit avoir pour corollaire une amélioration notable de la gestion de leur patrimoine par les universités . Il serait par exemple envisageable de conditionner l'octroi des financements à la sanctuarisation, pour les années à venir, d'une enveloppe dédiée à la gestion et l'entretien du patrimoine rénové.

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