III. DES DÉBATS AXÉS SUR DES ENJEUX DÉMOCRATIQUES, LA PRISE EN CONSIDÉRATION DE CATÉGORIES VULNÉRABLES ET DES PRÉOCCUPATIONS D'ACTUALITÉ

La deuxième partie de la session ordinaire de 2021 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a été ponctuée par la discussion de plusieurs projets de résolutions et de recommandations portant sur des enjeux divers, mais essentiels et en lien direct avec l'actualité.

Nonobstant plusieurs débats ayant trait au respect de l'État de droit, des processus démocratiques et des droits de l'Homme dans certains États membres du Conseil de l'Europe ou situés à ses confins immédiats (à l'instar de la Biélorussie), l'APCE s'est préoccupée de la situation des personnes plus particulièrement vulnérables (les malades d'affections de longue durée, les minorités). De même, elle s'est prononcée sur des sujets en phase avec l'actualité, telle la question de la contribution fiscale des géants du numérique ou celle des certificats de vaccination contre le SARS-Cov-2.

Parmi ces débats, quatre ont été introduits par des membres de la délégation française, confirmant ainsi le haut degré d'implication de ceux-ci dans les sujets expertisés par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Les thématiques en question ont porté sur :

- la situation des Arméniens prisonniers de guerre, détenus en captivité et personnes déplacées à la suite du dernier conflit au Haut-Karabakh, sur le propos liminaire de M. Alain Milon (Vaucluse - Les Républicains), premier vice-président de la délégation française ;

- la nécessité d'une enquête internationale sur les violations des droits de l'Homme en Biélorussie, sur le rapport de Mme Alexandra Louis (Bouches-du-Rhône - La République en Marche) ;

- les discriminations à l'égard des personnes atteintes de maladies chroniques et de longues durées, sur le rapport de Mme Martine Wonner (Bas-Rhin - Libertés et Territoires) ;

- et l'arrestation et la détention d'Alexeï Navalny en janvier 2021, sur le rapport de M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) .

A. UNE PRIORITÉ ET UNE VIGILANCE RÉAFFIRMÉES À L'ÉGARD DE LA DÉFENSE DE LA DÉMOCRATIE ET DE L'ÉTAT DE DROIT

Chaque session de l'APCE comporte des échanges et l'examen de textes sur ce qui constitue son « coeur de métier », à savoir l'analyse des évolutions constatées chez certains États membres - ou ayant vocation à le devenir - en matière de standards électoraux, démocratiques et judiciaires. La session de printemps 2021 s'est parfaitement inscrite dans ce cadre.

1. Une forte inquiétude au sujet de la situation en Biélorussie

Le 21 avril, l'Assemblée parlementaire a tenu un débat conjoint sur la Biélorussie, pays qui s'était vu décerner en 1993 le statut d'invité spécial en vue de rejoindre Conseil de l'Europe mais n'en est pas devenu membre en raison, notamment, de la persistance du recours à la peine de mort et de l'absence de progrès démocratiques. Si ce statut a été suspendu en 1997 et le processus d'adhésion gelé, le pays a entretenu des relations plus ou moins suivies avec la Commission de Venise : jusqu'en 2012, cette dernière a émis de nombreux avis sur des réformes constitutionnelles, législatives et électorales envisagées par les autorités. De surcroît, un plan d'action pour la Biélorussie a été adopté par le Comité des Ministres en juillet 2019 : instrument de programmation stratégique permettant une approche inclusive et structurée de la coopération, ce plan s'articule autour des trois piliers opérationnels de l'Organisation (à savoir les droits de l'Homme, l'État de droit et la démocratie), avec des activités basées sur les conventions et des coopérations.

a) L'affirmation de la nécessité urgente d'une réforme électorale dans ce pays

Sur le rapport de Lord David Blencathra (Royaume-Uni - CE/AD), au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie, l'Assemblée parlementaire a tout d'abord adopté une résolution et une recommandation actant la nécessité urgente d'une réforme électorale en Biélorussie.

Au cours de la discussion générale, le rapporteur a tout d'abord remarqué, sur la base des nombreuses observations d'élections sur place par l'APCE par le passé, que les élections en Biélorussie n'ont jamais respecté les normes internationales de liberté et d'équité. Il ne s'est pas montré surpris que, en août 2020, à la suite d'un énième scrutin similaire aux précédents, les citoyens biélorusses aient massivement contesté les résultats dans la rue.

L'objectif poursuivi par le travail de la commission des questions politiques a consisté à élaborer des recommandations neutres en vue d'une réforme de la loi électorale biélorusse afin que le système électoral devienne transparent, responsable et finalement crédible.

Lord David Blencathra a précisé que, dans la préparation de son rapport, il avait essayé d'entrer en contact avec toutes les parties prenantes, y compris les autorités biélorusses. Malheureusement, celles-ci ont ignoré cette démarche, à la différence des représentants de la société civile.

Balayant les critiques dont il a fait l'objet au cours de la préparation de son travail, le rapporteur a reconnu que l'APCE n'avait certes pas observé les dernières élections présidentielles en Biélorussie, en raison d'une invitation tardive dans un contexte sanitaire difficile, mais il a insisté sur le fait qu'elle avait observé les élections précédentes au cours des vingt années antérieures, avec à chaque fois le constat des mêmes défaillances. Il a ajouté que, bien que la Biélorussie ne soit pas un État membre du Conseil de l'Europe, l'Assemblée parlementaire pouvait fort bien, sur la base de sa grande expertise, formuler des conseils pratiques et techniques pour réformer le système électoral biélorusse.

