N° 205

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 7 février 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, tendant à favoriser l'expérimentation relative à l 'aménagement et à la réduction du temps de travail et modifiant l'article 39 de la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle,

Par M. Louis SOUVET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Jacques Bimbenet, Claude Huriet, Charles Metzinger, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Michelle Demessine, M. Charles Descours, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jacques Machet, secrétaires ; José Balarello, Henri Belcour, Jacques Bialski, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Georges Dessaigne, Mme Joëlle Dusseau, MM. Guy Fischer, Alfred Foy, Serge Franchis, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Alain Gournac, Roland Huguet, André Jourdain, Pierre Lagourgue, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Simon Loueckhote, Jean Madelain, Michel Manet, René Marquès, Serge Mathieu, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Louis Philibert, André Pourny, Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, André Vézinhet

Voir les numéros :

Assemblée nationale (l0ème législ.) : 2325, 2360 et T.A. 417.

Sénat : 94 (1995-1996).

Travail.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission s'est réunie le mercredi 7 février 1996, sous la présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président, pour procéder à l'examen du rapport de M. Louis Souvet sur la proposition de loi n° 94 (1995-1996), adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture, tendant à favoriser l'expérimentation relative à l' aménagement et à la réduction du temps de travail et modifiant l'article 39 de la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle.

M. Louis Souvet, rapporteur, a commencé par rappeler les derniers chiffres du chômage, qui traduisent une nouvelle dégradation de l'emploi, ainsi que la révision à la baisse des prévisions de croissance pour les six mois à venir. Il a souligné que la crise actuelle durait déjà depuis 20 ans et qu'il semblait illusoire, au regard des progrès technologiques constants, d'espérer résorber spontanément trois millions de chômeurs. Dans ces conditions, il lui a semblé urgent de rechercher de nouveaux moyens de lutte contre le chômage, la réduction du temps de travail étant un de ces moyens.

La loi quinquennale de 1993 avait, dans cette perspective, prévu un dispositif conventionnel « d'annualisation-réduction » du temps de travail, et cherché à limiter les heures supplémentaires.

L'article 39, dû à une initiative de MM. Jean-Pierre Fourcade et Gérard Larcher, proposait de mettre en oeuvre de façon beaucoup plus ambitieuse ce dispositif d'annualisation-réduction. En contrepartie, l'État s'engageait à prendre à sa charge une quote-part des cotisations sociales.

Le rapporteur a alors rappelé les cinq conditions auxquelles était subordonné l'octroi de l'aide : fixation conventionnelle d'un nouvel horaire de travail annualisé, diminution de 15 % de la durée initiale du travail, réduction des salaires, embauches dans les six mois correspondant à 10 % de l'effectif moyen annuel, enfin, maintien de l'effectif ainsi obtenu pendant trois ans. L'aide de l'État consistait en une compensation partielle, à hauteur de 40 % la première année et de 30 % les deux années suivantes, des charges sociales patronales de l'ensemble du personnel.

M. Louis Souvet, rapporteur, a alors indiqué que ce dispositif n'avait guère été utilisé, puisque seulement 13 accords de ce type ont été conclus. Il a expliqué que, d'après les auteurs de la proposition de loi, les réticences des entreprises provenaient de l'obligation de réduire les salaires, de la complexité administrative liée à l'octroi de l'aide (la préférence des entreprises allant à une exonération des charges) et enfin des conditions de sortie du dispositif au bout de trois ans, la durée d'octroi de l'aide étant jugée insuffisante pour inciter au maintien durable de l'effectif.

Le rapporteur a ensuite résumé les principales modifications apportées par la proposition de loi à l'article 39 de la loi quinquennale : celle-ci pérennise le dispositif supprime l'obligation de diminuer les salaires, transforme l'aide de l'État en une exonération partielle de charges (non compensée) de 50 % la première année et de 30 % les années suivantes, enfin, porte de 3 à 10 ans la durée de l'avantage d'exonération.

M. Louis Souvet, rapporteur, a ensuite exposé les réserves que lui inspirait le texte quant à son opportunité et aux difficultés d'ordre technique qu'il suscitait.

