C. UN MOYEN DE RÉDUIRE LA COMPLEXITÉ LÉGISLATIVE OU RÉGLEMENTAIRE

1. Des normes qui permettent à la législation ou la réglementation de se borner à prescrire des objectifs à atteindre
a) Mieux jouer de la complémentarité entre normalisation et réglementation

Comme l'avait souligné le Conseil d'État dans son étude sur le « droit souple » en 2013, la normalisation peut participer au recentrage et à l'allégement de la norme juridique - c'est-à-dire le « droit dur » -, qu'il s'agisse de la loi ou du règlement.

La norme volontaire peut en effet entretenir avec la réglementation une relation de complémentarité reposant sur une différenciation conceptuelle de leur rôle :

- la loi ou le règlement , prescriptifs et juridiquement obligatoires pour les acteurs, peut fixer des objectifs à atteindre , en termes par exemple de sécurité des produits ou de qualité essentielle attendue d'un service ou d'un bien. La réalisation et le respect de ces objectifs sont alors juridiquement sanctionnés ;

- la norme volontaire , elle, peut venir à l'appui de la réglementation pour proposer un ou plusieurs moyens techniques reconnus par les pairs comme les mieux à même de réaliser ces objectifs.

Dans cette conception, norme et réglementation ont chacune leur légitimité en assurant une fonction différente l'une de l'autre. Cette relation a été illustrée par le Bureau de normalisation de la construction métallique : dans le domaine de la construction, afin de répondre aux exigences de protection des personnes et des biens, vis-à-vis du risque incendie ou du risque sismique, posés par la réglementation, les normes volontaires fournissent des méthodes d'analyse et des solutions techniques, élaborées de manière consensuelle par les groupes d'experts, sur la base de leurs connaissances techniques et de leur retour d'expériences.

Pour les acteurs du système de normalisation, cette complémentarité présente de nombreux avantages .

Mme Lydie Évrard, alors déléguée interministérielle aux normes, a souligné devant votre rapporteur combien ce rapport de complémentarité permettait de préserver l'innovation : la norme, compte tenu de son mode d'élaboration et de son processus de révision périodique, permet en effet d'épouser au plus près les évolutions de l'état de l'art et, ainsi, d'incorporer dans le corpus de la normalisation les modifications les plus récentes validées par les pairs.

Le Bureau de normalisation des fertilisants a, quant à lui, mis en exergue le fait que les normes volontaires, dans la mesure où elles sont rédigées par les acteurs, peuvent s'appliquer à des situations plus spécifiques et plus précises qu'un texte réglementaire, qui cible un périmètre souvent plus large. En outre, selon le Bureau de normalisation de la céramique, la réglementation peut avoir tendance à s'imposer aux marchés en remettant en cause un environnement établi, alors que les normes volontaires modèlent l'environnement par la concertation des différentes parties prenantes.

Votre rapporteur souligne qu'il ne faut pas, pour autant, tomber dans une vision manichéenne qui conduirait à nier l'importante concertation préalable à l'adoption de la loi ou du règlement, mais il est évident que le fait que les normes soient élaborées par les acteurs eux-mêmes - souvent les ingénieurs des entreprises - et non par les organisations représentatives comme c'est le cas pour la réglementation, confère une proximité « opérationnelle » plus importante à la normalisation. Il partage donc l'appréciation formulée au cours des auditions selon laquelle les conséquences induites par la normalisation volontaire sont souvent plus prévisibles du fait du travail effectué conjointement avec les parties prenantes en amont, permettant une meilleure anticipation des évolutions du marché.

C'est d'ailleurs sur cette complémentarité que s'appuie la « nouvelle approche », retenue - depuis plus de trente ans - par l'Union européenne.

LA « NOUVELLE APPROCHE » DE L'UNION EUROPÉENNE

Dans sa résolution du 7 mai 1985 concernant une nouvelle approche en matière d'harmonisation technique et de normalisation , le Conseil, reconnaissant la contribution de la normalisation à la libre circulation des produits industriels, à la création d'un environnement technique commun à toutes les entreprises, à la compétitivité industrielle tant sur le marché communautaire que sur les marchés extérieurs, a adopté quatre principes fondamentaux pour l'élaboration des directives :

- une harmonisation législative limitée à des exigences essentielles de sécurité (ou d'autres exigences d'intérêt collectif) auxquelles doivent correspondre les produits mis sur le marché et qui, de ce fait, bénéficient de la libre circulation dans l'Union européenne ;

- l'élaboration des spécifications techniques de fabrication confiée aux organes compétents en matière de normalisation industrielle , qui le font en tenant compte de l'état de la technologie ;

- l'absence de caractère obligatoire des spécifications techniques qui conservent leur statut de normes volontaires;

- l'obligation pour les administrations nationales de reconnaître aux produits fabriqués conformément aux normes harmonisées une présomption de conformité aux exigences essentielles établies par la directive. Dans les cas où le producteur ne fabrique pas selon ces normes, la charge de la conformité de ses produits avec les exigences essentielles lui incombe.

