EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 15 NOVEMBRE 2023

M. François-Noël Buffet, président. - La proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d'initiative partagée sera d'abord présentée par son auteur, Yan Chantrel, en application des dispositions de l'article 15 bis du Règlement du Sénat.

M. Yan Chantrel, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. - Cette proposition de loi constitutionnelle vise à faciliter le déclenchement du référendum d'initiative partagée, introduit au troisième alinéa de l'article 11 de la Constitution par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République. Les modalités de sa mise en oeuvre ont été précisées par les lois organique et ordinaire du 6 décembre 2013 relatives à l'application de l'article 11 de la Constitution, qui sont, elles, entrées en vigueur le 1er janvier 2015.

Je commencerai par revenir sur les conditions actuelles du déclenchement de ce référendum. L'initiative doit émaner d'au moins un cinquième des membres du Parlement, soit 185 députés et/ou sénateurs. Ensuite, elle doit être soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, ce qui représente environ 4,87 millions de personnes. De plus, selon l'article 11 de la Constitution, pour être soumise à référendum, la proposition de loi doit porter sur l'organisation des pouvoirs publics ou sur les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation, ou tendre à autoriser la ratification d'un traité. Enfin, le Président de la République ne peut soumettre la proposition de loi à référendum que si celle-ci n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai de six mois.

Plusieurs tentatives d'organiser un tel référendum ont vu le jour depuis 2015 et seules cinq propositions de loi ont rassemblé le nombre requis de soutiens de parlementaires. Aucune d'entre elles n'a pu être menée à son terme, pour différentes raisons. Sur ces cinq propositions de loi, quatre ont été déclarées non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel : la proposition de loi pour garantir un accès universel à un service public hospitalier de qualité, en raison de dispositions jugées contraires à la Constitution ; puis la proposition de loi portant création d'une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises, dont le Conseil constitutionnel a estimé qu'elle ne portait pas sur la politique économique de la nation. Enfin, le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions envisagées par les deux propositions de loi visant à fixer l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans ne constituaient pas une « réforme ».

Une seule proposition de loi a été déclarée conforme à la Constitution et ouverte au recueil des soutiens des électeurs : celle visant à affirmer le caractère de service public national d'Aéroports de Paris. Elle a toutefois recueilli le soutien de seulement un million de citoyens.

Aucun référendum d'initiative partagée n'a donc été organisé. Lorsqu'on considère la procédure dans le détail, sa mise en oeuvre semble irréalisable, le seuil de signataires et de soutiens étant trop élevé et le champ d'application trop restreint.

Par ailleurs, nous vivons une crise démocratique et la participation aux élections connaît une baisse continue. Nous observons un désintérêt de plus en plus flagrant pour la chose publique, une perte de confiance dans les institutions et les partis politiques, alors que nos concitoyens aspirent à participer davantage à la vie démocratique. Ils se sentent parfois dessaisis de la décision politique et nous aurions intérêt à faciliter le recours au référendum d'initiative partagée pour replacer nos compatriotes au coeur de nos institutions. Cependant, nous ne proposons pas un référendum d'initiative citoyenne, car nous souhaitons que l'initiative reste partagée entre les citoyens et le Parlement, pour favoriser une co-construction et éviter un contournement du Parlement. Il s'agit de relancer l'outil référendaire, tombé en désuétude, en sortant du modèle plébiscitaire et en favorisant une coordination globale et citoyenne, qui permettrait de dépersonnaliser la question posée pour se focaliser sur le débat de fond.

La proposition s'inspire de différents travaux et respecte l'esprit de la Constitution de 1958, dont l'article 3 précise que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Nous nous sommes aussi inspirés des travaux du groupe de travail de l'Assemblée nationale sur l'avenir des institutions de 2015, coprésidé par Claude Bartolone et Michel Winock, qui avait formulé des propositions pour élargir le champ du référendum, abaisser le nombre de soutiens et empêcher l'obstruction du Parlement, dans l'objectif d'instaurer un véritable référendum d'initiative partagée. Nous reprenons aussi en partie les propositions du Président de la République, qui s'est récemment exprimé sur le sujet à l'occasion du soixante-cinquième anniversaire de la promulgation de notre Constitution.

