b) La recherche de l'intérêt général : une justification parfaitement légitime

Dans cette optique, l'intervention de l'Etat sur les marchés des télécommunications peut viser à la fois des objectifs sociaux comme l'accès de tous à ces services, et la promotion d'une stratégie industrielle et économique volontariste.

La notion de service universel est précisément née avec la réglementation communautaire du secteur des télécommunications, qui définit le service universel comme « l'obligation de fournir à un prix raisonnable, un ensemble minimum de services à tous les utilisateurs, indépendamment de leur situation géographique sur le territoire national ».

Instrument d'équité et d'aménagement du territoire, le service universel comporte à la fois un volet géographique, en posant l'exigence d'un accès à ces services dans les zones non rentables, et un volet social, en imposant un prix abordable.

Il revient à l'autorité publique de le garantir, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il doive être fourni automatiquement par l'opérateur public ou historique. La question de son financement est bien sûr majeure et passe par deux moyens alternatifs ou cumulatifs :

- soit par un fonds alimenté par l'ensemble des opérateurs,

- soit par une contribution publique.

Enfin, le service universel ne saurait être confondu avec le concept français de service public dont il est une composante. En effet, la loi de 1996 a englobé dans cette notion de service public non seulement le service universel, mais aussi les services obligatoires (l'accès au réseau numérique...), ou encore les missions d'intérêt général comme la défense ou la sécurité publique.

L'Etat est aussi parfaitement dans son rôle lorsqu'il intervient pour promouvoir une politique industrielle pour des raisons d'indépendance nationale ou d'autonomie technologique, compte tenu du caractère absolument stratégique des télécommunications. Dès que l'on évoque cette faculté pour l'Etat, il n'est pas rare que les gardiens sourcilleux d'une pure politique de la concurrence dénoncent aussitôt un retour au protectionnisme ou pire à l'égoïsme national. Il est facile de les rassurer en s'appuyant sur l'exemple que donne l'une des têtes de file du libéralisme, les Etats-Unis, qui s'évertuent à réclamer une large ouverture des marchés dans les négociations internationales, tout en conservant un arsenal impressionnant pour mener des politiques industrielles. On peut citer notamment la loi dite « Super 301 », qui autorise le Président à prendre des mesures unilatérales de protection ou encore l'usage intensif du budget de la défense pour conduire des politiques extrêmement volontaristes, ce dont le secteur des télécommunications a d'ailleurs bénéficié au premier chef pour des applications diverses : géolocalisation, chaîne de commandement, Internet... Justifier l'intervention publique dans l'économie, cela n'est pas être contre l'économie de marché, c'est être contre toute naïveté béate.

Au-delà du pragmatisme, il existe aussi des bases théoriques pour légitimer une telle politique industrielle. Sur le plan interne, dès lors que l'on reconnaît le caractère stratégique, en termes économique et social du secteur et les nombreuses externalités positives qu'il dégage pour l'ensemble de l'économie, ce qui en fait un atout maître pour la prospérité de demain, on voit mal pourquoi la puissance publique s'en désintéresserait. C'est du reste ce que sous-tend la déclaration du sommet de Lisbonne de mars 2000, qui ambitionnait de faire de l'Union européenne « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique » de la planète.

La légitimation d'une politique industrielle a été renforcée par la nouvelle théorie du commerce international. Initialement, c'est-à-dire il y a deux siècles, Ricardo proposait une vision statique des atouts concurrentiels nationaux, qui dépendaient exclusivement des dotations initiales des pays (les filatures au Nord, le vin au Sud). Ainsi, les avantages comparatifs étaient une donnée irréversible.

Or les exemples sont nombreux de pays qui n'avaient pas initialement d'avantages décisifs dans tel ou tel secteur et qui ont surmonté ces difficultés par une politique industrielle. Le succès de l'industrie automobile au Japon, pour laquelle ce pays ne disposait pas de dotations initiales particulières, est presque un cas d'école. De même en France, le secteur des télécommunications a fait l'objet d'une grande attention de l'Etat depuis les années 1970, pour rattraper le retard en téléphonie, y compris au moment de l'ouverture à la concurrence de France Télécom où l'Etat a tenu à conserver une part du capital pour avoir toujours son mot à dire.

Ainsi, les avantages comparatifs sont de moins en moins hérités et sont de plus en plus construits de manière volontariste dans la compétition internationale qui ne s'encombre pas de considérations théoriques quand il s'agit de conquête de marchés et de suprématie commerciale.

Si le bien-fondé d'une intervention publique pour accompagner l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications n'a pas été contesté en 1996, la forme novatrice que cette intervention a pris, à savoir la création d'un régulateur indépendant, a pu susciter des interrogations.

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