Environ quarante textes de l'Union européenne - essentiellement des directives relatives à la sécurité des produits - fondés sur cette nouvelle approche, sont aujourd'hui en vigueur. Environ 4 400 normes harmonisées du CEN-Cenelec et 500 normes harmonisées de l'ETSI en assurent la mise en oeuvre.

Dans leur récent rapport d'information, M. Jean Bizet et plusieurs de nos collègues de votre commission des affaires européennes jugeaient, comme du reste la plupart des personnes entendues lors des auditions conduites par votre rapporteur, la méthode retenue par cette « nouvelle approche » particulièrement pertinente, notamment en ce qu'elle évite la multiplication de textes européens trop précis ou difficiles à faire évoluer. 47 ( * ) De fait, le caractère facilement et périodiquement « révisable » des normes volontaires assure leur actualisation au regard des nouveaux procédés techniques disponibles, pour poursuivre dans de meilleures conditions l'objectif défini par la réglementation européenne.

Le recours à cette approche n'est pourtant pas systématique au sein de l'Union européenne, une partie de la réglementation européenne continuant de fixer des solutions techniques. Tel est le cas du règlement (UE) n° 305/2011 du 9 mars 2011 établissant des conditions harmonisées de commercialisation des produits de construction, qui rend certaines normes en toute ou partie obligatoires et fixe des solutions techniques (en termes de seuils et de classes) par crainte des entraves potentielles aux échanges. Le Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction des bâtiments (BNTEC) estime que, de ce fait, plus de 100 normes du secteur de la construction ne peuvent faire l'objet d'une évolution, ce qui porterait préjudice tant à l'industrie de la construction qu'aux utilisateurs.

En outre, lors de son audition, M. Stéphane Dupré La Tour, président du CCPN, a souligné que l'adoption de directives « nouvelle approche » était entravée ces derniers mois par les craintes soulevées par les services juridiques de la Commission européenne de voir la responsabilité de l'Union européenne engagée à raison du contenu des normes auxquelles font référence les directives, alors pourtant qu'elles sont le fait d'organismes qui ne font pas partie du système institutionnel européen.

Votre rapporteur estime que ces considérations juridiques ne doivent pas conduire à abandonner un système qui a fait ses preuves depuis trente ans. Il estime au contraire que la France doit elle-même davantage recourir, pour sa propre législation ou réglementation, à cette approche basée sur la complémentarité.

b) Favoriser davantage le recours à la « nouvelle approche » en France

Dans leurs contributions écrites, le Bureau de normalisation du pétrole comme l'Union de normalisation de la mécanique indiquaient que la normalisation volontaire était de nature à réduire la complexité administrative à condition que l'administration intègre en contrepartie une réduction ou , à tout le moins, une simplification des réglementations qui se superposent au corpus de la normalisation . Votre rapporteur partage pleinement ce constat.

C'est pourquoi elle regrette qu'en ce qui concerne sa propre législation ou réglementation, la France n'ait pas formalisé le recours à la « nouvelle approche ».

Certes, en termes de légistique, c'est bien l'une des voies retenues par le pouvoir réglementaire. Ainsi, la direction générale des entreprises, au sein du ministère de l'économie et des finances, publie désormais un Guide relatif au bon usage de la normalisation dans la réglementation qui promeut en partie une telle approche. On peut d'ailleurs citer un exemple récent d'une telle approche, relevé par plusieurs interlocuteurs de votre rapporteur : l'arrêté du 19 septembre 2016 relatif aux caractéristiques des gants portés par les conducteurs et les passagers de motocyclette, de tricycle à moteur, de quadricycle à moteur ou de cyclomoteur. Afin de mettre en oeuvre l'obligation, désormais prévue par l'article R. 431-1-2 du code de la route, pour tout conducteur ou passager d'un de ces véhicules de porter des gants conformes à la réglementation relative aux équipements de protection individuelle, cet arrêté renvoie au « marquage CE », lequel ne peut être apposé que si ces équipements répondent à la norme NF EN 13594 juillet 2003 « Gants de protection pour motocyclistes professionnels - Exigences et méthodes d'essai ».