Il a tout d'abord rappelé que les partenaires sociaux avaient signé, le 31 octobre 1995, un accord national interprofessionnel sur la réduction et l'aménagement du temps de travail dans un cadre annualisé, devant déboucher sur des négociations de branches. Il a alors constaté que la proposition de loi semblait anticiper sur le résultat de ces négociations, au risque d'en casser la dynamique, comme cela s'était produit en 1982 avec la réduction autoritaire à 39 heures de la durée hebdomadaire du travail.

Puis, après avoir rappelé le caractère expérimental de l'article 39, qui, selon lui, devait être maintenu, il s'est interrogé sur les risques d'interférence du dispositif de la proposition de loi avec la législation sur le temps partiel. Il a jugé que le fait de pouvoir rémunérer comme 39 heures les 33 heures résultant de l'accord ne pouvait que desservir les négociations sur le temps partiel, dans lequel une durée de travail de 32 heures est rémunérée 32 heures. Il lui a semblé en conséquence que l'articulation de ces deux dispositifs devait être revue.

M. Louis Souvet, rapporteur, a encore indiqué qu'il ne lui paraissait pas acceptable de mettre l'exonération de cotisations sociales à la charge des caisses de sécurité sociale et a observé qu'il n'était pas opportun de maintenir, pendant dix ans, l'exonération de charges sociales, si l'entreprise réduisait son effectif, d'autant que ces avantages d'exonération se cumulaient avec d'autres exonérations, comme l'abattement pour le temps partiel ou la ristourne dégressive.

Enfin, il s'est interrogé sur la nécessité d'aider financièrement des entreprises à mettre en oeuvre un dispositif de réduction du temps de travail, alors que les partenaires sociaux, dans le cadre des négociations en cours, étaient susceptibles de conclure des accords de même type, mais à coût nul pour la collectivité. En conséquence, il s'est demandé s'il ne serait pas plus raisonnable, pour encourager certaines expériences, de le faire sur la base des résultats des négociations des branches, afin d'en démultiplier les effets, plutôt que d'anticiper le résultat de ces négociations.

Malgré ses réserves, considérant qu'il n'était pas opportun de rejeter la proposition de loi, M. Louis Souvet, rapporteur, a proposé de l'amender. Il a notamment suggéré de rétablir l'exigence de diminution des salaires, de lier l'exonération sur les dix ans au maintien de l'effectif, et de mettre à la charge de l'État le coût pour les caisses de sécurité sociale de l'exonération de charges sociales.

M. Jean Chérioux a regretté que les conclusions du rapporteur se situent en retrait de l'analyse que celui-ci avait formulée. Il a rappelé qu'il n'était pas opportun de légiférer sur un sujet faisant l'objet de négociations entre les partenaires sociaux. Il a regretté que la proposition de loi s'articule mal avec le temps partiel et a souhaité que l'exonération de charges sociales ne soit pas maintenue en cas de diminution de l'effectif après trois ans. Il a cependant admis que l'on cherche à amender la proposition de loi, plutôt que de la rejeter car son rejet pourrait être mal interprété par les députés.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard, soulignant le grave problème de l'emploi, a considéré que la diminution du temps de travail constituait un moyen sérieux pour tenter d'y apporter remède. A ce titre, il convenait d'étudier sans hâte les mécanismes susceptibles d'être mis en oeuvre. Elle a cependant ajouté que son groupe politique ne considérait pas l'article 39 de la loi quinquennale de nature à apporter une solution. Il lui a semblé en outre inopportun de mettre les exonérations à la charge des caisses de sécurité sociale, alors que le Parlement venait d'être sollicité pour en rétablir l'équilibre financier. Elle a suggéré que, pour ne pas interférer avec les négociations en cours, l'examen de la proposition de loi soit différé ou que celle-ci soit purement et simplement rejetée.

M. Charles Metzinger s'est interrogé sur l'opportunité d'amender la proposition de loi, déclarant préférer son rejet, ce que l'Assemblée nationale ne devrait pas interpréter comme une négation de ses efforts pour favoriser le développement de l'emploi, mais comme une divergence sur les moyens d'y parvenir.

