Deuxième séquence

Échanges sur les moyens de construire
une participation plus active des élus locaux ultramarins aux travaux du Sénat

PROPOS INTRODUCTIF DE MICHEL MAGRAS,
PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION SÉNATORIALE AUX OUTRE-MER

Monsieur le Président du Sénat, mes chers collègues, mesdames, messieurs les maires et les élus, chers amis, nous abordons à présent la seconde partie de notre matinée de travail au cours de laquelle nous examinerons les moyens à mettre en oeuvre pour construire une participation plus approfondie et plus active, des élus locaux ultramarins aux travaux du Sénat. Je dois vous dire que c'est à son initiative que nous sommes réunis aujourd'hui et je l'en remercie. Il m'a en effet expressément demandé de réfléchir à un format de rencontre qui lui permettrait de consacrer un temps pour échanger avec les élus d'outre-mer.

La présence du président du Sénat marque notre ambition commune de resserrer les relations entre les outre-mer et la Haute Assemblée, nos territoires et le Sénat. La délégation dédiée aux outre-mer y contribue, mais les commissions permanentes et les autres délégations sénatoriales ne sont pas en reste, et nous nous réjouissons d'une présence croissante des sujets relatifs aux outre-mer.

Je l'ai rappelé, le Sénat, fidèle à sa mission constitutionnelle de représentation des territoires, cherche à associer toujours plus étroitement les élus locaux à ses travaux. Cette volonté s'est aussi incarnée avec la mise en place, depuis 2018, d'une plateforme en ligne de consultation des élus locaux qui va vous êtes présentée dans quelques instants. Il est important de mesurer l'innovation qu'elle représente.

Je vous propose donc d'entendre notre collègue M. Thani Mohammed Soihili, sénateur de Mayotte, vice-président du Sénat, président de la délégation du Bureau chargée de la délégation du Bureau pour la présence territoriale avant l'intervention du Président du Sénat.

Nos échanges se poursuivront ensuite jusqu'à midi, avant de nous retrouver à la présidence, dans les salons de Boffrand.

INTERVENTION DE THANI MOHAMED SOILIHI, VICE-PRÉSIDENT DU SÉNAT, PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION DU BUREAU CHARGÉE
DE LA PRÉSENCE TERRITORIALE DU SÉNAT

M. Thani Mohamed Soilihi , vice-président du Sénat, président de la délégation du Bureau chargée de la présence territoriale du Sénat . - Monsieur le Président, monsieur le président de la délégation, cher Michel Magras, mes chers collègues sénateurs, mesdames, messieurs les maires et élus d'outre-mer, chers amis, je me réjouis très sincèrement d'intervenir dans le second temps de cette réunion organisée par la délégation aux outre-mer, afin d'approfondir l'échange que nous, sénateurs, souhaitons avoir avec vous, élus d'outre-mer, sur la façon de vous associer toujours mieux à nos travaux.

Il s'agit là de l'exercice par le Sénat de ses deux fonctions reconnues par la Constitution - le vote de la loi et le contrôle de l'exécutif - de mettre en valeur sa spécificité d'assemblée parlementaire représentant les territoires, en portant les préoccupations de ceux-ci dans le débat national.

Cet exercice s'incarne au Bureau du Sénat au travers d'une délégation à la présence territoriale, dont j'ai la responsabilité, et qui se traduit de multiples manières dans les travaux du Sénat. Permettez-moi d'insister plus particulièrement aujourd'hui sur la plateforme interactive de consultation des élus locaux, que j'accompagne depuis sa création en mars 2018 et sur laquelle les élus locaux sont invités à s'inscrire. À ce jour, on dénombre 20 338 élus inscrits et, depuis novembre 2018, huit consultations ont été lancées.

Cette plateforme a été délibérément conçue pour être simple et accessible à tous sans aucune formation préalable. Dans sa version expérimentale jusqu'en fin 2020, elle permet au Sénat de consulter les élus locaux sur tout sujet. À terme, elle devrait permettre aux élus locaux de soumettre au Sénat toute forme de contribution, même si cette fonctionnalité n'est pas activée à ce jour.

Ce sont les instances institutionnelles du Sénat qui peuvent utiliser cette plateforme et, sur les huit consultations, quatre émanent des commissions permanentes -trois de la commission des lois, une de la commission de la culture et une de la commission de l'aménagement du territoire ; une émane d'une mission d'information et deux des délégations, la délégation aux outre-mer et la délégation aux collectivités territoriales. Il s'est agi - à l'occasion de l'examen d'un projet de loi ou dans le cadre d'un rapport d'information ou de contrôle d'une politique publique - de compléter les éléments d'information recueillis lors des auditions ou des déplacements par le point de vue des élus locaux directement concernés par ces problématiques.

Les thématiques de ces questions sont très diverses et je citerai la consultation de cet été sur les menaces et agressions auxquelles sont confrontés les maires, initiative lancée par la commission des lois après le décès brutal de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, dans l'exercice de ses fonctions. J'évoquerai aussi celles qui portent sur la sécurité des ponts, la transformation de la fonction publique locale, les nouveaux territoires de l'éducation ou encore les moyens de faciliter l'exercice des mandats locaux.

Globalement, le volume des réponses est satisfaisant - on compte entre 1 000 et 4 000 contributions - et permet de donner du crédit aux résultats obtenus. Les instances à l'origine des consultations ont pu confirmer statistiquement des ressentis ou des impressions de terrain et parfois les nuancer au vu des réponses. L'analyse des résultats permet également de faire apparaître un panel diversifié de participants, même si, bien entendu, on ne peut prétendre constituer un échantillon représentatif au sens d'une enquête d'opinion.

