LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT

Axe 1 : Renforcer et optimiser la politique répressive pour dissuader le trafic

? La mission d'information recommande d'intensifier les contrôles et les saisies pour diminuer la rentabilité du trafic sur l'axe Paris-Cayenne et décourager les trafiquants .

Les efforts supplémentaires doivent concerner l'aéroport Félix Eboué et ses abords . De nouveaux équipements, tels que des scanners à rayons X pour le contrôle des bagages, devraient être déployés.

Par ailleurs, la mission plaide pour la réalisation ponctuelle de contrôles approfondis dits « à 100 % » à l'arrivée des vols en provenance de Guyane , à l'image de ceux pratiqués par les Pays-Bas sur les vols venant de pays à risques.

La mission préconise aussi de conforter la solidité juridique des arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquer.

Enfin, tout ce volet doit être assorti d'une communication adaptée , de nature à en garantir l'effet dissuasif.

? L'intensification des contrôles va engendrer un surcroît d'activité qui implique de dégager des marges de manoeuvre sur toute la chaîne de traitement afin d'éviter l'embolie .

Il s'agit de contrer la stratégie de saturation utilisée par les passeurs en améliorant l'efficacité de l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale.

Pour cela, il faut alléger au maximum les procédures en utilisant les possibilités existantes (telles les procédures douanières simplifiées qui permettent d'éviter le placement en retenue douanière ou la garde à vue) et employer chaque administration selon ses capacités (par exemple en recentrant l'action de l'OFAST 1 ( * ) sur le traitement des commanditaires et le démantèlement des réseaux).

Les délais de transfèrement des personnes interpelées devraient pouvoir être réduits , notamment par l'installation de chambres médicalisées à proximité des aéroports et par la réalisation de la Cité judiciaire à Saint Laurent-du-Maroni.

Enfin, les efforts visant à améliorer la coordination entre les différents services devront être poursuivis, notamment au plan local , et particulièrement à l'aéroport Félix Eboué.

Concernant l'autorité judiciaire , si une augmentation des effectifs de magistrats et greffiers en Guyane semble incontournable, des marges de manoeuvre existent également au niveau des procédures mises à disposition du parquet.

? La mission plaide pour un renforcement de l'action structurelle de démantèlement des réseaux .

Ceci implique un meilleur partage de l'information entre services , notamment grâce aux récentes cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROS), une lutte accrue contre le blanchiment et une augmentation de la saisie des avoirs criminels, ainsi qu'une implication forte de l'OFAST, qui doit être en mesure de faire de cette mission une priorité.

Axe 2 : Doter la politique de lutte contre le trafic de stupéfiants d'un volet social ambitieux, notamment en termes de prévention et de réinsertion

? La mission demande la mise en place d'une politique de prévention ambitieuse , pilotée par l'Etat et dotée de financements conséquents .

Elle suggère de confier explicitement au Préfet, en y associant étroitement la Collectivité territoriale de Guyane, une mission d'impulsion de la politique de prévention et de coordination des initiatives conduites au plan territorial.

La mission a également identifié un certain nombre de pistes de nature à améliorer la portée et l'efficacité de la politique de prévention : acquérir une meilleure connaissance du profil des passeurs et du contexte de l'entrée dans le trafic, impliquer davantage les publics visés - par la participation de passeurs repentis -, mais aussi les représentants des forces de sécurité, dans les actions proposées, étendre le champ de cette prévention à l'entourage familial et aux plus jeunes, pour contrer le recrutement précoce.

Il faudrait aussi prévoir des structures ou lieux d'accueil où les personnes souhaitant sortir du trafic, ou sur le point d'y basculer, pourraient trouver aide et conseil.

Enfin, un vrai effort budgétaire doit être consenti en faveur de cette politique, trop longtemps négligée.

? Elle recommande d'encourager la formation et l'insertion professionnelle des jeunes Guyanais

De manière générale, le développement de l'offre de formation dans les communes enclavées de l'intérieur et de l'ouest du département doit être une priorité.

Il faut également augmenter massivement la capacité d'accueil des dispositifs d'insertion socio-professionnelle comme les missions locales ou le service militaire adapté (SMA) est également nécessaire. Actuellement seuls 3 600 jeunes bénéficient chaque année d'un accompagnement socio-professionnel en Guyane, alors que 24 200 sont sans emploi ni formation.

