II. UNE RÉFORME NEUTRE DU POINT DE VUE DE L'ÉGALITÉ HOMMES/FEMMES QUI APPELLE, DE LA PART DES ÉPOUX, UN EFFORT DE GESTION PRÉVISIONNELLE TOUT EN OFFRANT DES GARANTIES CONTRE LA TYRANNIE CONJUGALE

A. LE DROIT EN VIGUEUR : UNE LOGIQUE DE CONTENTIEUX IMPOSÉ EN DEPIT DE L'INTENTION INITIALE DU LEGISLATEUR

1. L'esprit de la loi de 1975 : le « divorce à la carte »

a) Les règles de valeur législative

Comme l'indique le Doyen Carbonnier, la loi du 11 juillet 1975, dont il avait rédigé le projet, est marquée par l'esprit de compromis entre les adversaires et les tenants de la faute. Prenant acte à la fois de la diversité des courants de pensées et de la tendance générale à la libéralisation, la loi de 1975 organise ainsi, dans les textes, un divorce à la carte.

Bien que l'article 229 du Code civil distingue trois cas dans lesquels le divorce peut être prononcé (le consentement mutuel, la rupture de la vie commune et la faute), une image plus fidèle du droit en vigueur consiste à distinguer quatre types de divorce :

- sur « requête conjointe », c'est-à-dire par consentement mutuel, qui nécessite l'accord des époux à la fois sur le principe et ses conséquences ;

- demandé par l'un et accepté par l'autre : les époux s'accordent sur le principe du divorce et le juge statue sur ses conséquences ;

- pour rupture de la vie commune depuis six ans ;

- pour faute : il faut démontrer que le conjoint a commis des faits constituant une « violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage » rendant intolérable le maintien de la vie commune ; les époux peuvent cependant s'entendre par la suite afin que la décision soit prononcée sans énonciation des griefs réciproques, conformément à l'article 248-1 du Code civil -bien connu des avocats puisqu'il est utilisé chaque année plus de 16.000 fois (c'est-à-dire dans un cas sur trois des quelques 50.000 divorces pour faute prononcés annuellement).

b) Les compléments réglementaires

L'examen par le législateur des règles de fond ne doit pas faire oublier la procédure qui est, pour les femmes et les hommes, sinon « soeur jumelle de la liberté », du moins importante.

En la matière, soulignait le Doyen Carbonnier, le fond ne se laisse pas aisément séparer de la forme et c'est pourquoi avant 1958 le droit civil avait toujours étroitement amalgamé règles de fond et dispositions de procédure. Conformément à la délimitation qui résulte des articles 34 et 37 de la Constitution, la procédure est désormais du domaine réglementaire. « Seulement, à isoler ainsi les innovations préconisées de leur mise en oeuvre judiciaire, on risque fort de susciter des malentendus sur leur signification ».

C'est ce danger qui semble, en partie, à l'origine d'une seconde délibération demandée par le Gouvernement en première lecture à l'Assemblée nationale. Votre rapporteur souhaite, pour sa part, manifester une attention toute particulière aux conditions dans lesquelles la réforme prévoit un recours élargi à la médiation.

2. La pratique se résume à une alternative entre « l'accord sur tout », majoritaire à 52 %, et la recherche des fautes dans 42,8 % des procédures

Dans la pratique, les quatre possibilités prévues par la loi de 1975 se ramènent à une alternative entre le consentement mutuel, qui suppose, « l'accord sur tout », et la recherche des fautes.

a) Un consentement « mutuel » parfois extorqué aux femmes

Il peut paraître a priori à la fois rassurant et surprenant que parmi les 120.000 couples qui divorcent chaque année, plus de 65.000 parviennent à s'accorder parfaitement à la fois sur le principe et les modalités de leur séparation au moment précis où la mésentente a atteint, par définition, son maximum.

Partant d'un simple constat statistique -52 % de divorces par consentement mutuel-, certains ont pu, sans nuance, tirer la conclusion que ce dispositif fonctionne de manière satisfaisante.

Votre délégation s'est interrogée sur la réalité que recouvre ce chiffre et souhaite attirer l'attention sur le fait qu'un certain nombre de divorces par consentement mutuel « se passent un peu trop bien ».

Le consentement mutuel suppose, en effet, un équilibre entre les époux et un accord des volontés qui ne doit être obtenu ni par la menace physique, ni par le chantage affectif et financier.

Il est donc essentiel, pour que les procédures de divorce se déroulent dans des conditions d'équilibre conformes à la loi, de tenir compte de l'incidence des violences au sein du couple.

Ce thème a fait l'objet d'un rapport conjoint du ministère de la Justice et du secrétariat d'Etat aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle en octobre 2001. Le document indique, dans une perspective de droit comparé, que la « France dispose d'une législation très complète qui permet de réprimer ce phénomène de violence conjugale ». En matière de divorce, le rapport évoque notamment les mesures d'urgence prises, conformément à l'article 257 du Code civil, par le juge aux affaires familiales qui peut autoriser la résidence séparée des époux dès le dépôt de la requête initiale.

