III. QUELQUES OBSERVATIONS

Les modalités précises de la réforme projetée ne seront connues qu'au mois de juin. Les travaux du Conseil montrent que le débat reste ouvert. Il paraît utile, dans cette optique, de souligner certains points.

A. LE DÉBAT OUVERT PAR LA COMMISSION DOIT ÊTRE ABORDÉ DE MANIÈRE CONSTRUCTIVE

La perte de compétitivité manifeste de la production européenne et la situation de crise persistante, notamment dans certaines régions, font que le statu quo apparaît indéfendable : la nécessité d'une réforme n'est pas sérieusement contestée. Il est vrai que certains aspects du dispositif envisagé par la Commission comportent des risques sérieux. Mais l'objectif de la France doit être que ces aspects soient revus lors de l'élaboration des propositions définitives, plutôt que de s'en tenir à une opposition de principe qui aurait toutes les chances d'être inefficace et ne répondrait pas au besoin reconnu d'une réforme.

L'expérience montre qu'une attitude défensive, dilatoire, réduit en réalité la possibilité d'influer sur le résultat final. La France a tout intérêt à entrer dans une approche mettant au premier plan l'objectif d'une meilleure compétitivité, ce qui n'interdit nullement de s'opposer à certains des moyens envisagés pour atteindre cet objectif.

Il convient de souligner que, si le Parlement européen, dans les travaux préparatoires de l'avis qu'il adoptera le mois prochain, s'est montré très à l'écoute des préoccupations des pays producteurs, il ne dispose pas d'un pouvoir de codécision dans les domaines relevant de la politique agricole commune. Son avis ne sera pas sans influence, mais en l'occurrence la décision appartient au seul Conseil, sur proposition de la Commission. Or, dans près d'un pays membre sur deux, la production de vin est faible ou inexistante : cette réalité ne peut manquer de se faire sentir au sein du Conseil, où les règles de vote imposent de dégager un très large accord. Le succès de la réforme passe par un équilibre entre des préoccupations contradictoires ; c'est autour de l'objectif de compétitivité que l'on peut espérer parvenir à une synthèse. La Commission était donc fondée à en faire le fil directeur de sa démarche.

B. LA RÉFORME DOIT ÊTRE PRÉSENTÉE DE MANIÈRE PLUS OFFENSIVE

Même si telle n'était pas l'intention de la Commission, les orientations retenues sont apparues centrées sur la réduction du potentiel viticole, la relance de la politique d'arrachage avec des moyens importants apparaissant comme la « mesure phare » de la réforme envisagée.

Or, une politique axée sur la compétitivité n'a de sens qu'en admettant que la production européenne peut regagner du terrain, que ce soit sur le marché intérieur ou à l'exportation. Elle appelle une présentation plus offensive ; son propos prioritaire doit être de vendre davantage, non de rééquilibrer « par le bas » l'offre et la demande. Or, ce n'est pas un pari perdu d'avance : si la consommation diminue ou stagne sur le marché intérieur, ce n'est pas le cas de la consommation mondiale ; en outre, on ne voit pas pourquoi une partie du terrain perdu sur un marché important comme, par exemple, le marché britannique, ne pourrait pas être reconquise. De même, l'évolution du mode de consommation du vin en Europe ne condamne pas la production à un déclin inexorable du point de vue économique : une production axée sur la qualité et sachant s'adapter à l'évolution du mode de consommation peut voir sa rentabilité s'améliorer même dans un contexte de consommation stagnante. L'accent mis à juste titre par la Commission sur l'adaptation aux attentes des consommateurs devrait conduire à une présentation plus encourageante de la réforme.

Il est à cet égard essentiel de favoriser une meilleure structuration de la filière , de manière à faciliter les investissements commerciaux. Les structures de commercialisation apparaissent souvent comme un point faible de la filière, qui a besoin d'outils plus performants pour vendre plus.

