C. DES ACTEURS PEU CONNUS : LES PARTIS POLITIQUES EUROPÉENS

1. La définition des partis politiques européens

Les partis politiques européens sont mentionnés dans le traité de Maastricht (article 10 du TUE), qui dispose que « les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l'expression de la volonté des citoyens de l'Union ». Le TFUE précise que le statut des partis politiques et notamment les règles relatives à leur financement sont fixées par règlement adopté par la procédure législative ordinaire.

Le règlement européen de 201413(*) définit un parti politique européen comme « une coopération structurée entre partis politiques et/ou citoyens qui poursuit des objectifs politiques et est enregistrée auprès de l'Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes », respectant notamment les conditions suivantes :

- ses partis membres doivent être représentés dans au moins un quart des États membres par des députés européens, des membres de parlements nationaux ou d'assemblées régionales ;

- ou, à défaut de satisfaire la condition précédente, avoir réuni directement ou à travers ses partis membres, dans au moins un quart des États membres, au moins 3 % des votes exprimés dans chacun de ces États membres lors des dernières élections européennes ;

- respecter les valeurs de l'Union européenne, à savoir le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l'égalité, l'État de droit ainsi que le respect des droits de l'homme, notamment les droits des personnes appartenant à des minorités ;

- avoir participé aux élections au Parlement européen ou avoir exprimé l'intention de participer aux prochaines.

En outre, chaque parti politique européen adopte un programme définissant son objet et ses objectifs et des statuts relatifs à sa gouvernance.

Liste des partis politiques européens en 2021

Parti européen

Partis français membres

Groupe au Parlement européen

Alliance des libéraux et démocrates européens (ALDE)

- Mouvement radical

- Union des démocrates et indépendants

Renew Europe

Mouvement politique chrétien européen

- Parti chrétien-démocrate

Conservateurs et réformistes européens (CRE)

Parti des conservateurs et réformistes européens (CRE)

- Debout la France

Conservateurs et réformistes européens (CRE)

Parti démocrate européen

- Mouvement démocrate (MoDem)

Renew Europe

Alliance libre européenne (ALE)

- Plusieurs mouvements régionalistes

Verts / CRE / GUE

Parti vert européen

- Europe Écologie les Verts

Verts

Parti populaire européen (PPE)

- Les Républicains

Parti populaire européen

Parti identité et démocratie

- Rassemblement national

Identité et démocratie

Parti socialiste européen (PSE)

- Parti socialiste

Alliance progressiste des socialistes et démocrates

Partie de la gauche européenne (PGE)

- Parti communiste français

Gauche unitaire européenne (GUE)

Source : commission des affaires européennes du Sénat à partir des données du Parlement européen

2. Les sources de financement et les dépenses autorisées
a) Le financement

Les partis politiques européens peuvent bénéficier d'un financement du budget général de l'Union européenne. À cette fin, ils adressent chaque année une demande auprès du Parlement européen14(*). Pour pouvoir en bénéficier, le parti politique européen doit avoir a minima un député européen élu, être enregistré auprès de l'organe chargé du contrôle des partis politiques européens, ne pas être sujet à une sanction dudit organe et se soumettre à un audit externe.

Le montant maximum attribué à un parti politique européen est établi en répartissant les crédits alloués par le Parlement européen (environ 40 millions d'euros) pour 10 %, de façon forfaitaire entre les partis politiques européens existants, et pour 90 %, en fonction du nombre de parlementaires européens. Ce montant provisoire est versé en début d'année, à titre de préfinancement. Le montant final du financement ne peut dépasser 90 % des dépenses éligibles, ni le montant provisoire notifié précédemment.