? La politique pénale doit davantage favoriser la réinsertion socio-professionnelle

Si les peines prononcées doivent être exemplaires et dissuasives, elles doivent rester individualisées et prendre en compte le profil de la personne et le contexte : toute forme d'automaticité en la matière serait contreproductive.

Il convient d' éviter à tout prix les sorties « sèches » et privilégier la réinsertion , en permettant aux détenus de se former et en utilisant les dispositifs légaux récemment créés (sursis probatoire renforcé, continuité de l'accompagnement en milieu ouvert et en milieu fermé...).

Le lieu d'incarcération devrait être déterminé en fonction du projet d'insertion et non du lieu d'interpellation, comme actuellement.

Ces avancées supposent que les structures chargées de l'application des peines aient les moyens d'assurer cet accompagnement. A cet égard, le rapport propose de confier au service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de Guyane un rôle de maître d'oeuvre, lui permettant de coordonner l'ensemble des actions menées en Guyane et dans l'Hexagone, avec un renforcement des moyens humains et financiers permettant la concrétisation de dispositifs adaptés aux spécificités de ce public. Le rapport recommande également de former les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation du SPIP du Val-de-Marne au contexte culturel, géographique et sociologique des mules et des réseaux opérant en Guyane.

Enfin, il convient de favoriser les relations et contacts entre les associations de Guyane intervenant dans ce champ et celles localisées dans l'Hexagone .

Axe 3 : Renforcer la coopération internationale

? La mission plaide pour un renforcement de l'implication de la France dans la coopération régionale en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants dans la zone Caraïbe.

Ce renforcement concerne à la fois l'action de la MILDECA, des attachés de sécurité intérieure et des forces armées aux Antilles.

Afin de peser davantage dans les organisations qui portent cette coopération, elle suggère aussi de relancer l'adhésion de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane à la communauté caribéenne (CARICOM) comme membres associés.

? Enfin, la mission recommande d'intensifier la coopération bilatérale avec les pays voisins.

Cela doit concerner particulièrement avec le Suriname , à la faveur de l'évolution du contexte politique. Avec ce pays, la coopération est à développer non seulement au plan sécuritaire mais aussi en termes de développement économique compte tenu des synergies potentielles et des besoins convergents entre nos pays dans le bassin du fleuve Maroni .

I. LE TRAFIC DE COCAÏNE : UN FLÉAU ET UN DRAME HUMAIN POUR LA GUYANE

A. LA GUYANE, UN POINT DE PASSAGE PARMI D'AUTRES DE LA COCAÏNE VERS L'EUROPE

1. Une diversification des routes de la cocaïne dans l'environnement régional et international

À la différence des autres stupéfiants, la production de cocaïne est exclusivement située en Amérique du Sud, plus précisément en Colombie, en Bolivie et au Pérou, trois pays andins où la culture de feuilles de coca suffisamment riches en alcaloïdes est possible. S'il n'est évidemment pas possible d'évaluer précisément la quantité de cocaïne produite par ces trois pays, tout porte cependant à croire que la production mondiale est en hausse continue depuis les années 60 . L'augmentation du nombre des saisies et l'extension continue des surfaces cultivées de coca dans les pays précités - estimées par les bureaux régionaux de l'Office des Nations Unies contre les drogues et le crime (ONUDC) à partir d'images prises par satellite - en sont des indicateurs. Certes, le lien entre production de feuilles de coca et transformation en cocaïne n'est pas mécanique, une petite part de cette culture étant destinée dans les pays andins à une consommation légale, locale et ancienne, sans transformation, mais globalement, l'augmentation des surfaces cultivées de coca se traduit nécessairement par une hausse de la production.

La production de cocaïne a particulièrement augmenté ces dix dernières années, passant de 1 000 tonnes environ en 2013 à 2 000 tonnes en 2020.

L'ONUDC indique qu'en 2017, la fabrication illicite de cocaïne à l'échelle mondiale a atteint son niveau le plus haut jamais enregistré, à 1976 tonnes (estimation basée sur l'hypothèse d'une cocaïne pure à 100%), soit 25% de plus que l'année précédente . Ce résultat s'explique avant tout par une augmentation de la fabrication en Colombie, d'où proviendrait 70% de la production mondiale , à la suite de l'arrêt en 2013 des aspersions de glyphosates destinées à détruire les cultures. En 2017, la superficie consacrée à la culture du cocaïer y a augmenté de 17% et la quantité de cocaïne produite de 31% ».

