Rapport d'information n° 126 (2019-2020) de Mme Élisabeth LAMURE , fait au nom de la Délégation aux entreprises, déposé le 18 novembre 2019

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N° 126

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la Délégation aux entreprises (1)

rendant compte de la Journée des entreprises

organisée au Sénat le 28 mars 2019 ,

Par Mme Élisabeth LAMURE,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Élisabeth Lamure, présidente ; MM. Gilbert Bouchet, Olivier Cadic, Emmanuel Capus, Fabien Gay, Xavier Iacovelli, Joël Labbé, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Nelly Tocqueville, M. Michel Vaspart, vice-présidents ; Mmes Nicole Bonnefoy, Catherine Fournier, Pascale Gruny, M. Jackie Pierre, secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Guillaume Arnell, Mmes Martine Berthet, Annick Billon, M. Martial Bourquin, Mme Agnès Canayer, M. Michel Canevet, Mmes Anne Chain-Larché, Laurence Cohen, M. René Danesi, Mme Jacky Deromedi, M. Jérôme Durain, Mme Dominique Estrosi Sassone, MM. Michel Forissier,. Jean Marc Gabouty, Éric Jeansannetas, Antoine Karam, Guy-Dominique Kennel, Daniel Laurent, Jacques Le Nay, Martin Lévrier, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Sébastien Meurant, Claude Nougein, Philippe Paul, Rachid Temal, Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe.

AVANT-PROPOS

La Délégation sénatoriale aux entreprises a organisé au Sénat jeudi 28 mars 2019 la quatrième édition de la Journée des entreprises, événement organisé chaque année depuis la création de la Délégation en novembre 2014, à l'initiative du Président du Sénat, M. Gérard Larcher.

Rassemblant 42 sénateurs désignés à la proportionnelle des groupes politiques, cette Délégation est chargée d'informer le Sénat sur la situation des entreprises, de recenser les obstacles à leur développement et de proposer des mesures visant à favoriser l'esprit d'entreprise et à simplifier les normes applicables à l'activité économique, en vue d'encourager la croissance et l'emploi dans les territoires.

Depuis janvier 2015, la Délégation est allée à la rencontre de centaines d'entrepreneurs français dans 25 de départements, ainsi qu'à Londres, en Allemagne, en Suède, aux Pays-Bas et à Bruxelles. Sur le fondement des témoignages de terrain ainsi recueillis, elle intervient en posant des questions au Gouvernement et en élaborant des propositions de loi, des propositions de résolution, des rapports ainsi que des amendements aux projets de loi concernant les entreprises. Elle conduit aussi des études comparatives ou des études d'impact préalables pour éclairer le vote du Sénat sur les dispositions ayant un impact sur l'entreprise.

Afin de donner de l'écho à ces initiatives, de faire vivre les relations qu'elle tisse avec les entrepreneurs et de poursuivre le dialogue avec eux, elle les reçoit au Sénat pour une journée qui leur est dédiée. Cette journée a pour objet de valoriser l'entreprise et d'encourager son développement.

En 2019, ils ont été près de 150 à participer à cette journée au Sénat, venant d'une quarantaine de départements différents. Une trentaine de sénateurs ont aussi pris part aux travaux.

La matinée a été consacrée aux retours d'expérience des sénateurs et des entrepreneurs les ayant accueillis dans la cadre des immersions en entreprises, organisées dans le cadre de la convention de partenariat entre CCI France et la Délégation aux entreprises du Sénat. MM. Olivier Cadic, René Danesi et Mme Élisabeth Lamure, Présidente de la Délégation, sont ensuite intervenus sur la lutte contre les « surtranspositions » de directives européennes dans le droit français, en présentant les travaux de la Délégation, et ceux de la commission des Affaires européennes du Sénat sur ce sujet.

Le déjeuner, qui s'est déroulé dans les salons du Boffrand, a été l'occasion de rendre hommage aux jeunes de l'Équipe de France des métiers, qui ont remporté des médailles aux Euroskills de Budapest en septembre 2018, et d'apporter le soutien du Sénat à la candidature française pour l'organisation des Finales Mondiales Worldskills à Lyon en 2023. Ils ont apporté une nouvelle fois la preuve que des métiers pouvant parfois pâtir d'une image peu attractive pouvaient être source de fierté et d'épanouissement.

L'après-midi a laissé place à des échanges autour des questions de bien être en entreprise. Entrepreneurs et experts se sont exprimés lors des deux tables rondes sur l'enjeu du bien être en entreprise et les pistes d'amélioration. Comme je l'ai indiqué en conclusion de cette journée : « c'est volontairement que nous n'avons pas choisi le bien être « au travail », mais «  en entreprise », car une entreprise est une oeuvre collective. Vous avez beaucoup parlé de relations humaines, d'humain. Ces questions ont beaucoup d'importance à nos yeux, y compris dans les travaux que nous pouvons porter au Sénat. »

Cette question va d'ailleurs être approfondie d'ici début 2020 à l'occasion d'une mission d'information lancée par la Délégation sur « les entreprises responsables et engagées ». Le sera également la problématique entendue de la part d'un nombre croissant d'entrepreneurs, quels que soient leur secteur et le lieu de leurs activités, sur « les difficultés de recrutement dans un contexte de forte évolution des métiers » ; ce sujet avait d'ailleurs été évoqué à l'occasion de la troisième édition de la Journée des entreprises, en mars 2018.

Le présent rapport, qui rassemble le compte-rendu des propos tenus lors des tables rondes de la journée, permet de prendre connaissance de la richesse des échanges intervenus à l'occasion de cette quatrième édition de la Journée des entreprises.

Élisabeth LAMURE

Présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises

PROGRAMME DE LA JOURNÉE DES ENTREPRISES DU JEUDI 28 MARS 2019 AU SÉNAT

JOURNÉE DES ENTREPRISES 2019

I. PREMIÈRE TABLE RONDE : « QUELS SONT LES FRUITS DES ÉCHANGES DE TERRAIN ENTRE SÉNATEURS ET ENTREPRISES ? »

A. INTRODUCTION

1. Mme Tam TRAN HUY, journaliste de Public Sénat

Bonjour à tous, je suis ravie de vous accueillir aussi nombreux au Sénat à l'occasion de cette Journée des entreprises. Nous aurons l'occasion, ce matin, de poursuivre le dialogue entamé par la Délégation aux entreprises avec les entrepreneurs. Cette matinée sera consacrée aux immersions des sénateurs dans des entreprises et à leurs retours d'expérience.

Sans plus tarder, je donne la parole pour ouvrir cette Journée des entreprises au président du Sénat, Gérard Larcher.

2. M. Gérard LARCHER, président du Sénat

Madame la présidente de la Délégation aux entreprises, chère Élisabeth Lamure, Monsieur le président de CCI France, cher Pierre Goguet, Mes chers collègues sénateurs, Monsieur le président du Comité français des Olympiades des Métiers, Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise, Mesdames et Messieurs,

Avec mes collègues sénateurs, je suis heureux de vous accueillir ce matin pour cette Journée des entreprises organisée par notre Délégation dont je voudrais une fois encore remercier la présidente et les membres pour leur action et leur engagement. Fin 2014, nous avons proposé de créer cette Délégation pour qu'une structure de notre assemblée traite des entreprises dans leur globalité. Elles étaient en effet abordées auparavant de manière trop fragmentée alors qu'elles sont le moteur du développement économique et de l'emploi.

Depuis quatre ans, la Délégation applique un de mes principes : le « Sénat hors les murs ». Elle parcourt le territoire à la rencontre des entrepreneurs et nous fait remonter les enjeux, les difficultés mais aussi les bonnes pratiques, les idées qui émanent des entreprises et des territoires, qui peuvent nous conduire à modifier un certain nombre de cadres, qu'ils soient législatifs ou réglementaires. La Délégation est fidèle en cela à la mission du Sénat qui, outre sa mission de législateur, d'acteur de contrôle, de prospective, est la représentation des territoires. La Délégation a également pour mission d'organiser des stages d'immersion dans des entreprises. Je voudrais remercier les entreprises qui ont ainsi accueilli nos collègues.

Elle a noué un partenariat, Monsieur le président, avec vous-même. Je me souviens de notre rencontre et de notre échange de signatures. Le réseau des Chambres de Commerce et d'Industrie est évidemment un outil précieux pour le développement économique des territoires. C'est un outil que nous sommes en train de redécouvrir à la faveur des débats actuels et qui marque bien la nécessité de l'horizontalité qui nous permet d'échapper au risque de la seule verticalité. Grâce à ce partenariat, onze de nos collègues ont effectué des stages d'immersion. Plusieurs d'entre eux vous feront part de leur expérience et des enseignements qu'ils en ont tirés.

Depuis l'origine, il me paraît clair que la Délégation relaie au Sénat un message qui émane du terrain, celui de la nécessité d'alléger les contraintes qui brisent les initiatives et freinent la croissance. J'étais samedi dans l'Yonne et lundi en Savoie, après une incursion dans les Hauts-de-France. C'est bien ce que j'entends dans les territoires, dans leur diversité, qu'ils soient urbains ou ruraux. J'aurai l'occasion demain, à Toulouse, à l'occasion des rencontres de France urbaine , où je clôturerai les travaux, de rappeler un certain nombre de réalités.

La Délégation ne s'est pas contentée de relayer ce message par des discours. Elle le traduit en actes. Elle a produit des rapports d'information qui viennent éclairer nos débats Parlementaires. Je pense au rapport d'Élisabeth Lamure et de Olivier Cadic sur les simplifications à conduire pour libérer les entreprises, ou à celui de René Danesi sur la surtransposition des directives européennes, au nom de la Délégation et de la commission des affaires européennes. Cette après-midi, notre collègue s'exprimera de manière plus approfondie, mais je veux souligner que le Sénat prend à bras-le-corps cette question de la surtransposition. Nous avons mis en place un système d'alerte qui va entrer dans sa deuxième année et que nous avons confié à la Commission des affaires européennes.

Un autre exemple est celui du secret des affaires. L'Assemblée nationale avait adopté une proposition de loi transposant une directive de 2016 sur le secret des affaires. L'analyse de la commission des affaires européennes a permis de faire apparaître que ce texte restreignait la portée et la protection du secret des affaires. Une bonne intention ne se traduisait ainsi pas en une action réelle. Cette analyse a permis à notre commission des lois de corriger ce texte dans l'intérêt même des entreprises.

La Délégation a formulé de nombreuses propositions législatives par le biais soit d'amendements, soit de propositions de loi. La présidente, Élisabeth Lamure, joue un rôle particulier dans le projet de loi PACTE dont elle est l'un des rapporteurs. Même si la commission mixte paritaire a connu un désaccord sur le devenir d'Aéroports de Paris (ADP), de nombreuses mesures adoptées par le Sénat ont été conservées par l'Assemblée nationale, d'où l'intérêt du bicamérisme. Je rappelle que plus de 60 % des propositions du Sénat, même en cas de désaccord, demeurent dans le texte. N'oublions pas les mesures concernant les Chambres de Commerce et d'Industrie.

Je souhaite évoquer un autre travail important de la Délégation, dont Élisabeth Lamure vous parlera : la revitalisation des centres-villes et des centres bourgs réalisée en partenariat avec la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Chacun se souvient du travail de Rémy Pointereau et Martial Bourquin, et de bien d'autres au travers des commissions. Les travaux de la Délégation aux entreprises sont donc très concrets. Ils sont le fruit d'une fertilisation croisée entre sénateurs et entrepreneurs.

Cette après-midi, vous consacrerez vos travaux au bien-être en entreprise. Cette séquence fait écho à l'exposition photographique que je vous invite à découvrir : ÊtreS au travail, exposée sur les grilles de notre jardin. Cette exposition a été réalisée par l'Association Lumières sur le Travail à l'occasion du centenaire de la Fondation de l'Organisation Internationale du Travail, organisation dans laquelle j'ai siégé lorsque j'étais ministre du Travail. Quatre-vingts photographies témoignent de la diversité et des enjeux du travail dans le monde. La force des images invite chaque passant à engager sa propre réflexion sur le travail, celui d'hier, celui d'aujourd'hui et celui de demain. Bonheur, mais aussi parfois souffrance, fierté, parfois aussi désenchantement, stabilité ou précarité, des sujets que nous connaissons depuis longtemps, sécurité et prévention face aux risques professionnels, incertitude, interrogation, nécessité face à la complexité et à la complexification technologique, reconnaissance des femmes au travail, qui fut le sujet d'un colloque de la Délégation aux droits des femmes, et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, présidée par Annick Billon que je salue.

Les profondes mutations du monde du travail à l'ère de la mondialisation nous posent, au XXIe siècle, de grands défis au regard des valeurs humaines essentielles et des principes et droits fondamentaux de tous celles et ceux qui travaillent. Cette exposition, qui rejoint le thème de vos réflexions de cette après-midi, me parle vraiment. Les clichés exposés sur les grilles sont forts, un peu décalés par un texte de Charles Péguy à propos des ouvriers et des artisans : « Ils disaient en riant, et pour embêter les curés, que travailler c'est prier, et ils ne croyaient pas si bien dire, tant leur travail était une prière et l'atelier un oratoire ». Je ne partage pas entièrement ce point. En effet, nous devons reconnaître que si le travail est souvent un facteur d'émancipation, ne bénéficiant pas à ceux qui n'ont pas accès au travail, il peut aussi être une forme de souffrance. Je n'oublie pas que nous avions lancé en 2005 le premier Plan santé au travail. Ce plan repose sur une approche positive du travail et j'insiste sur la dimension positive visant à réconcilier le progrès social et le progrès économique.

En regard avec la crise sociétale que nous traversons et dont je ne pense pas notre pays sorti, nous pourrions nous poser une question, comme d'autres se l'étaient posée après une autre crise sociale d'une autre nature, celle de 1968 : ne devons-nous pas inventer et construire une société de participation pour réinclure et faire communauté dans la nation que nous sommes ?

C'est cet objectif de société que chefs d'entreprise et responsables politiques partagent. Il est d'ailleurs assez notable que, dans la crise que nous traversons, les chefs d'entreprise et les maires sont en quelque sorte « épargnés ». Les chefs d'entreprise sont l'un des ciments de la nation. Nous faisons face à un défi collectif qui n'est pas lié à des clivages politiques, à des sentiments, à des crispations temporaires. Le vrai sujet est devant nous et nous devons le régler. En mettant l'accent sur ce thème, la Délégation renoue avec sa première édition. Elle avait mis en exergue les enjeux du management par la qualité.

Je voudrais souligner aussi la place essentielle des collaborateurs, quels qu'ils soient, dans la réussite de l'entreprise. L'entreprise, quelle qu'en soit la taille, est d'abord une aventure humaine, avec ses forces et ses faiblesses. Elle peut produire de merveilleux résultats si le cap est clair, s'il existe un partage avec les équipes et avec les clients. La démarche entrepreneuriale est au fond assez similaire à la démarche des élus qui portent des projets pour leur territoire, pour notre pays. En essayant d'être attentif à chacun, avec le sens et l'intérêt du collectif.

Nous portons ici le territoire et je ne souhaite pas que notre pays soit miné par le poison de la fragmentation, par la tentation de la sécession dont parle Axel Kahn, sujet sur lequel j'avais interpellé le président Hollande par écrit, le sentiment d'une part de la France d'être à côté, au bout de la table. Je ne cesse de répéter jour après jour ces mots d'un collègue de l'Allier qui me disait : « Paris est plus loin de Moulins et de Montluçon que de Londres, d'Amsterdam ou de Barcelone ». Je crois que c'est un défi que nous devons, les uns et les autres, saisir dans sa réalité. L'enjeu est de redonner collectivement des perspectives.

Voilà pourquoi j'étais si heureux, Madame la présidente, de vous retrouver ce matin. Je voudrais remercier toute la Délégation aux entreprises pour ce qu'elle apporte au Sénat et vous souhaiter une excellente journée faite de douceur et de dialogue.

Au Sénat, nous sommes paisibles mais nous sommes déterminés.

Je vous souhaite une très bonne journée.

Mme Tam TRAN HUY

Je vous remercie, Monsieur le président. La parole est maintenant à Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises.

3. Élisabeth LAMURE, sénateur, présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises

Monsieur le président, cher Gérard Larcher, Monsieur le président de CCI France, Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise, Mes chers collègues sénateurs, Mesdames, Messieurs,

Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement Gérard Larcher, président du Sénat, de s'être rendu disponible pour ouvrir cette journée et de ses beaux et multiples messages.

Cher président, vous marquez ainsi l'importance que le Sénat accorde aux entreprises, qui contribuent activement à faire vivre l'ensemble des territoires. C'est dans cet esprit que le président Larcher a voulu créer un interlocuteur au Sénat qui soit dédié aux entreprises, notamment de petites et moyennes tailles : la Délégation aux entreprises. Cette Délégation, que j'ai l'honneur de présider, a en effet été créée à son initiative, voici quatre ans, pour porter la voix des petites et moyennes entreprises au Sénat.

Vous y êtes les bienvenus pour cette 4e Journée des entreprises. Je vous remercie d'être venus si nombreux, de toute la France, précisément de 41 départements, et même de l'étranger (deux entrepreneurs viennent du Royaume-Uni et d'Islande). Vous êtes chez vous aujourd'hui au Sénat pour échanger et rencontrer les sénateurs qui composent la Délégation aux entreprises. Pour certains d'entre vous, nous nous sommes déjà rencontrés dans votre département. Nous avons visité votre entreprise ou encore y avons fait un stage d'immersion. Et nous sommes heureux de prolonger aujourd'hui nos échanges.

Vous le savez, la méthode de travail de notre Délégation consiste à se rendre régulièrement sur le terrain, à échanger de façon franche et directe avec les entrepreneurs, pour nourrir la réflexion et l'activité du législateur à Paris.

Depuis 2015, nous nous sommes ainsi rendus dans une vingtaine de départements et dans quelques pays voisins à la rencontre de plusieurs centaines d'entreprises françaises. Nous sommes à votre écoute et ceci nous permet d'identifier les problèmes qui se posent aux ETI, PME et TPE pour créer, développer, transmettre leurs sociétés, et pour créer de l'emploi. Nous relayons vos préoccupations et propositions, afin qu'elles soient mieux prises en compte à l'occasion de nos rapports d'information et de nos initiatives législatives. Depuis la troisième Journée des entreprises, en mars 2018, nous avons pu notamment faire avancer plusieurs sujets.

En premier lieu, je citerai le sujet de la transmission des entreprises. Nos collègues, Claude Nougein et Michel Vaspart, ont déposé une proposition de loi, adoptée par le Sénat en juin 2018 et dont certaines dispositions ont été reprises dans le projet de loi de finances pour 2019.

Un autre sujet nous a mobilisés et nous continuerons à le suivre en 2019 : la surtransposition des normes européennes en droit français. Nous en parlerons en fin de matinée.

Notre Délégation a par ailleurs poursuivi son travail commun avec la Délégation du Sénat dédiée aux collectivités territoriales et à la décentralisation, autour de l'enjeu de la revitalisation des centres-villes et centres bourgs. C'est un défi majeur !

Le groupe de travail issu de nos deux délégations a déposé une proposition de loi sur ce sujet, portée par nos collègues Rémy Pointereau et Martial Bourquin, et adoptée par le Sénat en juin 2018. De nombreuses dispositions de ce texte ont pu être intégrées dans le projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dit ELAN, pour lequel Mme Dominique Estrosi-Sassone, membre de la Délégation aux entreprises, était rapporteur. L'examen de ce texte par le Parlement s'est achevé en octobre 2018.

Les membres de la Délégation se sont aussi beaucoup investis dans l'examen du projet de loi dit Pacte (« plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises »), dont j'ai été l'un des rapporteurs. Ce texte revient en nouvelle lecture au Sénat le 10 avril prochain. L'Assemblée nationale n'a pas toujours suivi les propositions du Sénat en faveur des entreprises.

