Annexes

Annexe 1

Texte complet des contributions de Sabrina Dahache

Annexe 2

Présentation des intervenants

Annexe 1 - Texte complet des contributions de Sabrina Dahache 12 ( * )

TEXTE DE LA COMMUNICATION À LA TABLE RONDE N°1

« DES DÉFIS À RELEVER »

La place des femmes dans l'agriculture a longtemps été marquée par une relative invisibilité sociale et politique, ainsi que par un retard important dans la législation (Dahache, 2011, 2012, 2015b ; Dahache et Rieu, 2008, 2009). Cette invisibilité a contribué à les enfermer dans leur rôle d'épouse secondant les hommes dans les exploitations agricoles. Elles exerçaient leur métier par délégation, sous la tutelle maritale. Cette délégation se déclinait aussi bien du côté de l'activité agricole que du côté des tâches familiales et domestiques (Dahache et Rieu, 2007, 2008, 2009).

Dans le contexte de l'exode rural féminin et du célibat masculin (Bourdieu, 1993), des générations de filles et d'épouses d'agriculteurs ont développé des revendications propres visant l'accès à un travail émancipateur, une indépendance économique, et plus largement une reconnaissance professionnelle (Lagrave, 1987). Les successives lois d'orientation agricoles ont fait lentement progresser leur statut et leur place dans les exploitations 13 ( * ) (Dahache, 2013b, 2015b ; Dahache et Rieu, 2007, 2008, 2009). À partir des années 2000, l'intégration de la problématique de l'égalité femmes-hommes dans l'agriculture 14 ( * ) et l'approche de l'égalité des chances dans l'enseignement agricole ont ouvert un champ propice à l'accès des femmes au métier d'agricultrice (Dahache, 2006, 2008, 2011, 2012, 2013a et b, 2015b). Mais, de nombreux mécanismes de reproduction du monde agricole comme la sexuation des formations, la fabrique continuelle des inégalités de genre dans l'accès à la profession agricole et la modeste féminisation du groupe professionnel des agriculteurs viennent nuancer ces avancées (Dahache, 2010, 2011, 2012, 2013a et b, 2015b).

Je montrerai tout d'abord comment la diversité des statuts juridiques des agricultrices s'inscrit dans des réalités socio-professionnelles hétérogènes. Il s'agira ensuite d'examiner la complexité des mécanismes précis des différenciations entre les hommes et les femmes en matière de trajectoires et de conditions d'exercice.

1. Des configurations statutaires inégalitaires entre les femmes et les hommes

Selon la MSA, les agricultrices représentent 25.4% des effectifs en 2017. Parmi celles-ci, on trouve des épouses de chefs d'exploitation retraités, des veuves, des conjointes collaboratrices, mais aussi des femmes installées en société et en individuel. Si la part relative de chaque groupe est difficile à mesurer, il existe trois formes d'hétérogénéité :

- en 2014, neuf conjoints collaborateurs sur dix sont des femmes (MSA, 2016).

- Les cheffes d'exploitation agricole et co-exploitantes exercent plus fréquemment que les hommes dans des formules sociétaires (59.1%). Seulement 1/3 de ces sociétés ont au moins une femme dans l'équipe dirigeante (MSA, 2016).

- Enfin, les agricultrices sont sous-représentées parmi les chefs d'exploitation installés à titre individuel (12.6% contre 44% pour les hommes). 60% d'entre elles ont succédé à leur conjoint au moment du départ à la retraire de celui-ci (MSA, 2016).

Ainsi, on retrouve des configurations statutaires résolument non uniformes qui font coexister histoires passées et dynamiques actuelles. Les statuts juridiques des agricultrices ont des caractéristiques différentes en termes de stabilité professionnelle, de protection sociale, de rémunération, de droit de gestion du patrimoine et de reconnaissance du travail (Dahache, 2013b, 2015b). Il faut noter que certaines exploitantes sont encore privées des droits de protection sociale et non de l'obligation de cotisation, faute d'atteindre la superficie minimale d'assujettissement. Enfin, 2 000 à 5 000 femmes exercent encore sans statut juridique dans les exploitations agricoles (MSA, 2016).