La proposition de loi constitutionnelle prévoit des changements fondés sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour surmonter les blocages survenus. Ainsi, le champ d'application serait élargi à la politique fiscale de la nation. En outre, le mot « réforme », serait supprimé pour mettre fin à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a rejeté les dispositions n'apportant pas de changement de l'état du droit à la date d'enregistrement de la saisine.

Par ailleurs, le seuil requis de signatures citoyennes serait abaissé. À cet égard, je prendrai deux exemples de pays ayant recours à des pratiques référendaires comparables : la Suisse a établi ce seuil à 50 000 citoyens et l'Italie l'a fixé à 500 000, sachant que sa population est à peu près équivalente à la nôtre. Nous proposons un seuil d'un million, qui reste comparativement élevé et n'a été atteint qu'une fois. Pour respecter un parallélisme des formes, nous proposons aussi d'abaisser le seuil requis de signatures de parlementaires à un dixième des membres du Parlement, ce qui représenterait 93 députés ou sénateurs.

Ensuite, il s'agit s'assurer que cette initiative soit réellement partagée. Aujourd'hui, il faut d'abord recueillir les signatures des parlementaires pour engager la procédure. La proposition de loi constitutionnelle donne la possibilité d'inverser la procédure, ce qui permettrait aux citoyens de prendre aussi l'initiative. Bien sûr, les signatures de parlementaires et le contrôle par le Conseil constitutionnel seraient toujours nécessaires.

Enfin, j'en viens à une disposition souvent méconnue, la procédure n'ayant jamais atteint cette étape. Aujourd'hui, même si le nombre requis de près de 5 millions de signatures était atteint, un simple examen du Parlement pourrait suffire à mettre un terme à l'initiative. Pour certains constitutionnalistes, le mot « examen » pourrait même correspondre à un simple renvoi en commission. La proposition de loi constitutionnelle prévoit de modifier ce point, en prévoyant que seul le rejet de la proposition de loi référendaire par un vote des deux assemblées ferait obstacle à la tenue du référendum.

Tous les garde-fous existants seraient conservés. Le référendum d'initiative partagée resterait une co-initiative et le contrôle a priori du Conseil constitutionnel demeurerait. Je tiens d'ailleurs à rappeler que ce dernier n'existe pas pour le référendum d'initiative présidentielle.

En application de l'article 15 bis du règlement du Sénat, M. Yan Chantrel quitte la réunion.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle ont accompli un travail très important, en prenant conseil auprès d'excellents constitutionnalistes. Cependant, je vous proposerai de ne pas l'approuver, même s'il ne s'agit pas d'une fin de non-recevoir définitive. Malgré la tâche accomplie, il reste beaucoup de travail pour répondre à l'ensemble des questions soulevées par ce texte complet, qui prévoit cinq modifications de l'article 11. Par ailleurs, il semble difficile de traiter d'une question aussi complexe pendant les deux heures réservées à l'espace réservé d'un groupe parlementaire.

Les travaux sur la question du référendum ne manquent pas. Il y a quelques mois, le président du Sénat a mis en place un groupe de travail sur les institutions qui a consacré une réunion à ce sujet la semaine dernière. De son côté, le Président de la République a fait des propositions en 2019, qui se sont traduites par la présentation, en conseil des ministres, du projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique. Il vient de reprendre l'initiative en faisant des propositions qui ressemblent à celles de la proposition de loi constitutionnelle. L'examen de ce texte intervient donc alors que la réflexion sur l'article 11 et d'autres aspects de l'évolution de notre Constitution bat son plein.

