EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
Réforme des critères légaux d'ouverture des pharmacies d'officine

Cet article vise à réviser les critères géo-démographiques d'installation des pharmacies d'officine pour favoriser l'ouverture d'officines dans les communes faiblement peuplées.

La commission a adopté cet article avec modification afin de contraindre le Gouvernement à publier avant le 1er octobre 2024 le décret nécessaire à l'application du dispositif « territoires fragiles », et permettre à défaut l'application directe de ce dispositif à compter de cette date.

I - Le dispositif proposé

A. Le maillage officinal, désormais déclinant, constitue un facteur essentiel d'accès aux soins

1. La qualité historique du maillage officinal français

La qualité du maillage territorial permis par le réseau de pharmacies d'officine a longtemps été soulignée.

· La France comptait, au 1er janvier 2023, 20 142 pharmacies d'officine devant permettre d'assurer la desserte de l'ensemble du territoire.

La densité de pharmacies d'officine apparaît, par ailleurs, relativement élevée. Avec 32 officines pour 100 000 habitants, en moyenne, la densité officinale française excédait, en 2019, la moyenne de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La même année, l'Allemagne comptait 23 officines pour 100 000 habitants et l'Espagne, 47.

Nombre de pharmacies de ville pour 100 000 habitants en 2019

Source : OCDE, Panorama de la santé 2021.

· La répartition des officines sur le territoire national apparaît, par ailleurs, relativement équilibrée.

Du fait d'une régulation ancienne de leur installation, les pharmacies d'officine apparaissent, d'abord, plus équitablement réparties sur le territoire que d'autres professions de santé. Dans un rapport de 2016, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) des ministères sociaux soulignait ainsi que, parmi les professions de santé exerçant en ambulatoire, les pharmaciens étaient ceux pour lesquels les écarts d'accessibilité apparaissaient les plus faibles. Elle attribuait ce maillage à « la régulation qui régit l'implantation des pharmacies » 1(*).

En outre, de nombreuses officines demeurent dans les territoires ruraux et contribuent ainsi à l'offre de soins de proximité. Le CNOP constate ainsi qu'en 2023, 35 % des officines sont installées au sein de communes de moins de 5 000 habitants et 31 % des officines dans des communes ayant entre 5 000 et 30 000 habitants. Un rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) relevait qu'en 2016, 97 % des Français vivaient à moins de dix minutes en voiture d'une officine, et 99,5 % à moins de quinze minutes2(*).

Nombre d'officines selon la taille de la commune au 1er janvier 2023

Source : Conseil national de l'ordre des pharmaciens, 2023.

2. La fragilisation progressive du maillage officinal

· Ce maillage apparaît ces dernières années, toutefois, progressivement fragilisé.

Le nombre d'officines connaît, ainsi, une diminution continue depuis dix ans. Entre 2012 et 2022, la France a perdu plus de 1 800 pharmacies d'officines, soit une baisse de 8,2 %3(*). Dans la même période, la France métropolitaine gagnait 3,7 % d'habitants4(*).

Il en résulte une baisse significative de la densité de pharmacies d'officine : d'après le Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop), la France ne comptait plus, en 2022, que 30 officines pour 100 000 habitants, contre 34 en 20125(*).

Variation du nombre d'officines par département entre 2012 et 2022

Source : Conseil national de l'ordre des pharmaciens, 2023.

· Par ailleurs, des inégalités territoriales subsistent dans l'implantation des pharmacies d'officine.

La concentration des officines dans certains territoires - les régions Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine rassemblent, à elles seules, près de 40 % des officines recensées - ne recoupe pas parfaitement les inégalités démographiques observées. Il en résulte une densité d'officines inégale entre départements de la France métropolitaine : en 2022, près d'un tiers d'entre eux comportaient moins de 30 officines pour 100 000 habitants6(*), contre plus de 35 pour les départements les mieux dotés.

Densité d'officines en France métropolitaine au 1er janvier 2022

En nombre d'officines pour 100 000 habitants

Source : Conseil national de l'ordre des pharmaciens, 2023.

· Cette fragilisation du réseau de pharmacies d'officine est portée par un fort mouvement de restructuration. Celui-ci a conduit, sur la seule année 2022, à la fermeture de 211 officines.