Lord David Blencathra a estimé que la nécessaire objectivité des propositions de réformes formulées ne valait pas quitus pour les effroyables violations des droits de l'Homme et les graves défaillances du système électoral qui perdurent depuis plus de deux décennies. De ce point de vue, l'ambiguïté n'est pas permise : les élections d'août 2020 n'étaient ni libres, ni équitables.

Réitérant sa position sur la nécessité de procéder à une réforme électorale avant que de nouvelles élections puissent avoir lieu, il a reconnu qu'une réforme électorale prendrait du temps et ne pouvait pas servir de prétexte aux autorités pour reporter indéfiniment les élections. Il a toutefois estimé que des élections anticipées ne peuvent avoir lieu à n'importe quel prix, raison pour laquelle la commission des questions politiques et de la démocratie avait fixé des conditions à respecter.

En conclusion, le rapporteur a estimé que l'objectivité du travail de l'APCE était le meilleur gage pour pouvoir discuter d'une réforme électorale nécessaire avec les autorités biélorusses, quelles qu'elles soient à l'avenir, afin d'ouvrir la voie à une nouvelle Biélorussie, fondée sur les droits de l'Homme, la démocratie et l'État de droit.

b) La prescription d'une enquête internationale sur les violations des droits de l'Homme qui s'y trouvent perpétrées

Sur le rapport de Mme Alexandra Louis (Bouches du Rhône - La République en Marche) , au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, l'APCE a également adopté le même jour une résolution et une recommandation appelant à la tenue d'une enquête internationale sur les violations des droits de l'Homme commises en Biélorussie.

En ouverture de la discussion générale, la rapporteure a salué le mouvement courageux de protestation et de résistance pacifique du peuple biélorusse après l'élection présidentielle truquée au mois d'août 2020, un mouvement de protestation dans lequel les femmes ont joué un rôle crucial, avec à leur tête la candidate d'opposition, Mme Svetlana Tikhanovskaya. Elle a également dénoncé les violences indicibles des forces de l'ordre pour supprimer le mouvement populaire, révélées par des images insoutenables de tortures et de violences à l'encontre des manifestants pacifiques, dont des femmes, des jeunes, des personnes handicapées, dans une totale impunité.

Mme Alexandra Louis a rappelé que, face à cette situation, l'APCE avait souhaité formuler des propositions concrètes pour combattre l'impunité des tortionnaires et de leurs responsables hiérarchiques. Combattre l'impunité est d'abord une question de principe, de justice universelle, mais c'est aussi une arme de dissuasion qui consiste à envoyer un signal fort aux violeurs des droits humains, afin qu'ils sachent qu'ils devront répondre de leurs actes.

Observant que l'appareil judiciaire biélorusse est, en l'état, incapable ou empêché politiquement de faire la justice dans de tels cas, la rapporteure a déploré l'absence de poursuites contre les agents publics violents, même en cas de mort d'homme, quand dans le même temps les médecins, avocats, défenseurs des droits humains et journalistes qui s'emploient à documenter et à rendre publiques les exactions se trouvent poursuivis pénalement sur la base de lois floues. La Commission de Venise a d'ailleurs adopté un avis sur la compatibilité de certaines de ces lois pénales avec les principes européens en la matière ; sans surprise, elle a conclu que ces bases légales des poursuites sont excessivement vagues.

Mme Alexandra Louis a appelé à reconnaître comme « prisonniers politiques », aux termes de la Résolution 1900 (2012), toutes les personnes emprisonnées pour avoir participé aux manifestations pacifiques ou pour avoir publié des informations sur ces manifestations et sur leur répression, ou encore pour avoir aidé les victimes de la répression en tant qu'avocats ou autres défenseurs des droits humains, ainsi que les chefs de l'opposition démocratique. La libération de toutes ces personnes doit en effet être la première des priorités.

La deuxième priorité doit consister à envoyer un signal fort contre l'impunité, notamment en s'appuyant sur l'initiative du Parlement européen créant une plate-forme de coordination qui recueille, analyse et évalue les informations et les éléments de preuve pertinents des exactions commises en Biélorussie. Les informations ainsi recueillies et évaluées pourront être mises à la disposition des autorités des États européens à une double fin : tout d'abord, pour faire usage de la compétence universelle de leurs tribunaux nationaux ; ensuite, pour aider les États et l'Union européenne à imposer des sanctions ciblées, via par exemple des dispositifs « Magnitsky », existants ou à créer.

En conclusion, la rapporteure a souhaité avoir une pensée pour la jeunesse biélorusse, qui comporte les ferments d'un avènement de la démocratie.

Lors de la discussion générale, M. Frédéric Petit (Français établis hors de France - Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés) , s'exprimant au nom du groupe ADLE, a comptabilisé que cela faisait deux cent cinquante-six jours que les Biélorusses se battaient pour une nouvelle élection présidentielle libre. Il a souligné qu'ils se battaient entre autres pour leur nation, leur identité retrouvée, la fierté d'être citoyens d'un pays situé entre la Russie et l'Europe et qui doit s'inventer une place singulière et inédite dans le XXI ème siècle, mais aussi pour la vérité et la transparence. Il a relevé qu'ils étaient d'ailleurs descendus dans la rue bien avant le 9 août puisque les mensonges avaient commencé pendant la campagne, avec l'arrestation des candidats les plus populaires.

Les coups de matraque, la torture, les humiliations, les viols, les conditions épouvantables des prisons, le coronavirus rendent certes la mobilisation moins impressionnante que cet été ou que cet automne, mais les Biélorusses mènent des contestations locales et c'est la société civile qui est en train de naître en coordination étroite avec les équipes de Svetlana Tikhanovskaya, réfugiée à Vilnius, et de Pavel Latouchka, réfugié à Varsovie. Ces deux capitales ne sont pas un hasard : la Lituanie et la Pologne se montrent exemplaires dans le soutien à cette lutte.