Cependant, il semble exister encore des réticences, dans certains ministères techniques , à faire évoluer la réglementation vers une plus grande place laissée aux activités de normalisation. Selon les représentants des entreprises entendus, cette situation provient en partie d'un manque d'horizontalité dans l'approche légistique, chaque ministère technique adoptant l'approche qu'il estime être la plus légitime.

Votre rapporteur estime donc qu'une plus grande formalisation d'une telle approche devrait être opérée, qu'il s'agisse du domaine de la loi ou du domaine du règlement. Elle traduirait ainsi un principe de subsidiarité et de complémentarité : la législation et la réglementation devraient limiter leur champ aux objectifs à atteindre en matière de qualité et de sécurité, laissant à la normalisation le soin de définir les moyens techniques les plus efficients pour y parvenir.

Recommandation n° 6 : Mieux affirmer le principe de la complémentarité de la réglementation et de la normalisation, en laissant à la norme le soin de définir les modalités techniques pour atteindre les objectifs de sécurité et de qualité fixés par le législateur ou le pouvoir réglementaire.

2. Tirer réellement parti du caractère volontaire des normes

Dans certains secteurs où la sécurité et la protection des personnes et des biens sont moins en cause, un processus de déréglementation peut également être envisagé au profit des normes volontaires. Ce phénomène doit d'abord passer par une réduction du nombre des normes d'application obligatoire.

a) Ne conférer un caractère d'application obligatoire aux normes qu'à titre très exceptionnel

La faculté offerte par l'article 17 du décret du 16 juin 2009 de rendre d'application obligatoire une norme volontaire est une facilité à laquelle le Gouvernement devrait ne recourir qu'à titre très exceptionnel .

Elle est certes utilisée, le plus souvent, dans des domaines où les pouvoirs publics ont jugé indispensable, pour des motifs de sécurité des personnes ou des biens, de retenir des spécifications techniques particulières, à l'exclusion de toute autre. Ainsi, selon M. Stéphane Dupré La Tour, président du CCPN, plus de la moitié des normes rendues d'application obligatoire relèvent du secteur de l'énergie. Tel est le cas, notamment, dans le domaine des installations électriques, de la norme NF C 15-100 « Installations électriques à basse tension ». Néanmoins, si cette dernière norme comporte, à l'évidence, des prescriptions destinées à assurer la sécurité des installations, il faut relever que d'autres peuvent être vues comme relevant davantage d'une volonté d'assurer un confort optimum de l'usager, ce qui est différent.

En revanche, il est très surprenant de rencontrer des normes d'application obligatoire pour des produits qui, manifestement, ne présentent aucun risque technique avéré. Un des exemples les plus contestables de l'utilisation de cette faculté est sans doute donné par la norme NF D27-405 Mars 2010 « Boîtes aux lettres à ouverture totale recommandées pour toutes habitations », qui prévoit divers procédés de fabrication et d'installation des boîtes aux lettres...

Votre rapporteur estime donc que seuls des impératifs de sécurité ou de santé publiques devraient conduire à rendre certaines normes d'application obligatoire. Et encore convient-il de n'y recourir qu'avec la plus grande parcimonie, dans la mesure où cette faculté soulève des inconvénients majeurs.

D'une part, elle méconnaît l'objet même de la normalisation - on peut même parler de son « avantage comparatif » par rapport à la réglementation - qui est de suggérer une voie technique à la réalisation d'objectifs de sécurité ou de qualité.

D'autre part, ainsi que l'a souligné M. Valéry Laurent, directeur du BNTEC, le fait de rendre des normes volontaires d'application obligatoire présente le risque de « cadenasser » le marché en bloquant la possibilité de voir d'autres solutions plus performantes se développer pour le plus grand profit des consommateurs. À l'extrême, ce mécanisme peut même créer des « parts de marché » non souhaitables privilégiant telle ou telle solution au regard des règles de la concurrence.