Les fermetures constatées peuvent résulter de plusieurs situations :

- une restitution de licence à l'Agence régionale de santé (ARS) indemnisée par un confrère, lorsqu'un repreneur est trouvé7(*) ;

- une restitution de licence non indemnisée, à défaut de repreneur ;

- un regroupement d'officines existantes, dans l'emplacement de l'une d'elles ou tout autre emplacement situé sur le territoire national8(*) ;

- une liquidation judiciaire sans option de rachat de l'officine ;

- la caducité de la licence, lorsqu'aucune activité n'a été constatée pendant douze mois consécutifs9(*) ou, en cas de décès du titulaire, à l'expiration d'un délai de deux ans et en l'absence d'acquéreur10(*).

Une majorité des fermetures constatées semble résulter, en 2021 comme en 2022 d'une restitution de licence.

Répartition des modes de fermeture en 2021 et 2022

Source : Conseil national de l'ordre des pharmaciens, 2023.

3. Le renforcement progressif des missions des pharmacies d'officine

Le rôle des officines dans les territoires est d'autant plus important que leurs missions ont été, ces dernières années, progressivement renforcées au-delà de la dispensation des médicaments et des conseils associés.

La réalisation de tests rapides d'orientation diagnostique (TROD) a progressivement été encouragée, notamment par le développement des ordonnances conditionnelles qui permettent au prescripteur de subordonner la délivrance de certains médicaments à la réalisation et au résultat d'un TROD11(*). La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024 a également autorisé la délivrance de certains médicaments par le pharmacien, sans prescription médicale préalable, après la réalisation d'un tel test12(*).

Des compétences de prescription ont, par ailleurs, été reconnues aux pharmaciens d'officine. La LFSS pour 202313(*) a, ainsi, fait figurer parmi leurs missions légales la prescription de certains vaccins énumérés par arrêté14(*).

Enfin, les missions d'accompagnement des pharmaciens ont été progressivement renforcées par la création et la valorisation de l'entretien d'accompagnement pharmaceutique des femmes enceintes, de l'entretien pharmaceutique ou du bilan partagé de médication.

B. Les conditions légales d'installation des pharmacies d'officine

1. Les conditions d'ouverture de droit commun

Les conditions d'ouverture de droit commun des pharmacies d'officine ont été réformées par une ordonnance de janvier 2018 relative à l'adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines15(*).

Les autorisations de création, de regroupement et de transfert d'officine sont octroyées par le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS)16(*), qui se fonde pour cela sur des critères définis par la loi.

a. Les conditions encadrant les transferts et regroupements d'officines

· Des seuils fondés sur la population communale, dits « géo-démographiques », encadrent ainsi les ouvertures d'officine. Peuvent être autorisés les transferts ou regroupements conduisant à l'ouverture d'une officine :

- dans les communes d'au moins 2 500 habitants, puis par tranche supplémentaire de 4 500 habitants recensés ;

- ou dans les communes dont la population est inférieure à 2 500 habitants mais dans lesquelles la dernière officine présente, ayant cessé définitivement son activité, desservait jusqu'alors une population au moins égale à ce seuil17(*).

Les seuils géo-démographiques n'ont que peu évolué depuis le début des années 2010.

Seuils géo-démographiques applicables à la création d'officines depuis 1999

Population communale

Condition entre 1999 et 2007

Condition entre 2008 et 2011

Condition entre 2012 et 2018

Condition depuis 2018

Inférieure à 2 500 habitants

Si la population n'est pas déjà desservie et si elle se situe dans une zone géographique constituée d'un ensemble de communes contiguës, dont la population totale est au moins égale à 2 500

En cas de fermeture d'une officine existante qui desservait plus de 2 500 habitants

Comprise entre 2 500 et 30 000 habitants

2 500 habitants par pharmacie

Une officine à partir de 2 500 puis une de plus par tranche de 3 500 habitants

Une officine à partir de 2 500 puis une de plus par tranche de 4 500 habitants

Supérieure à 30 000 habitants

3 000 habitants par pharmacie

Source : commission des affaires sociales du Sénat, rapport de 2016 de l'IGF et de l'IGAS.

Par dérogation, le seuil de 2 500 habitants pour l'ouverture d'une première officine est fixé à 3 500 habitants en Alsace-Moselle, ainsi qu'en Guyane18(*).

· Par ailleurs, l'opération de restructuration doit permettre une desserte en médicaments optimale19(*) et ne pas compromettre l'approvisionnement nécessaire en médicaments de la population résidente du quartier, de la commune ou des communes d'origine20(*).