L'expérience acquise nous a permis d'établir le portrait-robot du bon questionnaire : une courte durée de consultation - trois à quatre semaines -, un nombre de questions limité - pas plus d'une vingtaine pour qu'il y soit répondu en dix à quinze minutes - et un maximum de questions fermées.

Plusieurs éléments permettront d'enrichir cet outil de consultation des élus locaux. Nous allons, au travers d'un appel d'offres en cours, sélectionner un prestataire de service pour nous aider à exploiter les résultats de ces consultations, afin d'intégrer plus de questions ouvertes ou des questions facultatives nécessitant un temps de réponse plus long. En outre, si les réponses reçues font ressortir l'intérêt d'aller plus loin sur certains points précis, il sera possible de compléter la consultation initiale ouverte à tous les élus locaux par une étude d'opinion qualitative réalisée au moyen d'entretiens ciblés.

J'espère que cette courte présentation vous fait prendre conscience de l'intérêt pour les élus locaux de s'emparer de cet outil, tout particulièrement pour vous les élus ultramarins.

Sur les nombreux sujets qui vous concernent et qui font très régulièrement l'objet au Sénat de rapports d'information, de colloques ou de questions adressées au Gouvernement, vos retours d'expérience, vos interrogations et vos recommandations nous sont indispensables. Aujourd'hui, nous avons prévu un moyen très simple de vous inscrire immédiatement sur la plateforme de consultation : avec le flyer qui se situe dans les sacs qui vous ont été remis ou que nous vous distribuons actuellement, il vous suffit d'activer le flash code avec votre téléphone portable. Celui-ci vous donne accès à la page d'accueil de la plateforme ; le bouton d'inscription se trouve en haut de cette page. Si besoin, le flyer vous donne également le code wifi de cette salle.

Prenez quelques instants pour effectuer cette inscription. Ainsi, lorsque vous serez avertis par votre sénateur ou votre association d'élus de la mise en ligne d'une consultation qui pourrait vous intéresser, quelques minutes suffiront pour y répondre. Vous apporterez ainsi votre contribution précieuse au débat national.

M. Michel Magras , président . - Le numérique est un moyen de vaincre les distances ; c'est une autre approche. Nous sommes à l'écoute et preneurs de toutes les informations que vous ferez remonter du terrain.

INTERVENTION DE GÉRARD LARCHER, PRÉSIDENT DU SÉNAT

Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Michel Magras, monsieur le vice-président du Sénat, cher Thani Mohamed Soilihi, mes chers collègues sénateurs ultramarins et métropolitains, que je vois nombreux, mes chers collègues députés - je salue nos anciens collègues et députés -, monsieur le président de l'Assemblée de Polynésie française, Gaston Tong Sang, mesdames, messieurs les maires, présidents d'associations départementales, les maires adjoints et conseillers municipaux, monsieur le membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), monsieur le délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer, mesdames, messieurs. C'est avec plaisir que je vous retrouve ce matin et que je prends la parole devant vous qui présidez aux destinées de collectivités dispersées à travers plusieurs océans et continents, et qui, par là même, contribuez pleinement au rayonnement de la France.

Je tiens à vous dire - c'est sincère -, combien j'éprouve un attachement à vos territoires et à nos compatriotes qui y vivent, car ils portent les valeurs de la République à travers le monde.

Je tiens tout d'abord à remercier le président Michel Magras et mes collègues membres de la délégation, qu'ils soient d'outre-mer ou de l'hexagone, pour leur initiative de ce jour, qui permet de faire mieux connaître leurs récents travaux, notamment sur les risques naturels majeurs. Placés sous la présidence de Guillaume Arnell, les rapporteurs Victoire Jasmin et Mathieu Darnaud, lequel ne pouvait être présent ce matin, pour le premier volet, et Abdallah Hassani et Jean-François Rapin, pour le second, ont réalisé un travail de référence.

La rencontre d'aujourd'hui contribue également à renforcer les liens entre le Sénat et les élus ultramarins et à engager un dialogue enrichissant et utile pour la préparation de futurs textes législatifs. Elle découle d'une volonté permanente d'associer l'ensemble des élus locaux à nos travaux, comme l'a exprimé il y a un instant notre collègue Thani Mohamed Soilihi, vice-président et président de la délégation chargée de la présence territoriale du Sénat, en vous présentant la plateforme interactive de consultation des élus. N'hésitez pas à vous en servir ! Sur la question du statut des élus, nous avons reçu 18 500 réponses. Cet outil va encore monter en puissance. À l'heure de la société participative, la participation des élus en amont des textes en débat est très importante. À cet égard, la plateforme constitue une ligne directe avec le terrain. Vous devez vous l'approprier afin que nous puissions recueillir votre avis sur les propositions sénatoriales et veiller à ce que celles-ci répondent à vos attentes.

Vos territoires doivent relever de nombreux défis, qu'ils résultent, bien sûr, de la mondialisation et des échanges économiques, des flux migratoires et de leurs conséquences en matière d'éducation ou de santé, du changement climatique, que ce soit la montée des eaux - j'ai bien entendu l'inquiétude des élus de Mayotte à ce sujet - ou l'échouage des algues sargasses, dossier sur lequel Dominique Théophile s'est particulièrement investi, de la pollution au chlordécone aux Antilles, de la transition démographique - je pense au combat de Catherine Conconne pour le retour des jeunes Martiniquais au pays -, ou encore de la fracture sociale, comme Michel Dennemont l'a souligné à la suite du grand mouvement protestataire - le seul, outre-mer, qui ait été rattaché au mouvement des « gilets jaunes » - à La Réunion.