Cette augmentation est liée non seulement à l'extension des surfaces productives , mais aussi à une hausse des rendements grâce à l'utilisation de variétés de coca plus productives et résistantes et le recours à des chimistes de plus en plus qualifiés au stade de la transformation.

La transformation chimique des feuilles de coca en cocaïne

Il existe plusieurs méthodes de transformation dont les grandes étapes consistent d'abord à extraire la pâte de coca brute de la feuille de coca : les feuilles de coca, fraîches ou séchées, sont mélangées à de l'eau et de la chaux. Ce mélange est broyé et l'on y ajoute un hydrocarbure, le plus souvent du kérosène, destiné à permettre l'extraction de la cocaïne. La préparation est ensuite chauffée pour éliminer le kérosène. La « cocaïne base » ainsi obtenue est transformée en sulfate de cocaïne par l'adjonction d'acide. La solution est alors alcalinisée à l'aide de chaux ou d'ammoniaque puis filtrée et séchée.

La cocaïne pure est ensuite coupée par les revendeurs, dans le meilleur des cas avec des produits peu nocifs comme du sucre ou du lait en poudre, mais l'analyse de la cocaïne saisie montre une tout autre réalité ; l'Office anti-stupéfiants (OFAST) a ainsi relevé la présence de nombreux produits de coupe nocifs tels que des analgésiques.

Le constat de cette « productivité » accrue de la filière avait d'ailleurs conduit l'ONUDC à modifier en 2016 la méthode de calcul de la production estimée de cocaïne à partir des surfaces cultivées, le ratio, qui tient compte des rendements, des variétés de feuilles de coca et de l'efficacité des « laboratoires de cocaïne » ayant été réévalué.

Pour autant, certains experts, à l'instar de M. David Weinberger, chercheur à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et spécialiste des routes de la drogue, estiment que les chiffres de la production demeurent encore largement sous-estimés.

Jusqu'aux années 80, le caractère balbutiant des politiques anti-drogue permettait aux trafiquants d'assurer des liaisons directes entre les pays producteurs et les principaux marchés de consommation. Concrètement, les trafiquants multipliaient les liaisons aériennes depuis les trois pays producteurs de cocaïne que sont la Colombie, la Bolivie et le Pérou 2 ( * ) pour approvisionner l'Amérique du Nord, principal marché de consommateurs.

Le renforcement de la lutte contre le trafic de stupéfiants à partir des années 90, particulièrement à l'initiative des États-Unis, va contraindre les trafiquants à envisager non seulement d'autres voies d'acheminement, mais aussi d'autres débouchés pour une production en expansion, entrainant une diversification des « routes de la cocaïne ».

Lors de son audition, M. Weinberger a bien expliqué ce phénomène de déplacement des flux et des routes depuis l'Amérique latine : « En géopolitique des drogues, on appelle cela « l'effet ballon » : lorsque la pression s'exerce d'un côté du ballon, l'air - c'est-à-dire le trafic - se déplace de l'autre côté du ballon ».

La politique américaine de lutte contre les stupéfiants

Les États-Unis ont très tôt concentré leurs moyens de lutte, en regroupant dans une même agence fédérale, sous l'impulsion de Richard Nixon, tous les acteurs de la lutte anti-drogue par la création de la Drug Enforcement Administration (DEA) le 1 er juillet 1973. Celle-ci a vocation à intervenir aussi bien sur le territoire américain que dans les pays producteurs de transit.

Les moyens de la DEA n'ont cessé d'augmenter depuis sa création passant de quelques dizaines de millions de dollars à plusieurs milliards de dollars par an.

Une part importante de ces crédits est destinée à soutenir la politique de lutte contre la production et le trafic de cocaïne en Colombie. Le « plan Colombia pour la paix, la prospérité et le renforcement de l'État » a été lancé à la fin de l'année 1999 par le président colombien Andrés Pastrana, en liaison avec l'administration américaine. Conçu comme l'un des volets de la réponse au règlement du conflit interne colombien, il était assorti d'une enveloppe financière de 7,5 milliards de dollars, apportée en grande partie par les Etats-Unis. Le bilan du « plan Colombia » est contrasté. Les résultats immédiats ont été incontestables puisque pendant les deux années suivant le lancement du plan, il a été procédé à davantage d'aspersions chimiques de cultures illicites, réduisant ainsi les surfaces cultivées de coca, que durant toutes les années précédentes. Cependant, la politique d'éradication chimique a dû être interrompue par la suite en raison de son impact négatif sur l'environnement et les cultures vivrières, laissant la culture de la coca reconquérir l'espace perdu.

