2. Adéquation des moyens financiers des autorités administratives indépendantes à leur mission

16.1.3. Les Autorités administratives indépendantes dotées de ressources propres. Lorsque les Autorités administratives indépendantes disposent de ressources propres, elles passent du stade de l'autonomie budgétaire à celui de l'indépendance budgétaire. Cette situation est encore rare mais caractérise l'une des plus importantes, l'Autorité des Marchés Financiers, laquelle reprend en cela un système qui fonctionnait déjà pour la COB 352 ( * ) . Certes, l'ARCEP a également des ressources puisées sur des prélèvements sur le secteur mais son budget reste intégré dans celui de l'Etat. Le modèle demeure donc celui de l'AMF, puisque le budget annuel de l'Autorité repose sur des prélèvements opérés sur les entreprises concernées, à l'occasion des sollicitations qu'elles font du régulateur pour telle ou telle opération. La question est ici de savoir si le système des ressources propres présente des avantages si nets que l'on devrait songer à le généraliser, pour tout ou partie du budget considéré 353 ( * ) , à toutes les Autorités administratives indépendantes, lorsque cela est techniquement possible. Cela avait été envisagé au profit de la Commission de Régulation de Énergie 354 ( * ) .

16.1.4. La perspective de privilégier l'attribution de ressources propres à d'autres autorités en vue de renforcer leur indépendance. Mais il convient avant cela de souligner tout d'abord que nous retrouvons ici la distance entre le fait et le droit. Dans une analyse strictement juridique, on peut exprimer un souci pour les Autorités administratives dont l'indépendance est menacée par une direction du budget bras armé d'un Gouvernement désireux de remettre la main sur les Autorités administratives indépendantes, et qui sont toujours à la merci de mesures de rétorsion. De fait, on n'en trouve guère d'exemple et il est souvent souligné qu'au contraire, les Autorités administratives indépendantes sont traitées plus généreusement dans le budget de l'Etat que des administrations traditionnelles aux missions équivalentes, notamment quant à l'attractivité pour de jeunes fonctionnaires d'intégrer des Autorités administratives indépendantes plutôt que des administrations traditionnelles, ce qui finit par pénaliser celles-ci 355 ( * ) . La seconde remarque souligne qu'en toutes hypothèses toutes les Autorités administratives indépendantes ne pourront pas bénéficier de ressources propres dans la mesure où cela présuppose l'existence d'un secteur économique concerné, dont les entreprises pourront payer par injonction de la loi une contribution à l'institution dont l'activité bénéficie au secteur 356 ( * ) .

16.1.4.1. Le risque de partition entre les Autorités, engendré par une extension du système de l'indépendance budgétaire. Certes, l'on peut concevoir un tel rapport alors même que l'Autorité ne contribue pas directement au cas par cas à la situation des entreprises, comme c'est le cas pour l'AMF ou pour l'ARCEP, mais que néanmoins son activité concerne directement un secteur économique particulier, par exemple le secteur de l'audiovisuel pour le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, ou le secteur de la santé non seulement pour la Haute Autorité de la Santé mais encore pour le Comité consultatif national d'éthique. L'on pourrait ainsi concevoir des prélèvements directs sur les entreprises concernées. Mais un tel raisonnement ne peut plus valoir pour des Autorités ayant une activité transversale, comme le Conseil de la concurrence ou le Médiateur de la République, ou pour les Autorités dont l'intervention est spécifique mais non rattachée à une activité économique, comme le Défenseur des enfants. Dès lors, une extension de l'indépendance budgétaire pourrait engendrer, notamment parce que cela signifierait de plus importants budgets à la disposition de l'Autorité bénéficiaire, une sorte de partition dommageable entre les riches régulateurs économiques et des régulateurs dits sociaux moins bien lotis. Par exemple, la CNIL a estimé dans un rapport fait au Premier Ministre en 2005 n'avoir pas les moyens nécessaires à son action, dont l'accroissement est due à la montée en puissance des technologies, aux nouveaux pouvoirs dont elle est dotée et lorsqu'elle protège un droit fondamental 357 ( * ) . L'argument est de même double nature pour le CSA 358 ( * ) . Lorsque Le Défenseur des enfants l'estime également, il le fait en raison de l'enjeu même de sa mission et d'une nécessité de présence sur l'ensemble du territoire. Plus nettement encore, la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité a protesté en 2005 contre l'insuffisance de son budget.