À ces défis s'en ajoute un, qui, du reste, n'est pas qu'ultramarin : la méfiance, pour ne pas dire la défiance à l'égard des politiques publiques, notamment de celles qui sont menées à destination de vos territoires. Maurice Antiste l'a rappelé lors du débat budgétaire de l'an dernier, précisant que le taux de défiance était très élevé, et même supérieur à 80 % - c'est aussi le chiffre obtenu par le Cevipof - dans un sondage paru à la fin de la semaine dernière.

Les outre-mer, pour reprendre l'une de vos formules, cher Michel Magras, sont à la fois intercesseurs, précurseurs et éveilleurs de conscience - pour nous tous, du reste. Il en résulte une nécessité absolue et permanente d'écoute et d'échanges pour une meilleure prise en compte de leurs spécificités. Ce sont celles-ci qui rendent votre tâche plus compliquée et qui réclament une plus grande capacité d'adaptation, au plus près de l'attente de nos concitoyens et des réalités locales.

Abordons un sujet cher à votre coeur : la différenciation, qui n'est pas qu'un sujet corse...

Le Président Jacques Chirac, dans le discours qu'il a tenu à Madiana, en Martinique, voilà un peu plus de dix-neuf ans, avait montré le chemin à suivre pour aider les outre-mer à relever ces défis : celui de la différenciation territoriale. Ce chemin vous tient à coeur, car il apparaît de plus en plus comme l'une des clés d'avenir des politiques publiques, notamment outre-mer. En effet, comme vous l'avez évoqué à l'issue de la première séquence de notre rencontre, l'inadaptation de certaines normes réduit l'efficacité de ces politiques. La manière dont un certain nombre de normes sont décalquées est même, parfois, un peu aberrante.

Là encore, les travaux de notre délégation aux outre-mer ont montré, notamment dans le domaine du bâtiment ou de l'agriculture, le poids des normes et leur fréquent décalage avec les réalités. Ce décalage conduit parfois à des situations dignes du père Ubu.

Il est vrai que quelques signaux sont positifs. Nous devons les accompagner et les renforcer.

La différenciation est aussi une notion commode, parce que floue. Chacun peut en avoir sa propre définition : différenciation des normes, différenciation des compétences, contrôle du Parlement, contrôle du Gouvernement... On peut l'envisager de bien des manières.

À cet égard, je me réjouis de la décision de votre délégation de se saisir du sujet, en dialogue avec les élus. En effet, si le Parlement était amené - nous sommes disponibles pour le faire - à examiner le projet de loi constitutionnelle, il nous faudrait, en toute responsabilité, clarifier les relations entre l'État et les collectivités d'outre-mer.

Je sais que plusieurs de mes collègues ultramarins y sont favorables ; je pense à nos amis de Guyane Georges Patient et Antoine Karam. Il me semble encore plus nécessaire en outre-mer que dans l'hexagone d'entrer dans une nouvelle logique de gouvernance qui puise sa force dans le territoire et lui donne la liberté de créer, d'adapter et d'entreprendre. Il est évident que cela ne peut se concevoir qu'en affirmant, d'une part, l'ancrage dans la République et, d'autre part, la nécessaire solidarité nationale.

La différenciation, dès lors qu'elle est définie et organisée - ces mots ont du sens pour moi, compte tenu de mon engagement politique et pour des raisons de principe -, ne remet pas en cause le principe d'égalité. Au contraire, elle peut constituer un moyen de garantir l'égalité. Il suffit de voir les fortes inégalités provenant, par exemple, du non-accès à l'emploi, des retards considérables en matière de santé, d'éducation ou d'équipements pour se rendre compte que l'État, au cours de ces vingt dernières années, n'a pas été en mesure d'assurer réellement l'égalité entre les territoires, même si des progrès réels ont été réalisés.

Le travail conduit par notre collègue Victorin Lurel lors de l'élaboration de la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer le démontre, tout comme le cri d'alarme poussé par Nassimah Dindar l'an dernier en faveur de l'habitat ultramarin. Il me semble que nous devrons apporter des réponses sur un certain nombre de sujets. Il s'agit non pas d'opérer de simples ajustements budgétaires en fonction des programmes réalisés, mais de relever un véritable défi.

Oui, la situation de l'habitat ultramarin est dégradée. Elle s'inscrit dans un contexte de tension structurelle qui ne laisse pas envisager d'amélioration immédiate. Ce constat a été confirmé récemment par notre collègue Nuihau Laurey, qui, dans son avis budgétaire, a regretté une baisse importante des crédits en faveur du logement outre-mer, portés à leur plus faible niveau depuis ces dix dernières années.

Différenciation ou statu quo , les élus locaux, pour mener à bien leur mission, dans l'intérêt de leur territoire, doivent recevoir les moyens nécessaires. Or vos collectivités, face aux importants défis qu'elles doivent relever, n'ont pas toujours les ressources adéquates. Le 9 juillet dernier, le comité des finances locales (CFL) a adopté une délibération appelant à la définition d'une trajectoire de rattrapage sur cinq ans des montants attribués au titre de la péréquation dans les départements et régions d'outre-mer (DROM).

Les travaux du comité des finances locales montrent, en outre, que les critères actuels de répartition de la dotation d'aménagement des communes et des circonscriptions territoriales d'outre-mer ne permettent pas d'assurer une péréquation efficace entre les communes d'outre-mer. L'Assemblée nationale vient d'adopter un amendement au projet de loi de finances visant à un rattrapage en matière de dotations. C'est une première étape, mais nous devons aller plus loin.

Nous attendons avec quelque impatience les préconisations de notre collègue Georges Patient, qui s'est vu confier par le Premier ministre, conjointement avec le député Jean-René Cazeneuve, une mission portant sur les finances locales outre-mer, la situation financière d'un grand nombre de communes étant délicate, voire particulièrement délicate.