À cela s'ajoutent la demande croissante des nouveaux marchés et l'impact des rapports de force entre les groupes criminels , qui se livrent une concurrence féroce rendant impérative la diversification des débouchés et donc des voies de livraison. Ainsi, au début des années 2000, le Venezuela puis le Brésil et l'Équateur deviennent des points majeurs de sortie de la cocaïne. L'Argentine, l'Uruguay et le Chili vont par la suite devenir des points secondaires de sortie. Ultérieurement, et dans une moindre mesure, se dessine « la route des Guyanes » passant par le Guyana, le Suriname et la Guyane.

Comme l'a souligné M. Nicolas Prisse, président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) lors de son audition, la réorientation des flux de cocaïne vers l'Europe a contribué à faire de l'arc caribéen et guyanais une grande zone de stockage et de « rebond » de l'offre .

De la Colombie à la Guyane française, l'une des « routes de la cocaïne » (Carte extraite de Google Maps)

2. La Guyane, victime de « l'effet ballon »

Initialement, la Guyane française ne représentait qu'une part subsidiaire de cette route. Cette situation a progressivement changé, sous l'effet du renforcement des politiques anti-drogues dans l'environnement régional . Territoire européen en Amérique latine et donc point d'accès privilégié à l'UE, la Guyane s'est trouvée à son tour victime de l'« effet ballon ».

Depuis une trentaine d'années, à la faveur de la diversification des routes de la cocaïne en Amérique du Sud, son voisin, le Suriname, est devenu un important pays de transit de la cocaïne vers l'Europe .

Celle-ci serait acheminée depuis le Venezuela ou la Colombie par la voie aérienne. De fait, le Suriname compte 43 aérodromes. Ni l'activité touristique, très marginale, ni les échanges économiques légaux ne peuvent expliquer un tel recours à l'aviation privée dans un pays de 600 000 habitants qui figure au 100 e rang mondial pour son indice de développement humain. Dès lors, le lien entre le nombre d'aérodromes au Suriname et le trafic de stupéfiants paraît incontestable.

Une grande part de ce trafic emprunte ensuite la voie maritime , à partir du port de Paramaribo, seul port de la région à n'être pas encore équipé d'un scanner à conteneurs. Cette prédominance de la voie maritime pour l'acheminement de cocaïne se vérifie dans toute l'Amérique latine . M. Nicolas Prisse et Mme Amélie Dieudé, au nom de la MILDECA, ont ainsi estimé que 75 % du trafic vers l'Europe empruntait cette voie et 25 % seulement la voie aérienne . Il est en effet matériellement plus aisé de transporter des quantités élevées de stupéfiants par le biais de porte-conteneurs, de navires marchands, de navires de pêche, de navires de plaisance et parfois de submersibles que par des lignes aériennes régulières et contrôlées. On a même appris récemment l'interception d'un sous-marin provenant d'Amérique du sud et rempli de cocaïne au large des côtes espagnoles.

Le recours à des passeurs sur les vols aériens commerciaux s`est cependant développé en complément , au Suriname comme dans d'autres pays de la région. Il s'agit d'un transport individualisé portant sur de petites quantités de cocaïne que des passeurs, communément désignés par le terme de « mules », s'introduisent dans le corps ou dissimulent dans leurs vêtements ou leurs bagages.

S'il existe une timide politique surinamaise de lutte contre les stupéfiants essentiellement axée sur la prévention de la consommation, les autorités surinamaises semblent se satisfaire d'une situation où l'essentiel de la drogue ne fait que transiter sur le sol national. Quelques opérations spectaculaires et médiatisées, comme celle qui a conduit à la saisie de 2,3 tonnes de cocaïne dans le port de Paramaribo en février 2019, ne sauraient masquer le manque de détermination des autorités surinamaises en la matière ces quarante dernières années.

La voie aérienne surinamaise, qui avait pris une certaine importance au début des années 2000, a cependant été remise en cause du fait de l'engagement par les Pays-Bas d'une politique volontariste destinée à tarir le trafic sur l'axe Paramaribo-Amsterdam , par un renforcement sans précédent des contrôles, notamment à l'aéroport d'Amsterdam Schiphol qui est devenu un des modèles en la matière. Cette politique stricte de contrôle s'est manifestée par le recours à des techniques de ciblage plus précises, par l'installation de scanners dédiés ou encore par une politique de contrôle « à 100 % » chaque semaine sur certains vols.

