B. UN GROUPE RESTREINT AU FERROVIAIRE APRÈS LA CESSION À GENERAL ELECTRIC DE LA BRANCHE « ÉNERGIE » EN 2014

1. Des négociations complexes et tendues
a) L'État tenu à l'écart des négociations entre Alstom et General Electric

Le 23 avril 2014, une dépêche de l'agence Bloomberg révèle que GE serait en discussion avancée avec Alstom en vue du rachat de sa branche « Énergie » pour 13 Md$, avec l'assentiment de l'actionnaire de référence, Bouygues.

Si l'on en croit certains articles de presse 30 ( * ) , les discussions sur le thème de la complémentarité entre les activités des deux groupes auraient commencé dès le 9 février 2014, lors d'une rencontre à Paris entre Patrick Kron et Jeff Immelt, PDG de GE, et auraient connu une accélération en mars. Début avril, une « data room » aurait été ouverte à Paris pour donner accès à GE aux données d'Alstom. Enfin, l'accord entre les deux directions en vue de la présentation au conseil d'administration d'Alstom d'un protocole d'accord aurait été convenu le 23 avril lors d'un déplacement de Patrick Kron à Chicago 31 ( * ) .

Selon le témoignage maintes fois réitéré du ministre du redressement productif en fonction à cette époque, Arnaud Montebourg, les négociations portant sur la cession d'actifs stratégiques pour le pays, se sont déroulées sans information préalable de l'État. Le ministre en charge de ce dossier n'a appris le projet de cession à GE que par la presse, au moment où il était quasiment finalisé. Il apparaît pourtant que l'éventualité d'une opération de cession, corollaire d'un désengagement éventuel de l'actionnaire de référence d'Alstom, Bouygues, ait été envisagée dès le mois d'octobre 2012 par les services de l'État, l'agence des participations de l'État, semble-t-il à la demande du cabinet du président de la République, ayant mandaté un cabinet de conseil extérieur afin d'explorer une telle hypothèse.

Du point de vue de l'intérêt national , cette mise à l'écart de l'État pose de sérieuses questions . Alstom était en effet le principal fournisseur industriel de services publics vitaux pour le pays dans les domaines énergétique et ferroviaire. Alstom était également chargé de la maintenance de l'îlot conventionnel des centrales nucléaires du pays et possédait la maîtrise de technologies-clés pour l'indépendance énergétique nationale.

La mise à l'écart de l'État dans le projet de cession de la branche « Power » d'Alstom à une entreprise étrangère montre en fait le degré de faiblesse de la politique industrielle de la France à la fin des années 2000. Elle révèle l'impuissance d'un État qui n'a plus les moyens d'être informé et encore moins d'exercer une influence sur un grand groupe industriel comme Alstom . En effet, Alstom était alors une entreprise à capitaux privés et l'État n'était donc pas représenté au conseil d'administration, de sorte que rien, juridiquement, n'obligeait les dirigeants à prévenir les pouvoirs publics de leur projet de cession.

Par ailleurs, à cette date, les activités d'Alstom - tant en ce qui concerne les transports que l'énergie - étaient situées en-dehors du champ de la procédure d'autorisation préalable des investissements étrangers prévue par l'article R. 153-2 du code monétaire et financier. N'ayant pas à craindre in fine un refus de l'État, les dirigeants d'Alstom n'étaient donc pas non plus incités à informer en amont les pouvoirs publics.

Enfin, les conditions dans lesquelles Alstom a quasiment finalisé un accord avec GE révèlent que placer à la tête des grandes entreprises françaises des dirigeants issus de la « noblesse d'État » ne permet plus à soi seul d'assurer le relai des intérêts publics . Patrick Kron, qui a fait le choix de vendre l'un des fleurons industriels français sans même en informer le Gouvernement, est un pur produit de cette noblesse d'État : un X-Mines, passé par le ministère de l'industrie et qui a démarré sa carrière d'industriel dans un groupe nationalisé.

b) La présentation formelle d'une offre de General Electric au conseil d'administration d'Alstom

Le 30 avril 2014, seulement une semaine après la révélation par la presse du projet de cession, est publié un communiqué de presse d'Alstom. Il annonce que :