Financement européen des partis politiques européens

(en millions d'euros)

Parti politique européen

Financement européen maximum 2021

Alliance des libéraux et démocrates européens (ALDE)

5,3

Mouvement politique chrétien européen

0,7

Parti des conservateurs et réformistes européens (CRE)

4,1

Parti démocrate européen

0,9

Alliance libre européenne (ALE)

1,1

Parti vert européen

4,3

Parti populaire européen (PPE)

12,3

Parti identité et démocratie

4,6

Parti socialiste européen (PSE)

8,11

Partie de la gauche européenne (PGE)

1,8

Source : Commission des affaires européennes du Sénat à partir des données du Parlement européen

Le reste des dépenses doit être couvert par des ressources propres, telles que les cotisations des membres ou les dons. Les partis politiques européens peuvent accepter les dons provenant de personnes physiques ou morales, d'une valeur maximale de 18 000 euros par an et par donateur. Les dons provenant des budgets des groupes politiques du Parlement européen sont interdits, mais les contributions versées à un parti politique européen par ses membres - individus ou partis politiques nationaux - sont permises, à condition ne pas dépasser 40 % du budget annuel de ce parti politique européen.

b) Les dépenses

Tout d'abord, les financements communautaires ne peuvent être utilisés que pour certaines catégories de dépenses dites « éligibles », parmi lesquelles notamment celles relatives aux frais de personnel, d'infrastructures et administratifs, ou encore les frais de représentation, d'information et de publication.

Par ailleurs, certaines dépenses sont autorisées et d'autres interdites, quelle que soit la source de financement (budget communautaire ou autres ressources). Ainsi, l'article 21 du règlement précité prévoit que les partis politiques européens peuvent financer « les campagnes menées par les partis politiques européens à l'occasion des élections au Parlement européen auxquelles eux-mêmes, ou leurs membres, participent ». À l'inverse (article 22), les dépenses liées aux élections nationales et aux référendums, ainsi qu'au financement de partis nationaux ou de candidats nationaux ne peuvent être financées par les partis politiques européens.

La possibilité pour un parti politique européen de financer un parti politique français, à l'occasion des élections européennes, a donné lieu à des interprétations différentes.

Initialement, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) considérait que de tels financements étaient interdits. En effet, elle indiquait en janvier 201915(*) que, dans la mesure où le financement d'un parti par des personnes morales de droit étranger est interdit16(*), les partis politiques européens ne pouvaient verser de contribution aux partis politiques nationaux ; de plus, considérant que les modalités d'intervention des partis politiques européens dans le cadre des élections européennes étaient soumises aux dispositions des États membres et que celles-ci prévoient, pour la France, l'interdiction du financement d'une campagne par des personnes morales, ces partis ne pouvaient financer directement une campagne électorale.

Cette interprétation a cependant été contredite par le Conseil d'État dans un avis n° 397096 du 19 mars 2019, rendu public le 6 mai suivant par le Gouvernement, considérant que l'article 21 du règlement précité était directement applicable en droit français, tout en précisant, comme le prévoit le même règlement, que la possibilité pour un parti politique européen de contribuer à une campagne électorale nationale était limitée à la campagne des élections européennes. La CNCCFP a modifié le 13 mai son « guide du candidat », à la suite de cet avis.

Cependant, dans son rapport de 2019, la CNCCFP note que parmi les comptes de campagne effectivement déposés à la commission pour les élections européennes, aucune participation financière provenant d'un parti politique européen n'a été retracée.

*

Le champ des ressources et des dépenses autorisées des partis politiques européens pourrait évoluer. Les eurodéputés Rainer Wieland (PPE, Allemagne) et Charles Goerens (Renew, Luxembourg) ont récemment présenté un projet de rapport17(*) relatif aux partis politiques européens en commission des affaires constitutionnelles, qui propose notamment d'élargir les catégories des ressources « sans se limiter aux contributions et donations » et d'étendre le champ des dépenses possibles au financement des campagnes référendaires concernant l'Union européenne et à « toute activité qui contribue à accroître la conscience politique européenne et à exprimer la volonté politique des citoyens de l'Union », tout en allégeant le contrôle administratif de ces dépenses.

3. Une gouvernance peu transparente

Les partis politiques européens ont fait l'objet d'une étude comparative approfondie dans la perspective des élections européennes de 201418(*), qui montre notamment qu'ils fonctionnement selon une gouvernance relativement similaire, faisant intervenir a minima (sous des dénominations différentes) un président, un bureau et un congrès.