Lorsque Svetlana Tikhanovskaya appelle les Européens à être plus courageux, elle pense aussi au dépassement des clivages et des divisions face à l'essentiel. Aujourd'hui, l'Europe ne fait pas assez pour la Biélorussie. Malgré le trucage des urnes, le Président Loukachenko est toujours là, ses fidèles aussi, et le nombre de prisonniers politiques augmente jour après jour, semaine après semaine, pour des raisons de plus en plus arbitraires, voire surréalistes.

M. Frédéric Petit en a appelé à un soutien plus direct aux associations humanitaires accueillant des réfugiés politiques, aux médias indépendants, aux comités de citoyens. Ce soutien est urgent car il existe des velléités des autorités russes d'utiliser le territoire biélorusse dans leur stratégie de pression autour de l'Ukraine. De plus, l'APCE doit pouvoir être reçue sur place car les enjeux sont fondamentaux et portent sur le rapport entre chaque citoyen et son gouvernement. En définitive, cette affaire est bien celle des membres du Conseil de l'Europe et l'oublier les menacerait tous, sans exception.

Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française , a estimé que même si la Biélorussie n'est pas membre du Conseil de l'Europe, il n'était pas possible de rester indifférents et passifs devant les violations massives des droits humains et de l'État de droit perpétrées par le régime de ce pays, plus particulièrement depuis le 9 août 2020.

Elle a souligné que l'origine de la crise était à la fois politique et électorale. Politique, indiscutablement, parce que le peuple biélorusse n'en peut plus de ce régime autoritaire, corrompu et inefficace, qui est en place depuis 1994. Électorale, forcément, parce que le régime s'appuie sur des règles obsolètes et contraires aux standards internationaux en matière d'élections. Tout ce que souhaite ce régime en place, qui est illégitime, c'est de se maintenir coûte que coûte au pouvoir.

Le scrutin du 9 août 2020 a été marqué par de très graves irrégularités. Le peuple biélorusse ne s'y est pas trompé, lui qui a massivement bravé, des semaines et des mois durant, les persécutions du pouvoir et des forces de sécurité pour manifester pacifiquement. Ce courage, qui a conduit à des milliers d'arrestations et d'emprisonnements arbitraires, à plus de 500 cas de torture recensés, à des décès et à des milliers de plaintes restées sans suite, force le respect et oblige.

Mme Nicole Trisse a plaidé en faveur d'une aide à ce peuple, qui ne demande que des élections libres et démocratiques. Cela suppose de pouvoir recourir à la compétence juridictionnelle universelle. Il faut envoyer un signal fort aux bourreaux du régime qui doivent être poursuivis et sanctionnés. En outre, les organisations internationales, telles que l'Union européenne, devraient pouvoir agir à l'encontre des autorités via des mesures économiques renforcées. Enfin, la Biélorussie doit pouvoir sortir de ce cauchemar en refondant ses institutions et son système électoral. Et à cet égard, l'APCE doit aider ce pays, l'accompagner avec ses moyens, les conventions du Conseil de l'Europe et ses valeurs.

Pour conclure, elle a appelé l'Assemblée parlementaire à ne pas décevoir la société civile biélorusse, en condamnant les actes et les exactions intolérables d'un régime sclérosé et illégitime.

M. André Gattolin (Hauts-de-Seine - Rassemblement des Démocrates, Progressistes et Indépendants) a jugé que la Biélorussie fait tristement tache sur la carte de l'Europe car elle est le seul pays non signataire de la convention européenne des droits de l'Homme ; elle est également le seul pays qui n'a toujours pas aboli la peine de mort. Il s'agit aussi d'un pays où les trucages électoraux et les exactions du régime sont malheureusement réguliers.

Il a indiqué que, pas plus tard que le 20 avril 2021, l'ONG Reporters sans frontières venait de publier son classement sur la liberté de la presse dans le monde, dans lequel la Biélorussie recule encore et se situe au 158 ème rang sur 180 pays, soit le pire des rangs européens.

Depuis 1994, le pays est dirigé par un seul et même homme : M. Alexandre Loukachenko. Or, ce n'est pas la première fois que l'APCE se penche sur les pratiques inadmissibles qui ont cours en Biélorussie pour étouffer l'opposition démocratique. Déjà en 2004, M. Christos Pourgourides, avait, à la suite d'une enquête extrêmement approfondie et faisant référence, publié un excellent rapport sur les disparitions forcées en Biélorussie.

Rappelant qu'il était lui-même rapporteur de l'Assemblée parlementaire sur les disparitions forcées au sein du périmètre du Conseil de l'Europe et travaillait depuis deux ans avec M. Christos Pourgourides sur ces questions, M. André Gattolin a évoqué le rôle de M. Dmitri Pavlitchenko, ancien chef d'une unité spéciale de la police accusé de conduire un escadron de la mort qui a fait enlever et exécuter quatre opposants politiques à M. Loukachenko. Il a souligné que cet individu, qui avait disparu, était réapparu à l'occasion des manifestations postérieures à l'élection présidentielle pour mobiliser des forces obscures contre les militants. Il s'est aussi alarmé que des cas de disparitions forcées temporaires aient été recensés. Il a conclu en appelant tous les membres de l'APCE, et à travers eux tous les États membres du Conseil de l'Europe, à signer et ratifier la convention internationale contre les disparitions forcées.

