II. A LA RECHERCHE DE LA SOUTENABILITÉ DE LA DETTE PUBLIQUE

Une réponse satisfaisante à la question de la soutenabilité de la dette publique supposerait que l'ensemble des problèmes conceptuels qu'elle pose soient résolus . Ils ne le sont pas. Les travaux sur la soutenabilité de la dette publique sont très peu développés et, par ailleurs, ils sont toujours partiels. Ils n'abordent le problème que sous un ou quelques angles alors qu'une stratégie pertinente suppose que tous soient couverts. Votre Délégation se propose à l'avenir d'approfondir les réflexions sur ce thème .

UNE ILLUSTRATION DES PROBLÈMES D'APPROCHE
DE LA SOUTENABILITÉ DE LA DETTE PUBLIQUE

___

Pour apprécier la soutenabilité de la dette publique, il est cohérent de mettre en balance le coût de la dette publique et son rendement. Mais, les deux termes de l'équation sont discutés.

A priori , le coût de la dette publique est connu. Il suffit pour le calculer de rapporter les charges d'intérêt au stock de dette. Pour la France, ce calcul donne un coût de la dette de 3,6 %. Cependant, on fait parfois valoir que cette approche est trop réductrice dans la mesure où la dette publique pousse à la hausse l'ensemble des taux d'intérêt imposant ainsi des conditions financières plus défavorables qu'en son absence aux autres agents économiques. Il faudrait donc majorer le coût de la dette publique par un coût d'opportunité subi par les autres emprunteurs.

S'agissant du rendement de la dette publique, le débat est encore plus vif. Son calcul suppose d'abord d'identifier l'impact sur le PIB des emplois qu'elle finance. Il s'agit d'un problème classique en économie d'estimation du multiplicateur des dépenses publiques ou des réductions fiscales. Dans un second temps, il est nécessaire d'identifier le rendement macroéconomique de cet impact. Les choix portant sur la valeur de ces différents paramètres déterminent les résultats.

On peut ajouter que la question de la soutenabilité de la dette publique n'épuise pas le problème . Il faut lui adjoindre celle de son opportunité si l'on estime, ce qui est discutable, qu'il existe un arbitrage entre dette publique et dette privée, autrement dit que l'une se substitue à l'autre.

Dans cette hypothèse, il est cohérent de comparer le résultat des opérations décrites plus haut, avec le résultat des mêmes opérations appliquées à l'emploi d'un même supplément d'endettement privé .

Une conclusion s'impose : il est impossible de raisonner autrement qu'en fournissant un jeu d'hypothèses dont l'éventail, nécessairement large, aura le mérite de dessiner les contours du possible mais l'inconvénient, probablement nécessaire de ne pas apporter de réponse certaine.

A ce stade, il faut donc se contenter d'approches partielles aux résultats nécessairement incertains, en particulier parce que l'impact de la dette publique sur la croissance ne peut être entièrement identifié.

CLARIFICATIONS DE MÉTHODE SUR LA DETTE PUBLIQUE
_____

Deux sources de confusions sur l'appréciation de la dette publique doivent d'emblée être écartées.

La dette publique dont il est question dans les débats de politique économique ne donne pas une image fidèle de la situation patrimoniale de l'Etat.
Il s'agit d'une dette brute et non d'une dette nette des actifs des administrations publiques. Or, pour apprécier la soutenabilité d'une dette quelle qu'elle soit, il faut à tous le moins déduire de cette dette les actifs disponibles qu'elle peut avoir financé. Au demeurant, pour l'Etat, le diagnostic est plus complexe. Il lui appartient, et c'est l'essence même de la justification de son intervention, de financer des transferts et des biens et services qui ne lui bénéficient pas. Ce faisant, une partie majoritaire de ses emplois de fonds profite aux agents privés. La comptabilité publique et la Comptabilité nationale ne retracent pas correctement ces opérations qui n'ont pas de contrepartie au bilan de l'Etat. Il serait pourtant judicieux de valoriser les actifs incorporels créés par les dépenses publiques afin de mieux appréhender la situation d'endettement des administrations publiques.

La dette publique n'est pas la dette de la Nation . La dette de la Nation, à un instant donné, est le résultat d'un cumul des besoins de financement de l'ensemble des agents économiques qui détermine la capacité de financement de la Nation. Son niveau traduit la capacité de financer la demande domestique à partir des ressources nationales. Un besoin de financement de la Nation oblige à solliciter l'épargne du Reste du Monde.