M. Jean Madelain s'est déclaré moins sévère que le rapporteur et les précédents orateurs sur le contenu de la proposition de loi. Pour lui, ce texte permettrait d'envoyer un signal fort aux partenaires sociaux dans le sens d'une réduction importante du temps de travail. Il a cependant souhaité que l'aide de l'État soit mieux définie et s'est déclaré favorable à l'adoption d'amendements sur certains points.

M. Guy Fischer a indiqué qu'il considérait la proposition de loi comme un mauvais texte qui ne permettrait pas de corriger l'échec de l'article 39 de la loi quinquennale. Il s'est inquiété de l'articulation du dispositif avec le temps partiel et a déploré la charge nouvelle imposée aux caisses de sécurité sociale. Il a souligné combien de tels textes déstructuraient les rapports du travail et a souhaité que soit mise en place une véritable politique salariale afin de relancer l'activité et l'emploi.

M. Paul Blanc a déclaré partager l'analyse du rapporteur et a même envisagé le rejet du texte. Il a rappelé qu'une proposition de loi sur le contrat collectif d'entreprise avait été déposée en juin 1995, ajoutant que son adoption aurait rendu inutile la présente proposition de loi.

M. Serge Franchis s'est déclaré très embarrassé par cette proposition de loi, dont les effets pervers lui paraissaient évidents. Il lui a semblé préférable de légiférer sur la base des accords en cours de négociation, plutôt que d'en anticiper les résultats.

M. Pierre Lagourgue a rappelé que le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) venait d'être d'augmenté dans les départements d'outre-mer de 15 %, ce qui mettait déjà les entreprises dans une situation difficile. Dans ces conditions, il ne lui paraissait pas acceptable de diminuer le temps de travail sans diminuer corrélativement les salaires.

M. Claude Huriet s'est déclaré inquiet d'un éventuel report de l'examen du texte en provenance de l'Assemblée nationale, surtout au moment où les nouvelles dispositions constitutionnelles relatives à « l'ordre du jour réservé » commençaient à s'appliquer. En outre, il a indiqué qu'il ne lui paraissait pas illogique d'anticiper sur le résultat des négociations. Enfin, il a souhaité que les mécanismes d'exonération, pour conserver un caractère incitatif au dispositif, ne soient pas limités à trois ans.

M. Bernard Seillier s'est félicité de l'analyse franche du rapporteur et de ses propositions d'amendements, qui auraient l'avantage de ne pas clore le débat.

M. Alain Vasselle a rappelé que la diminution du temps de travail ne constituait pas une panacée, et a souhaité que la voie contractuelle soit préférée à la voie législative. Il s'est demandé où en était la proposition d'un député de l'Union pour la démocratie française (UDF) d'augmenter le temps de travail à 40 heures et de compenser les heures supplémentaires par de la formation. Enfin, il a déclaré approuver la position du rapporteur.

M. Dominique Leclerc a également approuvé les propositions de M. Louis Souvet, rapporteur, et s'en serait volontiers tenu à un report de l'examen de la proposition de loi. En outre, constatant que la politique de l'emploi était loin de donner les résultats escomptés, il s'est déclaré partisan d'un recours accru à la voie conventionnelle. Il s'est, par ailleurs, inquiété des distorsions que le texte risquait d'engendrer avec le secteur public.

M. Louis Boyer s'est inquiété des conséquences qu'aurait un tel dispositif sur le secteur public et notamment sur les hôpitaux, qui n'en avaient nullement les moyens. En outre, le texte lui a semblé insuffisamment précis et inadapté aux objectifs, même malgré les amendements du rapporteur.

M. Henri de Raincourt a déclaré approuver l'analyse du rapporteur et a constaté que les difficultés soulevées étaient difficiles à résoudre. Approuvant l'objectif des auteurs de la proposition de loi d'assouplir le dispositif de la loi quinquennale, il a cependant constaté que les inconvénients du texte l'emportaient sur ses avantages. Il a toutefois observé qu'un rejet risquait d'être mal interprété et s'est déclaré favorable à « adoption d'amendements afin d'exprimer clairement la position du législateur : encourager la négociation, assouplir le dispositif d'incitation, et ne pas laisser penser que la diminution du temps de travail pourrait se faire sans diminution du salaire. Il a, en outre, souhaité que la confusion avec le temps partiel ne soit pas accentuée.