On doit regretter également que la Commission n'ait pas jusqu'à présent suffisamment mis l'accent sur l'effort de promotion et qu'une réallocation en ce sens d'une partie des moyens de l'OCM ne soit pas clairement mentionnée. Une telle orientation, cohérente avec l'esprit de la réforme, paraît d'autant plus envisageable qu'aujourd'hui le partage est bien établi dans les esprits entre une consommation modérée et responsable de vin, centrée sur le plaisir gustatif, et une consommation excessive d'alcool, quel qu'en soit au demeurant le vecteur.

La réforme de la réglementation de l' étiquetage est un aspect d'une politique tournée vers le consommateur. Même s'il faut attendre pour se prononcer de connaître les modalités précises qui figureront dans les propositions définitives, la volonté exprimée par le Commission de simplifier l'étiquetage répond à un besoin. La proposition d'autoriser des vins sans indication géographique à mentionner le millésime et le cépage - afin de faire face au succès des vins de type « nouveau monde » - est, quant à elle, plus controversée. Il est nécessaire que les modalités en soient définies à travers un cahier des charges fixant les conditions à respecter sur le plan du contrôle et de l'information donnée au consommateur.

L'assouplissement des pratiques oenologiques au sein de l'Union tel qu'il est envisagé, c'est-à-dire en ayant plus systématiquement recours aux travaux de l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), constitue une simplification et peut favoriser la compétitivité de la production européenne. En revanche, l'utilisation éventuelle de pratiques oenologiques validées au niveau international pour la fabrication de vins uniquement destinés à l'exportation vers les zones où ces pratiques sont acceptées paraît problématique. Une telle mesure apporterait certes de la souplesse aux producteurs européens pour s'adapter aux marchés des pays tiers. Mais sa mise en pratique paraît difficile et pourrait donner lieu à des abus. De plus, elle pourrait conduire à altérer l'identité du vin européen sur les marchés visés.

La réforme proposée de la politique de qualité est présentée par la Commission comme un moyen de gagner en simplicité et en « lisibilité », tout en rendant plus claire l'adéquation des règles européennes aux règles internationales. Cette orientation peut être soutenue sous réserve que la spécificité du vin soit respectée. En l'état, les définitions des AOP et des IGP ne sont en effet que partiellement transposables au secteur vinicole : ainsi, l'indication géographique, dans le secteur du vin, renvoie à la provenance du raisin, alors que la définition de l'IGP, pour les autres produits agricoles impose la production ou la transformation dans la zone. En outre, la réforme doit avoir pour but de mieux défendre sur le plan international le système européen d'indication géographique. Sur ce point, la Commission affirme sa volonté de « promouvoir et valoriser partout dans le monde » le concept de vin de qualité produit dans une région déterminée (VQPRD).

Le renforcement envisagé par la Commission du rôle des organisations interprofessionnelles pour la promotion et le contrôle de la qualité apparaît justifié dans son principe, les modalités n'ayant pas été précisées à ce stade. Il convient de souligner qu'un renforcement des organisations de producteurs est également nécessaire.

Il est à noter que, comme elle l'avait déjà fait sans succès lors de la réforme de 1999, la Commission propose une augmentation de ses propres pouvoirs, en prévoyant que le Conseil lui transfère - en assortissant ce transfert d'une formule de « comitologie » (3 ( * )) - ses compétences en matière d'étiquetage des vins et de pratiques oenologiques. Un tel transfert ne paraît pas souhaitable compte tenu de la sensibilité de ces questions et des controverses interinstitutionnelles que suscitent périodiquement les règles de « comitologie ».

* (3) La « comitologie » désigne les différents comités composés d'experts des États membres et chargés de contrôler la Commission dans l'adoption des mesures d'exécution de la législation communautaire. Ces comités, dans certains cas, peuvent élever la décision vers le Conseil. Ils sont à l'origine d'une controverse interinstitutionnelle lancinante, alimentée par le Parlement européen.

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