Une capacité de financement signifie qu'une épargne nationale est disponible pour financer les besoins du Reste du Monde.

Il peut exister un lien entre le besoin de financement public et le besoin de financement de la Nation - et donc entre dette publique et dette de la Nation - mais ce lien n'est en rien automatique. Une augmentation de la dette publique peut entraîner une hausse de la dette de la Nation, ou, au contraire, s'accompagner d'une réduction de cette dette.

En Europe, les situations en matière de dette publique et de besoin de financement de la Nation sont marqués par une grande diversité.

DETTE PUBLIQUE BRUTE

(en % du PIB)

Pays

1980

1985

1990

2001

2002

2003

2004

2005

Belgique

74,1

115,2

125,7

106,3

103,2

98,5

94,3

93,2

Allemagne

31,2

40,7

42,3

58,8

60,3

63,8

65,5

67,9

Espagne

16,4

41,4

42,6

55,6

52,5

48,9

46,2

43,1

France

20,8

30,3

35,3

56,2

58,2

62,4

64,4

66,6

Irlande

69,0

100,5

93,1

35,3

32,1

31,1

29,7

27,4

Italie

56,9

80,5

94,7

108,7

105,5

104,2

103,9

106,6

Pays-Bas

44,0

67,5

73,7

50,7

50,5

51,9

52,6

52,7

Zone euro

33,7

50,6

57,0

68,3

68,1

69,3

69,7

70,6

Danemark

39,1

75,0

62,0

47,4

46,8

44,4

42,6

35,9

Royaume-Uni

53,2

52,7

34,0

38,1

37,6

39,0

40,4

42,4

Source : Commission européenne

CAPACITÉ DE FINANCEMENT DE LA NATION
1961-2004

(en points de PIB)

Pays

Moyenne 1961-1990

Moyenne

1991-95

Moyenne

1996-2000

2001

2002

2003

2004

2005

Belgique

0,3

3,8

5,0

4,0

4,8

4,4

3,6

2,5

Allemagne

1,2

-1,3

-0,9

0,0

2,2

2,1

3,9

4,2

Espagne

-1,4

-0,3

-3,4

-2,6

-3,0

-4,8

-6,5

France

-0,2

2,0

1,1

0,8

-0,3

-0,6

-2,1

Irlande

3,1

2,4

0,0

-0,6

0,1

-0,8

-3,0

Italie

0,1

2,0

0,4

-0,3

-0,7

-0,4

-0,9

Pays-Bas

4,0

4,2

5,0

5,9

5,6

8,4

6,8

Zone euro

-0,2

0,9

0,2

0,9

0,5

0,9

0,2

Danemark

1,7

1,1

3,1

2,6

3,2

2,3

3,0

Royaume-Uni

1,6

-1,3

-2,1

-1,5

-1,3

-1,5

-2,0

Europe 15

-0,4

0,7

0,0

0,7

0,5

0,6

ND

Etats-Unis

-0,3

-0,9

-2,4

-3,7

-4,4

-4,7

-5,6

-6,3

Source : Commission européenne

Au total, la zone euro dispose d'une capacité de financement qui témoigne d'une capacité d'épargne. A l'inverse, le Royaume-Uni et, surtout, les Etats-Unis connaissent des besoins de financement qui persistent depuis de nombreuses années.

Ces constats conduisent à tirer des conclusions entièrement contraires à celles qui fondent les recommandations de réduire la dette publique :

la croissance dans l'Union européenne n'est pas freinée par un déficit d'épargne ;

la valeur de l'euro - qui d'ailleurs s'est appréciée depuis plusieurs années - n'est pas sous la menace d'une dépréciation résultant de l'accumulation de dettes ;

la compétitivité de la zone euro ne semble nullement en danger du fait d'un risque d'écarts d'inflation avec le Reste du Monde.

Cela précisé, la dette publique est, de plus en plus souvent, l'objet d'une approche partielle de sa soutenabilité se référant à l'impact du vieillissement de la population européenne sur les dépenses publiques. Celui-ci devrait se traduire par une hausse du poids des dépenses publiques dans le PIB (tableau n° 4). L'idée qui en découle est que pour couvrir les besoins de financement qui en résulteront à l'avenir, il faudrait réduire rapidement la dette publique.