M. Jean-Pierre Fourcade, président, a formulé trois observations liminaires : la diminution du temps de travail ne peut plus être considérée comme une fausse solution au développement de l'emploi ; l'accord du 31 octobre 1995 va dans le bon sens, mais est-il opportun d'attendre que les négociations aillent jusqu'à leur terme pour prendre des initiatives ? Enfin, la proposition de loi ne peut être rejetée car cela condamnerait le dispositif de l'ordre du jour réservé aux Assemblées parlementaires. Il a, par ailleurs, ajouté que la qualité des signataires justifiait l'attention portée au texte.

Puis, M. Jean-Pierre Fourcade, président, a rappelé qu'il était l'auteur, avec M. Gérard Larcher, de l'amendement à l'origine de l'article 39 et que cet article mettait en place un dispositif expérimental assorti de nombreux verrous. Il a constaté que l'échec de ce dispositif tenait essentiellement à l'importance de la réduction du temps de travail exigée (-15 %), à la trop courte durée de l'exonération (3 ans) et à l'importance de l'exigence d'augmentation de l'effectif (10 %).

Observant alors qu'il ne lui paraissait pas possible de subordonner en permanence le travail législatif aux négociations des partenaires sociaux et aux réflexions du Gouvernement car cela condamnerait le Parlement à l'immobilisme, il a suggéré d'accepter le texte, assorti de plusieurs amendements.

Il a souhaité que le dispositif garde un caractère expérimental, que les salaires soient diminués, que le coût des exonérations soit supporté par l'État et que celles-ci restent inchangées par rapport à 1993. Il a enfin précisé que cette proposition de loi ne lui paraissait pas applicable au secteur public qui ne disposait pas d'instruments de mesure de productivité satisfaisants.

En réponse aux différents orateurs, M. Louis Souvet, rapporteur, a souligné qu'il n'exprimait aucune défiance vis-à-vis de l'Assemblée nationale et qu'il avait clairement dit qu'il ne proposait pas de rejeter la proposition de loi. En revanche, il ne lui paraissait pas possible de l'adopter sans un examen approfondi. Il a observé que le fait de signer une proposition de loi n'impliquait pas nécessairement que les auteurs en connaissent toutes les implications et qu'on ne pouvait considérer ses propres analyses comme une critique des signataires. Tout en reconnaissant qu'il était indispensable que chaque Assemblée accepte d'étudier les textes de l'autre, le rapporteur a souhaité ne pas avoir à légiférer à la seule aune de cette réciprocité, ce qui impliquait une complète liberté de parole et d'amendement, et le conduisait à écarter toute idée de question préalable.

Il a confirmé que la notion d'expérimentation avait disparu du texte de l'Assemblée nationale et s'est déclaré en accord avec la plupart des critiques formulées par les commissaires. Il a observé que la proposition de loi sur le contrat collectif d'entreprise ne recevait pas nécessairement son agrément et a admis que la présente proposition de loi était, en l'état, difficilement applicable aux départements d'outre-mer. Il a indiqué qu'il n'avait pas connaissance de texte augmentant la durée du travail en contrepartie d'une formation. Il a précisé que le texte ne s'appliquait pas à la fonction publique, mais qu'on ne pouvait exclure une certaine « contagion ».

Enfin, il a mis en garde sur le risque de modifier l'article 39 pour en faire un instrument favorisant les entreprises non viables.

M. Jean-Pierre Fourcade, président, a suggéré de lever certains des verrous de l'article 39 afin de marquer le souhait du Sénat de relancer le processus d'expérimentation.

M. Louis Souvet, rapporteur, a ensuite présenté ses amendements. A l'article premier, il a proposé de réinsérer l'exigence d'une réduction de salaire.

Après intervention de MM. Jean Madelain, Jean-Pierre Fourcade, président, Jean Chérioux et Henri de Raincourt, cette proposition a été adoptée, la commission demandant au rapporteur de préciser dans son rapport que cette réduction devait se comprendre en termes de masse salariale.