2. Un focus sur la situation des Arméniens prisonniers de guerre, détenus en captivité et personnes déplacées à la suite du dernier conflit au Haut-Karabakh

Sur proposition du groupe PPE/DC, le Bureau de l'APCE a inscrit à l'ordre du jour un débat d'actualité sur la situation des Arméniens prisonniers de guerre, détenus en captivité et personnes déplacées. Ce type de débats, prévu à l'article 53 du Règlement de l'Assemblée parlementaire ne donne pas lieu à la présentation d'un rapport ni à un vote mais plutôt à une discussion générale libre. Il s'est tenu, en l'occurrence, le mardi 20 avril, en fin de journée.

En ouverture de la discussion, M. Alain Milon (Vaucluse - Les Républicains), premier vice-président de la délégation française, premier orateur désigné par le Bureau au nom du groupe PPE/DC, a tenu à préciser, en réponse à une objection formulée par le président de la délégation nationale d'Azerbaïdjan à l'ouverture de la partie de session, que le but du groupe PPE/DC n'était nullement d'exagérer la situation, ni de créer des obstacles à la paix. Prêter attention à un conflit qui met aux prises deux États membres du Conseil de l'Europe, suivre avec attention la situation des prisonniers de guerre, des détenus et des personnes déplacées, est pleinement en phase avec les finalités de l'APCE. Régler définitivement le différend qui oppose l'Arménie et l'Azerbaïdjan n'est pas l'objectif poursuivi, même si Strasbourg est elle-même un symbole de réconciliation et de paix ; en revanche, l'APCE doit aborder clairement cette question au nom des valeurs d'humanité qui fondent toute appartenance au Conseil de l'Europe.

Pendant le conflit, puis début 2021, la Cour européenne des droits de l'Homme a été saisie de requêtes interétatiques, tant par l'Arménie que par l'Azerbaïdjan. La Cour avait demandé le 29 septembre aux deux belligérants de s'abstenir de prendre toute mesure, en particulier des actions militaires, qui pourraient entraîner des violations des droits des populations civiles garantis par la convention européenne des droits de l'Homme. Elle leur avait aussi demandé de se conformer aux engagements découlant de ce traité, notamment concernant le droit à la vie ainsi que l'interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants. La Cour avait ensuite appelé les États impliqués à respecter les droits garantis aux personnes capturées pendant le conflit, ainsi qu'à celles dont les droits sont méconnus de toute autre manière.

Rappelant que les populations civiles n'ont pas été épargnées au cours du conflit, Amnesty International recensant début janvier 2021 au moins 146 civils tués par les forces arméniennes et azerbaïdjanaises, M. Alain Milon a relevé que, le 2 décembre 2020, Human Rights Watch affirmait quant à elle que les forces azerbaïdjanaises avaient sévèrement maltraité plusieurs soldats arméniens capturés lors du conflit au Haut-Karabakh et les avaient filmés dans des vidéos largement diffusées sur les réseaux sociaux. Le 11 décembre suivant, Amnesty International faisait état de vidéos montrant, de la part des deux camps, des exécutions et des traitements inhumains infligés à des prisonniers de guerre et d'autres captifs, ainsi que la profanation de cadavres de soldats ennemis.

M. Alain Milon a tenu à rappeler que les prisonniers de guerre sont protégés par la troisième convention de Genève et que la convention européenne des droits de l'Homme stipule que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Les faits rapportés par les ONG méritent assurément, de la part des deux camps, des investigations indépendantes et impartiales afin d'identifier les responsables et de les traduire en justice.

Il a également fait valoir que l'accord de cessez-le-feu, conclu sous l'égide de la Fédération de Russie le 9 novembre 2020, aborde spécifiquement la question des prisonniers de guerre, des otages, des personnes détenues et des corps des victimes du conflit, ainsi que des personnes déplacées. De fait, des échanges de prisonniers ont eu lieu mi-décembre, mais la question apparaît loin d'être réglée.

La Cour européenne des droits de l'Homme a indiqué avoir reçu de nombreuses demandes concernant des personnes captives, formulées soit par les gouvernements arménien et azerbaïdjanais, soit par les proches des personnes captives. La Cour invitait les gouvernements concernés à fournir des informations sur ces personnes.

Le 9 mars 2021, la Cour européenne des droits de l'Homme a décidé d'informer le Comité des Ministres de mesures provisoires au titre de l'article 39 de son Règlement : 58 des Arméniens mentionnés par la Cour ont été rapatriés entre décembre 2020 et février 2021 et sept d'entre eux ont été retrouvés décédés, selon le gouvernement arménien. La Cour a précisé que 72 Arméniens sont toujours en Azerbaïdjan, leur captivité et leur détention ayant été reconnues par le gouvernement azerbaïdjanais ; en ce qui concerne les 112 autres personnes, le gouvernement azerbaïdjanais affirme qu'il n'a pas été en mesure de les identifier parmi les captifs. Les mesures provisoires restent donc en vigueur à l'égard de 188 Arméniens qui auraient été capturés par l'Azerbaïdjan.

La Cour a notifié au Comité des Ministres les mesures qu'elle avait prises, eu égard « au non-respect par le gouvernement azerbaïdjanais des délais fixés (...) pour la communication d'informations sur les personnes concernées et des informations assez générales et limitées fournies par celui-ci ».

La Cour européenne des droits de l'Homme a aussi reçu des demandes au titre de l'article 39, introduites par le gouvernement d'Azerbaïdjan, concernant 16 Azerbaïdjanais qui auraient été capturés par l'Arménie : 12 personnes de ce groupe ont été reconnues captives par le gouvernement arménien et rapatriées en décembre 2020 ; les quatre autres personnes n'ont pas été reconnues captives par l'Arménie. Compte tenu de la nature des informations reçues du gouvernement arménien, la Cour a décidé de ne pas appliquer l'article 39 de son Règlement dans ces affaires.