L'exemple en serait donné, en particulier, par les normes « NF DTU ». Rendues d'application obligatoire, ces normes décrivent des clauses types de marchés de travaux. Selon le rapport du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) sur la normalisation dans le secteur du Bâtiment 48 ( * ) , cette situation freine l'optimisation des contrats et le pouvoir de négociation des parties, tenues de respecter un contrat-type figé par la réglementation, et confèrerait par ailleurs un aspect réglementaire à des normes volontaires utilisées parfois à charge contre les acteurs.

Enfin, surtout, il pose des problèmes juridiques d'accès à la norme , dès lors que les normes volontaires sont couvertes par des droits de propriété intellectuelle dont sont titulaires les organismes de normalisation qui exigent, en contrepartie de leur diffusion, une rémunération. 49 ( * )

Dans ces conditions, les dispositions du décret du 16 juin 2009 devraient être modifiées afin d'affirmer plus encore le caractère exceptionnel de la faculté posée par son article 17 et de réserver expressément son utilisation à des situations dans lesquelles l'impératif de sécurité ou de santé publique impose nécessairement le recours à une norme spécifique.

Recommandation n° 7 : Réserver à des situations exceptionnelles, lorsque l'impératif de sécurité ou de santé publique l'impose véritablement, la possibilité de rendre une norme d'application obligatoire.

En outre, M. Stéphane Dupré La Tour a souligné que certaines des normes rendues obligatoires par la réglementation française étaient particulièrement anciennes, ayant parfois trait à des technologies pratiquement disparues, comme celles relatives aux cuisinières à charbon ou au papier carbone utilisé en son temps pour les machines à écrire...

Par ailleurs, d'autres normes visées par la réglementation ont été révisées, sans pour autant que la réglementation elle-même ait pris en considération ces modifications, de sorte que celle-ci renvoie aujourd'hui à des versions de normes annulées par les organismes de normalisation et qui, d'un point de vue technologique, sont dépassées. Un exemple, parmi d'autres, est donné par l'arrêté du 4 mars 1996, toujours en vigueur, portant codification des règles de conformité des matériels à gaz aux normes les concernant lorsqu'ils sont situés à l'intérieur des bâtiments d'habitation et de leurs dépendances ainsi que dans les caravanes, autocaravanes et fourgons aménagés, qui rend notamment d'application obligatoire la norme NF E29-190-2 Mai 2011 « Appareils de régulation de pression de gaz (régulateurs) pour réseaux de distribution et branchements - Partie 2 : régulateurs de type B », pourtant annulée le 15 novembre 2014 à l'issue de sa révision périodique par les instances de normalisation...

Or, une telle situation est d'autant plus condamnable lorsque des impératifs de sécurité sont en cause, puisque cela interdit aux acteurs de suivre des spécifications techniques plus récemment développées, le cas échéant mieux à même de protéger les personnes et les biens contre la survenue de certains risques.

Votre rapporteur estime donc que, lorsque le choix a été fait de rendre une norme d'application obligatoire, il est indispensable que les services ministériels réévaluent périodiquement l'intérêt de ce choix, à l'aune notamment d'une révision de la norme concernée. Et, si ce choix est maintenu, il convient alors que l'acte réglementaire vise précisément cette norme dans sa version révisée.

Recommandation n° 8 : Lorsqu'une norme a été rendue d'application obligatoire, réévaluer périodiquement l'intérêt de ce choix, à l'aune notamment d'une révision de la norme concernée.

b) Tirer pleinement avantage du caractère volontaire des normes

Le « standard » issu de l'activité de normalisation est souvent imposé dans les relations contractuelles ou quasi-contractuelles afin de déterminer des exigences de qualité et, dans le même temps, de disposer d'un référentiel pratique pertinent pour définir les conditions techniques dans lesquelles une prestation devra être exercée et, le moment venu, pour déterminer que la prestation a effectivement respecté les préconisations mentionnées dans ce référentiel. C'est, du reste, l'une des raisons pour lesquelles on trouve souvent, dans les contrats privés ou les contrats de marchés publics, des renvois aux « normes en vigueur » pour leur exécution.