La commission a également demandé au rapporteur de rédiger un amendement pour maintenir dans le texte le caractère expérimental du dispositif.

Après intervention de M. Jean-Pierre Fourcade, président, la commission a demandé au rapporteur de compléter son amendement, de portée rédactionnelle, afin d'abaisser de 10 à 5 ans la durée des exonérations.

Elle a ensuite adopté trois amendements du rapporteur, assouplissant le délai dans lequel l'entreprise devait procéder aux embauches compensatoires, prévoyant la suppression de l'exonération si le niveau de l'effectif n'était plus respecté pendant un an, et permettant la modulation de l'exonération lorsque l'entreprise ou l'établissement appliquait déjà un horaire de travail inférieur à la durée légale.

Sur proposition de M. Jean-Pierre Fourcade, président, et après un débat au cours duquel sont intervenus MM. Jean Chérioux, Louis Souvet, rapporteur, Jean Madelain, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Alain Vasselle, Serge Franchis, André Jourdain et Paul Blanc, la commission a demandé au rapporteur de rédiger trois amendements afin de ramener de 15 à 10 % la réduction du temps de travail ouvrant droit à exonération, de 10% à 5% l'exigence d'embauches compensatoires et de 50 % à 40 % le taux de l'exonération de cotisations sociales la première année.

Enfin, la commission, sur proposition du rapporteur, a décidé de supprimer l'article 4 afin de faire supporter par le budget de l'État le coût de l'exonération de charges sociales.

La commission a ensuite approuvé la proposition de loi.

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi tendant à favoriser l'expérimentation relative à l'aménagement et à la réduction du temps de travail et modifiant l'article 39 de la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, dont les auteurs sont Mme Marie-Thérèse Boisseau et M. Denis Jacquat, ainsi que plusieurs de leurs collègues, a été examinée et adoptée par l'Assemblée nationale le 23 novembre 1995.

Elle a été transmise au Sénat et inscrite à l'ordre du jour en application de l'article 48, troisième alinéa de la Constitution (ordre du jour réservé).

Elle vise à assouplir l'article 39 de la loi quinquennale tendant à encourager la réduction conventionnelle du temps de travail.

La situation de l'emploi implique que soient étudiées de nouvelles voies pour réduire le chômage

Après quelques mois d'améliorations, entre la fin de 1994 et le début de 1995, les chiffres du chômage sont répartis à la hausse : + 57.000 demandeurs d'emploi en novembre et décembre, et le nombre total des chômeurs hors activité réduites de plus de 78 heures est repassé au-dessus des 3 millions (exactement 3.019.400 en données corrigées des variations saisonnières). Les mois à venir ne devraient pas apporter d'améliorations, dans la mesure où de nombreuses réductions d'effectifs ont été annoncées.

Enfin, les chiffres de la croissance ont été révisés à la baisse et l'on ne s'attend guère à une reprise avant le second semestre 1996.

Or, la « crise » dure depuis 20 ans, ce qui lui confère un caractère structurel et non conjoncturel. En outre, même avec une croissance significative, on ne peut guère espérer résorber 3 millions de chômeurs, quand les progrès technologiques engendrent régulièrement des gains de productivité.

C'est dire l'urgence de rechercher les moyens de relancer l'emploi, voire même, plus modestement, de stopper sa dégradation.

La réduction du temps de travail figure parmi ces moyens. Mais cette réduction doit être suffisamment importante pour susciter des créations d'emplois. Naturellement une telle voie est coûteuse pour l'entreprise et doit s'accompagner de contreparties. Ces contreparties sont essentiellement la flexibilité de l'organisation du travail. En outre, sauf à nier les contraintes économiques de chaque branche ou de chaque entreprise, la réduction du temps de travail ne peut être ni générale, ni imposée. Elle doit être négociée. C'est cette voie conventionnelle que préconisait le législateur dans la loi quinquennale de 1993. L'article 38, qui insère un article L. 212-2-1 dans le code du travail, prévoit un dispositif négocié d'annualisation-réduction du temps de travail « dans la perspective du maintien et du développement de l'emploi ». L'article pose également les limites à respecter, notamment en terme de durée du travail hebdomadaire et de délai de prévenance en cas de changement d'horaire. Il se combine avec un autre dispositif de la loi quinquennale qui vise à limiter les heures supplémentaires, toujours dans la perspective de développer l'emploi.

