Rapport n° 589 (1993-1994) de M. Jean-François LE GRAND , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 6 juillet 1994

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N° 520

SÉNAT

TROISIÈME SESSION ORDINAIRE DE 1993 - 1994

Annexe au procès-verbal de la séance du 6 juillet 1994.

RAPPORT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de résolution présentée par Mme Hélène LUC, M. Robert VIZET. Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Michelle DEMESSINE, Paulette FOST, Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM. Jean GARCIA, Charles LEDERMAN, Félix LEYZOUR, Louis MINETTI, Robert PAGÈS, Ivan RENAR et Henri BANGOU, tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences économiques et sociales de la déréglementation du transport a érien sur les compagnies aériennes françaises, et notamment Air France et Air inter,

PRÉSENTÉE ,

Par M. Jean-François LE GRAND

Sénateur

(1) Cette commission composée de : MM. Jean François Poncet, président, Philippe François, Henri Revol, Robert Laucournet, Jean Huchon, vice présidents ; William Chervy, Francisque Collomb, Jean-Paul Emin, François Gerbaud, Louis Minetti, secrétaires ; Henri Bangou, Bernard Barraux, Jacques Bellanger, Georges Berchet, Roger Besse, Jean Besson, Marcel Bony, Didier Borotra, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Robert Calmejane, Louis de Catuelan, Joseph Caupert, Raymond Cayrel, Gérard César, Roland Courteau, Marcel Daunay, Desiré Debavelaere, Jean Delaneau, Jean-Pierre Demerliat, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Pierre Dumas, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean Faure, André Fosset, Aubert Garcia, Charles Ginésy, Jean Grandon, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Remi Herment, Bernard Hugo, Roger Husson, Pierre Lacour, Gérard Larcher, Jean-François Le Grand, Charles- Edmond Lenglet, Félix Leyzour, Maurice Lombard, René Marques, François Mathieu, Serge Mathieu, Jacques de Menou, Louis Mercier, Gérard Miquel, Louis Moinard, Paul Moreau, Joseph Ostermann, Albert Pen, Jean Pepin, Daniel Percheron, Jean Peyraffite, Alain Pluchet, Jean Pourchet, André Pourny, Henri de Raincourt, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Roger Rigaudière, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca-Serra, Jean Roger, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Fernand Tardy,

Voir le numéro ; Sénat : 520(1993-1994)

Mesdames, Messieurs,

La proposition de résolution n° 520 tend à créer une commission d'enquête sur les conséquences économiques et sociales de la déréglementation du transport aérien sur les compagnies aériennes françaises, notamment Air France et Air In ter.

Avant de procéder à l'examen au fond de cette proposition (3), votre Commission des Affaires économiques et du Plan estime utile de rappeler le contexte juridique dans lequel elle s'inscrit (1) et d'évoquer la question de sa recevabilité (2).

1. Les conditions de création et de fonctionnement d'une commission d'enquête sont fixées par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1358 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et l'article 11 du règlement du Sénat. L'essentiel de ces dispositions est résumé ci-après :

«Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées.

Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquesl elle est chargée d'enquêter.

Les membres des commissions d'enquête sont désignés fie façon à y assurer une représentation proportionnelle des politiques.

Les commissions d'enquête ont un caractère temporaire. Leur mission prend fin par le dépôt de leur rapport et, au plus tard, a l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de l'adoption de la résolution qui les a créées. Elles ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l'expiration d'un délai de 12 mois à compter de la fin de leur mission.

L'article 10 (alinéa 2 et 3) de la loi n° 67-483 du 22 juin 1967 relatif à la Cour des Comptes est applicable aux commissions d'enquête dans les mêmes conditions qu'aux commissions des finances.

Les rapporteurs des commissions d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis. Ils sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat et sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs.

Toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer a. la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission.

2- La proposition de résolution n° 520 présentées le 16 juin 1994 au Sénat par Mme Hélène LUC, M. Robert VIVET et les autres membres du groupe communiste et apparenté se révèle, sous réserve de quelques différences de motivations, similaire à la proposition de résolution n° 1064 déposée fin mars 1994, à l'Assemblée nationale, par MM. François ASENSI, Remy AUCHEDÉ et les autres membres du groupe communiste de l'Assemblée nationale.

Par lettre en date du 19 avril 1994, le Garde des Sceaux a indiqué au Président de l'Assemblée nationale que les faits motivant le dépôt de cette proposition de résolution n° 1064 ne faisaient pas l'objet de poursuites judiciaires.