Les entrées marquées par l'effet des transferts entre époux, l'ambiguïté des statuts propriétaires et non propriétaires, la diversité des situations socio-économiques, ainsi que la variété des modes d'exercice brouillent les représentations sur les contours de la population des agricultrices et de leur position dans l'agriculture (Dahache, 2013b, 2015b).

2. La complexité des trajectoires d'installation des femmes

Le renouvellement du groupe professionnel des agriculteurs se caractérise par une forte endo-reproduction en lignée masculine, que ce soit lors de la socialisation à la reprise des exploitations agricoles, de la construction de l'orientation scolaire et professionnelle et des transmissions patrimoniales (Dahache, 2004, 2006, 2010, 2011, 2012, 2013a et b, 2015a).

Les normes sexuées dans l'accès à la profession agricole se déploient dans les institutions de l'enseignement agricole et les entreprises formatrices qui sont au premier plan quant à la constitution des processus de ségrégation sexuée et de la sexuation des compétences (Dahache, 2011, 2012, 2013a, 2015a). L'orientation des femmes vers les niveaux d'études générales supérieures se fait plus souvent au détriment d'un passage dans une formation agricole qui conditionne l'attribution de la Dotation Jeune Agriculteur et des emprunts bonifiés 15 ( * ) (Dahache, 2010, 2013b).

L'examen des chaînes des relations famille-école-profession rend compte de la complexité des trajectoires d'installation des femmes qui procèdent plus d'une stratégie de longue date que pour les hommes (Dahache, 2010, 2013b, 2015a). L'accès précoce à la profession agricole demeure rare et répond souvent aux impératifs de remplacer un frère absent ou défaillant du point de vue des projets en matière succession (Dahache, 2010, 2013a et b ; Dahache et Rieu, 2006, 2008) : seulement 13% de filles sont des « héritières agricoles » (Cardon, 2009). On note la fréquence chez les agricultrices de secondes carrières, intervenant après une expérience de travail dans un contexte professionnel plus conventionnel. Une période de chômage, un programme de formation offrant la possibilité d'une reconversion professionnelle, le mariage et le concubinage avec un agriculteur constituent les éléments déclencheurs de l'accès au métier d'agricultrice (Dahache, 2010, 2011, 2013b, 2015b).

Tout au long de la construction du projet d'installation se creusent les disparités entre les femmes et les hommes (Dahache, 2010, 2013b). L'accès aux moyens de production comme condition nécessaire à l'installation demeure complexe pour les femmes, dans un environnement où la pression est forte et concurrentielle (Dahache, 2010, 2013b). Le manque de ressources propres (foncier et bâti) et d'appuis solides s'ajoute à la défiance des organismes préteurs et des bailleurs de terre potentiels (Dahache, 2010, 2011, 2013b). Ces éléments conjugués font qu'elles sont contraintes de se reporter sur les petites unités de production (43% contre 20% pour les moyennes) (MSA, 2016). Les prêts bancaires sont plus modiques pour ces dernières que ceux consentis à leurs homologues masculins. Leur recours à d'autres structures financières (coopératives de production, abattoirs, etc.) accroit leur taux d'endettement au démarrage de leur activité. Il en découle des écarts en termes de durée de prêt, allant entre 25 ans pour les femmes contre 10 ans en moyenne pour les hommes (Dahache, 2010, 2011, 2013b).

3. L'exercice de la profession agricole au prisme des rapports inégalitaires de genre

Loin d'entraîner une symétrie des conditions d'exercice, les expériences vécues au travail et les formes d'engagement dans les sphères professionnelle, familiale et publique engagent des processus différenciés (Dahache, 2008, 2010, 2011, 2013b et 2015b ; Dahache et Rieu, 2007, 2008).

L'exercice en société entraine fréquemment une recomposition de la division sexuelle du travail. Cette modalité revient à assigner aux femmes les tâches polyvalentes et flexibles, ainsi que la charge des ajustements travail agricole et tâches domestiques (Dahache, 2013b, 2015b). La carence des services publics de proximité de la petite enfance et les spécificités des solidarités intergénérationnelles dans les zones rurales accuse cette tendance mais elles ne sauraient la subsumer. Les agricultrices sont investies différemment sous le triple rapport de genre, de statut et de détention de capitaux (productifs, économiques, etc.) (Dahache, 2015b). Le cloisonnement sexué des spécialisations professionnelles constitue un autre cadre de contraintes qui pèse sur l'intégration des agricultrices dans les collectifs de travail et leur environnement professionnel et institutionnel. Dès lors qu'elles travaillent seules et en situation de travail isolée, se cristallisent des formes de mal-être au travail (Dahache, 2015b).