La procédure de contrôle approfondi dit « contrôle à 100 % »

Le contrôle à 100 % d'un vol, qui n'est pas généralisé à l'ensemble des vols en provenance de Paramaribo en raison des moyens qu'il requiert, consiste à contrôler l'intégralité de l'appareil et des personnes qui y accèdent, qu'il s'agisse des passagers, des personnels navigants (commerciaux et techniques), ainsi que de leurs bagages, mais aussi des employés des sociétés de nettoyage ou des techniciens de maintenance aéronautique. On parle d'un contrôle de 100 % des segments d'un même vol. Chaque semaine, un certain nombre de vols en provenance de cinq destinations, dont Paramaribo, font l'objet d'un contrôle très poussé à l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol.

Concrètement, à l'arrivée de l'avion, les douaniers attendent l'appareil sur le tarmac. Une équipe de douaniers assiste au déchargement du fret et des bagages qu'ils escortent jusqu'à un hall dédié pour procéder à un contrôle intégral, soit physique soit par scanning, pour détecter la présence de stupéfiants. Une deuxième équipe monte en soute pour contrôler la présence éventuelle de stupéfiants. Une troisième équipe contrôle l'intérieur de la cabine, en vérifiant en particulier que les toilettes et certains points de cachette potentielle ne contiennent pas de stupéfiants qui auraient été laissés volontairement à destination d'un complice accédant à l'appareil, par exemple un employé d'une société de nettoyage.

Les passagers débarquent et sont pris en charge dans un hall spécifique de l'aéroport, dans lequel une équipe cynophile circule. Chacun d'entre eux subit un premier interrogatoire au cours duquel leur sont posées des questions assez proches de ce qu'un douanier français peut poser dans un aéroport français, la différence étant le caractère systématique, pour l'ensemble des passagers du vol, de ce premier interrogatoire. Le passager peut par exemple se voir demander quels sont ses liens avec les Pays-Bas ou l'objet du séjour dans le pays qu'il a visité, son adresse aux Pays-Bas, sa provenance, sa ville de résidence, ses moyens de subsistance, le moyen de paiement utilisé pour acheter son billet d'avion. Il s'agit de détecter ce que les Néerlandais appellent des « personnes d'intérêt » pour lesquelles un doute existe concernant l'objectif réel de leur séjour. Chacun des passagers est également soumis un scanner corporel destiné à détecter d'éventuelles masses fixées sur le corps (il ne s'agit pas à ce stade d'un scanner permettant de détecter l'ingestion de boulettes de drogue mais uniquement leur dissimulation externe). À l'issue de cette première phase, la majorité des passagers du vol regagne le cheminement normal de récupération des bagages et de sortie de l'aéroport.

Les « personnes d'intérêt » sont, pour leur part, soumises à un interrogatoire plus poussé, dans une partie spécifique du hall dédié. Au cours de l'interrogatoire, les bagages de la personne d'intérêt sont intégralement fouillés, en leur présence. Si le doute est levé à ce stade, le passager regagne le cheminement normal. Les « personnes d'intérêt » pour lesquelles le doute n'a pas été levé deviennent des suspects. Ceux-ci sont placés en rétention douanière et les services du procureur en sont informés par un officier de la douane. À partir de ce stade, toutes les actions de la douane se font sous le contrôle d'un procureur.

Un « choix » est alors proposé au suspect : le recours à l'examen médical ou la rétention douanière pendant trois jours renouvelables. 99 % des suspects choisissent le recours à l'examen médical. Le suspect fait alors l'objet d'un scanner dédié, à ondes millimétriques, qui va cette fois-ci permettre de détecter l'ingestion éventuelle de « boulettes » de drogue, sous la surveillance de personnel médical présent en permanence sur le site, dans une partie dédiée de l'aéroport. Parallèlement, un officier de police judiciaire prend la relève de la douane dès l'entrée en milieu médical, ce qui permet de libérer immédiatement les douaniers pour reprendre les contrôles.

Lorsque le suspect refuse l'examen médical, ce qui reste particulièrement rare, il est placé en rétention douanière pour trois jours, éventuellement renouvelables. On attend alors qu'il évacue, au moins à trois reprises, ses déchets organiques, lesquels sont mécaniquement triés pour séparer les matières naturelles des matières ingérées. L'ensemble du séjour, y compris les passages aux toilettes, fait l'objet d'une surveillance vidéo.