Vous voyez, au travers de ces exemples, que nous cherchons à donner une concrétisation utile aux échanges que nous développons avec les entreprises rencontrées tout au long de l'année. Nous travaillons à l'heure actuelle sur l'accompagnement de la transformation numérique des PME. Autre sujet qui est apparu de façon récurrente au cours de nos derniers déplacements dans les départements : les difficultés de recrutement et l'évolution des métiers. Je proposerai à la Délégation d'approfondir ces questions. N'hésitez pas à nous faire part de vos difficultés et propositions sur ces sujets. Vos témoignages sont toujours précieux !

S'agissant de cette 4e Journée des entreprises, le Bureau de la Délégation a souhaité l'articuler de la manière suivante :

Le début de matinée sera consacré aux retours d'expérience des sénateurs ayant suivi un stage d'immersion en entreprise en 2018. J'espère que ces regards croisés seront francs et riches d'enseignements.

Nous ferons ensuite le point de nos travaux et perspectives sur la question de la surtransposition des directives européennes en droit français, un handicap pour la compétitivité de nos entreprises, avec mes collègues René Danesi et Olivier Cadic.

Lors du déjeuner, nous ferons honneur aux jeunes champions de l'équipe de France des métiers, médaillés aux Euroskills de Budapest en septembre 2018, à l'occasion des 45e Olympiades des métiers.

Enfin, parce que le développement des entreprises dépend largement de celui des êtres humains qui y travaillent, nous avons souhaité consacrer l'après-midi à la question du bien être, non seulement lié à la santé mais aussi à l'épanouissement au travail, en entreprise : pourquoi est-ce un enjeu ? Et quelles sont les améliorations possibles dans ce domaine ?

Il est temps à présent de commencer nos travaux, que je souhaite vivants et enrichissants pour chacune et chacun d'entre nous. Nous avons prévu des temps d'échanges afin que vous puissiez y contribuer au maximum.

Je cède donc la parole à Mme Tam Tran Huy, journaliste de la chaîne PublicSénat, qui est notre modératrice de la matinée.

B. RETOURS D'EXPÉRIENCE CROISÉS SUR LES IMMERSIONS DE SÉNATEURS EN ENTREPRISE

1. Première série de témoignages

Table ronde animée par Mme Tam TRAN HUY

Ont participé à la table ronde :

Mme Valérie COTTEREAU, présidente d'Artefacto, et M. François BONHOMME, sénateur du Tarn-et-Garonne ;

M. Antoine BASCHIERA, directeur général d'EARLY METRICS, start-up spécialisée dans la notation de start-up et implantée à Paris, et Mme Anne-Catherine LOISIER, sénatrice de Côte-d'Or (immersion les 23, 24 et 25 avril 2018) ;

Mme Annick BILLON, sénatrice de Vendée ayant effectué une immersion chez ARMOR, ETI spécialisée dans la chimie des encres et les technologies d'impression (immersion les 6 et 7 septembre 2018) ;

Mme Patricia MORHET-RICHAUD, sénatrice des Hautes-Alpes, ayant effectué une immersion les 15 et 16 mars 2018 à la Savonnerie de Haute Provence (SHP), PME spécialisée dans la sous-traitance de savon solide.

Mme Tam TRAN HUY

Quels sont les fruits des échanges entre les sénateurs et les entreprises ? C'est ce que nous allons voir avec deux séquences de la table ronde de ce matin, organisée autour des retours d'expériences croisés sur les immersions des sénateurs en entreprise.

Projection de la vidéo réalisée par la direction de la communication du Sénat sur l'immersion chez Artefacto, PME spécialisée en réalité virtuelle et augmentée, de François BONHOMME, sénateur du Tarn-et-Garonne, suivie d'une intervention de Valérie COTTEREAU, présidente d'Artefacto.

M. François Bonhomme, vous aviez la volonté de vous rendre dans une autre région que la vôtre et d'effectuer une immersion dans un secteur innovant.

M. François BONHOMME, sénateur du Tarn-et-Garonne

Je souhaitais en effet effectuer une immersion dans une entreprise de nouvelles technologies en dehors de mon territoire électoral. Les 48 heures que j'ai passées chez Artefacto m'ont permis de découvrir un secteur qui m'était nouveau. Je salue Valérie Cottereau pour son accueil ; elle m'a permis de découvrir les métiers et enjeux de l'entreprise. Cette expérience a été intéressante en tant que législateur. L'immersion permet non seulement de se faire une idée plus précise des entreprises françaises dans leur diversité mais aussi de décloisonner les questions qui se posent pour l'entreprise comme pour le législateur. J'ai pu, ainsi, confronter mes a priori aux réalités de l'entreprise. Ce travail de décloisonnement, comme l'a dit le président Larcher, permet d'éviter au Sénat de fonctionner en silo. Toutes les passerelles entre les entreprises de taille moyenne et le domaine public favorisent l'évolution positive de la matière législative et réglementaire.

Mme Tam TRAN HUY

Valérie Cottereau, qu'est-ce qui vous a motivée à accueillir un sénateur pendant deux jours ? Vous m'aviez confié avoir été étonnée que votre entreprise soit sollicitée.

Mme Valérie COTTEREAU, présidente d'Artefacto

La CCI m'a en effet demandé si j'étais volontaire pour accueillir un sénateur. J'ai répondu positivement, car cela me semblait être une forme de devoir. Je ne m'attendais pas à ce que notre entreprise soit choisie. J'imaginais plutôt que sur le territoire breton, une entreprise agroalimentaire aurait été contactée. J'ai donc décidé d'organiser un programme d'accueil de ce « stagiaire » particulier à qui j'ai souhaité présenter l'entreprise au sein de son écosystème. Il m'a semblé ainsi nécessaire de sortir de l'entreprise, celle-ci étant connectée à de nombreuses entités, grâce à la collaboration desquelles elle peut fonctionner.

Mme Tam TRAN HUY

François Bonhomme, vous avez été très sensible à la dimension d'écosystème. Il est important que les entrepreneurs ne soient pas seuls. Que leur apportent les partages d'expérience ?

M. François BONHOMME

L'agglomération rennaise est bien fournie en instituts de recherche et d'innovation. La technopole constitue un environnement favorable à la création de passerelles, ce qui est intéressant sur le plan opérationnel et très rassurant pour la dynamique de l'entreprise. Celle-ci doit se projeter dans un monde incertain ; il est donc important qu'elle dispose de relais et de points de repère afin de créer un environnement favorable.

Mme Tam TRAN HUY

Valérie Cottereau, il serait en effet intéressant de développer ailleurs cette particularité de votre territoire.

Mme Valérie COTTEREAU

J'ai le sentiment que cette dynamique fonctionne très bien sur notre territoire. Le tissu de chefs d'entreprise et d'Instituts de recherche appliquée (IRT) permet d'avancer collectivement. Les projets de développement croisé entre les entreprises se mettent facilement en place.

Un confrère chef d'entreprise m'a sollicitée pour l'héberger dans nos locaux. Il souhaitait prendre du recul et réfléchir à l'avenir de l'entreprise. Je lui ai prêté un bureau à proximité du mien et il est venu s'installer deux mois. Du positif en est ressorti.

La recherche est dans une fuite en avant permanente. Je suis architecte de formation et, maintenant, dans le monde des nouvelles technologies. Nous avons commencé par la 3D et nous concevons aujourd'hui des applications. J'ai coutume de dire que l'entreprise se reconstruit sur elle-même tous les jours.

Mme Tam TRAN HUY

Ce secteur est extrêmement évolutif.

Mme Valérie COTTEREAU

Tout à fait. Tout va très vite. Des points d'ancrage sont nécessaires afin d'échanger sur les perspectives d'avenir.

Mme Tam TRAN HUY

Cette expérience a-t-elle modifié le regard que vous portiez sur le législateur et les Parlementaires ?

Mme Valérie COTTEREAU

Mon regard n'était pas abouti mais la démarche de François Bonhomme, qui ne me connaissait pas, m'est apparue courageuse. Les témoignages des collaborateurs de l'entreprise se révèlent très positifs. Les salariés se réjouissent de voir les hommes politiques venir en entreprise, car ces deux mondes se connaissent mal.

Mme Tam TRAN HUY

François Bonhomme, que retenez-vous, en tant que législateur, de cette expérience ?

M. François BONHOMME

Je suis arrivé dans l'entreprise avec un a priori favorable. Découvrir de nouvelles entreprises donne confiance en notre pays dont les ressources permettent de se projeter dans l'avenir. La grisaille ambiante n'est favorable ni au pays, ni aux affaires. Revenir à la réalité la plus prosaïque, celle des entreprises, fait du bien. Celles-ci sont le socle de la richesse de la France et des acteurs essentiels du pays.

Mme Tam TRAN HUY

Je vous remercie pour ces deux témoignages. À cette tribune se trouvent également Antoine Baschiera, directeur général d'Early Metrics, et Anne-Catherine Loisier, sénatrice de Côte-d'Or. Antoine Baschiera, pourriez-vous nous expliquer l'activité d'Early Metrics, une start-up qui note des start-up ?

M. Antoine BASCHIERA, directeur général d'EARLY METRICS

Je suis le fondateur d'Early Metrics. Nous notons les start-up et les PME innovantes pour le compte d'investisseurs, de grands groupes et d'ETI françaises. En effet, d'une part, nous nous sommes rendu compte que si le nombre de start-up augmentait, de plus en plus de décideurs s'intéressaient au monde des start-up et des PME innovantes pour servir leur stratégie d'innovation. D'autre part, nous constations que les modèles d'analyse financière traditionnelle s'appliquaient très mal à ces sociétés. Par conséquent, il convenait de travailler pour concevoir une manière de noter différente. J'ai fondé cette entreprise pendant mes études, voici un peu plus de quatre ans.

Mme Tam TRAN HUY

Anne-Catherine Loisier, qu'avez-vous retenu de ce secteur que nous connaissons peu ?

Mme Anne-Catherine LOISIER, sénatrice de Côte-d'Or

Je suis rapporteur budgétaire des questions relatives au numérique. J'avais d'abord la volonté de poursuivre une sorte de formation continue. J'ai déjà réalisé plusieurs immersions en entreprise. Elles sont très stimulantes pour nous, sénateurs, car elles nous permettent d'être au coeur du sujet, de recréer un climat de confiance avec le monde de l'entreprise, de créer une accessibilité, un dialogue, et de mieux connaître les sujets sur lesquels nous sommes amenés à nous positionner. Je souhaitais, pour ma part, mieux appréhender le monde des start-up et de la notation des start-up.

Mme Tam TRAN HUY

Antoine Baschiera, qu'avez-vous fait découvrir à Anne-Catherine Loisier ?

M. Antoine BASCHIERA

Une entreprise qui grandit vite dispose de peu de temps pour proposer un programme d'immersion. Je remercie Anne-Catherine Loisier pour le travail de terrain auquel elle a participé. Nous lui avons fait découvrir nos métiers. Elle a participé à des entretiens de notation de start-up et de recrutement. Nous avons également parlé de la croissance du chiffre d'affaires, le seul enjeu pour une société de notre taille. Cette immersion était très concrète et détonait par rapport à ma perception initiale des activités d'un sénateur.

Mme Tam TRAN HUY

Anne-Catherine Loisier, à quel sujet avez-vous été particulièrement sensibilisée à travers ce travail ?

Mme Anne-Catherine LOISIER

Je voulais mieux comprendre l'écosystème des start-up, leur langage, leur « timing », et mieux saisir leurs enjeux. Dans un monde économique rapide, le législateur doit être réactif afin que les dispositions soient adaptées. Je remercie Antoine Baschiera et son équipe dont les journées sont très chargées. J'avais parfois l'impression de les gêner dans leur quotidien mais ils m'ont, de fait, associée à leurs tâches. Participer à un entretien de notation permet de comprendre les paramètres d'efficacité ainsi que les paramètres stratégiques de l'évolution d'une start-up. La valeur humaine et la polyvalence des équipes sont essentielles. Une immersion fait prendre conscience des valeurs économiques importantes de l'entreprise. Il faut que nous, législateurs, puissions les incarner lors de l'examen des projets et propositions de loi, afin de créer une courroie de transmission et un réseau. Il en résulte pour les sénateurs une nécessaire mise à niveau permanente avec le monde économique.

Mme Tam TRAN HUY

Antoine Baschiera, quels enseignements tirez-vous de cette expérience ?

M. Antoine BASCHIERA

Comme vous l'avez compris, les codes institutionnels sont assez nouveaux pour moi. L'apprentissage était donc double. J'ai 27 ans, j'ai créé une entreprise à 22 ans ; j'étais ingénieur de formation et n'avais jamais travaillé auparavant ; je ne connaissais donc pas ce monde.

Nous sommes l'une des plus petites entreprises dans lesquelles les immersions ont été effectuées. Anne-Catherine Loisier connaissait mieux les start-up que je ne connaissais le Sénat et, plus globalement, le monde institutionnel. J'ai donc beaucoup appris. Les évolutions de carrières et les facteurs clés de succès diffèrent de ce que nous connaissons en entreprise. Nous travaillons à 90 % avec des entreprises du CAC 40 mais nous n'avons que très peu de clients dans le public. Nous avons donc sollicité des informations auprès d'Anne-Catherine Loisier afin de pouvoir nous développer dans le secteur public. Nous avons beaucoup parlé affaires. J'ai énormément appris sur la carrière politique. Nous en avons tiré des mises en relation très concrètes, avec la CCI ainsi qu'avec d'autres acteurs. Une spécificité de ma génération est sans doute de ne rien attendre des sénateurs, par méconnaissance de leur travail. Le fait de mettre des mots sur nos attentes m'a conforté dans mon apprentissage de la sphère politique. Cette expérience a été objectivement utile pour ma perception du secteur public.

Mme Tam TRAN HUY

Anne-Catherine Loisier, quelles suites imaginez-vous à cette immersion ? Songez-vous à aller voir d'autres pays disposant d'un environnement très favorable aux start-up ?

Mme Anne-Catherine LOISIER

Oui. Dans le cas précis d'Early Metrics, le lien est continu. Si l'entreprise est confrontée à des opportunités ou à des difficultés, j'espère qu'Antoine Baschiera nous en fera part afin que nous puissions nous emparer de ces sujets. Il faut recréer un climat de confiance entre les chefs d'entreprise, le milieu économique et le monde politique.

Je voulais par ailleurs saluer le travail la CCI. Le casting des entreprises a été particulièrement bien réalisé et la bonne mise en adéquation qui en résulte a permis des immersions efficaces.

Mme Tam TRAN HUY

Quelles connaissances en avez-vous retirées pour irriguer votre propre territoire ?

Mme Anne-Catherine LOISIER

Comme le président Larcher l'a dit tout à l'heure, le sénateur est d'abord un acteur de territoire, en veille et en contact permanent avec celui-ci. Ces immersions nous permettent de relayer un message de confiance auprès des acteurs ruraux, parfois isolés, qui s'interrogent sur leur avenir économique. Mieux connaître l'écosystème du numérique favorise le dialogue et permet d'apporter des conseils aux acteurs de mon territoire sur un sujet qui me tient à coeur. Le numérique et le commerce en ligne ne sont pas uniquement l'affaire des grands GAFA. Ils constituent aussi de véritables outils de développement pour nos petits commerces ruraux sédentaires.

Mme Tam TRAN HUY

Je vous remercie, Anne-Catherine Loisier et Antoine Baschiera.

Est également présente à cette tribune, Annick Billon qui a effectué l'une des premières immersions, consécutives à la signature de la convention avec la CCI en septembre 2017, chez Armor, une ETI spécialisée dans la chimie des encres et des technologies d'impression. Au début, effectuer un stage en entreprise ne vous intéressait pas nécessairement... ?

Mme Annick BILLON, sénatrice de Vendée

Je viens du monde de l'entreprise. J'ai été directrice commerciale chez Kodak pendant 10 ans. Quand je voyais les comptes rendus dans la presse de sénateurs ou de députés qui partaient en stage, je pensais à ma fille qui terminait son stage de découverte de troisième. Mon regard, Monsieur le président, était assez perplexe.

Nous nous sommes retrouvés au mois de juin ou de juillet dans le Bordelais, alors que vous veniez de signer, deux jours avant, la convention. Lorsque vous m'en avez parlé, je vous ai proposé de m'inscrire par politesse. Ainsi, j'ai été presque la première à le faire.

Seuls les idiots ne changent pas d'avis. J'ai totalement revu ma vision de l'immersion. Il ne faut pas parler de stage. Nous ne sommes pas en stage. Nous ne produisons pas de rapport. Nous allons à la rencontre des entreprises en fonction de sujets, de secteurs et de problématiques particuliers.

Je suis très heureuse de vous avoir rencontré, Monsieur le président, car sinon je ne me serais pas inscrite. Je craignais que cette immersion fasse doublon avec mes visites récurrentes d'entreprises en Vendée. Or, elle s'est révélée très utile et je suis ravie de l'avoir faite. Mes réserves ont totalement disparu et j'encourage tous mes collègues à partager cette expérience.

Mme Tam TRAN HUY

Annick Billon, votre immersion s'est passée en deux temps.

Mme Annick BILLON

Je ne souhaitais pas trop m'éloigner de la Vendée. J'ai proposé Paris ou les Pays de la Loire et j'ai finalement réalisé mon immersion à Nantes. Elle comprenait une demi-journée au siège social de Nantes puis une journée et demie sur le site industriel. Au siège social, j'ai pu rencontrer tous les services ainsi que tout l'encadrement ; j'ai participé à des entretiens poussés et constaté que diverses problématiques étaient soulevées. L'après-midi a commencé par une visite du site industriel et s'est poursuivie par des entretiens d'une à deux heures avec l'ensemble des services (recherche, innovation, formation, RH, etc.).

Mme Tam TRAN HUY

Cette entreprise a décidé de gérer elle-même ses formations, car elle ne trouvait pas les profils qu'elle recherchait.

Mme Annick BILLON

Nous connaissons cette situation en Vendée, sur les métiers de service à la personne. Dans le cas présent, l'ETI a créé son université, l'Université Armor. Tous les ans, elle emmène des salariés vers le bac professionnel. Elle a développé en interne un écosystème afin de permettre une montée en compétences de tous les salariés. Je considère que la démarche de cette entreprise et de son président, Hubert de Boisredon, est exceptionnelle. Je précise que cette entreprise est confrontée à des risques.

Mme Tam TRAN HUY

Elle s'occupe en effet de chimie des encres et des technologies d'impression.

Mme Annick BILLON

L'entreprise développe des partenariats avec son écosystème, notamment avec les pompiers. 60 salariés sont des sapeurs-pompiers volontaires. 6 sapeurs-pompiers sont présents en permanence dans l'entreprise. Ils connaissent les mesures à prendre et peuvent agir immédiatement. Cette ETI fonctionne avec ses compétences, avec ses salariés, grâce à des connexions avec les élus et les associations. Elle adopte une démarche très intéressante sur des sujets techniques liés à l'innovation ; par ailleurs, elle accorde une grande importance aux salariés et à la mixité. De plus, elle entreprend des démarches très innovantes dans tous les secteurs (pompiers, formation, légalité, sécurité, etc.). C'était une vraie découverte pour moi, qui permet d'alimenter mon travail au sein de la Délégation aux entreprises et au sein du Sénat.

Mme Tam TRAN HUY

La robotisation a permis le maintien de l'emploi dans cette entreprise.

Mme Annick BILLON

J'ai découvert, à cette occasion, que les robots n'entraînaient pas nécessairement des suppressions d'emplois. Les robots améliorent les conditions de travail. Ils réduisent les troubles musculo-squelettiques (TMS) et font monter en compétence les salariés. C'est la raison de la création de l'Université Armor. Nous allons travailler cette après-midi sur le bien-être au travail. Le sujet des robots s'inscrit dans cette thématique.