Certaines configurations paraissent toutefois favorables à une plasticité des rôles, des fonctions et des responsabilités, ainsi qu'à des arrangements dans la sphère privée qui varient là aussi selon les niveaux de ressources en termes de diplôme, de revenu et de « supériorité professionnelle » (Dahache, 2010, 2011, 2013b, 2015b). Il s'agit de figures modernes : les femmes installées en individuel dont les conjoints exercent une profession non agricole et ne manifestent pas le désir de s'installer comme agriculteurs ; les agricultrices célibataires ; les agricultrices exerçant dans une société agricole composée de femmes ; les dirigeantes d'une société agricole.

Si les modèles et les vécues sont relativement variés, les agricultrices ont en commun de devoir composer avec les contradictions productives et la complexité croissante des exigences de production dans une réalité relativement investie par les hommes tels que leurs pairs, les dirigeants, les techniciens des coopératives de production, les négociants, etc. (Dahache, 2010, 2011, 2013b, 2015b). Se libérer des stéréotypes, faire preuve d'efficacité et de légitimité professionnelle et technique constituent le prix payé pour nombre d'entre elles (Dahache, 2010, 2011, 2013b, 2015b).

Enfin, l'inscription dans les organisations professionnelles agricoles (Chambres d'agriculture, coopératives de production, syndicats agricoles, etc.), dans les formations continues, et/ou la prise de mandat (politique et syndical) constituent des processus plus discrets du côté des agricultrices (Dahache et Rieu, 2009 ; Dahache, 2010, 2011, 2012, 2015b). Leurs engagements participent à la prise de risques multiples, des coûts temporels et personnels, puis en termes de santé. Pour beaucoup d'entre elles, ils produisent des situations-limites qui mettent en déséquilibre les habitudes d'organisation quotidiennes. Leur position suscite des rapports à l'ordre normatif émanant de l'entourage, de l'environnement professionnel et institutionnel. L'incompréhension, les remarques blessantes, les détails quotidiens conduisent à l'inconfort et à la production de parcours plus individualisés et individualisant (Dahache et Rieu, 2009 ; Dahache, 2010, 2011, 2012, 2015b).

En guise de conclusion, ces résultats de recherche rendent compte des enjeux et des « défis à relever » pour atteindre une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans le monde agricole. Les mécanismes genrés de la fabrication des trajectoires persistent. Les rapports inégalitaires entre les femmes et les hommes organisent la profession agricole et l'accès aux formations, aux patrimoines productifs, aux dispositifs financiers et aux statuts. Les retards de l'installation des femmes dans le métier engendrent des différences d'opportunités, de revenus, de carrières et de retraites. Leur faible représentativité dans les organisations professionnelles agricoles, le syndicalisme et le champ politique cristallise la réalité des inégalités entre les femmes et les hommes dans l'agriculture.

TEXTE DE LA COMMUNICATION A LA TABLE RONDE N°2

« DES INNOVATIONS PORTEUSES D'AVENIR POUR L'AGRICULTURE
ET LA VIE RURALE »

La réflexion autour des enjeux et des « défis à relever » invite à saisir les dynamiques nouvelles et l'ensemble des innovations impulsées par les agricultrices. Leurs actions innovantes se traduisent dans l'expérience quotidienne de l'exercice de la profession agricole. Elles s'expriment par le souci de trouver un équilibre cohérent entre la sécurisation économique, l'adaptation aux marchés agricoles et l'anticipation des évolutions futures (Dahache, 2004, 2010, 2013b, 2015b, 2016 ; Dahache et Rieu, 2009).