Les organes collectifs regroupent, d'une part, le cas échéant, les titulaires des postes à responsabilités de l'Union (présidence de la Commission, du Conseil européen, du Parlement, etc.), du groupe politique correspondant (président, membres du bureau, chefs des délégations nationales, ensemble des membres) et les chefs d'État ou de gouvernement et, d'autre part, des représentants des partis membres, selon une répartition faisant généralement intervenir le nombre de députés européens et/ou le score aux élections européennes et éventuellement le nombre de parlementaires nationaux.

Par exemple, pour le parti socialiste européen, la pondération des voix par parti membre est calculée en fonction de la part de députés nationaux à la chambre basse de son État de rattachement et du nombre de ses députés européens. L'ALDE quant à elle attribue notamment un nombre de représentants fixe par État comptant un parti membre (répartis entre les partis concernés si l'État en question compte plusieurs partis membres), puis un nombre de représentants additionnel calculé pour chaque parti membre en fonction de ses résultats aux dernières élections européennes. À l'inverse, l'étude précitée indique que chaque délégation de l'alliance européenne des mouvements nationaux19(*) dispose d'une voix.

Ainsi, le score d'un parti donné aux élections européennes et le nombre de postes à responsabilités qu'il obtient au sein du Parlement européen ou plus généralement dans le système institutionnel de l'Union détermine de façon significative son poids au sein du parti politique européen correspondant. À cet égard, il est à noter que la France est régulièrement absente du trio de tête des délégations nationales, au sein du groupe PPE comme du groupe socialiste, qui sont les deux principaux groupes politiques du Parlement européen.

Principales délégations nationales
au sein des groupes PPE et socialiste du Parlement européen

 

Groupe PPE

Groupe socialiste

 

1ère

2ème

3ème

1ère

2ème

3ème

2019

Allemagne

Pologne

Roumanie

Espagne

Italie

Allemagne

2014

Allemagne

Pologne

France

Italie

Allemagne

Royaume-Uni

2009

Allemagne

Italie

France

Allemagne

Italie/Espagne

2004

Allemagne

Royaume-Uni

Italie

France

Espagne

Allemagne

1999

Allemagne

Royaume-Uni

Italie

Allemagne

Royaume-Uni

Espagne

1994

Allemagne

Espagne

Royaume-Uni

Royaume-Uni

Allemagne

Espagne

1989

Allemagne

Italie

Espagne

Royaume-Uni

Allemagne

Espagne

1984

Allemagne

Italie

France

Allemagne/Royaume-Uni

France

1979

Allemagne

Italie

Belgique

Allemagne

France

Royaume-Uni

Source : Commission des affaires européennes du Sénat à partir des données du Parlement européen

N.B. Jusqu'en 2004, l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni comptaient le même total de sièges.

4. Des acteurs en devenir ?

Une étude de 200920(*), dont les conclusions nous semblent demeurer pertinentes, s'interrogeait : « ces « partis » sont-ils des partis ? ». Elle proposait une grille d'analyse de leur rôle et de leur fonctionnement, fondée sur le modèle du politologue allemand Oskar Niedermayer d'analyse des organisations partisanes transnationales. En analysant huit critères, ce modèle distingue trois degrés d'interaction (interaktionsgrade) : contact, coopération et intégration (cf. tableau infra).

L'auteur considère que l'ensemble des partis politiques européens ont atteint au moins le stade de la « coopération », ne serait-ce que par leur institutionnalisation par le droit communautaire. Le « saut qualitatif » vers le stade de l'intégration, qui implique des transferts de souveraineté des partis nationaux vers le parti européen n'a en revanche pas été réalisé. En particulier, « le pouvoir de nomination des candidats sur les listes européennes se trouve aujourd'hui au niveau des partis nationaux et les instances communes [...] n'ont absolument aucun droit de regard sur la constitution de ces listes ».