Mme Tam TRAN HUY

À cette tribune se trouve Patricia Morhet-Richaud, sénatrice des Hautes-Alpes. Vous avez effectué une immersion à la Savonnerie de Haute-Provence.

Mme Patricia MORHET-RICHAUD, sénatrice des Hautes-Alpes

La signature de cette convention entre Gérard Larcher, Élisabeth Lamure et le président de la CCI France, était une bonne idée. Je ne conçois pas mon métier de sénatrice sans une proximité avec tous les acteurs de mon territoire. Cette opportunité de réaliser un stage dans une entreprise située hors de mon territoire m'a semblé naturelle.

Mme Tam TRAN HUY

Vous qualifiez cette Savonnerie de « pépite » de la région. Pourriez-vous nous présenter cette entreprise ?

Mme Patricia MORHET-RICHAUD

L'entreprise existe depuis 16 ans. Elle s'est constituée à l'initiative de son gérant, Daniel Margot, actuel président de la Chambre de Commerce et d'Industrie des Alpes de Haute-Provence. Cette entreprise du marché de la savonnerie est solide. Il existe un attrait actuel pour un retour à l'authenticité et, par conséquent, pour le savon solide, perçu comme étant plus naturel que le savon liquide. Cette savonnerie fabriquait, en 2013, 8 millions de savons. En 2018, elle en a produit 30 millions, destinés à la France et à l'export.

Mme Tam TRAN HUY

Qu'est-ce qui vous a attirée particulièrement dans le secteur des cosmétiques ?

Mme Patricia MORHET-RICHAUD

Après avoir travaillé 30 ans dans une coopérative agricole, il m'a semblé intéressant de découvrir cette autre filière très importante qu'est la cosmétique.

Mme Tam TRAN HUY

Quels enseignements avez-vous tirés de cette immersion en tant que législateur ?

Mme Patricia MORHET-RICHAUD

J'ai souhaité rencontrer, au cours de l'immersion, tous les acteurs des secteurs d'activité concernés - de la création à la formulation des savons jusqu'à la réalisation, la logistique et l'administratif. Il était important pour moi de collecter des informations afin de savoir ce qui ne fonctionnait pas et ce qui pouvait m'intéresser au niveau législatif. Nous recueillons souvent, auprès des entreprises, le message selon lequel la législation est trop tatillonne en France, avec des transpositions législatives soulevant des difficultés.

Mme Tam TRAN HUY

Celles-ci feront l'objet d'une table ronde tout à l'heure. Vous y avez été particulièrement sensibilisée dans le cadre de votre immersion.

Mme Patricia MORHET-RICHAUD

En effet. Se pose ensuite le problème des recrutements. Il n'existe pas d'école de formation dans la savonnerie, la formation est donc effectuée en interne. Les surcharges administratives représentent un obstacle, notamment au niveau des ressources humaines, avec des formulaires de plus en plus nombreux qui pénalisent les entreprises. Les contraintes freinent l'innovation. Au moment de cette immersion, la perspective du prélèvement à la source était notamment très pénalisante pour cette petite entreprise.

Mme Tam TRAN HUY

Je vous remercie pour ce témoignage.

Nous observons des points communs entre ces différents témoignages, à la fois sur la nécessité de simplification, la difficulté à recruter des profils adaptés et la nécessité de rendre l'administration plus lisible. Je vous invite à conclure cette première table ronde.

M. François BONHOMME

La simplification est le premier sujet. Le monde se complexifie et il convient de ne pas ajouter d'autres problèmes à ceux existant. Le second sujet est le recrutement de profils adaptés et la difficulté à les garder.

Mme Valérie COTTEREAU

Je voudrais prendre un peu de recul en précisant que je ne me sens pas femme chef d'entreprise mais chef d'entreprise tout court. À propos des thématiques qui seront abordées cette après-midi, je pense qu'il ne faut pas parler de bonheur au travail mais de plaisir ; le bonheur, que quelqu'un a évoqué plus tôt, est pour moi global.

Mme Tam TRAN HUY

Nous parlerons plutôt de bien être cette après-midi.

Mme Anne-Catherine LOISIER

Je voudrais m'attacher à la méthode, celle qui marche, c'est la proximité tout autant que la réactivité entre l'entreprise et les élus ; c'est cela qui permettra à la France de gagner.

M. Antoine BASCHIERA

Il est coutume de dire que la curiosité est un vilain défaut. Je crois au contraire que la curiosité est une grande qualité. Je vous invite à poursuivre et à renforcer le programme d'immersion. Les bénéfices pour les sénateurs et pour les entreprises sont partagés. Ils contribuent à permettre aux secteurs public et privé d'aider la France à avancer dans la bonne direction.

Mme Annick BILLON

Je souhaite que les ETI ne soient jamais oubliées dans nos projets de loi, alors qu'elles le sont bien souvent. De belles expérimentations concernant la formation se passent dans les entreprises. Ce qui fonctionne en Vendée ou en Loire-Atlantique n'est peut-être pas approprié au Nord de la France ou en Haute-Savoie. Il faut peut-être éviter d'aller trop loin dans les normes, dans la loi, pour laisser place à l'expérimentation et aux bonnes pratiques. J'ai effectué une soixantaine de visites en Vendée au cours des trois premières années de mon mandat. Je suis admirative de l'énergie de ces femmes et de ces hommes chefs d'entreprise, de leur volonté et de leur joie au travail.

Il y a quelque temps, l' Usine extraordinaire a été présentée au Grand Palais. La ministre du Travail s'y est exprimée devant 250 enfants, collégiens et lycéens. Elle a demandé à ceux dont les parents travaillaient dans l'industrie de lever la main : seuls 4 enfants ont levé la main. Leurs parents se trouvaient donc globalement dans l'incapacité de les orienter vers ces métiers. Nous avons, comme pour l'apprentissage, beaucoup de travail.

Mme Patricia MORHET-RICHAUD

Aujourd'hui, le droit à la différenciation, ainsi que la proximité entre les élus et les territoires, me semblent essentiels.

2. Seconde série de témoignages

Ont participé à cette table ronde :

M. Pascal CARRANO, directeur général de Léo Lagrange, PME du secteur du tourisme dans les Bouches-du-Rhône, et Mme Vivette LOPEZ, sénateur du Gard (immersion les 4, 5 et 6 septembre 2017) ;

M. Pierre FAUCOUP, président directeur général de CILAS (Compagnie industrielle des lasers), ETI du secteur de haute technologie militaire (filiale d'ARIANE GROUP et d'AREVA) implantée dans les Bouches-du-Rhône, et M. Ronan LE GLEUT, sénateur représentant les Français établis hors de France (immersion les 19 et 20 juin 2018) ;

M. Louis-Jean de NICOLA•, sénateur de la Sarthe, ayant effectué une immersion au Westin Paris Vendôme (les 14 et 15 mars 2018), hôtel appartenant au groupe Marriott International ;

Mme Patricia SCHILLINGER, sénateur du Haut-Rhin, ayant effectué une immersion (les 11 et 12 septembre 2017) dans la société PALC, PME de l'agroalimentaire appartenant au groupe COLIN.

Mme Tam TRAN HUY

Madame la sénatrice, Vivette Lopez, vous avez réalisé l'une des premières immersions consécutives à la signature de la convention avec la CCI. Vous avez séjourné au centre de vacances Léo Lagrange. Pourriez-vous nous raconter ce qui vous a séduit dans cette immersion ?

Mme Vivette LOPEZ, sénateur du Gard

Je suis une aventurière et je suis curieuse. Je remercie Antoine Baschiera d'avoir dit tout à l'heure que la curiosité n'était pas un vilain défaut. Ce n'est pas parce que nous sommes des élus que nous sommes omniscients. Je m'intéresse à tout. J'avais déjà effectué une immersion en tant que maire dans le Gard, répondant favorablement à la proposition du président de la Chambre des métiers du Gard, Henry Brin. Cette expérience, que j'ai trouvée agréable et drôle, s'est déroulée chez une coiffeuse près de chez moi. J'ai lavé les cheveux d'un journaliste. Ainsi, quand au Sénat, la Délégation aux entreprises a proposé cette immersion pour trois jours, j'ai estimé qu'il était intéressant d'en réaliser une sur une durée plus longue. Étant à la commission de la Culture, de la Communication et de l'Éducation, il me semblait que Vacances Léo Lagrange étaient en adéquation avec mon travail de législateur.

Mme Tam TRAN HUY

Pascal Carrano, pourriez-vous nous présenter en quelques mots Vacances Léo Lagrange, un opérateur historique du tourisme social et familial ?

M. Pascal CARRANO, directeur général de Léo Lagrange

Bonjour à tous, je tenais tout d'abord à remercier Madame la sénatrice de son implication dans son immersion, ainsi que ses collaborateurs, le Sénat, CCI France qui nous a contactés et la Délégation aux entreprises qui nous a accompagnés sur cette journée.

Vacances Léo Lagrange est un opérateur historique de tourisme social et durable. Le tourisme social vise à favoriser la mixité sociale mais n'est pas spécifiquement dédié à un public précaire. Nous essayons au contraire de créer des lieux de rencontres et d'échanges. Nous existons depuis plus de quarante ans. Le secteur de l'économie sociale et solidaire est complémentaire à l'économie marchande, et non pas opposée. Nous avons tout intérêt à travailler ensemble pour le développement économique et social de notre pays. Nous disposons de 10 établissements et d'environ 200 salariés. Nous travaillons sur quatre piliers majeurs : le développement économique des territoires (nous nous adressons prioritairement aux acteurs et aux producteurs locaux, circuits courts), la découverte culturelle du patrimoine de nos régions, la sensibilisation à la protection de l'environnement, et enfin, le social car, lorsque nous implantons un village vacances sur un territoire, nous favorisons l'emploi local.

Mme Tam TRAN HUY

À quelles difficultés votre entreprise a-t-elle dû faire face au cours de ces dernières années ? Comment a-t-elle organisé son développement dans ce secteur très concurrentiel ?

M. Pascal CARRANO

Le secteur est en effet très concurrentiel. Je dirige un groupe associatif. Le statut de la maison mère est une association de loi 1901 qui peut parfois manquer un peu de crédibilité auprès de certains opérateurs privés ou institutionnels. Nous essayons, avec beaucoup de conviction, de montrer que nous faisons preuve de professionnalisme. J'ai récupéré la direction générale de ce groupe voici deux ans. J'ai hérité d'une structure qui portait le poids de l'Histoire et nous essayons d'injecter des méthodes nouvelles. Nous développons notamment une stratégie digitale pour faire face à des concurrents de plus en plus forts et pour réaffirmer les valeurs que nous portons sur un tourisme de découverte, notamment l'accès à la culture, dédié au développement des régions.

Mme Tam TRAN HUY

Vivette Lopez, comment s'est passée votre immersion ?

Mme Vivette LOPEZ

J'ai été accueillie par des personnes très chaleureuses. L'ambiance était bonne et tout le monde participait aux prises de décision. Quand je suis arrivée, un portail internet destiné à offrir une meilleure lisibilité était en cours de création. J'ai visité plusieurs sites (Marseille, île du Frioul, Château de Buoux). Le tourisme proposé est essentiellement lié à la découverte et à la protection de l'environnement, à la culture, à la mixité intergénérationnelle. J'ai découvert le mode de fonctionnement de ce tourisme que l'on appelle solidaire et social mais qui est ouvert à tous. L'année dernière, j'ai emmené mes petits enfants au Village vacances Léo Lagrange à Ramatuelle.

Mme Tam TRAN HUY

Quels enseignements avez-vous tirés de cette expérience, en tant que législateur, quant aux freins du développement des Vacances Léo Lagrange ?

Mme Vivette LOPEZ

Pour pouvoir défendre les entreprises, il faut bien les connaître. Je suis une personne de terrain. Je me rends souvent dans le département du Gard à la rencontre d'entreprises. Je travaille avec la Chambre des métiers, avec la Chambre de commerce et d'industrie. Je voudrais, d'ailleurs, saluer les cinq entreprises gardoises qui sont venues aujourd'hui : Juste Chic : l'entreprise fabrique en France des sous-vêtements masculins de très grande qualité à Nîmes ; Morgan's Bicycle & Design : ce mécanicien, qui a fait de sa passion son métier, customise votre vélo de jeunesse ; L'Atelier de Nîmes : L'entreprise produit de la toile destinée aux jeans ; SCE Events : l'entreprise, adepte du principe de précaution, est spécialisée dans la construction et dans la vente de structures événementielles éphémères, à Saint-Gilles dans le Gard ; Pack Solutions .

Je crois qu'il faut être très proche des acteurs du territoire et inciter la jeunesse à pousser la porte de la CCI. Beaucoup de jeunes sont oisifs parce qu'ils ne connaissent pas le monde de l'entreprise. Nous devons défendre, au Sénat, toutes nos industries.

Mme Tam TRAN HUY

Pascal Carrano, que vous a apporté cette expérience consistant à recevoir une sénatrice dans votre structure ?

M. Pascal CARRANO

Cette expérience est avant tout un échange humain qui sort du cadre protocolaire. Loin des événements institutionnels habituels, elle se décline sous forme d'une immersion. Par conséquent, le sénateur accepte de se mettre dans les conditions d'un salarié d'une entreprise, ce que la sénatrice Yvette Lopez a parfaitement respecté. En tout état de cause, à la direction générale, à Marseille, ou dans les établissements, les équipes ont rencontré un représentant du Parlement et ont échangé, notamment sur le bicamérisme qui a toute sa place aujourd'hui.

Mme Tam TRAN HUY

Pierre Faucoup, vous êtes président directeur général de Cilas et vous avez accueilli au mois de juin 2018 le sénateur Ronan Le Gleut, sénateur des Français de l'Étranger. Pourriez-vous nous présenter l'activité de l'entreprise Cilas, notamment celle de l'entité d'Aubagne où a eu lieu l'immersion ?

Pierre FAUCOUP, président directeur général de CILAS

Cilas est une entreprise de plus de 250 salariés qui dispose de trois sites industriels en France. L'entreprise réalise des équipements et met en oeuvre des lasers pour des usages de défense, dans le domaine spatial ou dans le domaine de la recherche. Le site d'Aubagne, qui comporte un peu plus de 25 salariés, est spécialisé dans les traitements des équipements optiques, des miroirs, sur lesquels de très fines couches métalliques ou chimiques sont posées, conférant à ces miroirs des spécificités particulières qui leur permettent notamment de résister durablement à l'atmosphère spatiale ou au passage d'un faisceau laser. Ce métier et ses compétences sont donc très spécifiques. Monsieur le sénateur Le Gleut a dû revêtir chausses, coiffe, masque, gants et combinaison pour découvrir les différents moyens de production que nous mettons en oeuvre. Il a pu être au plus proche de l'activité de l'entreprise et découvrir la spécificité de la façon dont nous la mettons en oeuvre, avec les contraintes particulières de nos différents salariés. Il a donc été totalement été immergé dans l'environnement.

Mme Tam TRAN HUY

Ronan Le Gleut, cette entreprise vous intéressait à plusieurs titres. D'abord, vous êtes ingénieur de formation. Ensuite, vous vous intéressez particulièrement au domaine de la défense.

M. Ronan LE GLEUT, sénateur représentant les Français établis hors de France

En tant que membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, il était particulièrement intéressant d'être immergé au coeur d'une entreprise qui représente, pour moi, une fierté nationale. Lorsqu'une entreprise est capable d'envoyer des composants sur la planète Mars ou de participer au développement du Laser Mégajoule à Bordeaux, c'est qu'elle dispose d'un savoir-faire unique au monde.

Une visite des lieux d'innovation tels que Shenzhen, en Chine, montre que la France est capable du meilleur. Cette entreprise, Cilas, est capable du meilleur. Nous ne mettons pas suffisamment en avant ce savoir-faire français. La France peut être fière de ce qu'elle réalise. C'est ce qui ressort de ces immersions.

L'objet de cette immersion était d'en tirer des leçons pour améliorer nos travaux, notamment dans le cadre du projet de loi dit PACTE. J'ai retenu un certain nombre de blocages ou de freins qui empêchent parfois la France d'être le leader qu'elle devrait être. Des difficultés de recrutement se posent en effet, parmi lesquelles la mise en adéquation des formations diplômantes avec les besoins des entreprises. En Europe, certains exemples peuvent nous inspirer, tels que la formation professionnelle en Suisse, l'apprentissage en Allemagne, etc. Cette tradition très ancienne d'un système dual entre l'entreprise et l'école constitue pour nous un véritable enjeu.

La question de l'aide à l'export apparaît également. En tant que sénateur des Français à l'étranger, j'ai à coeur de relayer cette information. Au cours de déplacements à l'étranger, j'ai pu observer que Business France et une chambre de commerce française à l'étranger pouvaient organiser tous les deux la même semaine un colloque sur le même sujet dans une même capitale. Cette difficulté du travail en commun de nos acteurs de l'export constitue pour nous l'un des grands défis. Dans ce contexte, je salue ce qui est actuellement mis en oeuvre avec la Team France Export, c'est-à-dire l'objectif de n'avoir qu'un seul interlocuteur.

La question essentielle des effets de seuil remonte également. L'entreprise disposait, au moment de la visite, de 251 salariés. La future loi PACTE permettra davantage de flexibilité sur les effets de seuil. Il faut le saluer également.

Enfin, je remercie sincèrement Pierre Faucoup pour son accueil exceptionnel.

Mme Tam TRAN HUY

Pierre Faucoup, vous avez largement eu l'occasion d'échanger, au moment de l'immersion, de cette future loi PACTE avec Ronan Le Gleut.

M. Pierre FAUCOUP

Nous avons effectivement échangé sur ce sujet ainsi que sur les différentes réglementations européennes concernant le contrôle des exportations, qui peuvent poser un certain nombre de difficultés aux entreprises françaises pour aborder les marchés à l'export. L'exportation représente actuellement 40 % de notre activité. Il s'agit évidemment d'un enjeu majeur.

Mme Tam TRAN HUY

Pierre Faucoup, pourriez-vous nous dire quelques mots sur la structure de votre entreprise, filiale d'Ariane Group ?

M. Pierre FAUCOUP

Notre entreprise dispose de son autonomie juridique mais elle est une filiale d'Ariane Group, le leader européen des lanceurs civils et militaires qui nous apporte son soutien. Notre deuxième actionnaire est Areva. La RGPD a été plus facile à mettre en oeuvre pour nous, car le groupe a mis des outils à notre disposition afin d'appréhender le sujet.

Mme Tam TRAN HUY

Quels problèmes avez-vous pu exposer au sénateur Ronan Le Gleut ?

M. Pierre FAUCOUP

Un problème important de recrutement se pose à nous en termes d'adéquation des formations à nos besoins. Nos métiers sont techniques, scientifiques, très pointus. Nous avons beaucoup de difficultés à trouver des opérateurs, des techniciens formés pour appréhender nos métiers. Certaines entreprises mettent en place leurs formations en interne. Nous n'avons pas encore franchi ce cap même si, lorsque de nouveaux salariés rejoignent l'entreprise, les formations sont réalisées au poste de travail. Nous ne disposons pas, en revanche, de centre de formation. Ce manque constitue une grande préoccupation, tant pour le site d'Aubagne que pour le siège de l'entreprise à Orléans.

Mme Tam TRAN HUY

Vous évoquiez la question des lourdeurs administratives lorsque vous répondez aux appels d'offres européens. S'agit-il d'une difficulté à laquelle vous devez faire face ?