- le conseil d'administration du groupe a reçu une offre ferme 32 ( * ) de GE relative à l'acquisition de ses activités « Énergie ». Le périmètre de l'opération couvrirait les secteurs Thermal Power , Renewable Power et Grid , ainsi que les services centraux et partagés. Le prix proposé est de 12,35 Md€ ;

- le conseil d'administration d'Alstom a reconnu à l'unanimité les mérites stratégiques et industriels de l'offre de GE et décidé de mettre en place un comité d'administrateurs indépendants conduit par Jean-Martin Folz 33 ( * ) pour procéder, avant la fin du mois de mai 2014, à un examen approfondi de cette offre ;

- dans le cadre de cette offre ferme, Alstom ne pourra pas solliciter d'autres offres de la part de tiers pour l'acquisition de tout ou partie de ses activités « Énergie ». Cependant, le groupe conserve le droit de répondre à des offres non sollicitées et d'entrer en discussions avec des candidats dont le sérieux et l'intérêt des projets pourraient conduire à une meilleure offre pour Alstom. Si le conseil d'administration d'Alstom décidait de soutenir un autre projet, Alstom devrait toutefois verser à GE une indemnité de rupture égale à 1,5 % du prix d'acquisition, soit 185 M€.

Enfin, le communiqué insiste sur les « complémentarités quasi parfaites » des portefeuilles d'Alstom et de GE dans l'énergie.

c) Le retour de l'État dans le dossier et les contrepropositions des concurrents de General Electric

Dès l'annonce du projet de cession à GE, le groupe Siemens propose une contre-offre. Le conseil d'administration d'Alstom indique ainsi le 30 avril 2014 avoir pris connaissance d'une déclaration d'intérêt de Siemens concernant une proposition alternative .

Cette proposition initiale de Siemens, encore à l'état d'ébauche, porte à la fois sur les activités « Énergie » et « Transports » d'Alstom. Le groupe allemand propose en effet de reprendre l'activité « Énergie » et, en contrepartie, de céder partiellement sa branche « Transports » (à savoir les trains à grande vitesse et les locomotives, ainsi que les rames de métro 34 ( * ) , mais pas la signalisation) en complétant cet échange d'actifs par le versement d'une somme en cash. Le discours qui accompagne cette offre évoque l'ambition de créer deux champions industriels européens, l'un dans le transport ferroviaire autour d'Alstom, l'autre dans l'énergie, autour de Siemens.

En réaction, l'État décide immédiatement de renforcer les outils réglementaires dont il dispose pour contrôler les investissements étrangers .

Le décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers modifie ainsi l'article R. 153-2 du code monétaire et financier afin d'étendre le champ de la procédure d'autorisation préalable des investissements étrangers à de nouveaux secteurs d'activité sensibles, parmi lesquels l'énergie et les transports 35 ( * ) . Cette réforme permet de conditionner immédiatement le rachat d'Alstom par GE à l'accord du Gouvernement . L'État peut dès lors utiliser ce moyen de pression pour encourager Alstom à prendre en compte l'offre de Siemens et pour inciter ainsi General Electric à tenir compte des conditions posées par l'État.

La déclaration d`intérêt de Siemens tarde cependant à se transformer en offre ferme. Le groupe allemand, qui a démarré son étude détaillée des activités d'Alstom au début de mai, demande le 20 mai, dans une lettre adressée à la direction d'Alstom, à disposer d'informations supplémentaires afin de mieux évaluer les risques liés aux litiges en cours d'Alstom 36 ( * ) , ainsi que les risques liés à certains gros contrats d'Alstom. C'est le signe de certaines hésitations de la part de Siemens . Il semble que, de son côté, Alstom n'ait pas profité du mois de mai pour conduire sa propre due diligence des actifs ferroviaire de Siemens, signe que le groupe français ne porte pas un réel intérêt à l'offre allemande d'échanges d'actifs.

Le 11 juin 2014, un troisième protagoniste entre publiquement dans le processus de négociation . Siemens et Mitsubishi Heavy Industries (MHI) annoncent en effet qu'ils étudient une offre commune pour le rachat du pôle « Énergie » d'Alstom. Cette offre est dévoilée le 16 juin suivant.