Nous devons obtenir de nouvelles marges de manoeuvre pour vos collectivités, afin de les sortir de cette situation, qui porte directement préjudice aux administrés, puisque les élus n'ont pas les moyens de répondre à leurs besoins. Je pense, par exemple, aux retards en matière d'équipements sportifs, dont on connaît la grande importance face aux défis sanitaires, sociaux et sociétaux de certains territoires, comme l'a montré le rapport de nos collègues Catherine Conconne, Gisèle Jourda, Viviane Malet et Lana Tetuanui.

En Nouvelle-Calédonie, la grande difficulté, pour les communes, réside dans la faiblesse des ressources, due en grande partie à l'absence de fiscalité propre. Mes collègues Pierre Frogier et Gérard Poadja m'autoriseront à reprendre à mon compte leur affirmation selon laquelle les communes calédoniennes ont été, au fond, les oubliées des accords de Matignon, puis de Nouméa. Pourtant, elles jouent, dans les moments de tension et de décision, un rôle extrêmement important pour la cohésion au quotidien, y compris face aux difficultés sociales et sociétales. J'espère que la commune calédonienne trouvera sa place dans le nouveau statut qui verra le jour après l'éventuelle sortie de l'accord de Nouméa, en fonction de la décision des calédoniens.

À Wallis-et-Futuna, ces difficultés budgétaires se font sentir dans les circonscriptions, échelons administratifs équivalents à nos communes, comme me l'ont confirmé les trois rois coutumiers, en présence de mon collègue Robert Laufoaulu.

Certes, ces constats ne sont pas nouveaux, mais quelques mesures récentes pourraient mettre à mal la part d'autonomie financière de nos communes. Je pense à la suppression de la taxe d'habitation et au transfert de la taxe sur le foncier bâti. Le dispositif de compensation nécessite 35 pages de textes et pas moins de 520 alinéas. Cela laisse rêveur. Les choses simples requièrent parfois de longues péroraisons...

Vous le savez, ces décisions auront des conséquences sur le potentiel fiscal, et donc sur le calcul des dotations et sur les fonds de péréquation. C'est un sujet important, d'autant que les règles varient en fonction des départements ou des territoires d'outre-mer.

Autre sujet sensible pour les finances de vos collectivités : l'octroi de mer. En tant que président du Sénat, je dois aborder ce sujet, qui est important. On le sait, l'octroi de mer va faire l'objet d'une révision par Bruxelles au cours de l'année 2020. Les propos de la ministre des outre-mer concernant une éventuelle transformation de l'octroi de mer dans le cadre d'un rééquilibrage avec la TVA ont suscité quelques inquiétudes. Le Président de la République, lors de son déplacement à La Réunion, s'est voulu plus rassurant, en déclarant : « on ne revient pas sur l'octroi de mer, mais il faut le rendre plus intelligent. » Commençons donc à exercer notre intelligence...

Si tout le monde convient qu'il faut apporter des améliorations au dispositif existant, le Gouvernement doit bien mesurer, avant toute prise de décisions, les incidences sur le tissu économique et l'équilibre budgétaire des collectivités. En effet, la part de l'octroi de mer dans les recettes fiscales évolue, pour certains départements, entre 37 % et 47 %. J'ai également examiné le dossier en détail pour ce qui concerne les communes - pour faire preuve d'intelligence, il faut déjà être informé !

Par conséquent, toute éventuelle modification de l'octroi de mer doit se faire dans un dialogue attentif avec les élus, dans le sens des demandes de Jean-Louis Lagourgue en faveur d'une différenciation fiscale accrue. Je fais confiance à la délégation, qui doit s'atteler à ce dossier dans les prochaines semaines. Elle se rendra à Bruxelles dans ce cadre. Je serai aux côtés des membres de la délégation si cela s'avère nécessaire pour que le sujet soit traité avec « intelligence », pour reprendre le mot du Président de la République. Au reste, je souscris à cette nécessité : l'octroi de mer ne pourra être transformé qu'en prenant en compte l'ensemble des éléments en jeu.

Je souhaite également évoquer le projet de loi engagement et proximité. Celui-ci est le fruit du travail de dialogue avec les collectivités territoriales. Il est aussi le fruit d'un texte voté à la quasi-unanimité du Sénat en 2018. Il répond à un certain nombre d'attentes des élus du bloc communal, portant, pour l'essentiel, sur les articulations entre communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ainsi que sur les conditions d'exercice du mandat.

Tout à l'heure, Thani Mohamed Soilihi a évoqué la protection des maires, notamment dans l'exercice de leurs pouvoirs de police et compte tenu des agressions dont ils sont victimes. Aujourd'hui, quatre plaintes émanant de maires sur cinq sont classées de manière verticale, ce qui pose un certain nombre d'interrogations.

Le projet de loi instaure également un pacte de gouvernance au sein des intercommunalités, prévoyant les modalités d'association des maires à cette gouvernance ainsi que la transmission d'éléments d'information sur les travaux du conseil communautaire, ou encore la possibilité de donner aux maires une autorité fonctionnelle sur les services de l'EPCI, dans le cadre d'une convention de mise à disposition.

Cependant, sur ce texte, l'approche de nos collègues députés diffère largement de celle du Sénat. Trois amendements du Gouvernement me semblent en partie redresser le tir depuis ce matin. Comme je l'ai dit clairement au Premier ministre vendredi soir en tête à tête, il ne servirait à rien que le Président de la République se soit engagé devant les maires de ce pays si l'on n'en tire pas les conséquences concrètes et si l'on ne change rien d'autre que l'apparence. (Applaudissements)

L'autre volet de ce projet de loi concerne les conditions d'exercice des mandats locaux. Un certain nombre de propositions ont été faites, notamment sur l'initiative de Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en matière de régime indemnitaire et social, mais aussi de formation, de reconversion et de responsabilité des élus. On retrouve une partie de ces propositions dans le texte - une autre présente un caractère réglementaire.