L'article 39 : une expérimentation qui n'a pas donné les résultats escomptés

Sur le même sujet, le débat sur la loi quinquennale a conduit à l'adoption d'un article 39, âprement discuté au Sénat et en commission mixte paritaire, qualifié, pendant un temps d'« amendement 32 heures », et dû à l'initiative du Président Jean-Pierre Fourcade et de M. Gérard Larcher.

L'article 39 s'insère dans le dispositif conventionnel d'annualisation-réduction du temps de travail de l'article L. 212-2-1 du code du travail. Il propose de le mettre en oeuvre de façon ambitieuse, en accordant aux entreprises qui concluraient de tels accords un allégement significatif du coup du travail global au sein de l'entreprise : à l'accord d'annualisation du temps de travail assorti d'une réduction conséquente de la durée collective de travail s'ajoute une obligation d'embauche compensatoire. En contrepartie, l'État prend à sa charge une quote-part des charges sociales de l'ensemble du personnel. Il s'agit d'un dispositif expérimental, devant faire l'objet d'un bilan : celui-ci, initialement prévu au 31 décembre 1994, a été repoussé par le DDOS de février 1995 au 31 décembre 1996, la première date ayant été jugée trop proche du début de la mise en oeuvre de la mesure, d'autant que le décret d'application n'est paru que le 18 mai 1994.

Pour ouvrir droit au bénéfice de l'aide de l'État, cinq conditions doivent être remplies et figurer dans l'accord :

- fixation d'un nouvel horaire de travail annualisé après négociation en application de l'article L. 212-2-1 du code du travail. Celui-ci comporte un certain nombre d'obligations telles que la détermination d'un calendrier et des modalités de mise en oeuvre, l'élaboration d'un programme indicatif de la répartition du travail sur l'année avec mention du délai de prévenance, ou encore la définition des conditions de recours au chômage partiel, l'objectif de l'annualisation-réduction étant d'éviter à la fois le chômage partiel et les heures supplémentaires ;

- ce nouvel horaire doit correspondre à une réduction de 15 % de la durée initiale du travail, ce qui met la durée moyenne de travail hebdomadaire à un peu plus de 33 heures ;

- et il doit être accompagné d'une réduction des salaires, condition jugée essentielle lors des débats de 1993, mais non précisée quant à son quantum ;

- ainsi que d'embauches dans les six mois de la réduction d'horaire, correspondant à 10 % de l'effectif moyen annuel ;

- l'effectif atteint après ces embauches doit être maintenu pendant trois ans.

Le respect des engagements est contrôlé au moment de la signature d'une convention avec l'État.

Lorsque toutes ces conditions sont remplies, l'entreprise peut prétendre à une compensation par l'État, pendant trois ans, d'une quote-part des charges sociales patronales portant sur l'ensemble des salaires versés de 40 % la première année et de 30 % les deux années suivantes. L'octroi d'une aide de l'État a été préféré à une exonération de charges en raison de sa réversibilité : il est plus facile de supprimer une aide que de supprimer une exonération.

L'article 39 de la loi quinquennale n'a pas rencontré le succès escompté : 5 conventions ont été conclues en 1994 et 8 au cours du premier semestre de 1995. Sur ces 13 accords, 9 concernent les Brioches Pasquier qui ont ainsi suscité l'intérêt du Président de la République, venu leur rendre visite le 13 juillet 1995. Les créations d'emplois ainsi encouragées sont de l'ordre de 250.