Dans ce cadre, MHI propose de créer trois coentreprises avec Alstom en rachetant 40 % de l'activité « Turbines à vapeur » du groupe français (celles pour le nucléaire inclus), 20 % de ses actifs dans les réseaux électriques et 20 % de l'activité « Hydroélectricité ». Le montant de cette transaction serait de 3,1 Md€. MHI propose en outre d'entrer au capital d'Alstom à hauteur de 10 % ;

Siemens propose, pour sa part, de racheter 100 % de l'activité d'Alstom dans les turbines à gaz, en incluant les contrats de service afférents, pour un montant de 3,9 Md€.

En revanche, l'offre initiale de Siemens de rapprocher les activités « Transports » de Siemens et d'Alstom ne figure plus dans la nouvelle mouture. Il n'est désormais plus question ni de champion européen de l'énergie ni de champion européen du ferroviaire .

2. La finalisation de l'accord
a) La nouvelle offre de General Electric

L'accord de l'État étant désormais indispensable à la finalisation de la transaction, le 19 juin 2014, le groupe américain fait une nouvelle proposition qui s'articule en plusieurs points :

- la création avec Alstom de co-entreprises dans trois domaines sensibles . C'est le cas dans le nucléaire où l'État français disposerait par ailleurs d'actions de préférence avec un droit de veto sur certaines décisions, ainsi que de la propriété intellectuelle de la technologie des turbines à vapeur « Arabelle ». C'est le cas aussi dans le domaine de l'énergie renouvelable (hydraulique, éolien en mer), ainsi que dans les réseaux d'énergie (branche « Grid »). Dans ces trois coentreprises, le contrôle opérationnel et la gestion courante restent sous l'autorité de GE, mais la partie française continue à peser dans le capital et la gouvernance. S'agissant du thermique traditionnel (turbines à vapeur des centrales à charbon et à gaz, alternateurs), GE maintient en revanche son offre d'achat des actifs à 100 % ;

- l'implantation en France de plusieurs centres de décision du groupe GE . La France accueillerait ainsi cinq sièges mondiaux : Hydro, Éolien en mer, Grid Solutions, Power Conversion et Renewable Energy, ce dernier étant même un siège de premier rang rendant compte directement à la direction mondiale de GE ;

- la cession de la signalisation ferroviaire de GE à Alstom 37 ( * ) ;

- des engagements en matière d'emploi et d'investissement. GE s'engage à créer 1 000 emplois nets en France dans les trois ans suivants la conclusion définitive du rachat de la division « Power » d'Alstom (soit d'ici à fin 2018). Il s'engage aussi à faire de Belfort le centre d'excellence mondial de GE pour les turbines à gaz de 50 Hz.

b) Le feu vert sous condition de l'État à l'offre de General Electric

Le 20 juin 2014, l'État rend publique 38 ( * ) sa préférence pour l'offre de GE tout en posant des conditions qui correspondent aux concessions faites la veille par GE concernant les co-entreprises dans le domaine des turbines des centrales nucléaires d'EDF, dans celui des réseaux énergétiques et dans celui des énergies renouvelables. Le lendemain, 21 juin, l'État signe un protocole d'accord avec GE et Alstom relatif au rachat des activités énergie d'Alstom par General Electric.

Par ailleurs, le Gouvernement indique son intention d'entrer dans le capital d'Alstom à hauteur de 20 % et de devenir le principal actionnaire de cette entreprise, sans expliquer toutefois clairement de quelle manière il entend peser sur l'avenir de l'entreprise grâce à cette prise de participation minoritaire. Un accord est conclu dès le surlendemain avec le groupe Bouygues. Pendant la période de vingt mois suivant la finalisation de la transaction avec General Electric, l'État bénéficiera de la part de Bouygues d'un prêt de titres Alstom lui permettant d'exercer 20 % des droits de vote et d'accéder au conseil d'administration de l'entreprise. L'État dispose par ailleurs d'une option d'achat d'un maximum de 20 % du capital d'Alstom détenu par Bouygues au prix du marché, sous réserve que ce prix soit supérieur ou égal à 35 €. Au terme de ces vingt mois et pendant huit jours de bourse, l'achat pourra se faire au prix du marché pour un maximum de 15 % du capital d'Alstom.

c) L'accord définitif

Après l'accord de principe obtenu en juin 2014, les négociations aboutissent à un ensemble d'accords relatifs aux co-entreprises, signés le 4 novembre 2014. Le processus d'autorisation a reposé sur la signature préalable de neuf documents contractuels relatifs aux engagements entre l'État, Alstom, GE, EDF et Areva :