D'une part, la condition tenant à la desserte en médicaments optimale au regard des besoins de la population résidente est satisfaite dès lors que trois conditions cumulatives apparaissent remplies :

- l'accessibilité de l'officine : l'accès à la nouvelle officine est aisé ou facilité par sa visibilité, des aménagements piétonniers, des stationnements ou dessertes par transports en commun ;

- la conformité des locaux : les locaux de la nouvelle officine remplissent les conditions d'accessibilité, permettent la réalisation des missions assignées aux pharmaciens d'officine et garantissent un accès permanent du public en vue d'assurer un service de garde et d'urgence ;

- l'approvisionnement d'une population résidente : la nouvelle officine approvisionne la même population résidente, une population résidente jusqu'ici non desservie ou une population résidente dont l'évolution démographique est avérée ou prévisible21(*).

D'autre part, l'approvisionnement nécessaire en médicaments de la population résidente du quartier, de la commune ou des communes d'origine est réputé compromis lorsqu'il n'existe pas d'autre officine accessible à ces populations22(*).

b. Les conditions encadrant l'ouverture d'une nouvelle officine

L'ouverture d'une officine par voie de création est soumise à ces mêmes critères, qui doivent être remplis depuis deux ans à compter de la publication du dernier recensement sans qu'une autorisation d'ouverture par voie de transfert ou de regroupement ne soit intervenue dans ce délai.

L'ouverture est réservée aux zones franches urbaines, quartiers prioritaires de la ville et zones de revitalisation rurale23(*).

2. Les dispositifs prévus par la loi pour lutter contre les déserts pharmaceutiques : les « territoires fragiles » et antennes d'officine

a. Les « territoires fragiles » et les conditions dérogatoires d'ouverture associées : une réforme demeurant inappliquée

Afin de favoriser leur approvisionnement en médicaments, l'ordonnance de 2018 précitée a prévu l'octroi d'aides et l'application de conditions spécifiques d'ouverture dans les territoires les moins bien pourvus en officines, dits « fragiles ».

· En application de ces dispositions, le directeur général de l'ARS est chargé de fixer par arrêté la liste des territoires au sein desquels l'accès aux médicaments pour la population n'est pas assuré de manière satisfaisante, selon des critères fixés par décret et tenant :

- aux caractéristiques démographiques, sanitaires et sociales de leur population ;

- à l'offre pharmaceutique et à son évolution prévisible ;

- le cas échéant, aux particularités géographiques du territoire.

Cet arrêté est pris après avis du Conseil de l'ordre des pharmaciens territorialement compétent, de l'Union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens, du représentant régional désigné par chaque syndicat représentatif de la profession et de la conférence régionale de la santé et de l'autonomie24(*).

· Dans ces territoires, l'ouverture d'une officine est soumise à des critères assouplis.

L'ouverture d'une officine par voie de transfert ou regroupement dans une commune de moins de 2 500 habitants est, ainsi, autorisée lorsque trois conditions cumulatives sont remplies :

- celle-ci est située dans un ensemble de communes contiguës dépourvues d'officine ;

- ces communes comprennent, ensemble, au moins 2 500 habitants ;

- l'une de ces communes, au moins, recense 2 000 habitants.

Le directeur général de l'ARS fixe par arrêté, au sein des territoires fragiles identifiés, la liste des communes contiguës remplissant ces critères et pouvant, en conséquence, accueillir une officine, après avis du Conseil de l'ordre des pharmaciens territorialement compétent et du représentant régional désigné par chaque syndicat représentatif25(*).

Enfin, dans les territoires fragiles, le critère tenant à la desserte optimale en médicaments est apprécié au regard, seulement, de l'accessibilité de l'officine et de la conformité des locaux. Afin de favoriser l'installation d'officines auprès d'un centre commercial, d'une maison ou d'un centre de santé, il n'est pas tenu compte de la population résidente26(*).

· Par ailleurs, les pharmacies d'officine situées dans les territoires fragiles peuvent bénéficier d'aides spécifiques destinées à favoriser leur maintien. La loi autorise ainsi :

- la convention pharmaceutique à prévoir des mesures destinées à favoriser ou maintenir une offre pharmaceutique dans ces territoires ;

- le directeur général de l'ARS à prévoir des mesures spécifiques poursuivant les mêmes objectifs27(*).

Le Gouvernement n'ayant, toutefois, toujours pas publié le décret nécessaire à l'identification des territoires fragiles, ces dispositions demeurent, depuis leur publication, entièrement inappliquées.
Un projet de décret, présenté au début de l'année 2023 aux principales parties prenantes, a été rejeté par la profession et n'a jamais été publié.