M. Pierre FAUCOUP

Oui, nous avons participé à notre premier appel d'offres européen l'année dernière sur une thématique de défense. Nous avons eu la chance d'être sélectionnés et nous avons découvert toute la lourdeur de la préparation ainsi que de la mise en oeuvre du projet. S'il convient de s'assurer que l'argent public est bien utilisé, les conséquences administratives sont extrêmement lourdes et complexes pour une entreprise de notre taille. Une simplification est nécessaire pour les sociétés qui participent aux appels d'offres européens.

Mme Tam TRAN HUY

Ronan Le Gleut, que l'immersion vous a-t-elle apporté à titre personnel et dans votre travail de législateur ?

M. Ronan LE GLEUT

J'ai évoqué l'impact de nos discussions sur la future loi PACTE. Cette semaine, j'ai eu l'occasion, à deux reprises, de parler de ce stage chez Cilas. J'étais hier à Taverny, dans le Val-d'Oise, avec Sébastien Meurant et Michel Raison, au Centre opérationnel des forces armées stratégiques. Nous avons parlé de la dissuasion nucléaire et nous avons évoqué le Laser Mégajoule de Bordeaux dont Cilas fournit une partie des composants, afin de permettre la simulation de la dissuasion nucléaire française.

J'ai rencontré hier le général de corps d'armée aérienne, Bruno Mégret. En début de semaine j'auditionnais Antoine Bouvier, le dirigeant de MBDA, sur le rapport sur la défense européenne que je rédige avec Hélène Conway-Mouret. Antoine Bouvier a lui-même évoqué Cilas, dans l'architecture de travail en commun des grands groupes industriels de défense européens avec les PME et les ETI, notamment en vue de l'accès au futur fonds européen de défense sera doté de 13 milliards d'euros dans le prochain budget européen 2021-2027, ce qui permet d'envisager une base industrielle de défense européenne.

Mme Tam TRAN HUY

Est également présent à cette tribune, Louis-Jean de Nicolaÿ, sénateur de la Sarthe. Vous avez réalisé votre immersion au Westin Paris Vendôme qui appartient au groupe Marriott International.

M. Louis-Jean de NICOLA•, sénateur de la Sarthe

Je remercie la Délégation aux entreprises, car il n'a pas été facile de trouver un grand hôtel parisien. Je m'intéresse, comme tous les Parlementaires, à l'attractivité de notre pays. Les grands hôtels accueillent énormément d'étrangers et témoignent de l'attractivité de notre capitale et de notre pays. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité passer quelques jours dans un grand hôtel parisien. L'expérience a été extrêmement intéressante. En tant qu'élu de province, je souhaitais découvrir la qualité de prestation d'un grand hôtel parisien pour essayer de le décliner dans le département de la Sarthe.

Mme Tam TRAN HUY

Vous vous êtes intéressé à la façon dont cet hôtel capte la clientèle internationale. Qu'avez-vous appris ?

M. Louis-Jean de NICOLA•

Je me suis intéressé à la façon dont l'hôtel réussit à fidéliser une clientèle internationale. Des points sont octroyés aux clients à chaque fois que ceux-ci réservent une chambre dans un hôtel Marriott. Après avoir obtenu un certain nombre de points, les clients peuvent bénéficier soit d'une chambre de meilleur standing, soit d'une chambre gratuite. Les réseaux sociaux jouent également un rôle important. Certaines chambres du Westin donnent sur la rue de Rivoli et offrent une vue sur le Louvre, sur le Jardin des Tuileries et sur la Tour Eiffel. Les clients publiant sur Instagram ou sur Facebook une photo prise depuis le Westin bénéficient d'avantages.

Mme Tam TRAN HUY

À quelles difficultés cet établissement fait-il face ? Nous pensons au contexte difficile pour Paris (attentats, crise sociale).

M. Louis-Jean de NICOLA•

Les dirigeants de l'hôtel m'ont parlé de trois problèmes. Le premier réside dans la liaison très lente entre les aéroports et Paris, qui suscite des plaintes chez les clients. Le deuxième concerne la sécurité dans la capitale. Le troisième est la propreté. La saleté de l'autoroute A1, entre l'aéroport de Roissy et Paris, frappe les clients étrangers.

Ces problèmes rendent complexe la promotion de la ville et, à travers elle, de l'hôtel. Enfin, comme pour les autres entreprises, il n'est pas facile de trouver le personnel adéquat au bon moment afin de faire face à un afflux de clientèle. Les périodes les plus intéressantes sont celles des conventions ou des fashion weeks . Des groupes entiers arrivent à Paris. Les quelque 400 chambres sont alors presque totalement réservées. Grâce aux entreprises, les grands hôtels peuvent maintenir un niveau de prix élevé. Les attentats ont eu pour conséquences une réduction du nombre de conventions internationales dans Paris, ce qui a conduit à la perte d'importants clients.

Mme Tam TRAN HUY

Que retenez-vous de cette expérience, à la fois comme législateur et pour votre territoire ?

M. Louis-Jean de NICOLA•

Je souhaitais découvrir, par cette immersion, comment la promotion de l'hôtel évoluait. Il apparaît que sans fidélisation de la clientèle, il est très difficile de maintenir un taux d'occupation élevé. La priorité est donc de garder sa clientèle.

Mme Tam TRAN HUY

Patricia Schillinger, sénatrice du Haut-Rhin, est présente à cette tribune. Vous avez effectué une immersion dans la société PALC, une entreprise de l'agroalimentaire appartenant au Groupe Colin, qui travaille dans les épices.

Mme Patricia SCHILLINGER, sénateur du Haut-Rhin

L'entreprise produit des solutions culinaires qui se trouvent dans de nombreux plats. La société est située dans le Bas-Rhin. Cette entreprise familiale et indépendante existe depuis 50 ans. Elle a su grandir et se moderniser ; elle emploie actuellement 300 employés. La société a même pu racheter une entreprise en Allemagne ainsi qu'une autre dans le Haut-Rhin. Elle produit des arômes et des colorants, des matières premières végétales, des mix et des ingrédients technologiques. Vous les trouvez dans les soupes, dans les produits diététiques, dans les céréales, dans les fromages. L'entreprise exporte et importe. Elle rencontre certaines difficultés face aux normes françaises, européennes et internationales. C'est une entreprise riche par la diversité de ses métiers. La société produit 15 000 tonnes d'ingrédients chaque année et réalise un chiffre d'affaires annuel de 82 millions d'euros.

Mme Tam TRAN HUY

Vous avez été frappée par les difficultés de recrutement de l'entreprise.

Mme Patricia SCHILLINGER

En effet, l'entreprise ne parvient pas à recruter dans certaines spécialités, surtout celles liées au travail à la chaîne. Il est vrai que ces métiers sont pénibles. Elle fonctionne ainsi avec 45 intérimaires. Elle a même réalisé des job datings dans l'entreprise, mais personne ne s'est présenté. Le chef d'entreprise était très déçu. Le recrutement est extrêmement difficile.

Mme Tam TRAN HUY

Comment avez-vous été accueillie au sein de cette entreprise ?

Mme Patricia SCHILLINGER

Les salariés de l'entreprise se sont d'abord demandé ce qu'une Parlementaire venait faire là. Ils ont finalement apprécié cette immersion, car ils ont pu valoriser leur travail. Ils m'ont fait découvrir leurs produits mais aussi le fonctionnement de l'entreprise, les difficultés rencontrées, tant sur le plan technique que commercial. Au cours de ces trois journées, j'ai pu me faire une vision exhaustive de la société.

Mme Tam TRAN HUY

Je vous demanderai, à chacun, un mot de conclusion rapide.

M. Pascal CARRANO

Nous avons essayé de participer à la sensibilisation du législateur à la réalité du terrain entrepreneurial. Nous avons aussi voulu montrer que l'émancipation par le travail existait, mais également que la productivité et le savoir-faire français sont au rendez-vous.

Mme Vivette LOPEZ

Je me suis rendu compte de l'importance des labels. Je vous le dis, à toutes et à tous, n'attendez pas de faire un burn-out ; allez prendre une semaine de vacances sur un site remarquable, aux Vacances Léo Lagrange !

M. Pierre FAUCOUP

Cette expérience a été très belle. J'ai été très heureux de pouvoir faire découvrir nos métiers et compétences. Nous sommes prêts à recommencer.

M. Ronan LE GLEUT

Le président Pompidou disait : « N'emmerdez pas les Français ». Permettez-moi de le paraphraser et de dire : « N'emmerdez pas les entrepreneurs. N'emmerdez pas les entreprises ». Il faut vous laisser faire. C'est vous qui créez l'emploi en France. La France a besoin de vous et nous sommes avec vous.

M. Louis-Jean de NICOLA•

Je voudrais remercier la Délégation aux entreprises de cette initiative. Il est extrêmement important pour nous d'aller sur le terrain. Je remercie les entreprises de leur accueil.

Mme Patricia SCHILLINGER

Cette expérience a en effet été très belle. N'oubliez pas que dans vos plats se trouvent des produits Colin.

Les sociétés françaises ont un savoir-faire, une tradition. Je les félicite. Il ne faut pas hésiter à consommer les produits français et se rendre dans les entreprises pour découvrir tous ces métiers.

Mme Tam TRAN HUY

Merci à tous.

Je vais maintenant donner la parole au président de CCI France, Pierre Goguet, pour la conclusion.

C. CONCLUSION

Pierre GOGUET, président de CCI France

Madame la présidente, Madame Lamure, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise,

Je suis absolument ravi de ce partage d'expérience. Après vous avoir tous écouté dresser le bilan de ces immersions en entreprise, je me suis posé la question suivante : comment ne pas, une nouvelle fois, voir là la reconnaissance de la grande utilité du Sénat dans sa démarche, dans sa profonde connexion avec les territoires.

Après les échanges d'aujourd'hui, avec ces immersions rendues possibles grâce à une convention signée entre Gérard Larcher et moi-même, avec l'existence même d'une Délégation sénatoriale dédiée aux entreprises, symbole important, avec l'engagement exceptionnel de sa présidente, Élisabeth Lamure, aux côtés du monde économique et de son grand savoir-faire, une nouvelle fois démontré lors du récent examen évoqué plusieurs fois de la loi PACTE, avec tout cela, un Sénat qui, pour nous, chefs d'entreprise, est ô combien utile, la séquence de ce matin me conforte dans ma conviction que le réseau des CCI a eu évidemment raison de répondre favorablement à la proposition du Sénat d'être l'opérateur, l'intermédiaire des immersions en entreprise.

Je remercie à cette occasion les administrateurs du Sénat et les collaborateurs des CCI d'avoir permis que tout ceci se passe dans l'harmonie et de façon constructive.

Nous poursuivons depuis plusieurs années l'objectif d'une meilleure diffusion de la culture d'entreprise au sein des administrations et du Parlement, et d'ailleurs très tôt dans la vie, dans le monde de l'éducation. C'est pour nous, CCI, un objectif gagnant-gagnant.

Vous, chefs d'entreprise, vous enrichissez le regard des sénateurs, que parfois vous découvrez, sur le monde économique. Vous leur donnez des clés supplémentaires de lecture, des éléments de compréhension des enjeux, ce qui est important puisque ce sont eux qui décideront des textes qui s'appliqueront à nous demain, et dès aujourd'hui d'ailleurs.

Vous sénateurs, sénatrices, changez aussi le regard de l'entreprise sur le législateur, et en particulier sur la Haute Assemblée ; l'acceptation de la loi est plus forte quand elle est incarnée, quand on sait qui l'a faite, qu'elle est portée par des hommes et des femmes qui font l'effort de se confronter au réel.

Je crois beaucoup en la pertinence du binôme Parlementaire-entrepreneur que l'on peut mobiliser, en amont pour l'élaboration des réformes, pendant le vote des réformes, ainsi que lors de la mise en oeuvre de ces réformes et des mesures d'impacts. Ce qui est attendu d'un texte est-il finalement au rendez-vous ?

À chacune de ces étapes, le regard croisé de ce binôme est une plus-value. Le président Larcher parlait tout à l'heure de « fertilisation croisée » ; c'est exactement cela. Les immersions n'ont certes pas été toutes simples à organiser, car les sénateurs ont la particularité d'avoir un agenda tout aussi chargé que nos chefs d'entreprise. Je tiens donc à saluer la très grande disponibilité de ces derniers qui n'ont pas hésité à consacrer un temps précieux pour garantir aux sénateurs un accueil de qualité, qui leur permet de comprendre l'essentiel de l'écosystème dans lequel nous vivons.

Les premières immersions, une douzaine chaque année, ont montré, de notre point de vue, plusieurs intérêts.

Tout d'abord, ce sont des immersions de perfectionnement, très éloignées évidemment de stages de découverte, puisque nous avons compris que la plupart de nos sénateurs côtoyaient leurs entrepreneurs dans les territoires. Les sénateurs veulent souvent profiter de ces immersions pour creuser des thématiques particulières, ou la raison d'une préoccupation spécifique (le poids de certaines normes, la difficulté de recruter, la digitalisation des entreprises, l'internationalisation).

Ensuite, il s'agissait la plupart du temps d'immersions sur plusieurs jours, ce qui était difficile avec les plannings évoqués précédemment. Cependant, elles ont permis de prendre le temps du perfectionnement et des échanges avec le chef d'entreprise et ses équipes. En une journée, il est possible de survoler. On s'enrichit significativement en deux, trois ou quatre jours.

Enfin, la diversité des attentes des sénateurs a été importante. Certains sénateurs ont privilégié des immersions en PME, en ETI quand d'autres demandaient exclusivement à voir des start-up.

Cette diversité s'est également vue dans le choix d'implantation des entreprises. Le réseau consulaire couvre toute la France et l'outre-mer, ainsi que l'international avec nos amis des CCI françaises à l'étranger, dans les secteurs les plus divers (tourisme, nouvelles technologies, agroalimentaire, industrie, défense, ...).

Cette diversité est la richesse de nos entreprises. C'est notre force. Elle se retrouve dans la proximité des territoires que nous partageons avec le Sénat.

Notre réseau est capable de mobiliser les différents écosystèmes qui vous intéresseront à un moment donné, par leur activité, par leur taille, par leur orientation, digitale ou non. Nous savons faire vivre ces différents écosystèmes, car nous sommes l'interconnexion de ces écosystèmes.

La force de ce partenariat réside dans sa réciprocité. Par conséquent, au nom des chefs d'entreprise accueillis aujourd'hui et au nom de ceux qui n'ont pas pu être présents, je vous remercie, Madame la présidente, de leur avoir offert une belle séquence d'expression au sein du Sénat, qui va se poursuivre dans la journée.

Enfin, en tant que président de CCI France, je me réjouis de ce partenariat. Je fais le voeu qu'il se poursuive et qu'il se développe avec des retours positifs pour tous ceux qui y participent, mais également pour tous ceux qui viennent les écouter.

Je vous remercie.

D. EXEMPLE DE FRUITS DES ÉCHANGES ENTRE SÉNATEURS ET ENTREPRISES : LA LUTTE CONTRE LES SURTRANSPOSITIONS DE DIRECTIVES EUROPÉENNES EN DROIT FRANÇAIS

Table ronde animée par Mme Tam TRAN HUY

Ont participé à cette table ronde :

M. René DANESI, sénateur du Haut-Rhin, membre de la Délégation aux entreprises, auteur du rapport d'information « La surtransposition du droit européen en droit français : un frein pour la compétitivité des entreprises » (juin 2018) ;

M. Olivier CADIC, sénateur représentant les Français établis hors de France, vice-président de la Délégation aux entreprises, rapporteur du projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français ;

Mme Élisabeth LAMURE, sénateur, présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises et rapporteur du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE).

Mme Tam TRAN HUY

Nous allons poursuivre par la question de la lutte contre les surtranspositions de directives européennes en droit français.

M. René DANESI, sénateur du Haut-Rhin

Madame la présidente, Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs,

La pratique française de surtransposition du droit européen est régulièrement dénoncée par les entreprises. Elle génère en effet des distorsions de concurrence qui les placent dans une situation défavorable par rapport à leurs concurrentes européennes.

Pour mieux prendre la mesure de cette situation, la commission des Affaires européennes et la Délégation sénatoriale aux entreprises ont lancé une consultation en ligne auprès des entreprises du 11 janvier au 11 février 2018. Chargé par ces deux instances de présenter les cas de surtransposition signalés et d'en analyser les causes, j'ai présenté un rapport d'information en juillet 2018. Celui-ci montre que tous les secteurs d'activité sont concernés : l'industrie comme les services, la finance ou les assurances. Ces exigences supplémentaires ont des conséquences de plusieurs ordres : des surcoûts de production, des charges administratives, des contraintes commerciales, des risques en matière d'intelligence économique, en particulier pour les PME.

Dans les deux tiers des cas, les surtranspositions résultent de règlements ou d'ordonnances prises sur habilitation du Parlement et soumises à ratification tardivement, et de manière subreptice. Toutefois, plus du tiers de ces surtranspositions résulte de la loi, c'est-à-dire des Parlementaires et cela en totale contradiction avec les discours qui déplorent les normes et les règlements.

La surtransposition prend des formes diverses. Je vous renvoie sur ce point à mon rapport : seuils d'application des règles européennes inférieurs aux seuils européens, absence d'exploitation des dérogations ouvertes par les textes européens ou choix des options qui permettent d'ajouter des contraintes, extension d'obligations européennes à des situations, acteurs ou produits qui n'entrent pas dans le champ du texte européen, introduction de dispositions purement nationales à l'occasion de la transposition d'un texte européen ou encore maintien d'obligations nationales antérieures alors que l'harmonisation européenne aurait dû en emporter la suppression.

La plupart des surtranspositions identifiées répondent à des objectifs louables en matière de protection sanitaire et environnementale, de protection du consommateur, ou encore de transparence de l'action publique. Or le droit européen entend également répondre à ces préoccupations. Dès lors, l'impact économique de toute surtransposition doit être évalué et son coût économique rester acceptable.

Pour prévenir les surtranspositions, la France doit participer plus efficacement aux négociations européennes, afin de faire adopter, au niveau européen, les obligations qui lui paraissent devoir être défendues. Cette participation doit inclure les entreprises, y compris dans la procédure d'élaboration des normes, ce que nous appelons, dans le jargon européen, la comitologie et la normalisation.

Ensuite, le processus de transposition doit être amélioré, ce qui suppose une traçabilité des mesures concernées, la justification dans l'étude d'impact des options retenues, la documentation et l'encadrement des habilitations à transposer par ordonnances et enfin, le contrôle de ces ordonnances par le Parlement.

Le Sénat est particulièrement attentif à cette amélioration du processus de transposition. Il y a un an, la Conférence des présidents a en effet chargé la commission des Affaires européennes d'une mission de veille en matière de transposition des textes européens. La commission a ainsi formulé des observations sur cinq projets de loi, dont le projet de loi PACTE et le projet de loi d'orientation des mobilités dont le Sénat achève l'examen.

Enfin, le rapport appelle au traitement du stock des surtranspositions existantes. Cela suppose une identification exhaustive des dispositions concernées, en vue de supprimer toutes celles qui ne seraient pas dûment justifiées par un impératif d'intérêt général incontestable. J'ai ainsi déposé, avec 27 de mes collègues, une proposition de résolution visant à revenir sur des surtranspositions réglementaires pesant sur la compétitivité des entreprises françaises, dont je souhaiterais l'inscription prochaine à l'ordre du jour. Pour les dispositions législatives, le projet de loi Pacte, dont va nous parler Madame Lamure, et le projet de loi portant suppression de surtranspositions, que va évoquer mon collègue Olivier Cadic, s'inscrivent dans cette logique. Nul doute qu'il faille aller plus loin. Je n'exclus d'ailleurs pas de déposer une proposition de loi.