Tableau n° 4
PERSPECTIVES D'ÉVOLUTION DU BESOIN DE FINANCEMENT PUBLIC EN 2050
POUR QUELQUES PAYS EUROPÉENS À RECETTES CONSTANTES

(en points de PIB)

RETRAITES

SANTÉ

ÉDUCATION

DÉPENSES LIÉES À L'ÂGE

TOTAL

Belgique

4,2

2,9

-0,4

-1,6

5,1

Danemark

2,3

2,8

1,3

6,4

Allemagne

2,9

2,5

-0,3

-1,4

3,7

Espagne

5,0

1,4

-0,2

-0,2

6,0

France

1,6

4,5

-0,4

-0,3

5,4

Italie

0,8

1,6

-0,3

-0,1

2,0

Pays-Bas

3,1

3,2

-0,1

0,4

6,6

Royaume-Uni

1,0

2,1

-0,1

0,0

3,0

Source : Commission européenne

Dans les commentaires qui suivent, on s'en tiendra à la France. Mais, il est important de relever que les différences entre les perspectives d'augmentation des besoins de financement public dans les pays européens s'expliquent pour beaucoup par des degrés différents de collectivisation des besoins mentionnés (retraite, santé, éducation...).

Autrement dit , pris dans leur ensemble , c'est-à-dire dans leurs composantes privées et publiques, les différents systèmes nationaux devraient être confrontés à des besoins de financement plus proches que ceux mentionnés dans le tableau ci-dessus , qui ne concerne que les systèmes publics.

Même si certaines conventions sont discutables, on relève que la France devrait faire face à l'horizon 2050 à un supplément de dépenses publiques, chiffré ici à 5,4 points de PIB (à tendance constante) 45 ( * ) . Ces dépenses supplémentaires ne sont, aujourd'hui, pas financées si bien qu'on peut calculer une séquence de besoins de financement sur une période donnée et lui associer un supplément d'endettement.

Un tel calcul a été entrepris pour les seuls besoins de financement des régimes de retraite (graphique n° 1) .

Graphique n° 1
BESOINS DE FINANCEMENT DE L'ENSEMBLE DES RÉGIMES DE RETRAITE

(points de PIB - en %)

Source : Rapport sur les comptes de la Nation de l'année 2005. Scénario central du COR (2005) et scénario central du CPE (2006)

On note que des trajectoires différentes de besoins de financement ont été identifiées, l'une par le Conseil d'orientation des retraites (COR), l'autre par le Comité de politique économique de l'Union européenne (CPE) sur la base de projections démographiques différentes 46 ( * ) .

On peut associer à ces projections, une dette implicite (tableau n° 5) , à laquelle les évocations des engagements financiers de l'Etat dans le débat public renvoient la plupart du temps pour rendre compte des « défis » associés aux besoins de financement public prévisibles .

Tableau n° 5
« DETTE IMPLICITE EXPOST » LIÉE AUX RETRAITES 47 ( * )

(en points de PIB)

Source : Rapport sur les comptes de la Nation 2005. Calculs DGTPE. PLF pour 2007.
Annexe au RESF. MINEFI

Sur ce point, il faut rappeler que les dettes implicites, comme celle décrite dans le tableau ci-dessus, sont calculées sur l'hypothèse où les besoins de financement identifiés seraient couverts par un endettement supplémentaire. Dans un tel cas, il est évident que la dette publique « explose ». Dans le « meilleur » des cas, elle augmenterait de 70 points de PIB à l'horizon 2050 et doublerait donc par rapport à sa situation actuelle sous l'effet de l'endettement contracté pour financer des charges de retraite et les charges d'intérêt supplémentaires liées à ce surcroît de dette.

Une telle perspective ne serait tenable que si l'épargne disponible était suffisamment abondante et prête à financer cette dette pour que nul problème de solvabilité ou de coût n'intervienne, ce qui est peu probable 48 ( * ) .

C'est d'ailleurs pourquoi la référence à une « dette implicite » ne doit pas être considérée autrement que comme une illustration virtuelle d'un problème de financement dont on sait qu'il ne se posera pas .

Face à cette dette implicite, on peut calculer un écart de financement qui traduit le montant (en points de PIB) du surcroît de recettes ou d' économies en dépenses 49 ( * ) qu'il faudrait effectuer durablement pour assurer la soutenabilité du système de retraite . Cette méthode, qui peut également être appliquée au système de santé, donne des ordres de grandeur qui, pour être moins spectaculaires, sont nettement plus réalistes (tableaux n° 6 et n° 7).