D'autres entreprises seraient intéressées mais, d'après les auteurs de la proposition de loi, se montrent réservées sur plusieurs points :

- l'obligation de réduire les salaires est jugée psychologiquement peu favorable à l'ouverture de négociations ;

- l'octroi d'une aide au lieu de l'ouverture d'un droit à exonération partielle de charges sociales engendre une complexité administrative démotivante ;

- enfin, les entreprises déjà signataires s'inquiètent des conditions de sortie du dispositif au bout de trois ans. Certes, elles ne sont pas astreintes au maintien de l'effectif au-delà de ces trois ans, mais si celui-ci correspond à un réel besoin et doit être maintenu, il leur semble que l'aide doit également être maintenue, et le caractère expérimental supprimé.

Il convient en outre de noter que les ambitions du législateur de 1993, en plaçant la barre trop haute, ont sans doute constitué un réel handicap pour les entreprises.

Les principales modifications introduites par la proposition de loi

La proposition de loi « Boisseau-Jacquat » modifie l'article 39 de la loi quinquennale sur quatre points majeurs :

- elle supprime le caractère expérimental du dispositif et le pérennise ;

- elle supprime l'obligation de diminuer les salaires ;

- elle transforme l'aide de l'État en une exonération partielle de charges sociales (non compensée), exonération plus avantageuse la première année puisqu'elle est de 50 % au lieu de 40 % ;

- enfin, elle porte de trois à dix ans la durée de l'avantage d'exonération (30 % la deuxième année et les années suivantes) consentie à l'employeur.

Par ailleurs, le cas des entreprises ou établissements ayant déjà réduit leurs horaires de travail est envisagé : la convention avec l'État pourra fixer des objectifs moins ambitieux tenant compte des efforts déjà consentis.

Pour les auteurs de la proposition de loi, cette démarche législative vise à accompagner et à prolonger la démarche négociée au niveau des branches, décidée par les partenaires sociaux dans leur accord cadre du 31 octobre 1995.

Le débat suscité par la proposition de loi

Tout en approuvant la démarche consistant à rechercher dans la réduction du temps de travail un moyen de favoriser le développement de l'emploi, votre rapporteur a fait part à la commission de plusieurs réserves qui, un moment, lui ont inspiré une certaine réticence à l'égard de la proposition de loi. Il a néanmoins préféré proposer l'adoption du texte assorti d'amendements tendant à lever certaines de ses réserves.

Son exposé devant la commission a suscité un débat approfondi 1 ( * ) au cours duquel plusieurs autres amendements ont été adoptés.

La commission s'est tout d'abord demandé si le texte ne risquait pas d'interférer avec les négociations de branches entamées à la suite de la signature de l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 sur la réduction et l'aménagement du temps de travail dans un cadre annualisé. L'accord porte également sur le repos compensateur pour heures supplémentaires, le travail à temps partiel, les effets sur les conditions de travail ou encore le compte épargne temps. Il vise à inciter à l'ouverture de négociations sur ces différents thèmes au niveau des branches. Ces négociations devaient être engagées avant le 31 janvier. Sur plus d'une centaine de branches, 58 les ont entamées ; en outre, certaines avaient précédé l'accord du 31 octobre 1995 et ont déjà signé des accords. Enfin, un bilan de ces négociations devrait être effectué à la fin du premier semestre de 1996 par un « Observatoire paritaire de la négociation collective », qui évaluera notamment les conséquences de ces accords sur l'emploi et formulera, au vu des résultats, des propositions de nature à développer les expériences innovantes initiées par les branches.

Il s'agit donc bien d'un dispositif très complet, évolutif, mis en oeuvre en application de la loi quinquennale et notamment de l'article L. 212-2-1 du code du travail présenté ci-dessus. Une dynamique est ainsi lancée.

La question s'est donc posée à la commission de savoir comment la proposition de loi pouvait s'articuler avec les négociations en cours, sans les perturber en fixant des objectifs incitatifs limitant la marge de négociations des partenaires sociaux. L'expérience de 1982, avec l'abaissement autoritaire de la durée du travail à 39 heures, a en effet montré les limites de ces interventions puisque cette durée n'a plus bougé depuis, alors qu'elle avait spontanément diminué de 10 heures entre 1950 et 1980. Elle a cependant considéré que les voies conventionnelles et législatives n'étaient pas contradictoires ni incompatibles et que rien n'interdirait, pour l'avenir, d'encourager certaines expériences sur la base du résultat des négociations de branches, afin d'en démultiplier les effets.