Dans un premier temps, nous verrons comment les innovations des agricultrices permettent de révéler un renouveau dans leurs manières d'exercer, dans leur potentialité à transformer les pratiques professionnelles, les cultures qui y sont associées et les rapports entre agriculture et société. Ensuite, j'aborderai les nouvelles dynamiques relatives à leur mise en réseaux. Elles conduisent à un décloisonnement social du monde agricole, à la création d'espaces de leur cause, ainsi qu'à l'émergence de nouveaux modèles identificatoires au féminin.

1. La diversification comme logique de performance

Un des traits marquants s'observe du côté des agricultrices qui fabriquent leur propre poste de travail, leur propre utilité et valeur ajoutée, en s'appuyant sur une structure d'opportunités relatives à la pluralité des modèles sociaux, économiques et professionnels, et aux évolutions des politiques publiques agricoles (Dahache, 2004, 2010, 2013b, 2015b, 2016). Cette dynamique manifeste leur volonté de s'approprier des enjeux liés à la sécurité et à la qualité alimentaires, à la santé publique ou l'environnement qui se croise avec leurs aspirations en matière d'autonomie et de réussite professionnelle. En proposant d'autres manières de faire, de produire et de travailler, elles vont à l'encontre des modèles dominants et portent les germes d'une pluralité de systèmes de diversification (Dahache, 2004, 2010, 2013b, 2015b, 2016 ; Dahache et Rieu, 2009).

Ces systèmes qu'elles mettent en place s'expriment sous une diversité de modalités et de ressources : la production de produits végétaux et animaux diversifiés, combinée (ou non) à des activités de transformation, de commercialisation, d'animation, de loisir, de service et de tourisme, en passant par la conception et la mise en oeuvre de dispositifs pédagogiques et d'aide à l'insertion professionnelle de publics en difficulté (Dahache, 2004, 2010, 2013b, 2015b, 2016 ; Dahache et Rieu, 2009). Ces systèmes de diversification s'associent à des innovations techniques, organisationnelles, économiques et sociales où se mêlent les enjeux de susciter l'intérêt et les options d'achat des consommateurs, mais également les enjeux d'assurer à la fois la crédibilité commerciale des produits et des services et l'interface avec les territoires (Dahache, 2016). Ces systèmes reposent sur des stratégies d'innovations incrémentales qui consistent à introduire de nouvelles activités afin que chaque valeur ajoutée apporte une amélioration des performances générales par des jeux de compensation. Ces stratégies s'apparentent à un cercle vertueux : maîtriser la complexité ; saisir de nouvelles opportunités ; mettre en oeuvre des améliorations dans les méthodes de travail et dans les produits et services ; contrôler les risques ; renouveler l'offre tout en s'adaptant de manière proactive aux changements (Dahache, 2016).

La connexion des agricultrices aux logiques d'entreprise et de marché, aux attentes et aux demandes sociétales entraîne une véritable rupture de paradigmes. Elles font de la diversification une source de performance pour l'agriculture et la vie rurale. Cette diversification porte sur l'élargissement des perspectives, dans une optique de valorisation de leurs pratiques professionnelles, dans une perspective de responsabilisation (individuelle ou collective) et de stratégie de développement durable.

2. Des agricultrices en réseaux

Un autre trait marquant chez les agricultrices est leur degré de connexion, de liaison et d'interactivité avec les réseaux, tels que les organisations professionnelles agricoles, les groupes de développement, les milieux associatifs, etc. (Dahache, 2004, 2010, 2013b, 2015b, 2016 ; Dahache et Rieu, 2009). Ces réseaux sont dotés de rôles et d'intérêts spécifiques qui renvoient à des fonctionnalités directement ou indirectement en lien avec leurs systèmes d'activité (Dahache, 2004, 2010, 2013b, 2015b, 2016).

Les connexions des agricultrices s'inscrivent dans des postures opportunistes et utilitaires, au regard de la possibilité de trouver des mécanismes techniques, sociaux et marchands qui sous-tendent la performance et la rentabilité de la diversification, au regard de leur volonté de nouer des liens avec les structures médiatrices entre la séquence technique et la séquence financière, et au regard des enjeux en termes de défense de la profession agricole, des filières de production et des systèmes de diversification (Dahache, 2004, 2010, 2013b, 2015b ; Dahache et Rieu, 2009). Choix stratégique, ce mouvement favorise, à travers leurs engagements sélectifs, le renouvellement de compétences professionnelles. Il s'inscrit dans une logique d'ouverture aux solidarités professionnelles, de recherche de cohérence et d'anticipation des évolutions futures, dans un vaste tournant de reformulation continuelle des missions assignées à l'agriculture et des crises (Dahache, 2004, 2010, 2013b, 2015b, 2016 ; Dahache et Rieu, 2009).