Tableau n° 6
« ÉCARTS DE FINANCEMENT » DU SYSTÈME DE RETRAITE À L'HORIZON 2050
SOUS DIFFÉRENTES HYPOTHÈSES

(en points de PIB)

Calcul à l'horizon 2050

COR

CPE

Taux d'intérêt : croissance du PIB +1,5 %

0,7

0,5

Taux d'intérêt : croissance du PIB +2,0 %

0,8

0,6

Taux d'intérêt : croissance du PIB +2,5 %

0,9

0,7

Source : Calculs DGTPE

Tableau n° 7
« ÉCARTS DE FINANCEMENT »
DES SYSTÈMES DE RETRAITE ET D'ASSURANCE MALADIE À L'HORIZON 2040

(en points de PIB)

Retraites

Entre 1 et 1,5

Assurance maladie

0,4

Total

Entre 1,4 et 1,9

Cette opération réduit considérablement l'effet optique alarmant que produit la seule considération des dettes implicites.

Pour les seuls systèmes de retraite, les « écarts de financement » s'étagent, à l'horizon 2050, entre 0,5 et 0,9 point de PIB selon les calculs du COR et du CPE réalisés avant la révision des projections démographiques de l'INSEE 50 ( * ) .

Pour l'ensemble des dépenses sociales à l'horizon 2040, l'écart de financement du PIB s'élève à plus de 1,9 point.

Ainsi, sur une base purement comptable, on peut estimer que l'amélioration du besoin de financement public qui permettrait la couverture de l'écart de financement en 2040 est, dans le pire des cas, de l'ordre de 1,9 point de PIB. Si l'on suppose qu'elle serait conduite sur la période 2008-2010, elle nécessite un ajustement du déficit public de cet ordre (à comparer avec la baisse programmée de 2,5 points du PIB) compatible avec un allègement de la dette publique de 1,8 point de PIB à comparer à l'effort de 5,6 points de PIB qui est programmé.

Celui-ci va donc au-delà de la couverture des besoins de financement des systèmes sociaux tel qu'il était estimé avant la révision des projections démographiques.

La prise en compte de l'impact des nouvelles projections démographiques conduit à alléger les besoins de financement prévisibles de notre protection sociale. Pour le système de retraite, à l'horizon de 2050, celui-ci ne serait plus de 3,2 points de PIB comme dans les précédentes projections mais de seulement 2 points de PIB ce qui réduit d'autant les besoins de couverture du système.

Les nouvelles perspectives conduisent donc à réduire nettement « l'écart de financement », autrement dit le besoin d'équilibrer les comptes de notre modèle social (tableau n° 8) .

Tableau n° 8
ÉCARTS DE FINANCEMENT
RÉSULTANT DES NOUVELLES PROJECTIONS DÉMOGRAPHIQUES

(en points de PIB)

Taux d'intérêt : croissance du PIB +1,5 %

0,31

Taux d'intérêt : croissance du PIB +2,0 %

0,37

Taux d'intérêt : croissance du PIB +2,5 %

0,44

Source : Service des Études économiques du Sénat,
sur la base des précédentes estimations du CPE

Dans ces conditions, le recul de la dette publique, tel qu'il est programmé à l'horizon 2010, excède encore plus nettement lesdits besoins, ce qui conduit à renouveler les interrogations sur le rythme du désendettement public.

* 45 Les chiffres mentionnés dans le tableau ont été revus à la baisse trop récemment pour que ce rapport en tienne totalement compte. Cependant, dans la suite des présents développements, on indique les révisions auxquelles il faut procéder pour apprécier correctement les évolutions probables qui s'avèrent encore plus modérées que dans les plus récentes estimations de la Commission européenne.

* 46 Voir dans le présent rapport le chapitre consacré à l'impact des nouvelles projections démographiques sur la croissance et les finances publiques.

* 47 Note importante : les calculs d'où procèdent les estimations du tableau ont été réalisés avant la révision des projections démographiques de l'INSEE.

* 48 On peut toutefois souligner qu'il existe un pays dans le monde - les Etats-Unis - qui parvient sans problème jusqu'alors à financer, chaque année, une dette nettement supérieure au surcroît annuel d'endettement que suppose la dette implicite du système de retraite.

* 49 Par exemple, quelle serait l'augmentation de cotisations sociales permettant, si elle était pratiquée aujourd'hui, d'équilibrer durablement les régimes de retraite ou encore de combien devrait-on réduire les dépenses publiques ?

* 50 C'est le terme qu'on retient conventionnellement ici, mais il faut savoir qu'à un terme plus lointain l'écart de financement est plus élevé.

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