M. Alain Milon a également évoqué le cas de quelques civils qui seraient détenus en Azerbaïdjan, notamment d'un ressortissant libanais d'origine arménienne, que le gouvernement d'Azerbaïdjan considère comme un mercenaire.

En conclusion, au regard des éléments fournis par la Cour européenne des droits de l'Homme, il a souhaité que ce débat incite le gouvernement azerbaïdjanais à répondre avec précision aux demandes de la Cour, à se conformer strictement aux droits européen et international et à libérer les prisonniers de guerre arméniens. Déplorant les déclarations qualifiant les soldats arméniens de terroristes, la publication de vidéos insoutenables, la mise en scène du parc des trophées de guerre inauguré dernièrement à Bakou, il a appelé à oeuvrer pour les droits des prisonniers de guerre, des détenus en captivité et des personnes déplacées, en soulignant que par-delà les chiffres évoqués, il y a des destins.

Intervenant comme oratrice du groupe ADLE, Mme Alexandra Louis (Bouches-du-Rhône - La République en Marche) a soutenu que le drame du Haut-Karabakh n'est pas clos et ne le sera pas tant qu'un seul citoyen restera indûment prisonnier. Les droits humains ne sont pas des abstractions. Ils ne se négocient pas, ils ne s'instrumentalisent pas mais, surtout, ils engagent chaque État membre, non pas par de simples déclarations mais surtout par des actes.

Elle a rappelé que, le 9 novembre 2020, la convention tripartite censée mettre fin aux hostilités au Haut-Karabakh aurait dû conduire, au titre du paragraphe 8, à « la libération de tous les prisonniers de guerre et de tous les civils ». Or, si l'Arménie a respecté cet engagement, l'Azerbaïdjan a non seulement continué, après la signature de l'accord, à capturer des femmes et des hommes arméniens, dont quatre civils, mais refuse de libérer tous les prisonniers.

Il y aurait au total plus de 200 prisonniers arméniens autour desquels l'Azerbaïdjan entretient une certaine opacité. Cette entrave au rapatriement des citoyens arméniens est une violation du droit humanitaire international, et notamment de l'article 118 de la troisième convention de Genève qui prévoit que « les prisonniers de guerre seront libérés et rapatriés sans délai après la fin des hostilités ».

Se référant au principe selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu, Mme Alexandra Louis a fait valoir qu'après l'arrêt des hostilités, aucune justification de détention n'est légitime. Pour refuser le rapatriement des citoyens arméniens, l'Azerbaïdjan leur dénie le statut de prisonniers de guerre, indique qu'ils auraient été capturés après la signature de l'accord de cessez-le-feu et les qualifie de terroristes. Or, ces derniers, le jour de la signature de l'accord, ont été pris au piège dans la poche d'Hadrout, encerclée mais non encore occupée par les forces turco-azerbaïdjanaises. Compte tenu de ce contexte, ces personnes relèvent donc pleinement du statut de prisonniers de guerre et doivent être rapatriées.

Elle a ajouté qu'il existe en outre de sérieux soupçons quant au traitement inhumain dont pourraient être victimes les prisonniers, fondés notamment sur des vidéos particulièrement édifiantes et des rapports d'ONG, dont celui du 19 mars 2021 de Human Rights Watch qui affirme que ces crimes peuvent être classés et qualifiés en tant que crimes de guerre. La Cour européenne des droits de l'Homme a demandé des informations sur les conditions de détention, sans obtenir de réponse, ce qui, malheureusement, ne peut que conforter ces soupçons. L'inauguration très récente du parc des trophées à Bakou par le Président Aliyev, qui expose des casques de soldats morts et des mannequins de cire représentant des soldats arméniens dans des postures dégradantes, témoigne également du climat d'hostilité et de haine qui perdure. Il est donc urgent d'appliquer le droit, de libérer ces prisonniers et de rétablir une paix pérenne.

M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) a jugé nécessaire que l'APCE tienne ce débat d'actualité. Il a rappelé, à l'instar de l'orateur principal, que la Cour européenne des droits de l'Homme avait été saisie à plusieurs reprises, pendant et après le conflit, et qu'elle avait notamment appelé tous les États impliqués à respecter les droits garantis par la convention européenne des droits de l'Homme aux personnes capturées pendant le conflit ainsi qu'à celles dont les droits sont méconnus de toute autre manière.

Si le gouvernement arménien a répondu aux demandes de la Cour, le gouvernement de l'Azerbaïdjan n'a pas respecté les délais qu'elle lui avait fixés et il n'a fourni que des informations assez générales et limitées. Alors que l'APCE a affirmé que les droits humains doivent rester au coeur du cadre stratégique du Conseil de l'Europe et que la priorité absolue doit être la mise en oeuvre de la convention européenne des droits de l'Homme dans tous les États membres, il est indispensable de rester cohérents avec cette prise de position s'agissant des Arméniens prisonniers de guerre, détenus en captivité et personnes déplacées.

M. Bernard Fournier a appelé l'Azerbaïdjan à répondre complètement aux demandes de la Cour européenne des droits de l'Homme et à appliquer pleinement la convention éponyme, qui affirme le droit à la vie et interdit la torture ainsi que les peines ou traitements inhumains et dégradants. Il s'est étonné de l'écart entre le nombre de requêtes reçues par la Cour et le nombre de captifs reconnus par l'Azerbaïdjan, s'interrogeant sur le sort des 112 personnes mentionnées par la Cour que le gouvernement azerbaïdjanais affirme ne pas être en mesure d'identifier.