Les trois degrés d'interaction et leurs critères dans le modèle Niedermayer

Critère

Degré d'interaction

Contact

Coopération

Intégration

Communication entre membres

Ponctuelle

Permanente

Permanente

Organisation européenne durable

Non

Oui / transnationale

Oui / supranationale

Niveau d'adhésion individuelle

Parti national

Parti national / parti européen

Parti européen seulement

Sous-unités européennes organisées

Non

Oui (plus ou moins formalisées)

Oui
(formalisation et lien fort)

Principe de représentation

Égalitaire (unanimité)

Égalitaire et proportionnel

Majoritaire

Mode de régulation des conflits

Consensus

Consensus

Consensus et concurrentiel le cas échéant

Domaine de compétence des organes internes

Limité

Limité

Illimité

Symboles communs

Non

Ponctuellement

Permanents

Formulation de politique communes

Non/Oui

Oui (peu détaillées)

Oui (détaillées)

Source : Oskar Niedermayer, cité par Francisco Roa-Bastos, op.cit. p. 17

Sans parcourir l'ensemble des critères pour l'ensemble des partis politiques européens, on peut tout de même noter des stades d'intégration différents. Ainsi, quelques partis politiques européens seulement autorisent l'adhésion individuelle au parti indépendamment de la position d'élu ; de même, comme on l'a vu, le processus de décision peut reposer sur un mode égalitaire (unanimité ou consensus) ou pondéré (majorité plus ou moins qualifiée). S'agissant des compétences des organes internes, on peut noter que les principaux partis prévoient la compétence du congrès pour désigner leur candidat à la présidence de la Commission européenne. Enfin, les partis politiques européens adoptent, à l'occasion des élections européennes, des manifestes politiques, qui constituent selon l'auteur « un moment minimal de concertation et d'affichage politique pour les partis politiques européens ».

Au demeurant, ces manifestes sont souvent assez vagues et plus ou moins mis en avant par les listes nationales durant la campagne. Ainsi, l'Institut Jacques Delors soulignait dans une étude comparée de ces manifestes21(*), en mars 2019 : « au terme de cette analyse, on ne peut que s'interroger sur la comparaison entre les arêtes des questions qui se posent et un flou relatif des positions recensées chez la plupart des partis sur de nombreux thèmes. Comme si certains sujets difficiles étaient esquivés par les partis ne se situant pas aux extrêmes»

*

En définitive, le rôle des partis politiques européens est donc assez éloigné de celui des partis nationaux. Ils ne jouent pas un rôle analogue dans la socialisation politique des citoyens de l'Union, dans la structuration du débat politique, dans la sélection du personnel politique et dans la direction des organes politiques. On peut se demander, avec Francisco Roa-Bastos, si cette faiblesse est structurelle ou s'il s'agit plutôt d'un manque de maturité de ces organisations : « elles n'auraient pas encore atteint leur stade d'achèvement ultime mais seraient inexorablement appelées à se développer jusqu'à ce stade de « l'intégration » complète ».

Leur avenir dépendra de la politisation des institutions européennes et des éventuelles évolutions institutionnelles qui pourraient renforcer les partis politiques européens, comme on le verra ultérieurement.


* 13 Règlement n°1141/2014 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes.

* 14 Voir la décision du bureau du Parlement européen du 28 mai 2018 fixant les modalités d'application du règlement (UE, Euratom) n° 1141/2014 du Parlement européen et du Conseil relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes (2018/C 225/02).

* 15 Voir le « guide du candidat et du mandataire relatif à l'élection des représentants au Parlement européen » du 10 janvier 2019.

* 16 Article 11-4 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 modifiée relative à la transparence de la vie politique.

* 17 Draft report on the application of Regulation (EU, Euratom) No 1141/2014 on the statute and funding of European political parties and European political foundations 2021/2018(INI).

* 18 Thierry Coosemans, « Les partis politiques européens », in Courrier hebdomadaire du Centre de recherche et d'information socio-politiques (Crisp), 2013/36 n° 2201-2202.

* 19 Alliance de partis politiques souverainistes qui a cessé d'exister en 2017.

* 20 Francisco Roa-Bastos, Des « partis politiques au niveau européen » ? État des lieux à la veille des élections européennes de juin 2009, étude pour l'Institut Jacques Delors, mai 2009.

* 21 Institut Jacques Delors, « Propositions des principales familles politiques européennes sur les grands thèmes de la campagne pour les élections européennes », mars 2019.

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