3. Les espaces de la cause des agricultrices

Le développement des réseaux d'agricultrices à visée généraliste ou professionnelle participe de ce mouvement. Qu'ils soient formels ou informels, ces réseaux se caractérisent par un niveau élevé d'activités (Dahache, 2004, 2010, 2013b, 2015b, 2016 ; Dahache et Rieu, 2009). Ils constituent des espaces où elles se structurent et s'auto-organisent pour échanger des informations, dialoguer, favoriser l'entraide, développer leur réseau au-delà, construire des stratégies individuelles et collectives, à travers notamment des activités de sensibilisation, de formation, par le lobbying souterrain, le management de projets, la conception et la diffusion de supports de communication, l'organisation d'évènements, de rencontres, etc. (Dahache, 2004, 2010, 2013b, 2015b, 2016 ; Dahache et Rieu, 2009).

Au regard de la temporalité contemporaine dans laquelle nous nous trouvons et avec la mise en oeuvre de politiques de la promotion de l'égalité, le développement de ces connexions constitue un changement de configuration de contexte et de possibilité de constituer un maillon incontournable de nouvelles luttes pour défendre la place des agricultrices dans le monde agricole et rural, et plus largement dans la société. Travaillant en partenariat ou accompagnant le mouvement, ces réseaux oeuvrent à la promotion du métier d'agricultrice, de leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être (Dahache, 2004, 2010, 2013b, 2015b, 2016 ; Dahache et Rieu, 2009). En trame de fond des actions et des supports de communication, on retrouve la volonté d'agir à la base et de s'attaquer aux freins de la féminisation des formations agricoles et des groupes professionnels de l'agriculture (à savoir la méconnaissance du métier d'agricultrice et les vocations stéréotypées), mais aussi de construire un monde agricole avec une représentation équilibrée des femmes à tous les niveaux. Ces réseaux d'entraide et de solidarité collective créent les conditions d'élaboration d'une conscientisation de la cause des agricultrices et d'activités créatrices de nouvelles opportunités (Dahache, 2016).

4. Vers de nouveaux modèles identificatoires au féminin

Les Prix, les Concours, les Trophées des agricultrices sélectionnées offrent un statut de « personne visible ». Ils donnent le ton des changements en cours quant à l'émergence de nouveaux modèles identificatoires au féminin auxquels font écho les éternelles pionnières portées par le vent de l'égalité entre les femmes et les hommes (Dahache, 2004, 2006, 2008, 2010, 2013b, 2015a et b, 2016). Ces nouveaux modèles ont saisi de nouvelles brèches qui s'offrent à elles pour déverrouiller leur parcours professionnel, concevoir et mettre en oeuvre des projets professionnels et de vie porteurs d'autonomie, impulser des processus individuel et collectif d'émancipation au travail, aligner les normes et les pratiques des femmes et des hommes aussi bien du côté de la sphère professionnelle que celui de la sphère familiale et domestique, et enfin casser les verrous, sortir de l'invisibilité et gagner en légitimité. Ces chemins empruntés créent les conditions d'un dépassement des barrières inhérentes à l'évolution de la place des femmes dans l'agriculture (Dahache, 2004, 2006, 2008, 2010, 2013b, 2015b, 2016).

En guise de conclusion, ces nouvelles dynamiques et l'ensemble des innovations portées par les agricultrices riment avec diversification, connexion aux réseaux et production de nouveaux modèles identificatoires au féminin. Ces évolutions actionnent des leviers d'actions positives. Elles doivent être relayées par le déploiement de politiques publiques et de dispositifs visant à les accompagner dans l'optique d'une transformation en profondeur du système, des pratiques et des représentations qui restent, pour l'heure, sexuées même partiellement renouvelées. La manifestation de nouvelles postures d'ouverture et de modernité du côté des agricultrices rend compte de leur capacité à se positionner par rapport aux transformations qui traversent la profession agricole et les territoires ruraux, mais aussi de leur capacité à impulser un nouveau référentiel du développement agricole et rural durable (Dahache, 2004, 2006, 2008, 2010, 2013b, 2015b, 2016).