En conclusion, il a solennellement appelé le gouvernement d'Azerbaïdjan à libérer les prisonniers de guerre arméniens et les autres captifs, estimant cette démarche indispensable pour aller vers un règlement durable du conflit et pour respecter les valeurs défendues dans l'enceinte de l'APCE.

3. L'examen, à l'occasion d'un débat d'urgence, de la question de l'arrestation et de la détention d'Alexeï Navalny en janvier 2021

Sur le fondement de l'article 51 de son Règlement et sur proposition unanime des groupes politiques, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a tenu, dans la matinée du jeudi 22 avril, un débat d'urgence sur l'arrestation et de la détention d'Alexeï Navalny en janvier 2021. Introduits par le rapport de M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) , au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, les échanges ont débouché sur l'adoption en plénière d'une résolution et d'une recommandation au Comité des Ministres, seuls les débats d'actualité ne donnant lieu à aucune prise de position formelle de l'APCE.

Jugeant ce débat d'une importance cruciale tant pour le principal intéressé que pour la Russie, le rapporteur a rappelé qu'Alexeï Navalny est emprisonné à la suite d'une condamnation que la Cour européenne des droits de l'Homme a jugée illégale. Pourtant, il est toujours en prison, malgré l'adoption en février par la Cour d'une mesure provisoire contraignante demandant sa libération, malgré la demande du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe de l'annulation de sa condamnation et de sa libération, malgré l'appel également lancé en ce sens en janvier 2020 par l'APCE.

M. Jacques Maire a observé que le dossier est solide et clair. La position de l'Assemblée parlementaire et des autres institutions du Conseil de l'Europe est donc fondée sur des faits établis et des conclusions sans ambiguïté. Il a rappelé à cet égard qu'en 2014, M. Alexeï Navalny a été condamné dans l'affaire dite « Yves Rocher » à une peine de trois ans et demi avec sursis, assortie d'une période de probation de cinq ans. En 2017, la Cour européenne des droits de l'Homme a estimé que cette condamnation et cette peine violaient la convention européenne des droits de l'Homme, notamment en son article 6, qui impose le droit à un procès équitable, et son article 7, qui interdit de punir sans loi, puisque les tribunaux russes ont appliqué le code pénal d'une manière si arbitraire que M. Navalny était incapable de prévoir que sa conduite serait considérée comme criminelle. La Cour de Strasbourg a, dès lors, ordonné à la Russie d'agir sur deux plans : rouvrir la procédure pénale et s'assurer que les tribunaux nationaux remédient aux violations constatées.

En 2018, la Cour suprême russe a effectivement rouvert la procédure. Elle a certes procédé aux compensations financières demandées mais elle a maintenu la condamnation et la peine. Elle n'a donc pas remédié aux violations constatées par la Cour européenne des droits de l'Homme.

En janvier dernier, M. Alexeï Navalny est rentré en Russie après avoir reçu des soins médicaux en Allemagne du fait d'un possible empoisonnement. Il a immédiatement été arrêté car il n'aurait pas respecté les conditions de sa liberté conditionnelle dans l'affaire « Yves Rocher ». Deux semaines plus tard, un tribunal a confirmé le non-respect de son contrôle judiciaire et l'a envoyé en prison pour le reste de sa peine avec sursis, soit deux ans et huit mois.

Le rapporteur a estimé souhaitable de réitérer les obligations de la Russie énoncées dans l'arrêt de la Cour européenne et sa mesure provisoire, ainsi que dans la récente décision du Comité des Ministres. Cet appui de l'Assemblée parlementaire a une immense importance politique pour Alexeï Navalny et la société civile russe. Il a également jugé nécessaire d'aborder l'état de santé de M. Alexeï Navalny, lequel rend encore plus urgente l'obligation de le libérer. À cet égard, le problème réside d'abord dans l'absence de soins médicaux appropriés et l'attitude apparemment indifférente des autorités russes.

Commentant les informations reçues de l'administration pénitentiaire russe, M. Jacques Maire a trouvé étonnant qu'une personne souffrant de multiples hernies discales et de protrusions vertébrales, qui n'a plus l'usage complet de ses jambes, des problèmes respiratoires, des reins qui dysfonctionneraient gravement, qui a perdu plus de quinze kilos en raison d'une grève de la faim, et qui vient d'être hospitalisé, soit considérée dans un état de santé « satisfaisant ».

Alors que M. Alexeï Navalny a le droit de consulter le médecin de son choix, en vertu de la loi russe, les autorités auraient fait un autre choix puisque quatre médecins non pénitentiaires ont été missionnés par l'État pour vérifier sa santé. Cet empêchement de voir le médecin de son choix ne peut qu'entraîner des suspicions sur la motivation de l'administration pénitentiaire.

Le rapporteur a considéré que M. Alexeï Navalny doit être libéré immédiatement. S'il meurt en prison, ce sera la décision, en toute conscience, des autorités russes car assurer sa santé et sa sécurité en prison n'est pas une alternative à sa libération. Sur la même base, le Comité de prévention de la torture devrait visiter le lieu de détention de M. Navalny pour s'assurer que, s'il n'est pas libéré, ses conditions de détention sont compatibles avec les normes européennes.

En conclusion, M. Jacques Maire a regretté que ses efforts pour coopérer avec les autorités russes n'aient pas reçu la réponse espérée. Précisant qu'il avait tenu compte de toutes les informations officielles reçues par écrit du ministère de la Justice russe, il a défendu l'objectivité de ses conclusions dont il a espéré qu'elles soient entendues à Moscou, dans l'intérêt de M. Alexeï Navalny et de tous les prisonniers dans sa situation mais aussi pour tous les citoyens russes silencieux que l'APCE a aussi pour mission de défendre.