Le Sénat est particulièrement attentif à la surtransposition. Si celles-ci peuvent toujours se justifier individuellement, leur accumulation est un handicap pour les entreprises françaises dans la concurrence internationale. C'est pourquoi le Sénat s'est résolument engagé sur le difficile chemin des suppressions de surtranspositions. Derrière chaque transposition, un groupe de pression s'exprime.

Mme Tam TRAN HUY

La parole est à Olivier Cadic, rapporteur du projet de loi qui a supprimé un certain nombre de surtranspositions de directives européennes.

Olivier CADIC, sénateur représentant les Français établis hors de France

Madame la présidente, Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs,

Vous avez compris que la lutte contre les surtranspositions des directives européennes dans notre droit est un combat de longue haleine. Elles sont vectrices d'une telle complexité que les entreprises françaises ont fini par s'adapter à cette complexité, alors même qu'elles pénalisent la compétitivité de notre économie.

Au Sénat, nous y sommes particulièrement sensibilisés, notamment au sein de la Délégation aux entreprises dont certains membres sont, comme moi, chefs d'entreprise. J'aime à me définir comme un sénateur entrepreneur qui dirige ses entreprises depuis 37 ans. Cela fait plus de 4 ans que je suis membre de cette Délégation. Je peux témoigner de l'engagement exemplaire de sa présidente, Élisabeth Lamure, afin de faciliter la vie de nos entreprises. J'ai vu aussi la détermination de René Danesi pour identifier 75 surtranspositions à éliminer au plus vite. Et pourtant, les sénateurs, comme les députés d'ailleurs, le Gouvernement mais aussi les entreprises, comme l'a signalé René Danesi, ont une part de responsabilité dans ces sutranspositions.

Une première opportunité de diminuer le stock des surtranspositions de directives européennes en droit français s'est présentée en octobre 2018 avec le projet de loi mentionné par René Danesi, pour lequel j'étais rapporteur. Ce projet de loi présentait un certain nombre de suppressions de surtranspositions, notamment dans les domaines économique et financier. Sa portée restait cependant limitée puisque sur les 132 surtranspositions recensées par un rapport inter-inspections de 2016 sur lequel s'était basé le Gouvernement pour le produire, auquel on aurait pu ajouter les 75 surtranspositions identifiées dans le rapport de René Danesi, seules 27 étaient traitées dans le texte qui nous a été soumis par le Gouvernement. Notre champ d'action a été limité par le Gouvernement mais nous avons pu ajouter 3 surtranspositions supplémentaires au texte, portant le nombre à 30 et je tiens à ce titre à saluer les administrateurs du Sénat qui nous ont aidés dans cette mission. Malheureusement, le texte voté par le Sénat ne garde plus que 26 surtranspositions à supprimer, certaines entreprises s'étant mobilisées auprès des sénateurs afin de sauver certaines surtranspositions de la suppression. À noter que nous n'avions bénéficié que de deux semaines pour voter le texte, au vu du caractère urgent du projet de loi. Néanmoins, à l'heure actuelle, aucune surtransposition n'a été supprimée car la date d'examen du projet de loi n'a pas été fixée à l'ordre du jour à l'Assemblée nationale. Je crains que le projet de loi ne soit mort-né au vu de la récente démission de Mme Loiseau, ministre chargée des Affaires européennes, qui avait présenté le texte au Sénat.

Une nouvelle opportunité de « désurtransposer » est venue par le biais du projet de loi PACTE dont Élisabeth Lamure vous parlera dans quelques instants.

Mais ce processus n'est pas aussi simple qu'il y paraît, car ces surtranspositions ne sont pas issues uniquement de l'administration, du Gouvernement, ou du Parlement mais bien d'un système dans son ensemble, elles tiennent à notre responsabilité collective puisque c'est en voulant protéger tel ou tel secteur, à la demande de leurs représentants bien souvent, que nous adoptons des mesures plus restrictives que nos voisins, au détriment de l'intérêt économique général. Les tentatives de désurtransposer se heurtent donc à de nombreuses résistances, conjuguées à une trop faible prise de conscience de leur impact sur notre économie. Je peux citer, à titre personnel, quelques professions ayant eu gain de cause face à mes propositions d'aligner notre droit à celui des pays européens nous entourant : les pharmaciens, les experts-comptables, les chauffeurs de taxi, les ophtalmologues refusant les optométristes.

Il nous faut agir collectivement pour endiguer ce phénomène. Il nous faut notamment travailler à mieux faire la loi, et je m'adresse à mes collègues sénateurs présents dans la salle, cela signifie chiffrer l'impact concret de notre législation sur l'économie française. Il devient indispensable de mettre en place un « service qualité de la loi » comme préconisé dans le rapport de 2017 de notre Délégation, « Simplifier efficacement pour libérer les entreprises » : quelle entreprise peut fonctionner sans service qualité ? La logique serait la suivante : planifier avant de légiférer puis ajuster en fonction des conséquences. C'est cette logique qu'applique la Délégation aux entreprises : nous planifions nos déplacements, nous nous rendons sur le terrain puis nous évaluons le résultat de nos actions lors de cette Journée des entreprises et y tirons des enseignements afin d'améliorer nos travaux. Aussi, il nous faudrait nous attacher pour les prochains textes transposant des directives en droit français à ne transposer que les dispositions strictement exigées par le droit de l'Union européenne, sans en ajouter. Si, ensuite, nous voulions poser des exigences supplémentaires, elles devraient faire l'objet d'un texte distinct, dont l'impact serait évalué.

Enfin, il faut que notre pays cesse d'anticiper sur les règles européennes à venir et s'évertue à porter au niveau européen nos exigences nationales, de sorte qu'elles apparaissent dans les directives et s'appliquent à tous, évitant ainsi les distorsions de concurrence et assurant une protection équivalente à tous les Européens.

Je vous remercie de votre attention.

Mme Tam TRAN HUY

La parole est à Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises, rapporteur du projet de loi PACTE.

Mme Élisabeth LAMURE, sénateur, présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises

Monsieur le président, Chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Comme le rappelait Olivier Cadic à l'instant, le sujet des surtranspositions est également apparu dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, dit PACTE. Je rappelle que ce texte n'est pas encore adopté : le Sénat vient d'en commencer la nouvelle lecture puisque la commission spéciale s'est réunie hier après-midi pour un passage en séance publique le 19 avril prochain, après un échec de la commission mixte paritaire. De nombreuses dispositions de ce projet de loi sont en relation directe avec le droit européen et nous interpellent sur la façon dont il est intégré dans notre droit.

Tout d'abord, plusieurs articles du texte transmis au Sénat renvoyaient à des ordonnances le soin de transposer des directives sans préciser les options qui seront retenues ou écartées par le Gouvernement. Or comme le rappelait notre collègue Jean-François Rapin dans son rapport fait au nom de la commission des Affaires européennes sur le projet de loi PACTE, toute surtransposition, quelle qu'en soit la forme, devrait être dûment justifiée au regard d'impératifs d'intérêt général et limitée autant que possible afin qu'il ne soit pas porté atteinte à la compétitivité de notre pays.

C'est la raison pour laquelle la commission spéciale du Sénat chargée d'examiner le projet de loi a décidé par exemple de transposer certaines directives directement dans la loi, comme celle, dans l'article 63, relative à la facturation électronique dans le cadre des marchés publics. L'Assemblée nationale a d'ailleurs salué le travail des sénateurs et a choisi de conserver cette transposition directe.

Cette méthode de législation via des ordonnances est d'autant plus gênante que plusieurs transpositions figurant dans le projet de loi concernent des directives non adoptées définitivement. En résumé on demande au législateur de donner un blanc-seing pour transposer un texte dont les termes définitifs ne sont pas connus. La commission spéciale n'a pas manqué de le souligner et d'appeler à un changement de méthode.

Enfin avec PACTE, nous avons vu des surtranspositions totalement assumées par le Gouvernement et par nos collègues députés. Je pense par exemple à l'article 62 ter relatif à l'information sur les écarts de rémunération. La transposition pure et simple de la directive de 2017, relative à l'engagement à long terme des actionnaires, imposait d'informer sur l'évolution de la rémunération des mandataires sociaux et de la rémunération moyenne des salariés. Pourtant, Gouvernement et députés ont ajouté une nouvelle obligation d'information dans le rapport sur le Gouvernement d'entreprise prévu par le code de commerce : les entreprises devront ainsi donner « le niveau de la rémunération de chaque mandataire social mis au regard de la rémunération médiane des salariés de la société (...) ainsi que l'évolution de ce ratio au cours des cinq exercices les plus récents au moins ». Le Sénat avait supprimé cette surtransposition dans un souci de simplification mais elle a été rétablie par l'Assemblée nationale.

Vous le voyez, la tâche du législateur n'est pas simple mais nous continuerons à dénoncer ces méthodes qui portent préjudice à notre économie sans répondre à des impératifs d'intérêt général.

Enfin pour vous donner une idée de la façon dont les textes que nous adoptons « vivent leur vie », j'ajoute que trois articles du projet de loi de suppression de surtranspositions évoqué par mes collègues ont été insérés par voie d'amendement dans le texte de PACTE. Ils traitent de plusieurs sujets : allègement et simplification de certaines obligations comptables pour les PME ; simplification des procédures de fusion et de scission des sociétés par actions simplifiées et des sociétés en commandite par actions ; simplification de la procédure de fusion pour les sociétés anonymes absorbantes.

Le combat du Sénat pour porter ses positions et lutter contre les transpositions n'est pas un long fleuve tranquille et requiert une vigilance permanente sur l'ensemble des textes. C'est la raison pour laquelle il me semble également urgent de changer les méthodes pour mieux légiférer, comme nous le proposons depuis un moment avec Olivier Cadic et l'ensemble de la Délégation aux entreprises.

E. ÉCHANGES AVEC LA SALLE

Mme Tam TRAN HUY

Je vous propose de passer aux échanges avec la salle.

M. Olivier PEYRAH, directeur général d'Afnor

Nous fabriquons des normes volontaires. Je souhaite souligner le bien-fondé de tout ce que les trois sénateurs ont pu dire. Une spécialité française consiste à ne pas se battre au niveau européen au moment où la bataille se livre et à considérer que des modifications pourront être opérées par la suite, en France. Les autres pays de l'Union disposent ainsi d'un marché européen quand, en France, le marché est hétérogène. C'est un désavantage supplémentaire pour nos entreprises. En ce qui nous concerne, quand une norme est validée au niveau européen, nous la reprenons intégralement. Nous sommes obligés de retirer de la collection nationale toute norme contradictoire. Il est donc important de se battre au niveau européen d'emblée avec des fonctionnaires qui parlent anglais. Il faut ensuite accepter de n'appliquer que la règle commune.

M. Philippe FOURRIER, cofondateur de l'agence Ilago

Je dirige une agence de communication dans les Côtes-d'Armor. Nous vivons dans un pays formidable pour entreprendre mais certains changements devraient être opérés. Je vous donnerai deux exemples.

La médecine de travail coûte très cher pour une entreprise de service telle que la nôtre, pour un service très faible en retour. Je suis prêt à payer pour tous les salariés une visite annuelle chez un médecin généraliste. Je suis sûr que le service sera de même niveau, voire meilleur, et vraiment moins coûteux pour l'entreprise.

Par ailleurs, nous subissons une véritable concurrence de la part des autoentrepreneurs alors que nous payons des salariés ainsi que des charges sociales. Je serais ravi de pouvoir travailler avec vous sur le sujet.

M. Olivier CADIC

La médecine du travail n'existe pas au Royaume-Uni. Celle-ci relève de la responsabilité individuelle des entrepreneurs et des salariés. Il revient à l'entrepreneur d'organiser les conditions de travail et d'évaluer la santé de ses employés.

La concurrence des autoentrepreneurs met en lumière toute la difficulté du système français. J'ai présenté l'année dernière un rapport pour la Délégation aux entreprises qui s'intitulait « Pour une France libre d'entreprendre ». Le rapport proposait une simplification du statut des entreprises. La société d'autoentrepreneur est inspirée du sole trader , l'entreprise individuelle anglaise. Des dérives se produisent. Il serait judicieux d'envisager un jour de créer un statut d'entreprise très simple que tout le monde puisse comprendre.

Mme Élisabeth LAMURE

Vous avez compris qu'Olivier Cadic est un grand libéral. Nous aborderons peut-être le sujet de la médecine du travail cette après-midi dans le cadre du bien être en entreprise. Je voulais demander à Olivier Cadic si les Anglais étaient plus souvent malades que les Français.

M. Olivier CADIC

Je ne dispose pas des statistiques mais il serait intéressant de les regarder.

Michel VASPART, sénateur des Côtes-d'Armor

La surtransposition est un véritable sujet. Nous nous heurtons parfois aux ministères qui nous indiquent que l'Europe ne peut accepter une mesure proposée. Je me suis rendu lundi à Strasbourg, au Parlement, afin de rencontrer un commissaire européen. Non seulement il n'existe pas de blocage mais j'ai en outre découvert l'enthousiasme du commissaire sur ma proposition relative au sujet de la gestion des sédiments de la Rance. Il s'agit quelque part d'une forme de surtransposition. En définitive, le problème ne se pose pas au niveau européen mais au niveau des ministères français. Quand ce type de problème se présente, je vous invite à vous rendre aux bureaux de l'Union européenne, ce sont souvent davantage nos hauts fonctionnaires des ministères français qui posent problème.

Didier SALWA, directeur général de CIIB

Je voudrais revenir sur le rapport d'Olivier Cadic, « Pour une France libre d'entreprendre ». La lutte contre les surtranspositions semble évidente pour que les entreprises françaises se trouvent à égalité avec celles des autres pays.

Vous avez évoqué dans votre rapport une initiative que le CIIB porte depuis une trentaine d'années, visant à orienter l'épargne de proximité vers le capital des PME. Nous sommes en train de développer une démarche de ce type pour une fonderie aluminium en difficulté du Tréport. Nous procédons à une opération d'appel public à l'épargne en bonne et due forme, étant agréés par Euronext depuis trente ans pour réaliser ce type d'opérations. Nous nous intéressons aux petites et moyennes entreprises. Ces initiatives vont dans le sens de l'emploi. Chaque sénateur connaît des PME qui pourraient être plus performantes, davantage créatrices d'emplois. Or, les chefs d'entreprise ignorent le mécanisme de l'appel public à l'épargne alors que cet outil pourrait opérer une réelle différence pour de nombreuses PME françaises avec leurs concurrents étrangers. Il serait judicieux de diriger l'épargne vers les PME plutôt que vers les entreprises du CAC 40.

M. Olivier CADIC

Le rapport mentionne plusieurs initiatives de ce type. Il existe aussi des outils permettant d'aider les entreprises en difficulté à se relancer. Le financement des entreprises est un point clé. Quand j'ai créé ma société, à 20 ans, j'ai déposé mon capital social, 20 000 francs, en numéraire. Je me souviens que le banquier m'a dit alors : « J'espère que vous n'êtes pas là pour me demander de l'argent ». Cet appel aux capitaux constitue un véritable enjeu. Je salue les initiatives telles que la vôtre.

Mme Tam TRAN HUY

Je vous remercie d'avoir assisté à cette matinée consacrée aux immersions et aux fruits des échanges de terrain entre les sénateurs et les entreprises.

II. SECONDE TABLE RONDE : « BIEN ÊTRE EN ENTREPRISE, POURQUOI, COMMENT ? »

Table ronde animée par Emmanuel CUGNY, chroniqueur-éditorialiste à Franceinfo, président de l'Association des journalistes économiques et financiers

Ont participé à la première partie de la table ronde : Bien être en entreprise : pourquoi est-ce un enjeu ?

Mme Agnès AUBLET CUVELIER, chef du département Homme au Travail de l'INRS ;

M. Olivier BACHELARD, professeur à l'EM Lyon, psychologue du travail, directeur de recherches, et auteur de l'ouvrage publié en 2017 : Le bien-être au travail (Presses de l'EHESP) ;

Mme Anne-Sophie GODON-RENSONNET, directrice Innovation de Malakoff Médéric Humanis, qui a publié une étude en novembre 2018 : « L'absentéisme maladie : pourquoi un coût toujours en hausse ? » ;

Mme Martine LENGLIN, directrice de l'EPSAT Vosges, service de santé au travail ;

M. Guillaume SOENEN, professeur associé de management - stratégie et organisation, directeur de la Chaire Santé et performance au travail créée par l'EMLyon Business school en partenariat avec le groupe APICIL.

M. Emmanuel CUGNY

Cet après-midi, nos échanges porteront sur le bien être en entreprise. J'insiste sur l'absence de trait d'union : il ne s'agit pas de traiter du bien-être individuel, mais du bien être collectif, facteur d'appartenance à l'entreprise et moyen d'attirer comme de retenir les compétences. Nos travaux s'organiseront en deux tables rondes, respectivement consacrées aux enjeux du bien être en entreprise et aux améliorations qu'il serait possible d'y apporter.

Je vous propose, à titre liminaire, de visionner un court reportage sur l'exposition photographique visible jusqu'au 14 juillet prochain sur les grilles du jardin du Luxembourg, installée par l'association Lumières sur le travail à l'occasion du centenaire de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Projection d'une vidéo présentant l'exposition de photographies « ÊtreS au travail » sur les grilles du Jardin du Luxembourg, prévue de mars à juillet 2019 et réalisée par l'association « Lumières sur le travail » à l'occasion du centenaire de la fondation de l'OIT.

A. BIEN ÊTRE EN ENTREPRISE, POURQUOI EST-CE UN ENJEU ?

M. Emmanuel CUGNY

Cette vidéo est une excellente entrée en matière pour ce premier volet de la table ronde ! J'accueille Mme Anne-Sophie Godon-Rensonnet, directrice innovation de Malakoff Médéric Humanis, M. Olivier Bachelard, professeur à l'Emlyon Business School, M. Guillaume Soenen, professeur de management à l'Emlyon Business School et directeur de la chaire « Santé et performance au travail », Mme Agnès Aublet-Cuvelier, docteur en médecine du travail et cheffe du département « Homme au travail » de l'institut national de recherche et de sécurité (INRS), et Mme Martine Lenglin, directrice d'Ensemble pour la prévention et la santé au travail (Epsat) Vosges.

Anne-Sophie Godon-Rensonnet, vous menez depuis dix ans des enquêtes de terrain. Deux études récentes nous intéressent particulièrement : la première concerne l'absentéisme, véritable fléau aux conséquences parfois insoupçonnées ; la seconde, des enjeux à venir pour les entreprises en matière de bien-être au travail.

Mme Anne-Sophie GODON-RENSONNET, directrice innovation de Malakoff Médéric Humanis.

Les enjeux du bien être au travail apparaissent effectivement multiples. Pour les salariés, il répond à une demande d'articulation entre la vie professionnelle et la vie privée, comme entre la maladie chronique et le travail. Il ressort, pour eux, d'un enjeu d'employabilité et de prise en compte, par l'entreprise, de leurs fragilités. À ce titre, nous estimons à 50 % la proportion de salariés touchée par une fragilité d'ordre professionnel ou personnel.

Pour l'entreprise, les enjeux ne paraissent pas moindres : attractivité, performance opérationnelle, réduction des risques, maîtrise des absences pour maladie, engagement des salariés, notamment. Depuis dix ans, l'engagement des salariés représente l'indicateur de bien être qui a le plus reculé : en 2009, 41 % d'entre eux se disaient très engagés au quotidien, chiffre tombé à 29 % en 2017. La même année, les absences pour maladie s'établissaient en moyenne à deux arrêts de dix-sept jours calendaires par salarié ; un tiers des salariés s'étaient absentés au moins une fois pour ce motif. L'enjeu existe également pour les assureurs qui prennent en charge les garanties prévoyance : une maîtrise de l'absentéisme aura des conséquences sur le niveau des cotisations.