- l'accord entre GE et l'État précisant les modalités de maintien des sièges, ainsi que le développement de l'activité du site de Belfort, et d'engagement de création nette de 1 000 emplois sous trois ans sur le périmètre de ses activités en France (ex-GE + ex-Alstom). Des mesures de compensation financière ont été prévues en cas de non-respect de ces objectifs (50 k€ par emploi non créé). GE s'est également engagé à la nomination d'un haut dirigeant français au conseil d'administration de GE, à la mise en place d'une charte de bonnes pratiques avec les sous-traitants, au maintien des sites de fabrication et à la localisation des quartiers généraux en France ;

- deux accords relatifs à la formation de la société commune relative aux activités nucléaire (GEAST) impliquant GE, Alstom et l'État : le « formation agreement » et le « shareholder agreement ». Une action de préférence a été octroyée à l'État afin de sécuriser les enjeux nucléaires français ;

- quatre accords de pérennité des activités nucléaires impliquant GE, Alstom, EDF, Areva et l'État (services au parc EDF en exploitation, offres de fourniture de turbine pour les projets de nouveaux réacteurs), articulés autour de deux contrats cadres et de deux licences de transfert de propriété intellectuelle en cas de défaillance de GEAST. En particulier, la propriété intellectuelle relative aux turbines de forte puissance Arabelle a été sécurisée ;

- deux accords relatifs à la formation des co-entreprises « Renouvelables » et « Grid » impliquant GE et Alstom, l'État n'intervenant qu'en tant que témoin.

L'ensemble des conditions fixées par l'État ayant été accepté, le ministre de l'économie autorise la transaction le 5 novembre 2014 .

Le 8 septembre 2015 , au terme d'un examen approfondi, la Commission européenne autorise l'acquisition des activités énergétiques d'Alstom par General Electric, sous réserve de la cession à Ansaldo d'actifs majeurs de l'activité « Turbines à gaz de grande puissance » d'Alstom 39 ( * ) .

Les co-entreprises Alstom/GE

GEAST

Énergies renouvelables

Grid

Champ d'activité des coentreprises Alstom/GE

--Ventes mondiales dans le domaine des turbines à vapeur et équipements associés pour les îlots conventionnels de centrales nucléaires ;

-- Activités EPC (Ingénierie, Achats et Construction) en France ;

--Vente et maintenance de produits et services liés aux centrales thermiques à vapeur du groupe GE selon les pratiques actuellement en vigueur, en France.

-- Activités réseaux d'Alstom ;

-- Activités Digital Energy de GE.

-- Activités hydro-électrique, éolien en mer, et hydroliennes d'Alstom

Structure de l'actionnariat

Capital : Alstom 20 %

moins une action ; GE 80 % ;

État français 1 action

Droits de vote : Alstom 50% moins 2 voix / GE 50 % plus 2 voix / L'État français détient une action de préférence lui conférant certains droits de gouvernance.

En capital et en droits de vote :

Alstom : 50 % moins 1 action / GE : 50 % plus 1 action

GEAST

Énergies renouvelables

Grid

Prix d'acquisition

0,1 Md€

1,9 Md€

0,6 Md€

Gouvernance

GE désigne la moitié des membres du conseil ; Alstom l'autre moitié moins 1 voix ; 1 voix pour l'État français.

Voix prépondérante pour le DG nommé par GE.

Alstom et GE désignent chacun un nombre d'administrateurs proportionnel à leur détention en capital dans les co-entreprises.

Voix prépondérante pour le DG nommé par GE

Liquidité

Option de vente :

GE s'est engagé à acquérir toutes les actions détenues par Alstom dans les co-entreprises, à la demande d'Alstom en septembre 2018 ou en septembre 2019, à un prix calculé selon une formule liée aux résultats, étant précisé que ce prix ne pourra être inférieur au prix d'acquisition par Alstom des actions des co-entreprises majoré de 3 % par an depuis la date de réalisation de la cession des activités Énergies à GE. L'option de vente sera également exerçable à tout moment dans certaines circonstances spécifiques, notamment en cas d'introduction en bourse de l'une des co-entreprises ou de transfert à un tiers des actions détenues par GE dans l'une des co-entreprises.