La proposition du Gouvernement rejetée par la profession au début de l'année 2023

En février 2023, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens et les syndicats représentatifs de la profession ont été consultés sur un projet de décret, transmis à la rapporteure. Celui-ci prévoyait notamment :

- de fonder l'identification des territoires fragiles sur les territoires de vie-santé, constituant un agrégat de communes autour d'un pôle d'équipements et de services considérés comme les plus courants ;

- de retenir deux critères principaux d'identification : une densité standardisée d'officines inférieure à un seuil empirique correspondant aux deux tiers de la densité médiane nationale, une part supérieure à 20 % de la population du territoire de vie-santé située à plus de 15 minutes d'une officine ;

- d'encadrer l'identification des zones fragiles en prévoyant que leur part ne peut excéder celle des territoires de vie-santé répondant à l'un de ces deux critères ;

- de permettre, en revanche, aux directeur généraux des ARS de retenir des indicateurs complémentaires ou alternatifs lorsque les caractéristiques démographiques, géographiques, sanitaires et sociales du territoire le justifient.

Le Conseil national de l'ordre des pharmaciens et les deux syndicats représentatifs des pharmaciens d'officine ont indiqué à la rapporteure s'être opposés à ce décret, notamment en ce qu'il :

- retient le territoire de vie-santé comme échelle d'identification des territoires fragiles, alors que les pharmaciens disposent de longue date de règles d'ouverture fondées sur la commune ;

- accorde une marge d'appréciation excessive aux directeurs généraux d'ARS, susceptible de favoriser des inégalités territoriales dans l'application du dispositif ;

- porte une approche insuffisamment prospective, ne prenant pas en compte les difficultés rencontrées par les officines dans certains territoires et les risques de « fragilisation » associés.

b. Les antennes d'officine

Pour maintenir l'accès aux produits de santé dans les communes à très faible population, la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (dite « ASAP ») de 202028(*) a, par ailleurs, autorisé la création d'antennes d'officine, en complétant les dispositions du code de la sécurité sociale relatives aux expérimentations dites « de l'article 51 »29(*), mises en place par l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018.

Du fait de difficultés juridiques et techniques rencontrées dans la mise en oeuvre de ces dispositions, aucune antenne n'avait toutefois été créée à la fin de l'année 202330(*). Pour permettre une application effective de l'expérimentation et mieux encadrer la création d'antennes, la loi de décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels31(*) a étendu le champ des dérogations autorisées et limité à une le nombre d'antennes pouvant être créée par chaque pharmacien titulaire d'une officine.

Dans le cadre de l'expérimentation, la création d'une antenne d'officine par un ou plusieurs pharmaciens titulaires d'une commune limitrophe peut désormais être autorisée par le directeur général de l'ARS, après avis du Conseil de l'ordre des pharmaciens territorialement compétent et des syndicats représentatifs de la profession, lorsque deux conditions cumulatives apparaissent remplies :

- la dernière officine de la commune d'accueil de l'antenne a définitivement cessé son activité ;

- l'approvisionnement en médicaments et produits pharmaceutiques de la population y est compromis.

L'antenne fait partie de la même entité juridique que l'officine principale32(*).

3. La proposition de loi vise à assouplir les conditions d'ouverture d'une pharmacie d'officine sur l'ensemble du territoire national

L'article unique de la proposition de loi vise à assouplir les conditions d'ouverture des pharmacies d'officine afin de favoriser leur installation dans des communes faiblement peuplées.

Pour ce faire, le 2° de l'article modifie l'article L. 5125-4 du code de la santé publique relatif aux conditions d'ouverture des pharmacies d'officine. Il autorise l'ouverture, par voie de transfert ou de regroupement, d'une officine dans une commune de moins de 2 500 habitants lorsque deux conditions cumulatives sont remplies :

- la commune se situe dans une zone géographique constituée d'un ensemble de communes contiguës dépourvues d'officine ;

- ces communes totalisent ensemble 2 500 habitants au moins.

Ces conditions sont plus souples que celles actuellement prévues par le code de la santé publique pour les zones fragiles, dans la mesure où elles ne requièrent pas la présence, parmi les communes contiguës prises en compte, d'une commune d'au moins 2 000 habitants. Elles s'appliqueraient, en outre, à l'ensemble du territoire national et non aux seules zones fragiles identifiées par le directeur général de l'ARS.