M. André Gattolin (Hauts-de-Seine - Rassemblement des Démocrates, Progressistes et Indépendants) a salué la tonalité critique et équilibrée du rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, dont il a partagé les conclusions. En effet, l'arrestation et la détention d'Alexeï Navalny en janvier 2021 entrent en contradiction flagrante avec les valeurs défendues au sein de l'APCE, avec les engagements découlant de l'adhésion au Conseil de l'Europe et avec les décisions et les arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Rappelant avoir soutenu, en 2019, la réintégration de la délégation russe au sein de l'Assemblée parlementaire, il a souligné qu'il ne s'agissait pas pour autant d'un blanc-seing : la Russie doit respecter ses engagements. La Cour européenne des droits de l'Homme a conclu que la condamnation de M. Alexeï Navalny dans l'affaire « Yves Rocher » portait atteinte à son droit à un procès équitable et à l'interdiction de toute peine infligée sans la loi. Malgré cela, la Cour suprême russe a confirmé le verdict et la peine infligée.

M. André Gattolin a donc demandé avec force l'annulation de la condamnation de M. Alexeï Navalny, sa libération sans délai et le respect de son droit à des soins.

Lors de son intervention du 21 avril 2021 devant la Douma et le Conseil de la Fédération, le Président Vladimir Poutine a peu parlé de sujets internationaux mais il a néanmoins, de manière très elliptique, défini le fait qu'il fixerait, de manière ad hoc , un certain nombre de lignes rouges. Or, la Fédération de Russie s'est déjà fixée une ligne rouge : celle d'avoir adhéré à la convention européenne des droits de l'Homme et, par conséquent, d'en accepter les règles et les conséquences contentieuses. En matière de coopération réelle, on ne peut accepter qu'un des partenaires s'arc-boute sur une approche unilatérale, selon laquelle « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable ». Le bilatéralisme, le multilatéralisme et, surtout, l'esprit de coopération, ne peuvent être enfermés dans ces principes-là.

4. Des préoccupations au sujet du fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie

Toujours sur le fondement de l'article 51 de son Règlement et sur proposition unanime des groupes politiques, l'APCE a mené un second débat d'urgence, dans la matinée du jeudi 22 avril, sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie. Introduit par le rapport de MM. Thomas Hammarberg (Suède - SOC) et John Howell (Royaume-Uni - CE/AD), au nom de la commission de suivi, les discussions ont là-aussi débouché sur l'adoption en plénière d'une résolution.

En introduction de la discussion générale, M. Thomas Hammarberg, co-rapporteur, a souligné avoir travaillé dans un esprit de dialogue et de coopération. Il a justifié la tenue de ce débat par les développements récents et inquiétants constatés en Turquie, où des tentatives de saper la démocratie, l'État de droit et les droits humains ont eu lieu. À cet égard, une procédure a été lancée et pourrait conduire à la fermeture du deuxième plus grand parti d'opposition à la Grande Assemblée nationale turque ; par ailleurs, un tiers des parlementaires sont susceptibles d'être poursuivis en justice et de voir leur immunité levée.

La liberté d'expression se trouve également menacée, les journalistes étant souvent empêchés de faire leur travail, tandis que les acteurs de la société civile et les défenseurs des droits humains, tels ceux de l'Association pour les droits de l'Homme ou d'Amnesty International, voient leurs droits remis en cause. Pour toutes ces raisons, une réaction urgente de l'APCE s'avère nécessaire.

M. John Howell, autre co-rapporteur, a quant à lui souhaité soulever deux points en particulier. Il est tout d'abord revenu sur la décision du Président Erdogan de retirer son pays de la convention d'Istanbul sans aucun débat parlementaire, jugeant dévastatrice une telle initiative. Il a regretté que des récits trompeurs aient été utilisés pour priver les femmes et les jeunes filles de Turquie d'un traité international considéré aujourd'hui comme la référence en matière de lutte contre la violence envers les femmes. Le Royaume-Uni, pour sa part, poursuit le processus de ratification et il serait souhaitable que la Turquie reconsidère sa décision.

Le co-rapporteur a ensuite soulevé la question de l'indépendance du pouvoir judiciaire, en dénonçant le manque de séparation des pouvoirs consacré par les amendements constitutionnels de 2017. Les décisions juridictionnelles doivent être exemptes d'ingérence politique et conformes aux normes du Conseil de l'Europe. Les autorités turques peuvent inverser ces tendances inquiétantes en saisissant l'occasion de la mise en oeuvre de leur plan d'action pour les droits de l'Homme et de la révision de la législation sur les élections et les partis politiques pour prendre des mesures significatives afin de mettre un terme au harcèlement judiciaire des membres de l'opposition et des voix dissidentes. Elles devraient aussi améliorer la liberté d'expression et des médias.

5. Le bilan du dialogue post-suivi avec le Monténégro

L'Assemblée parlementaire analyse régulièrement les développements qui concernent la situation des pays faisant l'objet d'un suivi continu en matière de droits de l'Homme. Dans ce cadre, elle a débattu, le mercredi 21 avril, du rapport de M. Damien Cottier (Suisse - ADLE) et M. Emanuelis Zingeris (Lituanie - PPE/DC), au nom de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe, sur le dialogue post-suivi engagé avec le Monténégro. Une résolution sur le sujet a été votée à l'issue des échanges intervenus en plénière.

Ouvrant la discussion générale, M. Damien Cottier, co-rapporteur, a indiqué que l'APCE a initié un processus de dialogue post-suivi avec le Monténégro en 2015. Un rapport a été établi début 2020 et aurait dû être débattu il y a un an mais la pandémie de coronavirus en a décidé autrement.