16.1.4.2. Les avantages de l'indépendance budgétaire. Cette perspective de partition, du fait que, même adoptée dans son principe, l'indépendance budgétaire ne serait techniquement accessible que pour certaines Autorités, est à mettre en rapport avec les avantages de l'indépendance budgétaire. De fait, l'indépendance budgétaire permet aux Autorités administratives indépendantes d'échapper au temps général de disette budgétaire auquel l'Etat tout entier est soumis. Il faut d'ailleurs ici se demander s'il est tout à fait juste que seules elles y échappent 359 ( * ) . Mais principalement, l'indépendance budgétaire permet aux Autorités administratives indépendantes d'échapper à la capture par le Gouvernement sans succomber à la capture par les entreprises concernées par leur action. En effet, d'une part, toute négociation avec la Direction du budget devient inutile (risque de capture en amont) et toute rétorsion par des diminutions de budget lors de l'exercice budgétaire suivant une action de l'Autorité qui aurait déplu au Gouvernement est également mécaniquement exclue. Certes, si l'on prend l'exemple de l'AMF, la direction du Trésor choisit dans la fourchette visée par la loi le pourcentage exact de ce prélèvement, mais cela ne peut guère constituer un moyen de pression. Pour autant, l'indépendance budgétaire ne jette pas les Autorités administratives indépendantes dans une dépendance à l'égard des entreprises du secteur car ce n'est point à la demande de l'Autorité qu'elles procèdent au versement des sommes convenues mais bien sur ordre de la loi, ce qui préserve donc l'autorité.

16.1.4.3. La rupture nécessaire de l'indépendance budgétaire et de l'irresponsabilité. Le premier inconvénient de l'indépendance budgétaire est le risque de dérive dans les dépenses, notamment des dépenses somptuaires, dérives que l'absence de contrôle financier rend possible, et que l'absence de contrôle a priori à travers la négociation budgétaire ne limite plus. Cet inconvénient doit être neutralisé par une reddition des comptes accrue. Si une reddition des comptes n'est pas organisée très fermement, alors l'indépendance budgétaire devient infondée, voire dangereuse. C'est enfin face à un tiers, qui n'est plus en amont la Direction du budget, mais doit être en aval soit la Cour des comptes soit le Parlement lui-même, que les Autorités administratives indépendantes doivent alors répondre de l'adéquation de leurs moyens par rapport à leur mission.

16.1.4.4. L'indépendance budgétaire des Autorités administratives indépendantes, le souci de l'unité de l'Etat et l'équité entre organismes étatiques . Il a déjà été souligné que, de fait, les Autorités administratives indépendantes sont budgétairement mieux traitées que les administrations traditionnelles. Plus fondamentalement, l'indépendance budgétaire met un fossé entre l'administration traditionnelle et les Autorités administratives indépendantes. Cela diminue encore l'unité de l'Etat et nous retrouvons ici la question fondamentale de savoir s'il faut prendre acte du délitement, créer des Autorités administratives indépendantes qui tout à la fois y suppléent mais l'accroissent, ou demeurer dans une perspective de réaction 360 ( * ) .

SECTION 17 : INDÉPENDANCE BUDGÉTAIRE ET INDÉPENDANCE DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES

* 352 Ce système satisfait l'Autorité en cause, qui, interrogée sur le point de savoir qu'elle serait pour elle le meilleur système de financement, écrit dans sa réponse que « la situation actuelle d'autofinancement, par le biais de droits et contributions, paraît être le meilleur système de financement. Il avait fait ses preuves pour la COB, il semble que ce soit également le cas pour l'AMF... », sous réserve de la volatilité des ressources que cela suppose, avait précédemment souligné l'Autorité.

* 353 Par exemple, la CNIL, dans sa réponse au questionnaire, estime que « Au regard de l'indépendance de la Commission, il serait souhaitable, au moins, de pouvoir compléter les ressources provenant du budget de l'État par des ressources propres. ».

* 354 L'amendement présenté en ce sens par le sénateur Philippe Marini à l'occasion de la loi de finances rectificative pour 2004, adopté par le Sénat, a été rejeté par la commission mixte paritaire.

