B. DES ABUS DIFFICILES À ÉTABLIR EN L'ÉTAT ACTUEL DU DROIT

Les abus constatés dans la pratique du marchandisage sont de plusieurs ordres. On observe tout d'abord une sous-rémunération des salariés marchandiseurs comparativement aux " employés de libre service " du magasin qui exercent en fait une activité similaire de réassortiment des rayons. Par référence à la convention collective de la grande distribution, on constate que les salaires des marchandiseurs sont inférieurs au coefficient minimum de rémunération d'un employé de libre service. De plus, les primes et autres parts variables qui devraient compléter la rémunération ne sont que rarement prises en compte.

Les contrats de travail, qui matérialisent le lien juridique entre le prestataire de services et le salarié, comprennent souvent de nombreuses clauses abusives. Certains contrats portés à la connaissance du rapporteur précisent que les accidents de trajet vers le lieu de travail ne constituent pas des accidents du travail ou qu'un minimum de huit heures de travail est garanti au salarié au cours de l'année. Ces dispositions s'accompagnent de pratiques, notamment en matière de rupture du contrat de la part de l'employeur, qui sont encore plus critiquables.

Une autre irrégularité majeure consiste dans le fait que l'autorité hiérarchique qui appartient en droit exclusivement à l'employeur, c'est-à-dire le prestataire de services, a pu être exercée en fait par le personnel du magasin, et notamment par les chefs de rayons. En matière de sous-traitance, cette infraction peut constituer un motif de requalification du contrat de travail au détriment de l'utilisateur. La situation devient encore plus confuse lorsque, comme cela a pu être constaté, c'est le chef de rayon, qui n'est pas l'employeur, qui prend la décision de renvoyer le salarié marchandiseur. Cet exemple illustre également et plus généralement la situation de précarité extrême dans laquelle se situe le salarié. Il n'est pas rare que celui-ci ait, comme nous l'avons constaté, plusieurs employeurs -jusqu'à huit ou dix- et aucune visibilité quant à sa charge de travail à venir. Sous bien des aspects, il apparaît comme taillable et corvéable à merci.

En l'état actuel du droit, cette dernière forme de marchandisage est illégale puisqu'elle s'apparente à un prêt de main d'oeuvre illicite ou marchandage. L'article L. 125-1 du code du travail précise que " toute opération à but lucratif de fourniture de main d'oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail, ou marchandage est interdite ".

Si le délit peut être clairement identifié, il s'avère plus compliqué à constater sur le terrain comme en témoignent les difficultés rencontrées par l'inspection du travail pour obtenir sa reconnaissance juridique ; la relation quadrangulaire -salarié, société de marchandisage, fournisseur, utilisateur/client- est le plus souvent trop complexe pour que les infractions soient aisément démontrables.

C'est pour mettre un terme à ces pratiques que M. Jean-Paul Delevoye a pris l'initiative de déposer une proposition de loi, cosignée par votre rapporteur, tendant à mieux réglementer les pratiques du marchandisage afin d'éviter certaines pratiques abusives constatées dans le secteur de la grande distribution. Telle qu'elle était rédigée, cette proposition de loi prévoyait d'interdire explicitement la pratique du marchandisage ainsi qu'une modalité de requalification des contrats de travail au détriment de l'utilisateur comme cela existe déjà en matière d'intérim et de contrats à durée déterminée.

Page mise à jour le

Partager cette page