Enfin, le bien être au travail représente un enjeu de société, en ce qu'il contribue, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à la performance d'un pays. Les études menées depuis dix ans montrent effectivement une corrélation entre les déterminants du bien-être au travail et la performance globale. Un récent travail, dont les résultats n'ont pas encore été publiés, mené auprès de plus de deux cents entreprises de taille intermédiaire (ETI) cotées indique également un lien entre l'attention portée aux salariés et la performance économique.

M. Emmanuel CUGNY

Vous avez posé un constat, mais avez-vous des raisons de penser que les freins au bien être en entreprise pourraient être levés ?

Mme Anne-Sophie GODON-RENSONNET

Il parait toujours difficile de réaliser des projections, mais de nombreux facteurs laissent penser que l'absentéisme va perdurer. D'abord, les risques psycho-sociaux continuent à se développer. Or, ils entraînent des arrêts de travail plus longs et une reprise de poste plus difficile. L'allongement de la vie professionnelle a également pour conséquence des arrêts de travail de plus longue durée. Enfin, les changements d'organisation et de technologie, sources de déstabilisation, semblent plus fréquents.

M. Emmanuel CUGNY

L'intelligence artificielle a-t-elle notamment un impact ?

Mme Anne-Sophie GODON-RENSONNET

Comme tout progrès, l'intelligence artificielle a des conséquences positives - elle soulage les salariés de certaines tâches, réduit les risques et permet de créer des modèles prédictifs - autant que négatives, notamment l'isolation et la perte d'autonomie.

M. Emmanuel CUGNY

Cela semble paradoxal !

Mme Anne-Sophie GODON-RENSONNET

C'est le propre de toute innovation. Il faut en prévoir les conséquences néfastes pour les intégrer en amont.

M. Emmanuel CUGNY

Le phénomène que vous décrivez varie-t-il en fonction de la taille de l'entreprise ?

Mme Anne-Sophie GODON-RENSONNET

Absolument ! Selon la taille de l'entreprise, les attentes des salariés, l'approche du bien être et les enjeux de performance varient. Plus l'entreprise est de taille modeste, plus le bien être perçu est élevé. Dans les grandes entreprises, où les remplacements sont plus aisés et la protection sociale plus favorable, les salariés sont absents plus fréquemment et pour de plus longues durées. Je vous indique, enfin, que nos enquêtes sont disponibles sur notre site Internet.

M. Emmanuel CUGNY

Olivier Bachelard, vous interrogez l'organisation dans son intégralité.

M. Olivier BACHELARD, professeur à l'Emlyon Business School

En 1946, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) définissait la santé comme un état complet de bien être - physique, mental et social - pas seulement comme une absence de maladie. L'âge du premier emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) s'établit désormais à vingt-sept ans. En 1936, Charlie Chaplin, en subissant la machine, dénonçait non pas le travail, mais les conditions de travail. Pour sa part, Simone Weil estimait en 1935 que le travail constituait une source d'émancipation.

Le bien être au travail représente une victoire collective. Dans les années 1970 était créée l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) ; dans les années 1990, les conditions de vie au travail se sont améliorées grâce à la réduction des horaires ; dans les années 2000 est apparu le document unique d'évaluation des risques (DUER) professionnels, y compris psycho-sociaux ; enfin, dans les années 2010, avec le rapport remis au Premier ministre d'alors par Henri Lachmann, Christian Larose et Muriel Pénicaud, s'est développée une approche saluto génique des facteurs du bonheur au travail, c'est-à-dire se concentrant sur les facteurs de bien être et de santé plutôt que sur les causes des maladies.

M. Emmanuel CUGNY

L'évolution que vous décrivez a-t-elle conduit à un renforcement des politiques de prévention ?

M. Olivier BACHELARD

Deux conceptions complémentaires sont envisageables : les éléments qui me plaisent dans mon travail et, de façon plus eudémonique, les moyens dont je dispose au bénéfice de ma compétitivité. Interroger l'organisation revient à confronter des logiques de finalité, d'organisation, d'arbitrage, de discussion et de respect durable de moi comme des autres. Malheureux au travail, je peux, en effet, être amené à retourner ma violence contre autrui.

M. Emmanuel CUGNY

Nous avons tous connaissance de cas récents de maltraitance humaine dans l'actualité.

M. Olivier BACHELARD

Effectivement : si la pression professionnelle est mal gérée, elle se retourne vers d'autres cibles, y compris, hélas, les usagers.

M. Emmanuel CUGNY

Les dirigeants attendent naturellement un retour sur leurs investissements : comment peuvent-ils constater concrètement les avantages à oeuvrer pour le bien être des salariés ?

M. Olivier BACHELARD

N'oubliez pas que leur responsabilité civile et pénale peut être engagée ! Le cadre juridique a, en effet, été sensiblement renforcé. Quoi qu'il en soit, il existe une corrélation entre les investissements réalisés en faveur du bien être et les résultats de l'entreprise.

M. Emmanuel CUGNY

Est-il aisé, pour un directeur des ressources humaines, de réaliser un bilan du bien être des salariés au sein de l'entreprise ?

M. Olivier BACHELARD

S'il est directeur du respect humain, absolument.

M. Emmanuel CUGNY

Guillaume Soenen, vous avez réalisé une enquête sur vingt entreprises. Quelles conclusions en tirez-vous ?

M. Guillaume SOENEN, professeur de management à l'Emlyon Business School et directeur de la chaire « Santé et performance au travail »

La santé au travail représente un capital. Selon cette approche, récente, il convient donc d'y investir : ce sera économiquement rentable. Le lien entre l'investissement pour la santé au travail et la performance apparaît, dans une entreprise comme dans un équipe de football, intuitif, mais le qualifier scientifiquement demeure délicat. De fait, une corrélation diffère d'une causalité.

Mes travaux mettent en exergue deux liens : entre le capital santé et l'absentéisme d'abord - à 8 % de la masse salariale, le phénomène est coûteux pour la marge opérationnelle de l'entreprise ; si une part demeure incompressible, il existe des solutions pour le réduire - entre le capital santé et la performance opérationnelle, ensuite, quelle que soit la catégorie d'âge des salariés. J'invite les chefs d'entreprise à se rapprocher des chercheurs pour travailler ensemble sur ces problématiques.

M. Emmanuel CUGNY

Chacun souffre de la désorganisation. La loi vous apparaît-elle trop contraignante ?

M. Guillaume SOENEN

Les grands progrès sanitaires et sociaux sont tous passés par une loi. Mais il convient d'aller au-delà : entreprises et salariés peuvent trouver ensemble des solutions adaptées à leur environnement.

M. Emmanuel CUGNY

Quelle place pour la décision publique ? Et qu'attendez-vous de la puissance publique ?

M. Guillaume SOENEN

Aujourd'hui, plus 80 % des salariés du privé sont employés dans des ETI et des PME, dont le taux de marge moyen est de 3 %, ce qui leur permet de maintenir leur activité économique et non pas d'investir significativement dans des dispositifs de santé au travail, c'est-à-dire dans l'outil de production afin qu'il ne soit pas trop pathogène. Pourquoi ne pas envisager un crédit d'impôt santé au travail sur le modèle du crédit d'impôt recherche ?

M. Emmanuel CUGNY

Agnès Aublet Cuvellier, vous représentez l'INRS et êtes spécialisée dans les troubles musculo-squelettiques dits TMS, qui ont des conséquences non seulement physiques, mais aussi économiques et sociales.

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Les TMS représentent 85 % de l'ensemble des maladies professionnelles, qui sont plus de 100, et sont une cause d'accidents du travail à travers les lombalgies, particulièrement fréquents dans des secteurs en pleine expansion, comme les services à la personne.

M. Emmanuel CUGNY

Faut-il agir directement sur les conditions de travail ?

Mme Agnès AUBLET CUVELLIER

Effectivement. Le travailleur ne doit plus être considéré comme un exposé passif qui devrait gérer des consignes visant à réduire son exposition à des facteurs biomécaniques, d'autant que ces facteurs n'expliquent pas à eux seuls l'aggravation et la chronicité de ces pathologies : il faut aussi prendre en compte les facteurs psychosociaux. Il faut se situer dans une approche participative globale prenant en compte l'ensemble de la situation de travail. C'est en agissant sur des déterminants présents dans l'organisation du travail qu'il sera possible de mener des actions ayant un véritable impact sur la prévalence de ces TMS.

M. Emmanuel CUGNY

Il faut une approche collective.

Mme Agnès AUBLET CUVELLIER

En effet, les salariés sont des experts de leurs conditions de travail, ils ont des idées, ils sont susceptibles d'innover, de porter un regard critique y compris en matière de santé et de sécurité au travail.

L'INRS est partenaire de l'Équipe de France des métiers et elle peut transmettre à ces jeunes qui représentent l'excellence du savoir-faire français et qui sont peut-être de futurs chefs d'entreprise une véritable culture de prévention de ces risques professionnels.

M. Emmanuel CUGNY

Les partenaires sociaux ont-ils un rôle à jouer ? Et le jouent-ils réellement ?

Mme Agnès AUBLET CUVELLIER

Bien sûr, ils ont un rôle à jouer et ils le jouent réellement. Le dialogue social est actif en France sur ces questions. On ne peut pas avancer sans concertation, sans participation, sans une approche globale sur ces questions. La santé au travail est un élément à part entière du projet d'entreprise en matière de performance globale.

M. Emmanuel CUGNY

Tout à l'heure, nous parlions des nouvelles technologies, de l'intelligence artificielle. Présentent-elles plus de risques ou plus d'opportunités ?

Mme Agnès AUBLET CUVELLIER

Il faut toujours considérer l'innovation comme une source de progrès. En revanche, il faut être vigilant lors de l'introduction de ces nouvelles technologies et offrir aux futurs utilisateurs les moyens de porter un regard critique sur leur implantation, leur donner des repères éthiques de leur permettre d'évaluer objectivement les intérêts et limites que ces dispositifs représentent. Je pense en particulier aux exosquelettes, qui ont pour rôle d'assister physiquement les personnes faisant de la manutention. S'ils sont mis en place sans tenir compte du travail réel de la personne, ils peuvent avoir des effets délétères, même s'ils peuvent être utiles dans certaines situations de travail. Il faut associer le plus en amont possible les futurs utilisateurs.

M. Emmanuel CUGNY

Du collectif, et dans le dialogue. C'est un message aux dirigeants d'entreprise.

Martine Lenglin, il reste beaucoup de travail sur les risques en amont. Vous dirigez l'Epsat Vosges : de quoi s'agit-il exactement ?

Mme Martine LENGLIN, directrice de l'Epsat Vosges, service de santé au travail

L'Epsat Vosges est un service de santé au travail. J'ai une double casquette : celle de directrice de ce service, et celle de dirigeante d'une entreprise d'une centaine de salariés confrontée elle aussi aux problématiques habituelles de l'entreprise.

M. Emmanuel CUGNY

Environ 50 000 personnes seraient touchées chaque année par une maladie professionnelle ?

Mme Martine LENGLIN

Je n'ai pas le chiffre exact, mais un certain nombre d'entre elles pourraient être évitées. On a parlé tout à l'heure de la participation des CHSCT dans la prévention des risques en entreprise. Or seulement la moitié des entreprises ont réalisé leur document unique d'évaluation des risques (DUER), de surcroît sans faire nécessairement appel à leur CHSCT.

La santé est un bien précieux et un levier de performance. En 2010 déjà, la Commission européenne rappelait que pour innover et obtenir rapidement et efficacement des résultats, les entreprises européennes ont besoin pour leur survie et leur expansion d'une main-d'oeuvre motivée qui se développe dans un environnement de travail de qualité associant sécurité et hygiène sur les lieux de travail. Où en est-on ? Selon le dernier baromètre Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail-TNS Sofres sur la qualité de vie au travail, la question des conditions de travail arrive en deuxième position dans les préoccupations majeures des Français. Selon la même étude, 55 % des Français se disent inquiets à long terme des conséquences de leur emploi sur leur santé, ce qui correspond à la base de la pyramide de Maslow. On n'en est pas aux préoccupations de bien-être et d'épanouissement.

M. Emmanuel CUGNY

Que fait-on ? Avez-vous en tête des exemples d'entreprises qui avancent en la matière ?

Mme Martine LENGLIN

Il est important que les entreprises s'approprient ces questions de santé au travail. Comme cela a été dit ce matin, la médecine du travail est une activité spécifique et un médecin de ville ne pourra jamais apporter ce qu'apporte un médecin du travail.

M. Emmanuel CUGNY

Le service de santé au travail est-il l'allié de la performance de l'entreprise ?

Mme Martine LENGLIN

Absolument ! Il faut aussi définir les priorités, d'autant que les enjeux se superposent. Et c'est bien pour cela qu'il est question aujourd'hui de « bien être ». Il faut aussi aborder ces sujets par les besoins de santé et de performance et non pas par la recherche de mise en conformité parce qu'on sait bien que les entreprises en ont assez des réglementations et des législations trop lourdes, de l'empilement des normes.

M. Olivier BACHELARD

Des entreprises ayant construit leur stratégie autour de ces questions arrivent à être performantes sur le plan économique. Même si elles sont peu connues, elles suscitent un flux de candidatures spontanées. J'ai en tête l'exemple d'une entreprise de 175 salariés qui fabrique des portails pour le bâtiment : la participation aux bénéfices depuis dix ans n'a jamais été inférieure à 5 000 euros par salarié, l'organisation du travail est libre.

J'ai travaillé également avec l'hôpital gériatrique de Fourvière, qui a installé un lève-malade par chambre pour lutter contre les TMS. S'agissant d'un hôpital privé, c'est là une mesure de gestion.

Par ailleurs, la santé au travail est également un sujet moins conflictuel que, par exemple, les salaires. Enfin, l'entreprise remplit un rôle sociétal, dans la mesure où c'est l'ensemble de la société qui ensuite doit assumer le coût des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Dans l'ouvrage dont j'ai coordonné la rédaction l'an passé, nous citons le cas d'une dizaine d'entreprises évoluant dans des univers totalement différents et qui se sont emparées du sujet.

Mme Anne-Sophie GODON-RENSONNET

Le bien être  au travail ne coûte pas forcément très cher et les investissements peuvent être extrêmement réduits. Par exemple, repenser une organisation du travail ne coûte rien ou presque. Par ailleurs, il existe de nombreuses aides et subventions, malheureusement peu connues des chefs d'entreprise.

On a oublié de parler d'une population clé de l'entreprise : les managers. On parle beaucoup des chefs d'entreprise, de leur obligation d'agir en faveur de la santé au travail, mais les premiers acteurs, ce sont les salariés et les managers. Il faut renforcer la compréhension du rôle qu'ils peuvent jouer au quotidien. Intégrer la santé dans les pratiques managériales est à la portée de tous.

M. Guillaume SOENEN

Le bien être au travail est bénéfique pour tous : pour le chef d'entreprise, car une entreprise dont le « capital santé » est plus fort peut dégager une performance opérationnelle plus importante ; pour le citoyen, car, la population vieillissant, l'absentéisme pour accident du travail ou maladie professionnelle va croître, le coût en étant assumé par vous et moi à travers nos impôts. Nous avons tous intérêt à ce que la manière de travailler, dans le public ou dans le privé, dans les structures de petite ou de grande taille, conduise à une amélioration globale de la santé - volontairement, je ne parle pas de santé au travail, mais de santé. Les gens qui sont au chômage ne sont pas en meilleure santé que les gens qui travaillent. Si l'on change de paradigme, la santé au travail, ce n'est pas uniquement un jeu de contraintes négatives ; sa prise en compte peut donner lieu à des retours sur investissement.

M. Damien DEGEORGES

Je suis consultant en affaires publiques et basé en Scandinavie. Un point n'a pas été abordé : le télétravail.

M. Olivier BACHELARD

Au-delà du télétravail en tant que tel, il faut aussi mentionner le coworking et tout ce que permettent les nouvelles technologies, qui nous imposent de repenser notre façon de travailler et de manager les salariés.

M. Guillaume SOENEN

Les enquêtes montrent que le télétravail est très apprécié des salariés à qui cette possibilité est offerte. Mais quand le télétravail se substitue à toute autre forme de travail, il n'y a plus de relations sociales. Or le premier déterminant de la santé au travail, c'est la nature des relations sociales. Mais nous n'en sommes pas là encore en France.

Mme Agnès AUBLET CUVELLIER

Il faut être attentif à la question du travail collectif et veiller à ne pas déstructurer les équipes en ménageant des moments de rencontre. Un travail ne se conçoit jamais seul sur une île déserte.

M. Gilles OLLIVIER

Je représente la société Chorege, installée à Lyon. Accompagnant les entreprises depuis trente ans dans le domaine de la performance industrielle, je m'étonne qu'il n'ait pas été question aujourd'hui de produits, de clients. On parle d'intelligence artificielle (IA), de robotique, mais puisque les robots vont remplacer les gens, il faut parler du mal-être de celui qui pense qu'il sera un jour remplacé par un robot, du mal-être du manager qui pense que son futur métier sera remplacé par des big data . Comment voulez-vous qu'ils soient bien au travail ? Les entreprises qui se portent bien, ce sont celles qui comptent énormément de salariés. Pourquoi Bpifrance fait-elle la promotion des investissements, ce qui conduit les entreprises qui installent des robots à ne plus s'occuper de leurs salariés, de leurs clients, de leurs produits. In fine , l'entreprise s'endette et disparaît, et les emplois avec. J'ai plein d'exemples en tête : la société Pichon, la société Saint Jean Industries Poitou-Charentes, la société Lafuma meurent de ce mal-être au travail parce qu'à la base, elles ont fait de mauvais choix d'investissement. Une intelligence artificielle, un robot, ça ne crée pas, ça n'innove pas, ça n'a pas d'émotion, ça n'a pas de sentiments.

Mme Anne-Sophie GODON-RENSONNET

Nous réfléchissons beaucoup à l'intelligence artificielle. Va-t-elle aboutir à de la destruction ou à de la création d'emploi ? Il est difficile d'y répondre. L'introduction de l'IA engendre des réactions très différentes selon les métiers : certains métiers, par exemple dans l'artisanat, sont très peu impactés et le seront très peu à l'avenir ; dans d'autres métiers, l'IA pourrait remplacer l'être humain. Entre les deux, les occasions de repenser les métiers et les compétences sont légion. Dans mon entreprise, nous avons introduit l'IA dans la lutte contre la fraude, massive, en matière de santé et de prévoyance. Au départ, les médecins n'en voulaient pas. À ce jour, 75 % des dossiers sont traités par l'IA, ce qui nous conduit à embaucher plus de médecins compte tenu de l'augmentation des volumes à traiter. Surtout, le temps que ces médecins ne passent plus à analyser des données, ils le consacrent à des tâches ayant une plus grande valeur ajoutée.

La technologie est souvent porteuse d'innovation, mais il ne faut pas être aveugle : il faut prendre du recul, analyser comment le travail va se déformer et penser aux compétences nouvelles qui vont devoir être développées. La notion de métier s'effacera peut-être au profit d'une somme de compétences - notamment les soft skills -, qu'il faut chercher à développer.

M. Olivier BACHELARD

L'Alliance des grandes écoles Rhône-Alpes Auvergne (Agera), qui regroupe quarante grandes écoles de management, d'ingénieur, a constitué un groupe de travail sur ces questions d'intelligence artificielle - il s'intitulait initialement Qualité de vie au travail et performance globale (QVTPG). En quoi modifie-t-elle les compétences, transforme-t-elle les métiers ? Tout d'abord, accompagnons les futurs managers de manière qu'ils envisagent de façon positive et non pas de façon négative l'IA.