Option d'achat :

GE s'est engagé à céder à Alstom toutes ses actions détenues dans les co-entreprises, à la demande d'Alstom en mai de chaque année de 2015 à 2019 (et en cas d'introduction en bourse de l'une des co-entreprises) à un prix égal à la valeur de marché des actions, sans que ce prix puisse être inférieur au prix d'acquisition par GE des actions des coentreprises majoré de 3 % par an depuis la date de réalisation de la cession des activités Énergies GE.

Les deux décisions administratives préalables à la conclusion de la transaction ayant été obtenue, celle-ci est finalisée le 2 novembre 2015 sur la base de l'accord validé par l'assemblée générale d'Alstom.

3. Quelques éléments de bilan, deux ans après la cession de la branche « Énergie » à General Electric
a) Des créations d'emplois moins nombreuses que prévu

Lors de leur audition par la mission d'information, Corinne de Bilbao, présidente de GE France, et Jérôme Pécresse, président-directeur général de GE Renewable Energy, ont indiqué que, depuis l'acquisition de la branche « Power », GE avait créé environ 2 500 emplois en France en chiffres bruts. On peut signaler en particulier quatre initiatives importantes :

- l'initiative « jeunes talents », dont l'objectif est de faire éclore la prochaine génération de leaders de GE en France (environ 130 emplois ont été créés dans ce cadre) ;

- la création d'un centre software à Paris, la Digital Foundry , centre d'excellence pour les logiciels (110 emplois créés) ;

- la création d'un centre de services partagés à Belfort pour gérer les services communs et les infrastructures de support pour toutes les entités de GE en France (200 emplois créés) ;

- des créations d'emplois industriels dans différents sites de GE en France (200 emplois créés).

Par ailleurs, GE investit dans le domaine de l'éolien en mer en vue de créer une filière industrielle dédiée. Il est aujourd'hui le seul groupe industriel à produire nacelles et pales d'éoliennes sur le territoire français, sur les sites de Saint-Nazaire et bientôt de Cherbourg.

Cependant, compte tenu par ailleurs des départs et des réductions de postes intervenus sur la période, au 31 décembre 2017, le bilan des créations nettes de postes s'établit à seulement +400 postes depuis l'entrée en vigueur de l'accord de cession de la branche « Power » d'Alstom.

Il est donc peu vraisemblable que l'engagement de création de 1 000 emplois nets soit tenu par GE d'ici à la fin de 2018. On peut y voir un échec et, de fait, au regard des prévisions initiales, cela en est un. Dans l'exécution de l'accord passé entre GE et l'État, les contreparties financières (qui juridiquement ne peuvent être considérées comme des sanctions) prévues pour les emplois non créés devront donc être mises en oeuvre, ce qui pourrait représenter pour GE une pénalité de l'ordre de 20 à 25 M€.

b) Des engagements sur l'emploi dont il ne faut cependant pas négliger la portée

On peut néanmoins nuancer l'ampleur de cet échec vraisemblable en tenant compte de deux faits.

D'une part, l'évolution du marché mondial de l'énergie thermique a été très défavorable depuis l'achat de la branche « Power » d'Alstom par GE. Comme on l'a souligné précédemment, le basculement rapide et massif du mix énergétique mondial de l'énergie thermique vers les énergies renouvelables était à l'oeuvre bien avant ce rachat, comme en témoignent les difficultés commerciales et financières d'Alstom entre 2009 et 2014. Or, le marché de l'énergie thermique, morose avant 2014, s'est effondré par la suite. GE a d'ailleurs clairement reconnu, à la fin de 2017, s'être trompé dans l'anticipation des débouchés commerciaux et des gains que génèrerait l'acquisition d'Alstom « Power ». Cette dernière était certes une division dotée de technologies de pointe et d'un personnel à la compétence et à l'efficacité mondialement reconnues, mais si GE avait correctement anticipé ses perspectives commerciales, il aurait sans doute proposé un prix d'achat inférieur. La promesse de GE de créer 1 000 postes nets en 2014 est sans doute à rapprocher de ces anticipations économiques optimistes mais erronées.