Par ailleurs, la commission s'est interrogée sur certaines difficultés techniques susceptibles d'être engendrées par la proposition de loi.

Elle a d'abord observé que l'article 39, dans sa rédaction actuelle, est expérimental et qu'un bilan doit en être dressé au 31 décembre prochain. Elle a considéré que si les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de l'article 39 justifiaient dès maintenant sa modification, il convenait, à tout le moins, d'en conserver le caractère expérimental.

La commission s'est ensuite interrogée sur les risques d'interférence du dispositif de la proposition de loi avec le temps partiel. Le temps partiel, en effet, commence à 32 heures, avec par exemple la semaine de quatre jours permettant notamment aux femmes qui le souhaitent de prendre leur mercredi pour s'occuper de leurs jeunes enfants. Le dispositif proposé par le présent texte fixe la barre à 33 heures. Or, dans le temps partiel, 32 heures sont généralement payées 32 heures. Dans le dispositif proposé aujourd'hui, 33 heures seront très certainement payées 39 heures, puisque le verrou, pourtant jugé essentiel en 1993, de diminution du salaire, a sauté. Comment négocier, dans ces conditions, et comment encourager le temps partiel si, pour une heure de plus, le salarié est payé 39 heures ? Il semble, dans ces conditions, nécessaire de rétablir l'exigence de diminution de salaire, afin de permettre aux négociations de moduler, le cas échéant, le passage d'un dispositif à l'autre. Un abaissement des objectifs initiaux peut également constituer une réponse à cette difficulté.

La commission s'est également interrogée sur le coût du dispositif pour la collectivité publique. Elle a tout d'abord constaté que l'allégement de cotisations de 50 % la première année et de 30 % les neuf années suivantes était mis à la charge des caisses de sécurité sociale, puisqu'il est dit expressément à l'article 4 qu'il n'y a pas compensation par le budget de l'État. Cela ne lui a pas paru acceptable : une telle disposition est en effet contraire à ce que le législateur a voté en juillet 1994, considérant que la politique de l'emploi relevait de l'État et non des caisses de sécurité sociale ; elle est en outre inopportune, car l'État vient tout juste de demander aux Français un effort contributif accru pour combler le déficit du système de protection sociale.

Par ailleurs, la commission a constaté que l'exigence de maintien de l'effectif augmenté de 10 % n'était que de trois ans quand l'exonération était de 10 ans. Elle considère, certes, qu'il est sage de ne pas poser une exigence de maintien de l'effectif pendant 10 ans, car ce serait antiéconomique et irréaliste ; une entreprise ne peut en effet savoir comment sera le marché dix ans à l'avance. Toutefois, laisser perdurer une exonération, même si l'effectif a chuté en-dessous de ce qu'il était au départ, sera inutilement coûteux, voire pourrait constituer une aide à des entreprises qui ne sont plus viables. Cette aide sans contrepartie est d'autant moins justifiée que, depuis 1993, de nombreuses entreprises bénéficient d'exonération sur les bas salaires, notamment avec la ristourne dégressive et avec la suppression des cotisations d'allocations familiales. Le contexte de 1996 n'est plus celui de 1993, et il n'est pas vain de favoriser le cumul d'exonérations dont une partie n'a plus d'objet ; la réforme des prélèvements obligatoires, aussi justifiée soit-elle, ne peut se faire de cette manière. La commission a donc, sur ce point, également souhaité modifier la proposition de loi. Il convient en effet d'éviter que les emplois ainsi créés ne consomment in fine plus de richesses qu'ils n'en créent.

Au terme de ses débats, la commission, après s'être interrogée sur l'opportunité de différer l'examen de la proposition de loi, a décidé autant pour des raisons de procédure que pour des raisons de fond, d'en proposer au Sénat l'adoption, sous réserve toutefois des amendements exposés ci-après, portant notamment sur la diminution de salaire, l'abaissement des objectifs initiaux, la subordination de l'exonération au maintien de l'effectif et surtout la mise à la charge de l'État du coût des exonérations pour les caisses de sécurité sociale.

* 1 Voir Travaux de la commission.

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