M. Philippe LEFEUVRE

Je dirige une PME familiale de quinze salariés qui existe depuis cinquante ans. Je suis un patron heureux, car tous mes salariés ont plus de cinquante ans. On n'a pas parlé du bien être  du patron. Je signale que j'ai déjà fait deux crises cardiaques ! C'est vrai, la formation des managers, c'est très important pour le bien être au travail ; respecter ses équipes, c'est primordial. Je passe beaucoup de temps avec mes salariés - la plus âgée a soixante-deux ans et m'a annoncé qu'elle voulait encore continuer, ce qui prouve qu'elle est bien chez moi - et ils ont l'air de bien se sentir dans l'entreprise. Dans le secteur de l'imprimerie, dans lequel j'évolue, les salariés soulèvent parfois des rames de papier ou d'autres objets très lourds. La vie professionnelle s'allonge et c'est à nous de trouver les aménagements nécessaires, mais il est important de former les managers, car ce sont eux qui parfois créent du stress. Par ailleurs, le dernier médecin du travail, je l'ai vu il y a sept ans dans mon entreprise, alors que la visite est obligatoire tous les cinq ans. Nous sommes obligés de courir derrière la médecine du travail, ce qui est inadmissible. Ce problème, on le rencontre dans de nombreuses régions de France.

Nous, les chefs d'entreprise, nous sommes seuls et nous ne savons même pas qu'il existe des aides et des subventions. Il faudrait qu'on nous en parle beaucoup plus.

Nous discutons avec les salariés des outils pour améliorer leurs conditions de travail, de même qu'au sein du syndicat de l'impression. Mais si vous demandez aux salariés ce qu'on peut faire pour eux, vous aurez très peu de réponses, à part des demandes d'aménagements horaires, ce qui n'est pas possible dans tous les métiers.

Mme Martine LENGLIN

La santé au travail dépasse le seul enjeu de la médecine du travail. On peut faire une analogie avec le Sénat, qui travaille beaucoup sans qu'on le sache bien ! Je vous invite à examiner de près ce que vous proposent les services de santé au travail. Il est possible que certains tournent moins bien que d'autres, mais ceux-ci se sont profondément réformés ces dernières années.

M. Olivier BACHELARD

Les dirigeants, compte tenu de leur amplitude horaire incroyable, des prises de risque, etc., devraient tous être malades, et pourtant, ils tiennent la boutique ! M. Olivier Torrès a créé l'observatoire Amarok notamment dédié à la santé des dirigeants. N'oublions pas les managers et les dirigeants !

M. Emmanuel CUGNY

Ils pourront peut-être faire l'objet d'une prochaine Journée des entreprises !

M. Philippe LEFEUVRE

Je fais aussi partie d'un groupement d'intérêt économique (GIE). Il a fallu que j'intervienne auprès de responsables politiques pour faire venir la médecine du travail lorsque nous avons eu des soucis notamment d'alcool ou de produits toxiques avec certains salariés. Le médecin de travail n'a souvent pas le temps de venir dans les PME...

M. Stéphane ARTANO

Sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, je suis co-rapporteur avec Mme Pascale Cugny d'un rapport d'information sur la santé au travail au titre de la commission des affaires sociales. J'ai organisé le 18 février dernier au Sénat la troisième conférence sur le bien-être au travail. Je remercie Mme Lamure d'avoir pris l'initiative de cette table ronde sur ce sujet plus englobant. Selon l'OMS, le bien-être au travail est « un état d'esprit dynamique, caractérisé par une harmonie satisfaisante entre les aptitudes, les besoins et les aspirations du travailleur, d'une part, et les contraintes et les possibilités du milieu de travail, d'autre part ».

En 2004, l'INRS a publié une étude scientifique sur la terminologie entre santé et bien-être au travail. Confirmez-vous que la notion de bien être, plus englobante, est mieux à même de répondre aux défis que le terme de santé au travail ? Les partenaires sociaux ont été interrogés par le Gouvernement sur la santé au travail. La neuvième question porte sur la santé des salariés avant même leur arrivée dans l'entreprise. Ne devraient-ils pas se saisir de cet élargissement du sujet ? Christophe Dejours ou Yves Clot décrivent très bien les conditions de travail réelles en entreprise. Arrêtons de travailler en silo, et décloisonnons le sujet. Celui-ci appartient aux partenaires sociaux, et le législateur ne peut pas tout faire - la société va souvent bien plus vite que lui.

Mme Agnès AUBLET CUVELIER

Un article de la revue de l'INRS Hygiène et sécurité du travail clarifie les notions de bien-être au travail, qualité de vie au travail, risques psychosociaux, en montrant que ces approches sont complémentaires. Certaines s'appuient plus sur des aspects réglementaires et législatifs. La notion de bien-être au travail est englobante, et s'appuie sur la subjectivité des salariés et sur une vision constructive de la santé dans sa globalité. L'INRS organisera un congrès scientifique international à Paris-Issy les Moulineaux du 22 au 24 mai sur le bien-être au travail, en lien avec le réseau Perosh ( Partnership for European Reseach in Occupational Safety and Health , partenariat pour la recherche européenne sur la santé et la sécurité au travail), réseau des homologues de l'INRS en Europe. Muriel Penicaud ouvrira ce congrès.

M. Guillaume SOENEN

Il est difficile de mesurer le bien être au travail car c'est un sentiment subjectif, qui varie d'une personne à l'autre et d'une culture à l'autre. Il est donc très difficile de faire des comparaisons internationales. La France est en 168 e position de l'étude internationale sur le bonheur, derrière l'Angola et certains pays en guerre civile...

B. BIEN ÊTRE EN ENTREPRISE : QUELLES AMÉLIORATIONS POSSIBLES ?

Ont participé à la seconde partie de la table ronde :

M. Emmanuel HERVÉ, président du directoire du groupe Hervé (Joué-les-Tours) ;

M. Fabrice PONCET, co-fondateur et co-gérant de La Fabrique, entreprise de fabrication de mobilier, d'agencement d'intérieur, de scénographie et d'art contemporain dans le Rhône ;

Mme Claude de SCORRAILLE, présidente de LACT et M. Grégoire VITRY, directeur de LACT, coauteurs de l'ouvrage publié en 2017 : Quand le travail fait mal : une clinique de la relation pour soigner les maux au travail (InterÉditions) ;

Mme Catherine TESTA, fondatrice du club des Chief Happiness Officers (CHO), auteur du bestseller publié en 2017 : Osez l'Optimisme ! (Éditions Michel Lafon)

M. Emmanuel CUGNY

Pour le second volet de notre table ronde consacré aux améliorations possibles, nous accueillons Mme Claude de Scorraille, présidente de LACT, centre de formation, de recherche, d'intervention spécialisée dans la régulation des troubles psychologiques et relationnels. M. Grégoire Vitry dirige LACT, et a écrit en 2017 avec Claude de Scorraille Quand le travail fait mal : une clinique de la relation pour soigner les maux au travail . Il effectue par ailleurs de nombreuses interventions en entreprise.

M. Emmanuel Hervé préside le directoire du groupe Hervé, à Joué-les-Tours, spécialisé dans la conception, l'installation et la maintenance de technologies utilisées dans le bâtiment, et qui comprend 3 000 salariés. Votre raison d'être est « l'intra-entrepreneuriat ».

M. Fabrice Poncet est co-fondateur et co-gérant de La Fabrique, entreprise de fabrication de mobilier, d'agencement intérieur, de scénographie et d'art contemporain dans le Rhône. Chez vous, on partage tout : pouvoir, salaire et qualité de vie au travail.

Mme Catherine Testa est fondatrice du club des Chief Happiness Officers (CHO), club des responsables du bonheur en entreprise. Vous travaillez dans le secteur de l'énergie, après être passée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Vous avez publié en 2017 Osez l'optimisme ! , tout un programme !

M. Grégoire Vitry et Mme Claude de Scorraille, présentez-nous votre métier...

M. Grégoire VITRY, directeur de LACT

LACT est un centre d'intervention, de formation et de recherche, spécialisé dans la régulation systémique des troubles psychologiques et relationnels, tant individuels que collectifs. Je suis intervenant, chercheur et formateur, et Claude de Scorraille est psychologue du travail, intervenante et formatrice. Nous sommes les co-fondateurs de LACT.

Nous réalisons une lecture écologique des situations, et avons une stratégie relationnelle. Nous appliquons la méthode de l'école de Palo Alto, ou approche systémique, et sommes les représentants de cette école en Europe francophone. Nous intervenons auprès de particuliers mais aussi d'entreprises, publiques et privées, de toute taille, dans trois types de cas : conduite du changement, souffrance au travail et situation de crise - grève, menace de suicide, changement difficile...

Toutes nos interventions s'inscrivent dans une démarche scientifique de recherche. Depuis quatre ans, nous avons développé un réseau de praticiens de recherche en approche systémique stratégique, notamment pour intervenir en entreprise.

Nous avons traité et enregistré plus de 1 619 cas et résolu 79 % des problèmes. En moyenne cela nécessite cinq rendez-vous et dure 5 mois et demi. Nous avons traité les principaux thèmes suivants : gestion de conflit, confiance en soi, troubles anxieux, harcèlement, burn-out ...

LACT est aussi une école internationale en trois ans, qui forme chaque année une centaine de personnes. Nous avons développé avec l'université Paris 8 le premier diplôme universitaire à distance et en direct sur internet pour former des responsables de ressources humaines, managers et coachs à l'approche systémique et stratégique. Avec Olivier Brosseau et Claude de Scorraille, nous avons publié Quand le travail fait mal , où nous délivrons notre conception systémique de la qualité de vie au travail et notre méthodologie de Problem Solving et les résultats de nos recherches.

M. Emmanuel CUGNY

Le bien être au travail n'est pas une mince affaire lorsqu'on veut jouer collectif. Le dirigeant doit souvent gérer le conflit. Vous avez souhaité nous présenter une étude de cas pour aborder la question.

M. Grégoire VITRY

Cette étude de cas est celle d'une gestion de conflit. Ludovic, 35 ans, dirige un service de facturation dans une entreprise de services. Il se défie de ses cinq collaboratrices qu'il considère incompétentes et déloyales. Elles le considèrent comme difficile. Il est furieux de leur manque de professionnalisme, et finit par absorber le travail non réalisé. Il multiplie les directives et les menaces de sanction, et rêve de se débarrasser de ses collaboratrices. Son chef direct s'inquiète et sollicite sa direction pour trouver une solution. Vous êtes cette direction, que faites-vous ?

Une intervenante dans la salle

J'organiserais une rencontre entre tous les protagonistes avec un médiateur pour que la colère sorte, avant de chercher à résoudre le problème.

Un intervenant dans la salle

Le problème vient notamment du manque de parité de son équipe.

M. Grégoire VITRY

Le concept de tentative de solution est un réducteur de complexité. Ce sont les solutions, dysfonctionnelles, mises en place par la personne ayant le ou les problèmes qui maintiennent et exacerbent le problème.

Le manager a tenté de sermonner, de mettre en place des procédures rigides qui le conduisent à faire à la place des autres. Cela devient pénible pour ses collaboratrices, qui le considèrent comme un petit chef les infantilisant ; par conséquent, elles agissent comme elles le souhaitent professionnellement... Cela devient un cercle vicieux : plus il réalise le travail à leur place, moins elles s'engagent... Une solution simple est source de difficulté car la situation nécessite une approche systémique. Il existe un risque psychosocial pour Ludovic et ses collaboratrices sont excédées. Cela se traduit souvent par des arrêts de travail, des demandes de télétravail. La performance est menacée. Il convient de restaurer le leadership émotionnellement, en soulageant la colère, et d'adopter une stratégie relationnelle en arrêtant de se substituer aux collaboratrices.

Mme Claude de SCORRAILLE

Notre méthodologie est systémique : elle prend en compte une situation problématique dans sa globalité, en observant toutes les interactions et les dynamismes en jeu. Nous avons une approche stratégique, orientée vers un but, et qui prend en compte les ressources et les limites, tant individuelles, collectives qu'organisationnelles. Enfin, nous proposons des modalités opératoires écologiques, performantes et accessibles.

Il faut savoir de quoi l'on parle. Si l'on se limite à savoir où se situe la difficulté dans une perspective causale, par exemple en posant un diagnostic de type médical ou dans une perspective juridique, on risque d'isoler le problème pour savoir qui a tort ou raison. Or le problème est souvent plus complexe que cela. Nous abordons la situation en considérant que c'est la relation entre l'individu ou un collectif d'individus et l'environnement qui est devenue pathologique.

Nous considérons les individus à la fois dans leur singularité et collectivement, devant être pris en compte dans leur contexte, à savoir la relation avec eux-mêmes, la relation aux autres et la relation au contexte - le travail. De là émergent la confiance, le sentiment d'une bonne qualité de vie au travail et une sensation de bonheur, lorsqu'ensemble, individuellement et collectivement, les individus surmontent les enjeux du travail dans un équilibre satisfaisant. Nous utilisons la technique de Problem Solving , qui comporte trois niveaux : le niveau stratégique - quoi faire ? -, le niveau de la communication - que dire ? - qui sont les deux niveaux rationnels, et le troisième niveau de blocage, irrationnel : la relation. Parfois, on sait comment réagir, mais on est bloqué par crainte des effets collatéraux ou des difficultés de mise en oeuvre, en raison de la discussion émotionnelle. Comme le dit Blaise Pascal, « le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas »...

M. Emmanuel CUGNY

Le manager se remet en question en permanence. Est-on sur la bonne voie actuellement ?

Mme Claude de SCORRAILLE

Le manager a un rôle très important mais c'est le cas à tous les niveaux. On est sur la bonne voie dès lors qu'on est prêt à abandonner une logique trop intellectuelle ou à mobiliser davantage la responsabilité des différents interlocuteurs, en appréhendant la complexité des situations. Vous avez le versant médical, le burn out , ou le versant conflictuel, le harcèlement.

M. Emmanuel CUGNY

Nous poursuivons notre exploration des cas concrets avec M. Emmanuel Hervé, président du directoire du groupe Hervé, qui compte 3 000 personnes, soit une ETI dont le modèle est l'intra-entrepreneuriat.

M. Emmanuel Hervé, président du directoire du groupe Hervé

Notre groupe compte 3 000 collaborateurs, mais il est organisé comme le rassemblement de 200 petites entreprises de 15 personnes en moyenne, avec des « intra-entrepreneurs » qui ont des taches de production, d'administration, d'études. Un rassemblement de 15 intra-entrepreneurs est coordonné par un « manager d'activité », 15 d'entre eux par un « manager de territoire », et ces 15 managers de territoires dépendent de moi-même.

M. Emmanuel CUGNY

Comment ces strates interagissent-elles ?

M. Emmanuel HERVÉ

Le maillon essentiel est le manager d'activité, à la base du dispositif, qui recrute les équipes, est responsable de la formation de tous les intra-entrepreneurs, leur apprend à être responsables et à prendre des décisions en tenant compte de leur environnement de travail. Une réunion mensuelle est obligatoire entre les équipes et leur manager, qui a un rôle de chef d'orchestre. Il doit les interroger pour faire émerger les problèmes relationnels ou organisationnels, et leur apprendre à s'exprimer par eux-mêmes. Ainsi, il leur permet de prendre des décisions sur leur travail quotidien et d'être acteurs de leur quotidien.

M. Emmanuel CUGNY

Ces équipes ont-elles la liberté de s'auto-organiser ?

M. Emmanuel HERVÉ

Les intra-entrepreneurs travaillent en autonomie et assument leurs responsabilités, puisqu'ils intègrent les contraintes des autres ; cela stimule la coopération et la fraternité. C'est une capacité d'auto-organisation, non pas avec une hiérarchie, mais avec leurs pairs, les clients et les fournisseurs. La pression organisationnelle est donc mieux ressentie, puisque les décisions sont prises par rapport à soi-même et à l'environnement. Il faut encourager cette envie d'entreprendre et cette capacité d'autonomie et d'action des salariés.

M. Emmanuel CUGNY

Comment est née cette volonté ? Est-ce un travail personnel, un héritage, une volonté de continuité ?

M. Emmanuel HERVÉ

C'est une culture d'entreprise. La plus grande difficulté ne vient pas des intra-entrepreneurs, mais des managers : ceux-ci n'ont pas le rôle traditionnel de leader, de chef de bande mais sont des chefs d'orchestre, travaillant en subsidiarité. Ils jouent un rôle de passeur et de facilitateur qui permet la création et l'innovation.

M. Emmanuel CUGNY

Est-ce bien vécu ?

M. Emmanuel HERVÉ

C'est très bien vécu pour les personnes, mais cela relève moins d'une formation que des qualités comportementales ou du tempérament. Tout le monde ne souhaite pas assumer des responsabilités. Certains préfèrent - sans aucun jugement de ma part - rester des exécutants et exécu-temps, comptant leur temps. Un responsable ne compte pas son temps, il est motivé.

M. Emmanuel CUGNY

La solution se fait donc naturellement ?

M. Emmanuel HERVÉ

Oui, et par les membres de l'équipe : lorsqu'une personne est en difficulté, nous encourageons le fait d'aborder les conflits, mais dans un cadre approprié à leur résolution.

M. Emmanuel CUGNY

Vous créez des cas d'école ?

M. Emmanuel HERVÉ

Le manager aide les intra-entrepreneurs à poser leurs problèmes sur la table lors des réunions mensuelles. Avoir des problèmes à gérer, c'est la vie ! On n'a plus de problèmes à gérer lorsqu'on est mort... Or souvent, c'est la méthode qui est en cause. Elle est importante pour une appropriation des lois communes construites par les acteurs.

Ce système fonctionne dans toutes nos unités, en France, en Belgique, en Suisse et au Maroc, sans aucune différence. L'appétence à entreprendre, à être autonome, au travail coopératif, n'est pas lié à notre pays ni à un secteur d'activité.

M. Emmanuel CUGNY

Votre approche peut-elle s'appliquer à toutes les entreprises ?

M. Emmanuel HERVÉ

Oui, c'est une manière de manager et non un système, qui peut être mis en oeuvre partout. Avec 15 personnes, on a une petite entreprise ; avec 15 petites entreprises, on a une moyenne entreprise ; avec 15 moyennes entreprises, une ETI ; avec 15 ETI, une entreprise multinationale... Ce modèle pourrait aussi s'appliquer à une administration ou à l'État. Ce fonctionnement pourrait être répondre à la demande des citoyens de meilleure appropriation des discussions publiques...

M. Emmanuel CUGNY

Voilà une idée de réforme !

M. Emmanuel HERVÉ

Nous n'avons pas de directeur des ressources humaines. Nos services généraux font du back office au service des managers. Ce sont ces derniers qui garantissent l'harmonie et le bien-être individuel et collectif des intra entrepreneurs.

M. Emmanuel CUGNY

Réussissez-vous à garder votre matière grise dans un tel fonctionnement ?

M. Emmanuel HERVÉ

Le fait que notre entreprise fonctionne toujours est dû au fait que les salariés ne viennent plus seulement chercher une juste rémunération, mais aussi du sens et la bonne manière de travailler avec leurs collègues. Nous arrivons ainsi à conserver notre personnel, et sommes même en croissance...

M. Emmanuel CUGNY

Le capital humain est donc votre retour sur investissement !

M. Emmanuel HERVÉ

Dans un monde où tout va s'informatiser et se robotiser, le relationnel et le comportemental prend une importance croissante. Ce n'est pas une question technique. Le savoir-faire a une durée de vie de plus en plus courte, mais sa mise en oeuvre change. Cela nécessite de la confiance, de l'honnêteté, de la transparence. Les qualités humaines importent plus que le savoir-faire.

Si tous les salariés veulent développer leur métier, ils ont l'agilité exponentielle de leur savoir-faire.

M. Emmanuel CUGNY

M. Fabrice Poncet, vous gérez La Fabrique, et avez une approche collaborative fondée sur le partage du pouvoir. Comment fonctionnez-vous exactement ?