D'autre part, alors que GE et Siemens ont entrepris une restructuration drastique de leur activité « Énergie » au niveau mondial, avec pour conséquence des destructions massives de postes 40 ( * ) , la France est largement épargnée pour l'instant . GE n'a pas inclus les anciens sites français d'Alstom dans son plan de restructuration, hormis pour la branche hydraulique dont la problématique est très particulière. Cette relative préservation des emplois français dans le domaine de l'énergie thermique est sans doute une conséquence heureuse des engagements pris par GE en 2014 en matière de création d'emplois dans notre pays. Si l'objectif de création de 1 000 emplois nets ne sera sans doute pas atteint in fine , il est vraisemblable qu'il a incité GE à préserver certains emplois menacés pour éviter d'afficher un résultat trop éloigné de cette cible . C'est un point à mettre au crédit de l'accord, mais qui doit aussi attirer la vigilance des pouvoirs publics, puisque, à partir de 2019, GE ne sera plus lié par cet accord.

Votre mission d'information estime que, pour éviter les effets sur l'emploi liés à l'existence d'une date couperet, il serait judicieux, à l'avenir, de négocier des accords sur la création ou la préservation des emplois dont la sortie est progressive.


* 30 www.challenges.fr/entreprise/alstom-ge-comment-tout-a-commence-la-chronologie-secrete-des-evenements_4916

* 31 Au cours de ce déplacement, le patron français n'est pas inquiété par la justice américaine, alors même qu'Alstom est sous le coup d'une enquête pour faits de corruption menée par le Département de la justice américain et que ce dernier a précédemment interpellé et incarcéré Frédéric Pierucci dans le cadre de cette même enquête. Or, ce dernier rapporte directement à Patrick Kron. Ce traitement asymétrique est curieux.

* 32 Cette offre a été formellement transmise au conseil d'administration d'Alstom le 26 avril 2014, comme l'indique le document de référence 2015/2016 d'Alstom, page 20.

* 33 Ancien PDG de Peugeot, ancien président de l'Afep et alors membre de plusieurs conseils d'administration (Saint-Gobain, Axa, Solvay, Société générale et Eutelsat, qu'il préside).

* 34 La toute première offre communiquée le 27 avril 2014 ne comprenait pas les métros, mais Siemens les a ajoutés quelques jours plus tard pour donner plus de poids à sa proposition.

* 35 Sont visés les activités suivantes portant sur des matériels, des produits ou des prestations :

a) Intégrité, sécurité et continuité de l'approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique ;

b) Intégrité, sécurité et continuité de l'approvisionnement en eau dans le respect des normes édictées dans l'intérêt de la santé publique ;

c) Intégrité, sécurité et continuité d'exploitation des réseaux et des services de transport ;

d) Intégrité, sécurité et continuité d'exploitation des réseaux et des services de communications électroniques ;

e) Intégrité, sécurité et continuité d'exploitation d'un établissement, d'une installation ou d'un ouvrage d'importance vitale au sens des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense ;

f) Protection de la santé publique.

* 36 Notamment en ce qui concerne l'accusation de corruption lancée par la justice américaine.

* 37 Cela est présenté comme un atout pour un Alstom recentré sur le ferroviaire, alors que c'est plus probablement un moyen de faire baisser la facture de l'acquisition d'Alstom « Power »...

* 38 http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/17633.pdf

* 39 La Commission européenne a estimé qu'avec ses turbines GT 26 et GT 36, Alstom est présente sur les deux segments des turbines à gaz de grande puissance, qui sont les plus avancés sur le plan technologique. Cela fait d'Alstom un concurrent proche et important de GE et de Siemens, que ce soit d'un point de vue technologique ou d'un point de vue commercial. Le risque était grand que la fabrication de certaines turbines à gaz de grande puissance d'Alstom soit interrompue et que le dernier modèle mis au point (GT 36), le plus avancé, ne soit pas commercialisé. Cette perspective inquiétait de nombreux acteurs du marché, notamment de grandes compagnies européennes d'électricité. D'où l'exigence que cette activité d'Alstom soit cédée à Ansaldo.

* 40 Les résultats négatifs de l'activité « Power » et la surcapacité de production mondiale ont conduit GE à annoncer un plan de restructuration de 12 000 personnes au niveau mondial en décembre 2017. Or, le secteur de l'énergie thermique, qui emploie une large majorité des 11 000 salariés de GE dans le secteur de l'énergie en France, n'entre pas dans le champ de ce plan. Les restructurations annoncées par GE en France concernent sa branche Hydro, dont la problématique économique est spécifique.

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