Cependant, ainsi que le relève le rapport de la mission d'évaluation du CSCEE, « [C]e qui pouvait encore être vrai au début du vingtième siècle, ne l'est plus du tout aujourd'hui : un professionnel ne peut plus se vanter de connaître toutes les règles de l'art potentiellement rattachées à ses activités. Les maîtres d'ouvrage (sachant ou non, publics ou privés) ou les acteurs de la maîtrise d'oeuvre sont dans la même situation. Par habitude, les pièces de marché qu'ils rédigent renvoient « aux normes en vigueur » dans le contrat, en oubliant souvent la part de travail préalable à faire vis-à-vis de ces « normes » pour que le marché soit un contrat bien construit et équilibré. Cette situation n'est pas acceptable et est source systématique de litiges. » 50 ( * )

Pourtant, l'un des avantages de la normalisation par rapport à la réglementation est bien que les intéressés ne sont pas tenus d'appliquer les normes volontaires nouvelles ou les versions éventuellement révisées de ces normes. Il en va ainsi, en particulier, lorsque les normes imposent des nouvelles exigences qui, dans le cadre d'un bilan coût/avantage, peuvent apparaître inutiles. Il n'est pas nécessaire de rechercher toujours la meilleure qualité technique abstraite d'un produit ou d'une prestation : il faut l'adapter aux besoins réels, ce qui n'impose pas nécessairement le recours à la dernière norme publiée ...

S'exprimant au titre du Bureau de normalisation des techniques et des équipements de la construction des bâtiments, M. Valéry Laurent a ainsi évoqué devant votre rapporteur quelques exemples dans le domaine de la construction : d'une part, l'utilisation des « Eurocodes » (normes de calcul) qui peut nécessiter l'achat de nouveaux logiciels et une formation spécifique qui ne sont pas toujours à la portée de l'ensemble des acteurs ; d'autre part, l'application de normes industrielles de produits de construction, notamment en menuiserie ou en sécurité incendie, qui imposent certains modes de preuves parfois coûteux alors que des modélisations ou des partages d'expériences pourraient tout autant être utilisés.

Il convient donc que les acteurs d'un secteur économique (qu'il s'agisse des donneurs d'ordres - notamment les collectivités territoriales pour leurs marchés publics - comme des prestataires ou fournisseurs) soient conscients du fait :

- qu'ils peuvent ne décider d'appliquer les normes que si cette application leur paraît techniquement ou économiquement judicieuse, et en rapport avec l'attente de leur donneur d'ordre ;

- qu'ils peuvent sélectionner, entre les différentes normes disponibles, celles qui conviennent le mieux à leur stratégie et leur activité.

Recommandation n° 9 : Mieux informer les acteurs économiques, notamment les PME et TPE, que les normes sont, avant tout, d'application volontaire et qu'ils peuvent en outre choisir, parmi plusieurs normes, celles qu'ils considèrent les mieux à même assurer la bonne exécution de leur prestation.

Pour ce faire, néanmoins, il faut que se développent véritablement une évaluation de la qualité de la norme et une information sur celle-ci.

c) La nécessité de développer une évaluation de la « qualité » des normes

Une fois une norme adoptée et publiée, est-elle pour autant adaptée à tous les acteurs d'un secteur économique ? La question est réelle et reste sans réponse efficace à ce jour.

Actuellement, ce n'est qu'au bout de quelques années que l'on peut juger qu'une norme est ou non adaptée aux besoins réels des acteurs. Ainsi que l'a souligné M. Alain Costes, directeur de la normalisation d'AFNOR, la qualité d'une norme se juge in fine par son application concrète ou non par les acteurs économiques. Seul son échec ou son succès commercial atteste donc de sa qualité.

Il n'existe en revanche pas d'analyse véritablement critique de la qualité de la norme lorsque celle-ci est publiée, qui mettrait en exergue ses apports et ses contraintes. Le postulat est que, dès lors qu'elle émane du consensus des acteurs, une norme est censée être pertinente. Pourtant, tel n'est pas toujours le cas pour tous les opérateurs économiques d'un secteur déterminé. Ainsi, une norme facilement applicable dans une grande entreprise, ou dans un secteur d'activité spécifique, ne le sera pas nécessairement dans une ETI, une PME ou une TPE sous-traitante... En particulier, les normes « transversales » qui se développent en matière d'énergie, de santé, de rémunération, de gestion du risque ou de gestion RH peuvent, par la rigidité d'organisation qu'elles promeuvent, conduire à ajouter des contraintes particulièrement lourdes pour les plus petites entreprises.

Certes, pour bénéficier d'une information « qualité » de la part des utilisateurs des normes, l'AFNOR a mis en place depuis février 2017, pour chaque nouvelle norme qu'elle publie, un « QR code » permettant aux utilisateurs de la norme d'adresser directement à l'AFNOR leurs commentaires ou observations. Ce dispositif technique est de nature à faciliter le « retour » des acteurs économiques sur les défauts ou malfaçons qu'ils y auraient décelé, mais il est trop récent pour déterminer s'il remplit efficacement un rôle d'information sur la qualité de la norme.