Que le patient ait fait le choix de l'examen médical ou de la surveillance continue jusqu'au rejet naturel des substances illicites ingérées, toute détection entraine son interpellation et le déclenchement de la chaine pénale.

La prouesse du dispositif mis en place à Amsterdam Schiphol est d'avoir réussi combiner un dispositif de contrôle à 100%, qui ne peut certes pas être généralisé à l'ensemble des vols en provenance de pays à risques en raison des moyens nécessaires, mais qui joue un rôle dissuasif majeur, sans ralentir l'ensemble des activités de l'aéroport. En effet, les passagers qui n'ont pas été considérés comme des « personnes d'intérêt » vont retrouver le cheminement normal de sortie en une quinzaine de minutes et vont finalement quitter l'aéroport dans un délai identique à celui d'un passager d'un autre vol non contrôlé puisque ce délai est peu ou prou équivalent au temps d'acheminement des bagages vers le tapis roulant à bagages.

Le choix d'un tel dispositif, s'il a entrainé des résultats significatifs en diminuant par 10 le nombre annuel d'interpellations entre sa mise en place à partir de 2002 et 2019 (entre 2000 et 2500 interpellations annuelles les premières années, moins de 250 aujourd'hui), grâce à un effet dissuasif qui a joué à plein, n'a cependant pu être opéré qu'en mettant en place des moyens importants. Avec 71 millions de passagers en 2019, l'aéroport d'Amsterdam Schiphol est le troisième aéroport européen par le nombre de passagers derrière Londres-Heathrow (80 millions de passagers) et Paris Charles de Gaulle (76 millions de passagers), et le onzième aéroport mondial. Il n'est pas aisé d'évaluer précisément le coût total et définitif du dispositif mais ce sont assurément plusieurs dizaine de millions d'euros qui ont été nécessaires, à la fois pour que les personnels douaniers, médicaux et judiciaires interviennent sur site, en nombre suffisant, dans une infrastructure immobilière dédiée et équipée en conséquence (scanner, vidéo surveillance, chiens formés, etc.), sans impacter les autres vols. Le contrôle à 100 % sur certains vols en provenance de cinq destinations pré identifiées, dont le Suriname, implique également des habitudes de travail renouvelées puisqu'il suppose un partenariat très poussé entre les agents des douanes, les personnels médicaux, les services du procureur et la maréchaussée royale.

Source : audition des services de l'ambassade de France aux Pays-Bas

Le renforcement des contrôles sur l'axe Paramaribo-Amsterdam a encouragé les trafiquants à dérouter une partie du trafic vers d'autres lignes aériennes . C'est ainsi qu'ont été mises en place, au départ d'un aéroport secondaire surinamais dédié aux vols de jets privés, des liaisons vers l'Afrique de l'Ouest, avec pour destination finale l'Europe. La découverte en Guinée-Bissau de nombreux aéronefs privés, immatriculés au Suriname, et servant au transport de cocaïne a été révélée par l'UNODC.

La Guyane française a elle aussi été victime de cet « effet ballon », facilité par une frontière relativement poreuse. Avec une largeur entre deux rives de seulement 1,5 kilomètre par endroits sur plus de 600 kilomètres de long, le fleuve Maroni est en effet par nature une frontière facile à franchir et difficile à contrôler, d'autant que ce contrôle incombe principalement aux autorités françaises.

L'un des points de passage identifié à la frontière guyano-surinamaise se situe entre Albina et Saint-Laurent-du-Maroni, deux villes qui se font face de part et d'autre du Maroni.

Le Maroni constitue un point de passage frontalier idéal pour le transport de stupéfiants par pirogue, à tel point que plusieurs interlocuteurs auditionnés ont parlé de « véritable autoroute fluviale des drogues ». Un interlocuteur entendu par la mission a indiqué que les passages s'effectuaient parfois en sous-marins, des embarcations artisanales circulant juste sous la surface de l'eau mais capables de descendre le fleuve sur plusieurs centaines de kilomètres pour rejoindre les côtes surinamaises ou guyanaises.

Il est à craindre que le renforcement, souhaitable, des contrôles en Guyane produise à terme ce même « effet ballon » dans d'autres territoires.


* 1 Office anti-stupéfiants.

* 2 Ces trois États andins jouissent d'une quasi exclusivité dans la production du chlorhydrate de cocaïne car cette drogue nécessite des variétés de coca riches en alcaloïdes qu'on ne trouve pas ailleurs.

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