En outre, questionné par votre rapporteur, le ministère de la Justice lui a officieusement, fait savoir que cette situation était restée inchangée et qu'aucune poursuite n'avait aujourd'hui été engagée sur les faits ayant donné lieu au dépôt des deux propositions de résolution.

Par voie de conséquence, la proposition de résolution n°520 qui vous est aujourd'hui soumise, n'apparait pas à votre Commission des Affaires économiques et du Plan de nature à poser de problème de recevabilité.

3. En revanche, sur le fond, cette proposition de résolution a, semblé à votre commission motivée, pour l'essentiel, par deux arguments fort contestables et son adoption lui paraîtrait peu opportune pour une triple série de raisons.

3.1 . L'exposé des motifs de la proposition de résolution affirme tout d'abord, ce que nul ne saurait démentir, la gravité de la crise du transport aérien mondial et le fait que : « les compagnies françaises, et notamment Air France et Air Inter, en subissent aujourd'hui les conséquences ».

Il présente ensuite une analyse de cette situation où les problèmes - pourtant très différents - d'Air France et d'Air Inter sont quelque peu confondus et où se trouvent successivement dénoncés : la déréglementation américaine, la libéralisation engagée en Europe, le plan de M. Christian BLANC, Président du Groupe Air France, et l'acceptation par le Gouvernement français de l'exploitation d'une ligne Orly-Londres par British Airways.

Cependant, la proposition de résolution est justifiée en définitive par deux arguments clefs. Le premier consiste à laisser entendre qu'Air France et Air Inter souffrent prioritairement d'une « stratégie d'adaptation à la déréglementation » 1 ( * ) . Le second soutient que le plan de M. Christian BI.ANC traite « des conséquences de la crise et non de ses causes » et qu'il « ne résoud pas le problème de fond ».

Or, ces deux arguments se révèlent, l'un et l'autre, difficilement acceptables.

Les admettre reviendrait, en effet, à nier toute réalité aux contraintes du marche auxquelles sont confrontés les ailes françaises. Cela conduirait à faire accroire que ce n'est pas un manque de compétitivité qui est à l'origine de la situation de quasi-faillite de la compagnie Air France et qu'il suffirait à la France de revenir sur certains de ses engagements internationaux pour que, comme par magie, toutes les difficultés de l'entreprise s'estompent.

Comment soutenir une telle thèse lorsque l'on sait, au vu de ses résultats de 1993, qu'à chaque fois que la compagnie Air France vend pour 100 francs de billets, elle perd 10 francs ?

En vérité, la crise que traverse Air France découle bien davantage des handicaps structurels de la compagnie que des évolutions de la réglementation du transport aérien mondial ou européen.

Certes, ces évolutions n'ont pas été sans effets sur la situation actuelle de l'entreprise, en favorisant le jeu de la concurrence, elles ont crûment mis en évidence des fragilités que dissimulait antérieurement la protection réglementaire accordée à la compagnie nationale. Mais on ne peut pas considérer que ce sont les changements juridiques opères dans le secteur aérien qui sont à l'origine de ses insuffisances de productivité.

Ainsi la commission de contrôle sénatoriale instituée en décembre 1990 et chargée d'examiner la gestion de l'entreprise nationale 2 ( * ) avait abondamment relevé que la compétitivité d'Air France se révélait peu satisfaisante, au regard de celle de ses principales concurrentes européenne. Elle avait notamment déploré sa soumission à une hiérarchie nombreuse et complexe qui induisait un fonctionnement bureaucratique, peu apte à assurer une adaptation performante aux évolutions du marché. Elle avait également exposé les désavantages comparatifs que faisaient peser sur la compagnie nationale les règles internes applicables à l'emploi, à la formation et aux carrières des pilotes .

Avait d'ailleurs été, parallèlement, dénoncée l'imprévoyance de l'Etat, tuteur et actionnaire principal d'Air France, qui, dans les années 1980, n'avait pas su, à l'exception du projet de privatisation de 1987, organiser le renforcement du capital de l'entreprise.

D'aucuns tendent même à soutenir que ce sont les protections réglementaires accordées à Air France qui, facteurs d'une quiétude artificielle et émoliente, sont a l'origine de ses actuelles difficultés.

Dans ces conditions, on ne peut, pas prétendre que le projet pour l'entreprise intitulé «  Reconstruire Air France » présenté aux personnels par M. Christian BL,ANC - et, faut-il le rappeler, approuvé à plus de 80 % - traite « des conséquences de la crise et. non des causes ».