S'agissant des difficultés de mesure et de la connaissance précise des violences conjugales, considérées comme un préalable à la mise en place de nouvelles actions spécifiques, le rapport renvoie aux résultats de l'enquête nationale sur les violences envers les femmes : à ce sujet, Mme Brigitte Grésy a rappelé à votre délégation qu'au cours des douze derniers mois, une femme sur dix s'est dite victime de violences conjugales.

Votre rapporteur s'est penché sur l'analyse statistique des jugements de divorce réalisée par le ministère de la Justice. Il constate qu'aucune des 89 pages de ce document, publié en 1999, ne mentionne les faits de violences conjugales qui constituent pourtant, d'après les estimations, un phénomène d'une très grande ampleur. Il recommande, en conséquence, et sans aller jusqu'à instaurer un « casier conjugal », d'adapter, à l'avenir, l'appareil d'analyse statistique au recensement et à la détection des faits constitutifs de violences conjugales.

b) En pratique, la législation canalise vers la faute une initiative principalement féminine

D'après l'analyse statistique conduite en 1999 par le ministère de la Justice sur les jugements de divorce prononcés en 1996, « l'épouse demande le divorce dans trois procédures contentieuses sur quatre » : plus précisément, la proportion est de 75,4 % dans les divorces pour faute, tandis que l'on constate un quasi équilibre hommes/femmes dans le cas de divorce par conversion de séparation et pour rupture de la vie commune (respectivement 55,2 % et 45,7 % d'initiatives féminines dans des procédures qui ne représentent globalement que moins de 4 % des 120.000 divorces annuels).

Votre rapporteur s'est efforcé de rechercher la signification de cette initiative féminine dans le divorce pour faute.

En ce qui concerne tout d'abord ses modalités : d'après les praticiens du droit, les femmes qui demandent le divorce pour faute mettent généralement en avant des griefs précis à l'encontre de leur époux (adultère, alcoolisme, violence, mauvaise gestion financière), tandis que, dans la plupart des cas, les hommes font état d'un désaccord global pour justifier une rupture.

Les travaux des sociologues, comme ceux de Mme Irène Théry, ainsi que l'observation de bon sens, incitent, en outre, à penser que les femmes ont, plus que les hommes, le courage de l'initiative du divorce parce qu'elles s'investissent de manière plus intense dans le mariage et en subissent, très directement, les dysfonctionnements au quotidien.

On peut ainsi supposer qu'une évolution dans la répartition des rôles, à l'intérieur du ménage, pourra entraîner, à long terme, sinon une meilleure stabilité des couples, du moins un rééquilibrage de l'initiative du divorce.

Dans la pratique, il convient avant tout de souligner que, contrairement à l'intention du législateur de 1975 qui souhaitait instituer un « divorce à la carte », le choix des époux est limité : à défaut d'accord total sur les points les plus sensibles de la séparation -l'affectation du logement, la garde des enfants, le montant de la pension alimentaire et de la prestation compensatoire-, les procédures de divorce sont aiguillées presque invinciblement vers le divorce pour faute, c'est-à-dire la « guérilla » des preuves et des attestations.

La conséquence de cette situation est que les modalités des divorces ainsi prononcés ne servent la cause, ni des femmes, ni de leurs maris ni, surtout, des enfants :

- au plan humain, le processus de recherche des torts inhibe d'éventuelles possibilités de réconciliation ;

- au plan financier, le législateur de 1975 a souhaité détacher le plus possible de la faute la répartition des droits pécuniaires après divorce, tout simplement parce qu'en faisant dépendre de l'incidence des torts l'obtention d'une pension, le système antérieur « excitait les époux à la belligérance ». La focalisation sur la faute ne peut donc avoir que des effets limités sur l'équilibre financier du divorce. Cette situation a pour effet de détourner l'attention portée à l'estimation précise des biens revenant à chacun des époux et à l'évaluation de leurs besoins respectifs, alors que le salaire des femmes est en moyenne de 27 %  inférieur à celui des hommes ;

- les maris n'y trouvent guère leur compte non plus. Les torts exclusifs qui leur sont attribués résultent dans 30 % des cas, comme l'a rappelé à votre délégation le professeur Dekeuwer-Défossez, d'un jugement par défaut. En effet, dans un nombre significatif de cas, les épouses bénéficiant de l'aide juridique engagent des procédures de divorce pour faute à l'encontre de maris qui, bénéficiant moins fréquemment de cette aide, ne souhaitent pas se défendre lorsque les enjeux financiers sont limités.

- de manière plus générale, chacun s'accorde à reconnaître que la focalisation sur les causes de la séparation détourne les esprits de la préparation et de la préservation de l'avenir. En particulier, les enfants ont tout à gagner d'une amélioration du climat du divorce.

Avant 1975, l'absence de rupture par consentement mutuel imposait aux époux de simuler les torts pour obtenir le divorce. Vingt-cinq ans plus tard, votre rapporteur constate que la « comédie judiciaire », même si elle a évolué, n'a pas été totalement réduite, puisque subsistent à la fois de faux consentements mutuels et des conflits artificiellement exacerbés ou invoqués.

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