Ces nouvelles conditions pourraient également permettre l'ouverture d'une pharmacie d'officine par voie de création, dans le cas où elles seraient remplies depuis deux ans au moins au sein de zones franches urbaines, quartiers prioritaires de la politique de la ville et zones de revitalisation rurale.

L'article unique porte, en outre, un certain nombre de mesures de coordination destinées à adapter les dispositions du code de la santé publique à cet ajout.

Le modifie l'article L. 5125-3 pour tenir compte du fait que l'article L. 5125-4 prévoit désormais la possibilité de tenir compte de la population d'un ensemble de communes contiguës dans l'appréciation des conditions d'ouverture.

Le abroge les dispositions portant les conditions d'ouverture de pharmacies propres aux territoires fragiles.

Enfin, les 4° et 5° de l'article apportent aux articles L. 5125-18, relatif à la procédure d'autorisation d'ouverture, et L. 5125-20, relatif aux conditions de priorisation des demandes d'ouverture, des modifications nécessaires pour tenir compte de l'abrogation susmentionnée.

II - La position de la commission

· Consciente des difficultés rencontrées, dans certains territoires, pour accéder à une pharmacie d'officine, la commission a favorablement accueilli l'intention de cette proposition de loi.

La rapporteure observe, à cet égard, que si la qualité du maillage territorial des pharmacies d'officine a longtemps été soulignée, les inégalités d'accès aux médicaments se sont manifestement accrues ces dernières années et sont désormais reconnues par les pouvoirs publics.

Le ministère de la santé et de la prévention, auditionné, a ainsi reconnu que 6 % de la population française, hors Mayotte, réside aujourd'hui dans un territoire répondant à l'un ou l'autre des critères envisagés d'identification des territoires fragiles33(*) : une densité officinale inférieure aux deux tiers de la médiane nationale ou une part substantielle de la population résidant à plus de quinze minutes d'une pharmacie d'officine.

Un tel éloignement de l'offre officinale est d'autant plus problématique qu'il s'ajoute, souvent, à des difficultés plus générales d'accès aux soins. Alors que de nouvelles missions ont, ces dernières années, été confiées aux pharmaciens, dans l'objectif notamment d'améliorer l'offre de proximité dans les territoires où la densité médicale est la plus faible, ces inégalités territoriales sont susceptibles de neutraliser les effets bénéfiques attendus d'une telle politique.

À cet égard, l'Association des maires ruraux de France (AMFR), auditionnée par la rapporteure, a souligné que la raréfaction des pharmacies d'officine aggravait les difficultés d'accès aux soins constatées de longue date dans les territoires ruraux. Elle a souligné les résultats d'une récente étude qu'elle a conduite, révélant que les écarts d'espérance de vie entre départements ruraux et départements urbains s'aggravent pour atteindre, désormais, près de deux ans d'espérance de vie pour les hommes et un an pour les femmes34(*).

Enfin, le mouvement de raréfaction de l'offre officinale pourrait s'accélérer dans les prochaines années. La rapporteure a souligné plusieurs facteurs d'inquiétude pour l'avenir de l'approvisionnement en médicaments des territoires les moins bien pourvus :

- les fermetures d'officine sont nombreuses depuis dix ans et paraissent désormais s'inscrire dans un mouvement durable de raréfaction de l'offre ;

- la démographie des pharmaciens d'officine pourrait accélérer ce phénomène dans les prochaines années : le Cnop constate ainsi qu'au 1er janvier 2023, plus de 50 % des titulaires d'officine en France ont au moins 50 ans et la part des titulaires de plus de 60 ans a presque doublé en dix ans35(*) ;

- des difficultés de recrutement dans les études de pharmacie sont constatées ces dernières années, et des places vacantes dénombrées.

· Face à ce constat, la rapporteure a jugé indispensable l'application par le Gouvernement de deux dispositifs prévus par la loi depuis de nombreuses années et restés jusque-là entièrement inappliqués : la création d'antennes d'officine et l'identification de « territoires fragiles » assortie de critères assouplis d'ouverture et d'aides spécifiques au maintien des officines existantes.

Elle observe, s'agissant des antennes d'officine, qu'il ressort de l'audition des représentants des pharmaciens comme du ministère que les modifications législatives intervenues récemment devraient lever les obstacles juridiques constatés et permettre une application rapide de l'expérimentation autorisée depuis 2020.