Annexe 2 - Présentation des intervenants 16 ( * )


* 12 Ce document, adressé par Sabrina Dahache après le colloque, comporte des compléments d'information qui n'ont pas pu figurer dans l'intervention orale de l'auteure pour des raisons de contrainte horaire.

* 13 En 1980, la loi d'orientation agricole du 4 juillet a instauré les statuts de conjoint co-exploitant et de conjoint collaborateur qui autorisent les épouses d'agriculteurs à accomplir des actes d'administration concernant les besoins des entreprises agricoles. Avec ce statut, les femmes n'acquièrent aucun droit professionnel, si ce n'est celui de participer à la gestion du patrimoine. En 1985, deux nouvelles mesures tendent vers un principe d'égalité : une réforme des régimes matrimoniaux met les femmes à égalité avec les hommes pour gérer le patrimoine commun. La même année, une nouvelle réforme autorise les couples à constituer une EARL (Exploitation agricole à responsabilité limitée) sans une tierce personne. Les femmes peuvent bénéficier du statut de chef d'exploitation. Mais là encore, l'autonomie des agricultrices semble limitée. Il n'y a qu'un seul foyer économique, et le représentant est la plupart du temps le conjoint. À partir du décret du 23 février 1988, chacun des époux peuvent bénéficier des aides à l'installation. La loi d'adaptation du 31 décembre 1988 a par ailleurs renforcé la sécurité professionnelle des conjointes en introduisant la possibilité de cession du bail entre époux. Depuis 1992, les conjointes avec un statut de conjoint de chef d'exploitation participant aux travaux peuvent sur option des deux époux solliciter le partage des points retraites. La loi d'orientation de 1999 a modifié le statut de conjoint collaborateur qui permet désormais aux femmes de bénéficier des droits supplémentaires en matière de retraite et certaines prestations sociales. Depuis 2005, ce statut est rendu accessible sans l'autorisation préalable du chef d'exploitation. Son accès est autorisé aux concubins et aux bénéficiaires d'un pacte civil de solidarité. En 2010, est supprimée l'interdiction de constituer un GAEC (Groupement agricole d'exploitation en commun) entre conjoints (note de l'auteure).

* 14 Plus récemment, une feuille de route (2015-2016-2017) a été élaborée par le Ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt. Elle intègre des objectifs en matière d'égalité dans la formalisation de politiques publiques. La loi du 20 janvier 2014, garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, permet aux femmes de bénéficier du plan de revalorisation des petites retraites agricoles. La mesure a étendu la retraite complémentaire obligatoire aux conjoints et aux aides familiaux. Ensuite, une autre mesure a concerné le droit à un congé de maternité des agricultrices et des salariées agricoles. Un guide sur les Droits sociaux des agricultrices a été élaboré pour les informer de leurs droits personnels et professionnels en matière de formation, d'accès aux prestations sociales, d'information statutaire, etc. D'autres dispositifs concernent des mesures permettant une composition plus équilibrée des femmes sur les listes électorales des Chambres d'agriculture, et dans les conseils d'administration des Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural. La loi d'avenir d'octobre 2014 conforte la transparence des GAEC entre époux totaux. Elle instaure un dispositif d'installation progressive qui prend en compte l'installation tardive des femmes. Enfin, la loi d'avenir et la réforme de la Politique agricole commune permet, dans les programmes de développement rural régionaux, l'accompagnement des créations d'entreprises agricoles par des femmes, avec la mise en place d'aides au démarrage (note de l'auteure).

* 15 D'après une étude du Centre d'Études et de Prospective au Ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt (2012), la moitié des femmes installées en 2010 ne sont pas passées par une formation agricole. 28% ont bénéficié de la dotation jeune agriculteur, contre 39% pour les hommes (note de l'auteure).

* 16 Les titres et qualités mentionnés ci-après sont les titres et qualités au moment du colloque (22 février 2017).

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