Outre l'observation des progrès s'agissant de l'indépendance de la justice, de la confiance dans le processus électoral, de la lutte contre la corruption et de la liberté des médias, la commission de suivi a porté son attention sur trois autres dimensions : la situation des minorités, celle des réfugiés et des personnes déplacées et la liberté de religion. Or, après six ans, le bilan est en demi-teinte.

Il y a, d'un côté, des évolutions positives, notamment s'agissant de la situation des minorités et des droits des personnes LGBTI ou encore de l'alternance démocratique au pouvoir, suite aux élections législatives d'août 2020. De l'autre côté, certaines attentes ont été déçues.

Ainsi, l'essentiel des réformes du système électoral n'ont pas été faites. La lutte contre la corruption n'a pas enregistré de progrès réels alors qu'il s'agit d'un domaine pourtant essentiel. En matière de liberté des médias, des journalistes restent sous la pression de procédures judiciaires, quand leur vie n'est pas directement menacée. Quant à l'indépendance de la justice, la question des nominations de présidents de tribunaux demeure pendante tandis que la réforme du ministère public et du bureau du Procureur pour la criminalité organisée et la corruption a fait l'objet d'un avis critique de la Commission de Venise.

Les co-rapporteurs attendent des autorités du Monténégro qu'elles donnent un signal clair sur ces différents sujets. S'il y a de bons signaux, un long chemin reste à parcourir, en partenaires et dans le dialogue, ce qui plaide pour le maintien du dialogue post-suivi.

Orateur du groupe PPE/DC, M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) a rappelé que le Monténégro est membre du Conseil de l'Europe depuis 2007. En 2015, l'APCE avait décidé de clore sa procédure de suivi et d'engager un dialogue post-suivi. Certes, des progrès ont été accomplis au cours des dix dernières années, notamment pour garantir le droit des minorités et lutter contre les discriminations, mais un certain nombre de difficultés demeurent.

En effet, la situation politique dans le pays est loin d'être apaisée. La forte polarisation de la scène politique, exacerbée par des doutes sur l'intégrité des scrutins électoraux, ne permet pas un exercice serein de la démocratie pour mener à bien les réformes attendues. Ainsi, à la suite des élections législatives d'octobre 2016, l'opposition a refusé de siéger au Parlement, estimant que de nombreuses fraudes et irrégularités avaient été relevées lors de ce scrutin. De plus, un groupe prévoyant de mener une action terroriste contre les institutions politiques a été arrêté le jour des élections. Si les législatives de 2020 ont bien permis la première alternance démocratique depuis l'indépendance du pays, il apparaît nécessaire de mettre en place un processus global et inclusif pour réformer le cadre électoral.

De plus, l'indépendance de la justice et la lutte contre la corruption sont des thèmes sur lesquels le Monténégro doit encore progresser. Les co-rapporteurs le soulignent et les autorités monténégrines le reconnaissent elles-mêmes.

Enfin, la question de l'indépendance des médias revêt une importance capitale pour garantir le bon fonctionnement des institutions démocratiques. Sur ce sujet également, les progrès sont limités : les médias continuent de subir des pressions économiques et politiques, les journalistes continuent d'être victimes d'agressions dont les commanditaires sont rarement identifiés et les organes de régulation des médias subissent des ingérences politiques. La poursuite du dialogue post-suivi s'avère donc souhaitable.

S'exprimant au nom du groupe ADLE, Mme Liliana Tanguy (Finistère - La République en Marche) a salué la qualité des travaux des deux co-rapporteurs, qui donnent un éclairage complet sur les événements ayant marqué la vie politique du Monténégro ces dernières années et identifient avec précision les défis à venir en matière d'État de droit pour ce pays qui joue un rôle positif dans la stabilisation de la région des Balkans occidentaux. La commission de suivi estime que le Monténégro a fait quelques progrès en matière d'indépendance du pouvoir judiciaire mais qu'un important chemin reste à parcourir, dans le respect notamment des avis de la Commission de Venise.

Il semble malgré tout que le pays ait atteint un plafond de verre et la nouvelle coalition au pouvoir devra démontrer une réelle volonté politique pour obtenir des résultats plus tangibles dans la lutte contre la corruption et la situation des médias, domaines dans lesquels aucun progrès majeur n'a été observé alors que la pression sur les journalistes reste forte. La Commission européenne note elle-même, dans sa communication de 2020, que des problèmes persistent s'agissant de l'indépendance du pouvoir judiciaire, du déroulé des élections, de la liberté de la presse et que le Monténégro devrait se montrer plus proactif dans ses efforts de réforme.

Mme Liliana Tanguy a rappelé les quatre domaines dans lesquels l'APCE souhaite poursuivre le dialogue post-suivi, à savoir l'indépendance du pouvoir judiciaire, la lutte contre la corruption, la situation des médias et la loi sur la liberté de religion. Elle a fait valoir qu'en la matière, le nouveau gouvernement entré en fonction fin 2020 devra accomplir des réformes ambitieuses, d'autant que le pays s'est parfois appuyé pour son développement économique sur le soutien de bailleurs de fonds bafouant quelques-unes des valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe.

Or, le respect des obligations et engagements nés de l'adhésion au Conseil de l'Europe est d'une importance capitale si le Monténégro veut que le dialogue post-suivi prenne fin. C'est également une condition essentielle à satisfaire dans les négociations en vue de l'adhésion de ce pays à l'Union européenne, qui reste une priorité de ses autorités et doit pouvoir se refléter dans les politiques engagées.

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