Je sais que nos amis polynésiens auraient souhaité que certaines dispositions soient applicables immédiatement, plutôt que d'être renvoyées à une ordonnance, mais je sais aussi que le bilan des acquis en faveur des élus polynésiens est important, grâce à vos sénateurs, en particulier grâce à l'opiniâtreté et la fougue dont la sénatrice de Polynésie française fait preuve dans la défense de ses amendements. Mais il est vrai que la Polynésie est dans un cas très particulier : aucune des dispositions du code général des collectivités territoriales ne lui est applicable, au titre de l'article 43 du statut qui la gouverne.

M. Christian Vernaudon a évoqué voilà un instant la convention citoyenne pour le climat. Il est vrai que la situation est paradoxale. Les outre-mer représentent 95 % de la zone économique exclusive et 80 % de la biodiversité de notre pays. On ne saurait parler du climat sans prendre en compte le vécu et les réalités ultramarines ! Je retiens votre suggestion que le rapport qui a fait l'objet de la première séquence de notre rencontre de ce matin puisse être transmis et présenté aux membres de la convention. Je m'en ouvrirai auprès de Mme Kadi, qui a toute ma confiance, mais aussi de Patrick Bernasconi, président du CESE.

Je me suis procuré la composition de la convention : sept ultramarins en font partie, mais la plupart sont étudiants en métropole. Le tirage au sort permet d'instaurer une part de démocratie participative. Toutefois, la démocratie représentative est irremplaçable. (Applaudissements) On ne saurait parler de démocratie sans recueillir l'avis de ceux qui ont reçu, sur place, la confiance des citoyens. C'est vrai dans la commune de Rambouillet comme à l'île des Pins !

Vous pouvez trouver auprès des membres de la délégation aux outre-mer ou de moi-même des interlocuteurs attentifs pour construire les chemins de la confiance.

L'action publique est avant tout une oeuvre collective, comme le disait Stéphane Artano lors d'un récent débat. J'en suis profondément convaincu. À cet égard, cette matinée doit contribuer à porter la politique de vos territoires au niveau de la Nation tout entière.

J'ai abordé des sujets parfois techniques. Pour chacun d'entre eux, la question des moyens des collectivités territoriales, notamment des communes, se pose.

Au fond, la commune est le lieu de la proximité, de la relation de confiance qui ne s'est pas détériorée au fil des années. Je pense que l'une des forces du Sénat est d'être l'émanation d'un corps électoral composé, à 95 %, d'élus municipaux. Ces derniers représentent les citoyens dans leur vie quotidienne, laquelle se déroule d'abord au sein de la commune.

Vive la commune ! Vive l'ensemble de nos départements et territoires ultramarins ! Vive la République et vive la France ! (Applaudissements)

DÉBAT AVEC LES MAIRES ET LES ÉLUS D'OUTRE-MER

M. Michel Magras , président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer . - En votre nom à tous, vous me permettrez de remercier très sincèrement le président du Sénat pour son intervention, qui témoigne à la fois - s'il en était besoin - de son engagement et de sa connaissance des problématiques ultramarines.

Monsieur le président, je me ferai un plaisir de relayer les demandes émanant des élus d'outre-mer. Vous serez bientôt sollicité pour une participation à un débat en séance publique sur les travaux de notre délégation, ainsi que sur les aides que vous pouvez nous apporter pour l'accompagnement de nos projets au niveau européen. Nous comptons sur le soutien de la commission des affaires européennes, comme sur celui de la présidence du Sénat.

Chers amis, vous avez désormais la possibilité d'échanger avec M. le président du Sénat sur l'ensemble des sujets qui vous tiennent à coeur.

J'en profite pour saluer le président de la collectivité territoriale de Guyane, Rodolphe Alexandre, qui nous a rejoints.

M. Philippe Casseindre . - Je suis adjoint au maire de Cilaos sur l'île de La Réunion. Un sujet n'a pas été évoqué, celui de la surrémunération des fonctionnaires de l'État affectés outre-mer : elle s'établit à 53 % à La Réunion, ce qui signifie que deux personnes qui travaillent dans le même bureau et font le même travail, mais avec un statut différent, ont un écart de rémunération de 53 % ! C'est difficile à accepter, d'autant plus dans un climat social tendu... Voilà trois mois, j'avais interrogé Mme Girardin à ce sujet. Elle m'a dit qu'elle comprenait la situation, mais qu'il appartenait aux élus locaux de traiter la question...

Comme la Haute Assemblée représente les collectivités territoriales, j'en profite pour vous poser la question. Ce sujet constitue une vieille antienne. Il faut le traiter. La surrémunération tend à devenir un privilège. On sait ce qu'il en advient...

M. Emmanuel Duval . - Je suis maire de Terre-de-Bas en Guadeloupe. Je veux attirer votre attention sur la place particulière que le code rural attribue à la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) outre-mer : nous devons obtenir l'avis conforme de cette commission administrative non seulement concernant les plans locaux d'urbanisme (PLU), mais aussi sur les permis de construire dans les zones d'urbanisation future, même si la création d'une telle zone a reçu au préalable son accord. En métropole, la CDPENAF ne donne qu'un avis simple sur les PLU et n'est plus consultée ensuite. Elle ne décide donc pas à la place du conseil municipal comme c'est le cas outre-mer. Cette différence de traitement est incompréhensible et inacceptable. Le Président de la République s'était engagé à mettre fin à cette anomalie lorsqu'il avait reçu les maires ultramarins après la crise des « gilets jaunes ». Où en est-on ?

