EXAMEN EN DÉLÉGATION

La délégation s'est réunie le mercredi 25 avril 2001 pour l'examen du présent rapport.

M. Xavier de Villepin :

Un pays comme l'Allemagne peut-il fixer librement une période de transition durant laquelle les travailleurs des nouveaux Etats membres n'auront pas accès à son marché du travail ?

M. Paul Masson :

C'est le Conseil qui, à l'unanimité, va arrêter la position de négociation pour l'ensemble des Etats membres, et notamment les conditions dans lesquelles ceux-ci pourront éventuellement adopter des mesures transitoires. Il serait contraire aux dispositions de l'article 39 du traité qu'un Etat détermine seul sa période de transition. En revanche, la position de la Commission est de dire qu'il faut arrêter une règle commune parmi les cinq possibilités que j'ai énoncées. Le Conseil n'a pas encore pris position sur ces cinq options, mais il est clair que la position allemande, au regard de la Pologne, ne peut pas être appliquée de manière unilatérale.

M. Maurice Blin :

Dans l'hypothèse où chaque Etat adopterait une politique propre et différente de ses voisins, comment cette politique particulière pourrait-elle être mise en application ? En clair, le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont très libéraux dans les conditions d'accès à leur marché du travail pour des raisons bien connues. La France comme l'Allemagne sont moyennement libérales, l'Autriche encore moins. Va-t-on alors rétablir aux frontières nationales des contrôles qui varieront d'un pays à l'autre ? Comment cela est-il pratiquement possible ?

M. Paul Masson :

Nous sommes dans le cadre du travail légal, et non du travail clandestin. Nous nous plaçons dans le cadre d'accords qui sont régis par le droit du travail de chacun des Etats avec un registre de l'emploi contrôlé par l'inspection du travail. Cela veut dire que, en l'absence de règles communautaires uniformes, il y aura une distorsion de traitement, en fonction de l'état du marché du travail, selon le secteur ou la profession. Il est vrai que, là où la concurrence sera plus forte, le niveau de rémunération des salaires sera différent. La logique de l'Union européenne serait d'éviter cette situation. Mais nous savons également que les situations sociales, comme le comportement des différents corps de métiers, ne sont pas les mêmes.

C'est pourquoi il me semble qu'il faudrait agir avec souplesse, par exemple dans le cadre de conventions bilatérales, applicables dans certains secteurs déterminés et sous le contrôle de la Commission, comme c'est le cas pour les accords dérogatoires qui sont passés avec l'appui de la Commission. Il faut surtout éviter l'anarchie, c'est-à-dire éviter un dispositif où chaque pays pourrait faire ce qu'il veut, sans sanctions et dans la liberté absolue d'un marché sauvage. Il est bien vrai que si un pays passe directement un accord, avec l'Allemagne par exemple, pour avoir des conditions favorables pour exporter sa main-d'oeuvre, ce pays fait concurrence à un autre secteur d'activité dans un autre pays voisin. Ce serait alors la négation même du Marché commun.

Il faut trouver une voie moyenne entre un refus de tout droit d'installation des ressortissants des pays candidats après leur adhésion pendant une période transitoire - position allemande - et la position qui consiste à dire que chacun fait ce qu'il peut, que chacun se débrouille en fonction de ses propres intérêts, considérant les positions de son propre patronat, de ses syndicats, de l'état de son marché du travail, des tensions sur les salaires, etc... Ce serait le contraire d'un marché organisé, comme l'est celui de l'Union européenne, que de faire n'importe quoi avec la main-d'oeuvre de ces nouveaux Etats membres. Mais, par ailleurs, le refus du droit à l'installation de ces travailleurs est une position qui me paraît éminemment dangereuse et qui serait en tout état de cause très mal perçue par l'opinion publique de ces pays.

M. Yann Gaillard :

J'aimerais savoir comment on a procédé pour l'emploi des bûcherons de ces pays après les tempêtes ?

M. Paul Masson :

Les questions d'emplois d'ouvriers temporaires ou saisonniers sont réglées dans le cadre d'arrangements bilatéraux, sous le contrôle de la Commission. Ce sont en réalité des quotas qui ne portent pas leur vrai nom. C'est une pratique régulière de la part de pays comme l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche, et d'autres.

M. Maurice Blin :

Si je vous ai bien compris, il ne serait pas contraire à la législation communautaire d'envisager, pour des professions où il y a des pénuries de personnels comme le bâtiment ou l'informatique, d'accueillir favorablement des travailleurs de ces pays. A l'inverse, dans d'autres professions où des tensions pourraient apparaître, on pourrait alors être plus restrictif. Une régulation profession par profession est-elle possible ?

M. Paul Masson :

Cette régulation serait possible, et c'est précisément la position que je vous propose d'adopter. Nous refusons la fixation d'une clause générale de sauvegarde qui repousserait d'au moins cinq ans - peut-être sept ans - l'application du principe fondamental de l'article 39 du traité de Rome qui garantit cette libre circulation des travailleurs pour tous les ressortissants de l'Union européenne. Mais nous demandons aussi de pouvoir traiter les cas particuliers, profession par profession, dans le cadre d'arrangements ad hoc négociés avec les partenaires sociaux, sous le contrôle de la Commission. Notre position est celle du pragmatisme et de la souplesse.

M. Maurice Blin :

L'adhésion de la Pologne à l'Union européenne risque de remettre en question la possibilité de survie d'un certain nombre d'agriculteurs de ce pays, qui ne pourront pas faire face à la compétitivité de nos agriculteurs. Que vont devenir ces gens qui vont voir leur production agricole disqualifiée ? Il est probable que ces gens sans qualification vont chercher à venir travailler comme manoeuvres en Allemagne ou en Autriche ; déjà, en France, il n'y a plus beaucoup de manoeuvres de nationalité française. Peut-on envisager que ces agriculteurs polonais viennent chercher du travail non-qualifié dans les Etats membres actuels ? Je crois qu'il serait normal que ces gens occupent ces emplois. Mais alors un dispositif très complexe devrait être mis en place au cas par cas.

M. Paul Masson :

L'affaire est effectivement infiniment compliquée et elle réservera beaucoup de surprises à ceux qui auront à la gérer dans les dix prochaines années. D'autant qu'il faudra aussi compter avec les problèmes d'embauches sur les marchés "gris" du marché du travail. Je crois surtout qu'il ne faut pas donner à la proposition allemande un accord de principe pour une solution trop facile qui consiste à dire qu'on suspend pendant sept ans l'application du principe de la liberté de circulation des travailleurs et qu'on verra après. Ce serait donner un mauvais coup à l'opinion des pays candidats pour la seule satisfaction de positions politiques et socioprofessionnelles allemandes. Il faut se garder, sur ce sujet, d'aller trop loin et trop vite avec une position systématique qui n'apporterait pas grand chose, ni à la France, ni à la Grande-Bretagne, ni à d'autres pays comme les Pays-Bas, l'Espagne, le Danemark, la Suède, la Finlande etc..., mais qui nous mettrait à dos des pays avec lesquels nous devons garder des liens d'amitié.

*

A l'issue du débat, la délégation a approuvé le rapport à l'unanimité.

QUEL MARCHÉ DU TRAVAIL

APRÈS L'ÉLARGISSEMENT ?

Le traité de Rome fixe le principe de la liberté de circulation des travailleurs des Etats membres de l'Union européenne. Cette liberté peut-elle s'appliquer aux ressortissants des pays candidats d'Europe centrale et orientale dès leur adhésion, ou bien faut-il instaurer une période de transition de sept ans comme le demandent l'Autriche et l'Allemagne ?

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page