M. Fabrice PONCET, co-fondateur et co-gérant de La Fabrique

J'ai beaucoup apprécié, lors de la table-ronde précédente, l'idée de qualité de vie au travail. C'est à nous de créer cette qualité de vie pour être bien, et cette responsabilité du manager est au coeur de l'exercice du métier qui nous fait vivre et qui nous rend fier.

Nous partageons les richesses par une échelle de rémunération allant de 1 à 5 : lorsque les performances seront maximales, je gagnerai cinq fois le SMIC - j'en suis à 4,5 fois. Ensuite, nous décidons avec les salariés les critères de rémunération, en lien avec la convention collective. Le salaire est donc la juste répartition de la richesse créée ensemble. Enfin, un accord d'intéressement permet de partager entre tous 20 % de la richesse créée.

M. Emmanuel CUGNY

Comment la partager ?

M. Fabrice PONCET

Nous avons une certaine image de l'individu et nous faisons de belles choses en ébénisterie, mais chacun peut trouver du sens dans n'importe quel métier. Une entreprise de nettoyage industriel pourra par exemple utiliser des produits moins polluants...

M. Emmanuel CUGNY

N'est-ce pas déjà intégré ?

M. Fabrice PONCET

Nous faisons de belles choses et nous essayons d'être de belles personnes. À mon avis, cela marche aussi pour une entreprise plus importante, qu'elle soit à 3 000 personnes ou à 30 000 personnes. On retrouve le principe de subsidiarité, d'autonomie de la cellule de base. Lorsque la base ne peut pas décider, cela revient à une direction collégiale. En plus de mes deux associés, deux personnes ont été nommées et trois autres élues sans aucune candidature. C'est une organisation sociocratique. Nos décisions sont fondées sur le consentement et non sur l'unanimité ou la majorité. Nous essayons d'être agiles et de décider rapidement ; nous pouvons consentir à quelque chose que je n'aurais pas fait, si ce n'est pas contraire à nos principes et à l'éthique de l'entreprise...

M. Emmanuel CUGNY

Si je comprends bien, c'est tout sauf du paternalisme.

M. Fabrice PONCET

Nous ne sommes en aucun cas paternalistes. La question du bien être au travail vient après celle de la qualité des relations, à l'intérieur de l'entreprise : politesse, sens de l'engagement, qualité du travail fourni, respect mutuel.

Ce socle peut s'enrichir. À La Fabrique, par exemple, nous avons un cuisinier, un maraîcher qui nous livre des légumes, un potager... Nous sommes ouverts aux propositions des salariés s'ils acceptent de les prendre en main. En revanche, nous n'allons pas leur offrir les services d'un coach sportif. D'ailleurs, cela serait inutile puisqu'ils soulèvent déjà une tonne par jour...

Je ne suis pas responsable du bonheur des salariés. Je peux seulement créer cette possibilité d'être bien, dans mon entreprise.

M. Emmanuel CUGNY

Que pensez-vous de la RSE, la responsabilité sociale de l'entreprise ? Vous avez beau avoir vos idées, vous êtes bien obligé d'appliquer la RSE...

M. Fabrice PONCET

Nous sommes trop petits pour être soumis à une déclaration de RSE.

À titre personnel, il me semble qu'il s'agit d'aller chercher à la marge ce qui peut verdir le résultat. Or c'est en agissant au coeur de l'activité que l'on peut transformer en profondeur les entreprises et les personnes : nous avons des ateliers ouverts au public où les personnes peuvent apprendre à fabriquer du mobilier.

Nous n'agissons pas à la marge, nous agissons de manière cohérente. Quand nous faisons travailler des personnes en situation de handicap ou en réinsertion, sans être nous-mêmes une entreprise d'insertion, nous restons au coeur de notre métier : nous avons de la matière, des personnes désireuses de travailler, une logique écologique.

M. Emmanuel CUGNY

Au-delà des individus, vous cherchez donc à pérenniser les savoir-faire.

M. Fabrice PONCET

Il s'agit aussi de valoriser la marque. J'ai la faiblesse de croire que si
La Fabrique devait avoir un gros problème, toute une communauté se mobiliserait pour éviter que nous ne disparaissions.

M. Emmanuel CUGNY

Vous disiez à l'instant que toutes les entreprises pourraient s'organiser comme vous le faites. J'ai tout de même du mal à imaginer Renault suivre votre exemple...

M. Fabrice PONCET

Je rejoins ce qu'a dit M. Hervé : les grosses entreprises ont des choses à nous apprendre en matière de process ou de performance, par exemple. Toujours est-il que Renault ne représente que dix fois le groupe Hervé et qu'il n'y a donc pas de raison pour que les choses ne puissent s'organiser chez Renault comme dans nos petites entités de vie. Mais ce sera sûrement difficile.

M. Emmanuel CUGNY

Catherine Testa, pouvez-vous nous décrire l'action d'un Chief Happiness Officer ? Est-il facile d'être responsable du bonheur dans notre société mondialisée ?

Mme Catherine TESTA, fondatrice du club des Chief Happiness Officers

Nous sommes dans une société où tout le monde cherche à se déresponsabiliser : c'est toujours la faute de l'autre. On blâme la société or on est la société ; on blâme l'entreprise or on est l'entreprise. Une personne ne peut être responsable du bonheur des autres.

J'ai travaillé dans le secteur du développement durable, je comprends donc les enjeux de la RSE. Lorsque j'ai commencé à parler de développement durable, on me répondait que personne ne s'en préoccupait et que je faisais fausse route. Je me suis ensuite intéressée au digital et j'ai entendu la même chose. Maintenant je m'implique dans le bien-être en entreprise, avec ou sans trait d'union.

Aujourd'hui, toutes les entreprises agissent. Comme un individu penserait que sourire n'est pas dommageable pour les neurones, une entreprise qui agit se dit qu'être plus productif et améliorer les conditions de travail n'est pas antinomique. Vous avez dit que le bien-être en entreprise était générateur de performance ; selon moi, c'est même une condition sine qua non de la survie d'une entreprise.

Les sites d'innovation sont aujourd'hui de 13 mois versus 30 ans. Si vous ne travaillez pas en intelligence collective, si les salariés ne se sentent pas bien et ne peuvent lever la main pour vous faire part de leurs idées, alors on passe à côté de l'innovation.

Aujourd'hui, les salariés commencent à évaluer leur entreprise comme les restaurants et les hôtels. Autrefois on pouvait investir dans du papier glacé pour vanter les conditions de travail dans son entreprise, maintenant les candidats consultent Facebook, LinkedIn ou des applications spécialisées comme Ourcompany.

M. Emmanuel CUGNY

Selon vous, quel est le bon manager ?

Mme Catherine TESTA

C'est celui qui prend ses responsabilités et qui arrive à sortir du moule éducatif, à sortir de l'axiome « moi je dirige et toi tu fais ». Les nouveaux talents vont chercher un engagement, un sens à leur contribution. Le bon manager, c'est celui qui se remet en question et qui sait qu'il n'a qu'un petit bout de la solution et que le jeune qui arrive dans son équipe a autant d'idées que lui.

M. Emmanuel CUGNY

On vit aujourd'hui dans l'ère de la transparence, peut-être même à outrance. Est-ce un avantage ou un inconvénient ?

Mme Catherine TESTA

Les deux. Il suffit de regarder ce qui se passe en France aujourd'hui : on fait davantage confiance à quelqu'un qui va filmer une manifestation et donner son avis que dans des instituts. C'est la même logique qui s'instaure quand on écoute le salarié qui va noter son entreprise à un moment où les choses se passent mal. L'algorithme va pousser les extrêmes et c'est cette version que l'on retiendra. Aux utilisateurs de comprendre que ce n'est qu'un outil.

M. Emmanuel CUGNY

Est-il possible de mesurer concrètement les retombées du bonheur dans l'entreprise ?

Mme Catherine TESTA

On peut le mesurer de différentes façons. Il faut faire une symétrie des intentions : on ne peut exposer à l'extérieur ce qu'on ne vit pas à l'intérieur.

On peut « monitorer » en se basant sur la recherche. Mais savoir si l'on est heureux, c'est quelque chose de très personnel. J'ai vécu aux États-Unis et, là-bas, on est « happy » d'aller boire un coup. En France, est-on « heureux » d'aller boire une bière ? Le monitoring est donc difficile à mettre en place. Sans la confiance en soi nécessaire, par exemple, on ne va pas oser s'exprimer. Même avec le meilleur manager possible, si le salarié n'a pas confiance en lui, il n'osera pas donner son idée. Le management est essentiel, mais il ne fait pas tout. C'est une responsabilité globale.

M. Emmanuel CUGNY

Comment manifester sa reconnaissance envers un salarié ?

Mme Catherine TESTA

Il existe plusieurs façons de manifester sa reconnaissance. La première, la plus basique, mais qui tend à disparaître, c'est de remercier. En ce moment, je théorise le bon sens : on peut le faire tout simplement. Aujourd'hui, on a tendance à tout digitaliser et il existe des applications pour remercier mécaniquement, à travers le système intranet, et gagner ainsi des points pour avoir un cadeau. On en est là, à force d'oublier le b.a.-ba.

Tout un tas d'outils vont se greffer sur une entreprise. Si les locaux sont absolument infects, il faut falloir travailler à les améliorer. Parfois, c'est le management qui n'a pas su avancer et qu'il va falloir accompagner vers la communication non violente, le codéveloppement, le design thinking ...

M. Emmanuel CUGNY

Il ne faut donc pas négliger la reconnaissance immatérielle.

Mme Catherine TESTA

Tout à fait ! Un euro va d'abord nous suffire en termes de reconnaissance salariale, puis il va en falloir dix pour gagner un point de motivation, puis cent, puis mille... La reconnaissance salariale devient vite exponentielle. Il va donc falloir passer par autre chose : écouter, remercier, donner du sens à ses collaborateurs.

À cet égard, ce que vous disiez sur le groupe Hervé était très intéressant : la subsidiarité permet aux salariés d'être plus proches des conséquences de leurs actions.

M. Emmanuel CUGNY

Le terme « collectif » est très souvent revenu dans les précédentes interventions. Les partenaires sociaux jouent-ils aujourd'hui leur rôle dans le « happiness » ?

Mme Catherine TESTA

Certains le font. Tout dépend de savoir s'ils sont en opposition ou en coconstruction. Nous n'avons pas seulement une casquette métier : nous sommes des individus et nous allons prendre nos responsabilités pour discuter avec le PDG, avec le N-99, avec les partenaires sociaux, avec tous ceux qui ont levé la main et qui désirent s'engager.

M. Emmanuel HERVÉ

En ce qui concerne la représentation dans l'entreprise, le risque est d'arriver à une situation de pouvoir contre pouvoir : plus le patron est autoritaire, plus il faut de contre-pouvoirs. À partir du moment où les salariés ont l'occasion de s'exprimer tous les mois, par et pour eux-mêmes, ils n'ont pas besoin que quelqu'un exprime à leur place ce dont ils ont besoin. Ils deviennent responsables. Dans un tel cadre, les organisations syndicales jouent un rôle totalement différent de la traditionnelle opposition. Dans notre entreprise, ils sont devenus les garants de l'application de la philosophie de l'entreprise : ils vont chercher à savoir, par exemple, si un de nos 200 managers n'aurait pas tendance à se comporter en « petit chef » ou à s'assurer que les comptes rendus de réunion sont bien le reflet de ce qui s'y est dit. Ils ne sont donc plus dans l'opposition au pouvoir, puisque le pouvoir est totalement disséminé entre les 3 000 du groupe.

M. Emmanuel CUGNY

Êtes-vous un patron heureux ?

M. Emmanuel HERVÉ

Oui. Mais je ne suis pas un « patron » heureux, je suis une personne heureuse. La France est en 170e position, alors qu'il s'agit d'un des plus beaux et plus riches pays du monde. Le rapport au bonheur est donc très relatif...

La société française ne sait pas affronter les problèmes, ce qui fausse sa perception du bonheur. Il faut protéger, mais pas surprotéger : comme dans le monde du vivant, la surprotection fragilise.

M. Emmanuel CUGNY

Vous voulez dire que vous n'êtes pas aidé par la collectivité ?

M. Emmanuel HERVÉ

Je veux parler de l'ambiance de la société. La victimisation à longueur de temps, sous couvert de bien-pensance, est un élément de mépris total des individus.

Un véritable ami ne vous dit pas forcément que des choses qui vous font plaisir. Un faux ami vous dit que vous êtes le plus beau, le plus fort... On laisse croire, notamment à travers les médias, que nos problèmes viennent de notre passé, de nos parents, de nos voisins, de la société, des politiques... À un moment donné, il faut se prendre en main, se responsabiliser et affronter - pour ceux qui peuvent le faire - les difficultés.

Quand on a ce caractère, on trouve une partie de son bonheur et l'on relativise les difficultés. Le bonheur, c'est aussi une somme de petits événements qu'il faut savoir appréhender. Et pour cela, il ne faut pas se victimiser.

J'ai lu récemment un livre de psychologie adlérienne : Avoir le courage de ne pas être aimé . Il s'agit de ne pas aller chercher chez les autres les raisons des problèmes que nous rencontrons. Nous sommes capables de nous prendre en main pour avancer et créer notre propre environnement et donc une partie de notre bonheur.

Encore une fois, bien évidemment, il faut accompagner les personnes qui n'ont pas cette capacité. Je ne veux pas faire de généralité.

M. Grégoire VITRY

J'ai retenu cette phrase, que je trouve très juste : tant qu'on a des problèmes, c'est bon signe ; quand on n'a plus de problème, c'est qu'on est mort.

Le travail d'un manager consiste justement à résoudre des problèmes. C'est même le travail de la vie, qui est une succession de problèmes. C'est quand on n'arrive plus à les résoudre que s'installe une sorte de récurrence dont il est difficile de sortir. Notre vocation est de résoudre des difficultés pour faire émerger un sentiment de bien-être, de plaisir...

Comment « monitorer », mesurer cet état de bienêtre ? Nous avons la responsabilité, face à une certaine opacité vis-à-vis de l'utilité de la médecine du travail, des coachs, des psychologues du travail, de « monitorer » nos résultats. Nous devons montrer que notre action se traduit concrètement et qu'elle permet à de nombreuses personnes de se sentir mieux.

Il existe des questionnaires de monitoring, de qualité de vie au travail ou de sentiment de bien être. Nous utilisons un golden standard , le GHQ12, qui concerne la santé de manière générale. Je pense qu'il est de notre responsabilité de savoir évaluer notre action. Les gens vont-ils mieux ? Ont-ils résolu les difficultés qui les renfermaient sur eux-mêmes ?

M. Karim BEHLOULI, directeur général de la société Eco-Technilin

Le Medef lancera cet été un indicateur de la qualité de vie au travail, ou QVT, des patrons. C'est la première fois que j'entends parler de bien être au travail sans trait d'union, ce que je trouve pertinent.

J'attends des salariés que j'embauche qu'ils soient compétents, mais pas seulement : je veux avoir envie de travailler avec eux et je veux que le reste de l'équipe en ait aussi envie. À force de parler de bien-être, et c'est quelque chose de très important pour moi, je crains parfois qu'on en oublie le travail. Avez-vous déjà rencontré ce type de situation ?

Mme Claude de SCORRAILLE

Il faut faire très attention quand on parle de sujets qui ressortent du sensible comme le bonheur, la santé, le bien-être... Il est difficile de les approcher comme on le ferait pour quelque chose de matériel, de quantifiable. C'est un peu comme si je vous disais : soyez spontané. La spontanéité est quelque chose qui émerge. Si on l'assimile à un objectif atteignable, on va aboutir à l'inverse du résultat espéré. C'est ce qui a fait dire à Oscar Wilde que les meilleures intentions pouvaient produire les pires effets.

M. Fabrice PONCET

Il faut que les efforts fournis restent dans le cadre du processus de travail, celui qui nous humanise, qui nous rend plus grands, qui nous libère.

Si l'on rajoute un baby-foot, c'est dérisoire. Cela ne va sûrement pas influencer la qualité de vie au travail. En revanche, chercher à rendre les salariés fiers de leur travail, vouloir s'organiser pour faire de belles choses et constituer une belle équipe, tout cela sera excellent en termes de performance et pas seulement en termes de bien être.

Mme Catherine TESTA

Il faut être transparent et accepter de dire qu'il faut parfois partir de loin. Il n'y a aucune injonction au bonheur : il ne s'agit pas de demander à tout le monde de sourire le matin en arrivent au travail.

J'ai souvent parlé du bonheur de travailler : je travaille depuis quinze ans et voilà quinze ans que je suis heureuse d'aller travailler. J'ai rencontré de nombreux problèmes, mais tout ce que j'ai fait avait du sens.

Il ne s'agit pas de déclarer que telle ou telle société est the best place to work . Ce serait illusoire. On va essayer de faire du « mieux vivre », collectivement. C'est déjà un premier pas.

M. Philippe FOURRIER, cofondateur de l'agence Ilago

Monsieur Poncet, vous avez évoqué trois piliers : le ratio de rémunération, la redistribution de 20 % des bénéfices et un troisième qui me paraissait beaucoup plus complexe. Pourriez-vous nous expliquer comment cela fonctionne ?

M. Fabrice PONCET

Comme nous ne sommes pas très nombreux, les choses sont plus simples.

Nous essayons toujours de faire en sorte que nos innovations soient conformes au droit du travail. Dans la convention collective figurent des coefficients, des taux, des définitions de fonctions qui ne correspondent pas à notre réalité. Nous sommes donc repartis de notre réalité pour décider de ce qu'on voulait rémunérer.

Certains salariés voulaient rémunérer l'ancienneté, ce qui n'a pas de valeur à mes yeux ! Quelqu'un qui est très bon et qui arrive seulement dans l'entreprise peut très bien davantage que quelqu'un employé depuis dix ans. Cela dit, je suis heureux que les gens restent...

Nous avons identifié des compétences importantes, qu'elles relèvent de la technique, de la communication ou de l'organisation. Nous avons procédé de manière très pragmatique : en termes de technique, quand on sait faire tel type de travail, tel type de gabarit, on est à tel coefficient ; en termes de communication, quand on est capable de gérer un chantier d'un certain montant et de gérer une équipe d'un certain nombre de personnes, on est à tel coefficient. Des taux ont été définis pour chaque compétence et on trace une courbe, au fil du temps, car les niveaux peuvent varier. On a enfin instauré un euro de bonus au taux horaire qui correspond à des compétences autres, comme le sens du service - celui qui va amener des jonquilles pour le jardin ou celui qui va être assidu au service du midi pour charger le lave-vaisselle, par exemple. De même, ce sont des ébénistes qui s'occupent d'une partie des réseaux sociaux.

C. CONCLUSION

Mme Élisabeth LAMURE, présidente

Nous terminons cette Journée des entreprises consacrée à un un bien beau thème, celui du bien être. C'est volontairement que nous n'avons pas choisi le bien être « au travail », mais « en entreprise », car une entreprise est une oeuvre collective.

Vous avez beaucoup parlé de relations humaines, d'humain. Ces questions ont beaucoup d'importance à nos yeux, y compris dans les travaux que nous pouvons porter au Sénat.

Je tiens à remercier l'ensemble des intervenants et des modérateurs des différentes tables rondes et tous les chefs d'entreprise, venus de toute la France. Nous sommes preneurs à la fois de vos témoignages, de vos expressions, de vos suggestions. Nous en avons besoin pour nos travaux.

Si nous venons à votre rencontre dans vos entreprises, dans vos départements, c'est vous qui êtes venus à nous aujourd'hui : merci mille fois. N'hésitez pas à nous contacter, il s'agit d'un travail interactif. Comme dans une entreprise, nous voulons être pragmatiques pour obtenir des résultats. Merci à tous et bon retour dans vos départements respectifs.

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