Ce projet n'a, en effet, d'autre objectif que de résorber les obstacles structurels qui entravent la compétitivité de l'entreprise. Il est, en définitive, la seule alternative crédible à un subventionnement indéfini de la compagnie par le contribuable auquel - vu l'ampleur des déficits- plus personne ne peut raisonnablement croire et la déclaration de faillite.

Pour ce qui concerne Air Inter, l'amalgame fait avec Air France apparaît pour le moins exagéré car la situation de la première n'est guère comparable à celle de la seconde et se révèle, en tout cas, beaucoup moins catastrophique. Bien sûr, l'ouverture plus rapide que prévu de la concurrence sur certaines lignes intérieures rentables, où Air-Inter disposait jusqu'à maintenant d'une exclusivité, pose de nombreux problèmes. Mais, là encore, il serait erroné d'imaginer que le simple refus des évolutions en cours peut constituer une solution valable.

3.2. Des considérations générales qui viennent d'être exposées, votre Commission des Affaires économiques et du Plan tire la conclusion qu'il n'est pas opportun de créer la commission d'enquête proposée.

Une triple série de raisons emporte sa conviction.

• Tout d'abord, une décision favorable risquerait, eu égard à la motivation de la proposition de résolution, de laisser supposer aux salariés d'Air France qu'il existe d'autres solutions pour sortir leur entreprise de la crise que celles que leur a proposées leur Président et qu'ils ont approuvées, alors même - nous l'avons vu - que cela n'est pas vrai. Une telle décision pourrait donc compromettre la réussite du projet d'entreprise adopté par référendum et, par voie de conséquence, le redressement d'Air France, Nul ne saurait le souhaiter.

• par ailleurs, la constitution d'une commission d'enquête sur « les conséquences économiques et sociales de la libéralisation du transport aérien sur les compagnies françaises » - traduirait la nécessité de recueillir des éléments d'information sur ce sujet, voire d'inciter le Gouvernement à l'action.

Or, en la matière, l'information du Sénat est déjà fort complète et les actions menées par le Gouvernement ont toujours été guidées par un sens profond de l'intérêt national.

Le rapport de la commission de contrôle sénatoriale précité 3 ( * ) avait déjà dressé il y a trois ans un panorama fort complet de la situation. Le débat sur les transports intérieurs qui a été organisé, au mois de septembre dernier, au Sénat a utilement précisé de multiples aspects du dossier. II en va de même des nombreuses questions parlementaires auxquelles, suite à l'évolution rapide de la situation tant à Air France qu'à Air Inter a été amené à répondre, ces derniers mois, M Bernard BOSSON, Ministre de l'Equipement, des Transports et du Tourisme.

Par ailleurs, le mémorandum sur la crise du transport aérien déposé à la fin de 1993, auprès de la Commission européenne par la France « pour écarter le protectionnisme mais aussi refuser le simplisme de la règle ultralibérale » tout comme ta mise en place, en janvier de cette année, par le Ministre des Transports., du comité de réflexion dit «Abraham» 4 ( * ) -' dont votre rapporteur était membre et qui vient de remettre ses conclusions fournissent, si besoin en était, deux illustrations parmi d'autres de l'attention constante portée à ces questions par le Gouvernement.

• Enfin et surtout, si le Sénat retenait la proposition de résolution qui lui est présentée, il est à craindre que l'institution de la commission d'enquête demandée puisse être de nature à retarder, voire à gêner, le bon aboutissement des négociations actuellement menées par le Gouvernement avec la commission de Bruxelles en vue de la recapitalisation d'Air France.

Pour l'ensemble de ces raisons, la Commission des Affaires économiques et du Plan, lors de sa réunion du mercredi 6 juillet, a suivi son rapporteur qui lui proposait de ne pas adopter la proposition de résolution n°520 et a rejeté cette proposition, le groupe communiste volant contre le rejet et le groupe socialiste s'abstenant.

* 1 - le mot « déréglementation » visant ici, de manière quelque peu excessive, à la fois la déréglementation américaine et la libéralisation européenne

* 2 - Rapport n° 330 (1990-1991) et remis à M. le Président du Sénat le 15 mai 1991

* 3 - présenté par M. Ernest CARTIGNY, Président, et Serge VINÇON, Rapporteur

* 4 - ce comité avait notamment pour mission de réfléchir : « aux moyens de rendre compatibles les principes traditionnels d'organisation du transport aérien intérieur et tout particulièrement le rôle que doit jouer le transport aérien dans la politique d'aménagement du territoire, avec les règlements européens »

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