M. Didier Laguerre. - Je suis maire de Fort-de-France en Martinique. Vous avez évoqué le sous-financement structurel des collectivités territoriales d'outre-mer. Comme le Président de la République s'y était engagé, un groupe de travail sur cette question a été constitué au sein du comité des finances locales, dont je suis membre.

Le premier problème concerne l'écart des dotations entre l'outre-mer et la métropole, estimé à 85 millions d'euros en incluant l'octroi de mer dans le potentiel fiscal et financier des collectivités, alors que les taxes indirectes ne sont pas prises en compte dans ces calculs en métropole. L'écart de sous-financement est donc vraisemblablement bien supérieur à ce chiffre ! Le président de l'Association des maires de France (AMF) a évoqué le sujet la semaine dernière. Le second problème est la non-prise en compte de la neutralisation de la participation au redressement des comptes publics pour les collectivités d'outre-mer, notamment celles qui relèvent de la politique de la ville et qui perçoivent la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU). Cela représente un écart de financement approximatif, entre 2012 et 2017, de 280 millions d'euros, alors que les collectivités d'outre-mer doivent déjà, par ailleurs, investir pour répondre aux problématiques sociales, environnementales, de développement, etc. Dans certaines communes la population augmente de manière exponentielle, comme à Mayotte ou en Guyane par exemple ; dans d'autres communes, comme à la Martinique, puisque vous avez évoqué le combat de Mme Conconne, elle diminue de manière alarmante.

M. Émile Soundorom . - Je suis trésorier général de l'Association des maires de la Martinique et adjoint au maire de Rivière-Salée. L'octroi de mer semble être en sursis. Il constitue une spécificité en Europe ; or il s'agit d'une recette importante pour nos budgets. Je veux aussi vous interroger sur la règle des cinquante pas géométriques : en 2007, un arrêté du préfet a interdit aux propriétaires de maisons, prétendument illégales, installées dans cette zone, de se doter de l'électricité et de l'eau courante, pourtant vitales. Finalement les communes en pâtissent. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), cela pourrait pourtant être considéré comme une atteinte à la vie privée. Un mot enfin sur la dotation globale de fonctionnement (DGF) ; nous avons participé à l'effort de désendettement de l'État. Cela grève notre budget de fonctionnement et beaucoup de communes sont surendettées.

M. Gérard Larcher , Président du Sénat . - Je ne sais pas si je pourrai vous répondre totalement, mais je prends note attentivement de vos questions, afin qu'elles nourrissent les travaux du Sénat et alimentent les échanges que je peux avoir, en tant que président du Sénat, avec l'exécutif.

La surrémunération des fonctionnaires d'État outre-mer n'est pas un sujet nouveau, même s'il n'a pas été abordé par le Président de la République - j'ai vérifié ses propos - lors de sa visite à La Réunion. Cette question n'est pas simple. Elle est aussi le fruit d'une sédimentation du temps. Je comprends le sentiment d'iniquité entre deux personnes qui font le même travail. Si nous voulons résoudre le problème, nous devons le traiter d'une manière à la fois exigeante et sereine, sinon nous n'y parviendrons pas.

La surrémunération contribue aussi à la cherté de la vie. À La Réunion, par exemple, le niveau des prix est comparable à celui de la petite couronne de région parisienne, alors que les revenus ne sont pas comparables. Je vais m'emparer de ce sujet, dont j'entends parler depuis que je suis parlementaire et dont il était aussi question lorsque j'étais ministre du travail, même si l'outre-mer relevait davantage du ministère de l'outre-mer.

Vous avez aussi posé la question de l'application du code rural dans les collectivités territoriales d'outre-mer. Le Président de la République s'est engagé à lancer une nouvelle étape - j'allais dire « génération » - de la décentralisation qui concernerait l'ensemble des collectivités territoriales : communes, intercommunalités, départements, régions, etc. Je crois d'ailleurs que seule une nouvelle génération de la décentralisation permettra de sortir de la crise latente dans laquelle notre pays est plongé, la seule manière de rétablir la confiance, avec un État centré sur ses grandes missions régaliennes et garant de l'équité, tandis que les territoires s'organiseraient autour des principes de subsidiarité et de proximité.

Seul un texte de décentralisation parviendra à répondre à la question de la différence de traitement pour les PLU entre les communes métropolitaines et d'outre-mer que vous évoquez. L'enjeu est de briser la défiance, car celle-ci, soyons honnêtes, est sous-jacente. Nous sommes en train d'y travailler au Sénat. Je l'annoncerai mercredi à l'Assemblée des maires de France, confirmant mes propos devant l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'Association des régions de France. J'en ai parlé avec le Premier ministre vendredi. Le texte est à peine engagé au niveau de l'exécutif. Comme pour la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, nous allons faire des propositions. Le Gouvernement souhaite renforcer la déconcentration. L'État territorial que l'on a affaibli - et j'étais dans la majorité lorsque l'on l'a affaibli ! - doit retrouver de la force : on a besoin d'un État territorial fort, plutôt que de renvoyer tous les problèmes à des agences lointaines qui décident en lieu et place des collectivités. Le triptyque doit être celui-ci : décentralisation, déconcentration et différenciation. Mais si l'on ne révise pas la Constitution, on ne pourra guère aller beaucoup plus loin sur ce dernier point.

Le maire de Fort-de-France a évoqué un écart des dotations de 85 millions d'euros. Ce chiffre est avancé par le CFL, mais les analyses de l'AMF font état de 100 millions de plus... Cette question devient incontournable et mérite que nous l'examinions de toute urgence.