Aussi, pour que les acteurs économiques puissent être véritablement informés sur l'intérêt d'une norme, le rapport de la mission d'évaluation du CSCEE préconise-t-il de rendre publique « l'évaluation » opérée par l'AFNOR, en liaison avec la direction générale des entreprises, dans le cadre de la procédure d'homologation des normes européennes ou internationales.

En effet, de façon systématique, l'AFNOR recense les éléments saillants de la procédure d'élaboration des normes avant leur homologation. Établi sous la forme d'une « grille à points », ce travail reprend notamment les éléments suivants :

- la position de la commission française au moment de l'inscription au programme - les normes franco-françaises étant jugées utiles a priori ;

- le degré de priorité donné au sujet par la commission ;

- l'utilisation de la norme pour la certification ; son positionnement par rapport à la réglementation ; son caractère de norme fondamentale ou de norme horizontale d'intérêt général ;

- la position de la commission française au moment de l'approbation formelle du document ;

- l'évaluation globale.

Lors de son audition, M. Valéry Laurent, directeur du BNTEC, a indiqué que la diffusion des résultats de ce recensement pourrait faciliter la détermination par les acteurs de la norme la plus pertinente en cas de normes dissemblables susceptibles de s'appliquer à une même opération. Cependant, M. Alain Costes, directeur de la normalisation d'AFNOR, a insisté sur le fait que ce travail était avant tout un « quality check », c'est-à-dire portait sur le respect des étapes du dispositif d'élaboration sans véritablement apporter d'appréciation qualitative sur la norme adoptée. Du reste, cette grille d'analyse devrait faire l'objet d'une refonte dans le cadre du contrat d'objectifs 2016-2018 conclu entre l'État et AFNOR.

La mise à disposition au public d'un résumé factuel et objectif de la position des acteurs du processus d'élaboration d'une norme pourrait sans doute permettre de mieux appréhender la réalité du consensus qui l'a fait naître. Elle ne pourrait toutefois guère aller au-delà et fournir une véritable évaluation de la « qualité » de la norme.

Votre rapporteur estime d'ailleurs qu'il ne serait pas envisageable de demander à l'AFNOR qu'elle procède à une véritable évaluation des avantages ou des contraintes contenus dans telle ou telle norme. Sa légitimité à prendre parti sur la qualité d'une norme qu'elle contribue à produire et dont elle tire profit financier serait en effet assurément discutable. Elle l'est d'autant plus s'agissant des normes CEN/Cenelec, dans la mesure où les règles de la normalisation européenne imposent d'homologuer et de publier en France toute norme européenne, indépendamment de sa pertinence sur le marché français.

En revanche, en ce domaine de la normalisation comme dans d'autres, le rôle des organisations professionnelles peut s'avérer déterminant pour informer les entreprises qui leur sont affiliées des inconvénients, voire des difficultés, que peuvent poser certaines normes pour l'exercice de leur activité.

Par exemple, dans le domaine du bâtiment, la Fédération française du bâtiment (FFB) ou la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), compte tenu de leur participation aux travaux de normalisation, devraient mener encore davantage d' actions « pédagogiques » et, le cas échéant, mettre en garde contre les effets induits de l'utilisation de certaines normes , fussent-elles homologuées, de façon générale ou à l'égard de certains acteurs du marché seulement, notamment les PME et TPE.

Recommandation n° 10 : Inciter les organisations professionnelles à davantage informer les acteurs économiques de leur secteur des contraintes ou des risques liés à l'application de certaines normes pour la conduite de leur activité.

En outre, lorsque des normes adoptées notamment au niveau international ou européen peuvent mettre en cause certaines politiques publiques ou s'avérer contraire aux intérêts stratégiques de la France, il appartient à l'administration d'attirer l'attention des acteurs économiques sur l'effet induit potentiellement néfastes de celles-ci.


* 47 Simplification du droit : une nécessité pour l'Union européenne , rapport d'information n° 387 (2016-2017) précité, p. 9.

* 48 Rapport de la mission de réflexion sur la normalisation appliquée au secteur du bâtiment, CSCEE, 12 juillet 2016.

* 49 Voir infra, p. 99.

* 50 Rapport précité, 12 juillet 2016.

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