* 355 V. compte rendu Entretien Pierre-Mathieu Duhamel, directeur du budget ; « Le problème qui se pose alors est le suivant : en quoi le pouvoir budgétaire peut-il avoir un impact sur l'indépendance des AAI ? Si on fait un parallèle avec la justice, son placement dans le droit commun budgétaire n'a pas conduit à une remise en cause de son indépendance ». Et à la question qu'appelait une telle réponse, à savoir que certains auteurs ont soutenu le contraire, le directeur du budget répond : « ... le budget de la justice n'a cessé de s'accroître, depuis dix ans, ce qui ne serait pas le cas si le budget était utilisé pour réduire son indépendance. En outre, si la justice est demeurée dans le droit commun, dans le cadre de la LOLF, des précautions ont été prévues sur le niveau du dialogue, par exemple, ou encore sur la marge de manoeuvre ». Est soulignée ainsi l'analogie entre les AAI et les juridictions.

* 356 Par exemple, le Défenseur des enfants, dans sa réponse au questionnaire, estime que : « le budget général de l'Etat est la meilleure source budgétaire pour ce qui concerne l'institution du Défenseur des enfants ; l'autonomie de gestion financière devrait être totale sous le seul contrôle de la Cour des Comptes ; dans l'immédiat, la LOLF n'a pas influé sur l'organisation de l'activité de l'institution, mais il est difficile d'apprécier au stade actuel les effets de cette loi sur son indépendance. ».

La formulation choisie par la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité, dans sa réponse au questionnaire, est presque identique : « Nous devrions avoir une autonomie totale et être soumis au contrôle de la Cour des comptes. ».

* 357 La CNIL développe, dans sa réponse au questionnaire, que « Un rapport au Premier Ministre du 3 mars 2005 sur « l'augmentation nécessaire du budget de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés » comporte une recommandation pour « un plan de redressement sur quatre ans (2006-2009) ». La CNIL souhaite voir le doublement de ses effectifs, de 85 emplois à 170 en 2009 et une augmentation de son budget de fonctionnement de 2.450.000 € à 5.726.000 €. Les postes nouveaux de la CNIL seraient consacrés au renforcement de sa capacité d'expertise technologique, à l'augmentation du nombre de contrôles, de sa capacité de diffusion des connaissances vers tous les publics, à l'animation du réseau de correspondants à la protection des données personnelles, à la création de plates-formes locales, au renforcement de la fonction relations extérieures, études et développement et enfin à l'ajustement corrélatif des fonctions administratives et de support. Au-delà, un accroissement spécifique du budget de fonctionnement serait lié au besoin de relogement de la CNIL (ce qui sera réalisé en 2006), à l'extension de la CNIL hors de Paris, à la nécessité d'un budget d'études (socio-économiques, techniques, etc.) et enfin à la mise en oeuvre d'une politique d'information du public. ».

* 358 Le CSA souligne, dans sa réponse au questionnaire, que « Le volume de l'activité du CSA n'a cessé d'augmenter au fil des années, en raison de l'élargissement progressif du paysage audiovisuel et de l'extension régulière des missions assignées : autorisation d'exploitation des réseaux câblés et approbation de leurs plans de services, multiplication des chaînes du câble et du satellite, lancement d'un nombre croissant d'appels aux candidatures, autorisation de nouvelles chaînes de télévision locales, renouvellement des autorisations des radios MF et des chaînes nationales privées, mise en place de la télévision numérique terrestre, apparition de nouveaux supports de diffusion pour la radio et la télévision, etc. .L'impact de cette évolution est difficile à quantifier, car elle s'accompagne, au-delà d'une multiplication du nombre des dossiers instruits, d'une complexité croissante de leurs travaux préparatoires. ». Il confronte cette évolution à la stagnation de son budget. Il en conclut notamment que son budget « ne lui donnera ni les moyens de fonctionnement nécessaires pour la poursuite des travaux de planification pour la mise en place de la télévision numérique terrestre (1,8 M€ nécessaires en 2006 et 1,2 M€ en 2007), ni ceux destinés à l'élaboration d'un nouveau plan de fréquences pour la radio dans le cadre du plan FM 2006 (0,7 M€), actions jusqu'ici financées sur des reports de crédits et, à ce titre, non inscrites dans la base LFI 2005. ».

* 359 Comme le souligne en entretien Pierre-Mathieu Duhamel, directeur du budget : « Dans l'Etat, il n'y a personne qui ne soit soumis à un débat contradictoire, en raison du fait que la ressource résulte toujours de la « violence légitime » de l'impôt ou de son équivalent ».

* 360 V. supra.

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