Le Président de la République s'est engagé à résorber l'écart de 85 millions en cinq ans. Il a réaffirmé cet engagement lors de son déplacement à La Réunion. Nous devons veiller à ce que cet engagement se traduise concrètement. Mais nous devons aussi nous entendre sur le vrai chiffre. Les dotations de péréquation des communes d'outre-mer sont regroupées en une seule dotation, la dotation d'aménagement des communes et circonscriptions territoriales d'outre-mer (Dacom). Son montant mis en répartition est calculé en tenant compte d'une majoration favorable du rapport démographique entre l'outre-mer et la métropole, ce qui n'est pas sans incidence sur la Martinique, par exemple. Nous devrons donc prendre en compte ce critère.

La variation de la population est forte en Guyane ou à Mayotte. Aussi, parfois, les territoires sont victimes du départ de leurs forces vives, problème que nous connaissons bien aussi dans certains départements de métropole. Certains de nos concitoyens ont ainsi le sentiment d'être oubliés, abandonnés, dans ce que je définissais au Président François Hollande comme « une France d'à côté ». Ceux qui se sont retrouvés sur les ronds-points n'étaient pas tous mus par le désir de violence. Avec Michel Vaspart, nous en avons rencontré à Lamballe, au coeur de la Bretagne : il s'agissait de personnes ayant l'obligation de se déplacer, avec des revenus extrêmement modestes, qui n'y arrivaient plus financièrement et qui avaient le sentiment d'être oubliés par la République. Ce sentiment existe bel et bien, que l'on habite dans le centre de la Bretagne ou en Martinique !

La question des cinquante pas géométriques est un sujet complexe. La délégation avait publié un rapport sur le foncier et l'urbanisme. La loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer comportait un certain nombre de mesures. La question que vous évoquez est celle du traitement de situations particulières héritières du temps. Pour les résoudre, un pouvoir d'appréciation s'impose de la part de ceux que j'appelle des « préfets simplificateurs ». Certains préfets ont la capacité d'ajuster et d'adapter les règles. Pour le reste, je n'ai pas la réponse aujourd'hui.

Je dirai un mot sur l'octroi de mer. L'octroi de mer représente 43,5 % des recettes fiscales des communes en Guadeloupe, 47,1 % en Martinique, 45,7 % en Guyane, 36 % à La Réunion et 76,5 % à Mayotte. Une réponse intelligente et pragmatique s'impose donc ! Tout traitement approximatif aboutira à une catastrophe. Et je n'ai pas mentionné la part départementale ni régionale de l'octroi de mer, mais, pour la seule collectivité de la Martinique, il représente un montant de 197 millions d'euros. Il n'est pas ici question de l'épaisseur du trait, c'est une part importante des recettes fiscales des collectivités. Il faudra aussi veiller à ne pas réduire l'autonomie fiscale et financière des collectivités. La compensation par des dotations entraîne une perte du levier fiscal. Souvent, on le sait bien, elle ne dure pas plus que les roses au printemps... Il vaut mieux tenir que courir !

Telles sont les réponses imparfaites que je pouvais vous faire. En tout cas, soyez assurés que nous prenons bonne note de vos questions. La Délégation sénatoriale à l'outre-mer mènera une réflexion sur les questions financières et fiscales. J'aimerais, et je sais que Michel Magras y sera attentif, que ce travail s'effectue en lien avec la commission des affaires européennes du Sénat. J'espère que nous pourrons avancer avec la nouvelle Commission européenne. L'ordre du jour sera chargé : nous aurons aussi à traiter la question des régions ultrapériphériques ou des pays et territoires d'outre-mer (PTOM). Le départ du Royaume-Uni entraînera une baisse d'un tiers du nombre des PTOM en Europe. Le nombre de pays concernés par ces sujets se réduira donc d'autant à Bruxelles. Cela aura des incidences. Les autorités françaises doivent donc se mobiliser, à tous les niveaux, y compris au niveau du Parlement, pour soulever la question auprès de la Commission.

M. Michel Magras , président . - Je ne peux que souscrire à vos propos, monsieur le Président. Je confirme que notre délégation a inscrit ces sujets à son agenda cette année.

Mme Lana Tetuanui , sénatrice . - Je salue l'initiative qu'a prise le président Michel Magras, sous le haut patronage de notre président Gérard Larcher. Je veux dire à l'ensemble des élus présents ce matin que le Sénat a largement contribué à faire avancer les sujets ô combien sensibles concernant nos collectivités locales.

En Polynésie française, tout le monde sait bien que rien n'avancera sans une étroite collaboration entre l'État, la collectivité et les communes. À cet égard, les travaux de la Délégation sénatoriale aux outre-mer ont permis bien des progrès, notamment en ce qui concerne la question foncière et le statut de la Polynésie française, dernièrement toiletté. Il faut également remercier le président du Sénat et l'ensemble de nos collègues sénateurs.

Le Sénat vient de voter le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique. À cette occasion, l'ensemble des sénateurs ultramarins sont montés au créneau puisque nous connaissons mieux que quiconque la vie et les besoins de nos élus, dont nous sommes les relais. Or l'Assemblée nationale a voulu remettre en cause ce que nous avions voté. Mais les propos de notre président Gérard Larcher m'ont rassurée, indiquant au Premier ministre qu'il ne fallait pas promettre monts et merveilles à nos collectivités pour tout oublier par la suite.

Les dotations ne sont pas toutes identiques selon les collectivités, même si la dotation globale de fonctionnement, en particulier sa part communale, nous réunit. En ce qui concerne la fameuse dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), il faut remercier le Sénat d'avoir pris l'initiative de l'abonder afin de compenser la fin de la fameuse réserve parlementaire octroyée annuellement à chaque sénateur. Par ailleurs, grâce au président Gérard Larcher, nous avons obtenu que les sénateurs puissent siéger dans la commission d'attribution des subventions au titre de la DETR afin qu'ils puissent donner leur avis sur la répartition des crédits pour les besoins en investissement des communes.