En revanche, l'absence d'application des dispositions relatives aux territoires fragiles, plus de six ans après la publication, par le Gouvernement, de l'ordonnance de 2018 qui les portait, est apparue particulièrement inacceptable à la commission. La rapporteure a souligné que la survenue, en 2020, de la crise sanitaire ne saurait justifier un tel retard dans la publication d'un décret nécessaire à l'application de dispositions que l'ensemble des personnes auditionnées ont jugé indispensables.

Ce délai apparaît d'autant plus préjudiciable que ces six dernières années ont marqué une accélération dans le mouvement de raréfaction de l'offre officinale.

Évolution annuelle du nombre d'officines et de titulaires entre 2012 et 2022

En taux d'évolution annuel

Source : Conseil national de l'ordre des pharmaciens, 2023.

· Dans la mesure où une modification, au niveau national, des critères d'ouverture des pharmacies d'officine risquerait, selon les représentants de la profession auditionnés, de déstabiliser le réseau, la rapporteure a jugé indispensable d'assurer l'application rapide des critères assouplis associés au dispositif « territoires fragiles ». Ces derniers, proches de ceux portés par le dispositif de l'article unique de la présente proposition de loi, faciliteront l'ouverture de pharmacies d'officine dans les communes de moins de 2 500 habitants situées dans des territoires qui en sont dépourvus.

Afin de contraindre le Gouvernement à appliquer enfin ce dispositif qu'il a lui-même porté, la commission a adopté, à l'initiative de sa rapporteure, un amendement COM-1 réécrivant le présent article. Celui-ci permettra l'application directe des dispositions législatives relatives aux territoires fragiles dans le cas où le décret fixant les critères d'identification des territoires fragiles n'aurait pas été pris au 1er octobre 2024.

Il appartiendrait, le cas échéant, aux directeurs généraux des ARS d'identifier des zones de leur ressort territorial au sein desquelles l'accès aux médicaments pour la population n'est pas assuré de manière satisfaisante en tenant compte des critères d'ores et déjà prévus par la loi : les caractéristiques démographiques, sanitaires et sociales de leur population, l'offre pharmaceutique et son évolution prévisible ainsi que, le cas échéant, les particularités géographiques de leur territoire.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 1 Drees, Portrait des professionnels de santé, édition 2016, p. 50.

* 2 IGF et IGAS, La régulation du réseau des pharmacies d'officine, octobre 2016, p. 5.

* 3 Conseil national de l'ordre des pharmaciens, Démographie des pharmaciens : panorama 2022, juillet 2023, p. 47.

* 4 Institut national de la statistique et des études économiques, Bilan démographique 2023.

* 5 Conseil national de l'ordre des pharmaciens, op. cit., p. 47.

* 6 Conseil national de l'ordre des pharmaciens, op. cit., p. 47.

* 7 Article L. 5125-5-1 du code de la santé publique.

* 8 Article L. 5125-5 du code de la santé publique.

* 9 Article L. 5125-22 du code de la santé publique.

* 10 Article L. 5125-16 du code de la santé publique.

* 11 Article L. 5121-12-1-1 du code de la santé publique.

* 12 Article 52 de la loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.

* 13 Article 33 de la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023.

* 14 Article L. 5125-1-1 A du code de la santé publique.

* 15 Ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018 relative à l'adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines de pharmacie.

* 16 Article L. 5125-3 du code de la santé publique.

* 17 Article L. 5125-4 du code de la santé publique

* 18 Article L. 5125-4 du code de la santé publique.

* 19 Articles L. 5125-3 et L. 5125-3-2 du code de la santé publique.

* 20 Article L. 5125-3 du code de la santé publique.

* 21 Article L. 5125-3-2 du code de la santé publique.

* 22 Article L. 5125-3 du code de la santé publique.

* 23 Ibid.

* 24 Article L. 5125-6 du code de la santé publique.

* 25 Article L. 5125-6-1 du code de la santé publique.

* 26 Article L. 5125-6-2 du code de la santé publique.

* 27 Article L. 5125-6 du code de la santé publique.

* 28 Article 95 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'amélioration et de simplification de l'action publique.

* 29 Article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale.

* 30 Voir sur ce point le rapport n° 48 (2023-2024) de Mme Corinne Imbert, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, pp. 51 et suivantes.

* 31 Article 8 de la loi n° 2023-1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels.

* 32 Article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale.

* 33 Réponses écrites de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) au questionnaire transmis par la rapporteure.

* 34 AMRF, Étude sur la santé en milieu rural. La mortalité, avril 2023.

* 35 Conseil national de l'ordre des pharmaciens, Démographie des pharmaciens : panorama 2022, op. cit., p. 38.

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