Enfin, j'indique que les élus polynésiens ont offert symboliquement au président du Sénat un casse-tête, à l'image de la situation à laquelle sont confrontées nos communes ultramarines.

M. Tearii Alpha. - En tant que maire de Teva I Uta et membre de la délégation polynésienne présente ce matin, et au nom du président du syndicat de la promotion des communes et du président Édouard Fritch, maire de Pirae, je vous remercie, monsieur le président Magras, du rapport de votre délégation sur le foncier en outre-mer, qui a permis de faire évoluer le code civil pour l'adapter à l'indivision en Polynésie française.

Autre sujet de préoccupation : la Polynésie française compte soixante-dix îles basses. Il faut savoir que notre territoire regroupe 30 % des atolls mondiaux. De fait, l'adaptation au changement climatique est une priorité pour nous et nous espérons que l'État comprendra qu'il faut apporter des solutions différenciées selon les communes.

J'en viens à notre lien avec l'Union européenne, alors qu'une nouvelle législature s'engage. Les pays et territoires d'outre-mer du Pacifique sont certainement ceux qui sont le mieux intégrés régionalement. Ainsi, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont membres du Forum des îles du Pacifique, qui ne compte en son sein que des pays souverains membres des Nations unies, par exemple l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Nous souhaitons décomplexifier le statut des PTOM afin qu'ils puissent engager de vraies discussions sur le plan international. La France est le seul État de l'Union européenne dont les outre-mer sont régis par deux types de statut, en l'occurrence celui des PTOM et celui des régions ultrapériphériques. L'Europe a adopté une ligne directrice pour les cinq prochaines années en matière environnementale et nous ne pouvons pas rester à l'écart simplement en raison de notre statut.

M. Gérard Larcher , Président du Sénat . - Madame la sénatrice, vous êtes le meilleur ambassadeur et, en quelque sorte, mon porte-parole...

À l'issue de cette matinée, je voudrais que l'on retienne que je proposerai à la conférence des présidents du Sénat qu'une fois par session soit inscrit à l'ordre du jour un débat sur un sujet majeur, qui sera défini par vous par l'intermédiaire de vos parlementaires et sur les propositions de la Délégation sénatoriale aux outre-mer. Je veillerai à ce que ce débat soit inscrit dans le cheminement annuel du Parlement et n'ait pas lieu nuitamment un vendredi soir...

Ainsi, outre les débats budgétaires, les débats spécifiques sur tel ou tel sujet, les débats organisés dans le cadre des articles 73 et 74 de la Constitution, je souhaite que notre assemblée se mobilise et prenne le temps d'organiser un tel débat, qui sera préparé en amont.

Cette proposition officielle est aussi le fruit de cette volonté exprimée ce matin, avec vos collègues de la délégation, de nous retrouver pour ces échanges au commencement de cette semaine qui est d'abord consacrée aux communes. Mais je n'oublie pas qu'il existe quelques endroits qui ne comptent pas de commune. Ainsi, l'évolution statutaire par exemple de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy a modifié la réalité communale.

Ce n'est pas pour autant que nous nous désintéressons du mode de gestion du territoire et de la proximité. Il va falloir que nous suivions un certain nombre de dossiers prégnants. Ainsi, le Premier ministre s'est penché récemment sur l'affaire des sargasses aux Antilles et le rattrapage prévu de 85 millions d'euros ne devra pas être absorbé, même partiellement, comme je l'ai lu. Non ! Ces 85 millions sont un rattrapage à réalité constante et non pas à réalité nouvelle. Nous avons évoqué cette question avec vous, monsieur le maire de Fort-de-France, il y a quelques instants.

Je suis extrêmement favorable à ce que les outre-mer aient toute leur place et jouent tout leur rôle au sein des forums régionaux. Et croyez-moi, vous n'êtes pas seuls concernés. Ainsi, il est très difficile à la région Grand Est de discuter avec le Luxembourg, alors que 300 000 frontaliers travaillent quotidiennement dans ce pays, ainsi qu'en Allemagne et, dans une moindre mesure, en Belgique. Nous travaillons d'ores et déjà sur cette question d'ordre constitutionnelle, sans qu'il soit envisagé pour autant que l'État abandonne quelque fonction régalienne.

Quand Stéphane Artano nous dit que les choses n'avancent pas avec le Canada - et nous ne manquons jamais un rendez-vous -, je le dis devant le représentant de la délégation interministérielle, cela signifie que nous restons dans un système bloqué, qui n'est pas un système de confiance. Faire confiance ne signifie pas qu'il ne faille pas rendre des comptes ou abandonner ses responsabilités, mais on ne peut pas ignorer l'environnement régional ou en être le passager clandestin, surtout compte tenu des enjeux actuels notamment dans le Pacifique, y compris les enjeux géostratégiques comme on l'a encore vu ce week-end.

Le Sénat a la chance de compter une délégation qui fonctionne réellement. Créée sous une forme quelque peu différente, elle s'est trouvée renforcée par la suite, sous la présidence de Jean-Pierre Bel quand Serge Larcher en a été son premier président, ou sous la mienne. Nous avons souhaité lui donner de la force, et c'est cette force qui lui donne son identité au Sénat.

Enfin, je salue devant nos collègues ultramarins l'engagement de nos collègues métropolitains. Faire communauté nationale au singulier, c'est partager des problèmes que nous avons à vivre dans le « singulier pluriel ». Je vois les défis auxquels sont confrontés la Polynésie et ses atolls ; ce ne sont pas ceux qu'ont à gérer les Hautes-Pyrénées, dont les problèmes sont différents. Mais voir dans le singulier la solidarité nationale est une manière d'affirmer à la fois le pluriel et le singulier.

Je vous remercie de votre présence et de votre participation et vous invite à poursuivre nos échanges dans les salons de Boffrand.

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