Cette proposition de loi constitutionnelle apporte cinq modifications à l'article 11. La première vise à élargir le champ d'application du référendum. Cette modification s'appliquerait aussi bien au référendum d'initiative partagée, qu'aux référendums initiés par le Président de la République ou le Parlement. L'histoire du référendum en France est chaotique et a conduit à de tels excès au XIXe siècle qu'il a été effacé de nos institutions pendant de nombreuses années. Il n'est revenu dans l'ordre constitutionnel qu'avec les deux référendums de 1946 - dont le premier a échoué -, portant sur l'adoption de la Constitution. Avec un certain nombre de précautions, la Ve République a introduit le référendum législatif, qui constitue une innovation profonde. Ce dernier est conçu comme un mode exceptionnel d'adoption de la loi et non concurrent à son adoption par voie parlementaire. Il doit s'appliquer à des sujets d'une importance capitale pour la vie du pays et son avenir.

Le référendum législatif est introduit à l'article 11 de la Constitution et s'intègre donc aux pouvoirs du Président de la République pour l'exercice desquels, selon l'article 19 de la Constitution, ce dernier n'a pas besoin de contreseing. À ce titre, il est curieux d'avoir inscrit le référendum d'initiative partagée à l'article 11. Ainsi, chaque fois que nous élargissons le champ du référendum, nous élargissons aussi le champ des pouvoirs du Président de la République. Depuis quelques années, l'exercice vertical du pouvoir est critiqué. Or le référendum constitue un mode vertical d'exercice du pouvoir.

Par ailleurs, le référendum a des limites. Il consiste à poser une question à laquelle on répond par oui ou par non. Or, au Parlement, nous ne répondons jamais ainsi à des projets de loi du Gouvernement ; nous les discutons, les amendons et, grâce à la discussion et à l'intégration d'autres points de vue, ces textes peuvent trouver une assise plus large. Le référendum, c'est la démocratie en noir et blanc. Le Parlement, c'est la démocratie en couleur.

Le champ du référendum a déjà été élargi deux fois et ne constitue pas un tabou ; je suis prêt à y réfléchir et à en discuter. Les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle voudraient qu'une loi fiscale puisse être soumise à référendum ; ils ont en tête la proposition de loi déposée en application de l'article 11 visant à instaurer une lourde taxation sur les grandes entreprises permettant de dégager les mêmes marges de manoeuvre financières que celles attendues de la réforme des retraites. Ils considèrent que le Conseil constitutionnel a fermé la porte à la possibilité de soumettre un texte fiscal au titre des réformes de politique économique, mais leur interprétation de la position du Conseil semble exagérée. Si une véritable réforme fiscale avait été proposée par la proposition de loi, celle-ci aurait pu être soumise aux Français, mais une simple hausse des impôts ne constitue pas une réforme fiscale.

Les auteurs demandent donc que les textes fiscaux puissent être soumis au référendum, mais ils voudraient aussi qu'un texte puisse l'être même s'il ne s'agit pas d'une réforme. Or le référendum doit concerner des sujets vitaux pour l'avenir de la nation et je ne suis pas en faveur de sa banalisation.

À ce titre, convoquer tous les Français pour un référendum portant sur la privatisation d'Aéroports de Paris aurait été une erreur. La participation aurait été si faible que nous n'aurions pas réconcilié les Français avec la démocratie, mais nous aurions au contraire apporté la preuve que cet instrument n'aboutit pas au résultat espéré.

Les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle indiquent que la procédure inventée en 2008 n'a pas débouché sur l'organisation de référendums, mais cette procédure n'est entrée en vigueur qu'en 2015 ! Il ne semble pas scandaleux qu'aucun référendum n'ait eu lieu depuis lors ; une période de huit ans reste courte, au regard de l'histoire de la VRépublique. Nous pourrions attendre encore un peu avant de modifier le système.

J'en viens au nombre de signatures de parlementaires requis, qui n'a pas été à l'origine de blocage lors des tentatives menées jusqu'à aujourd'hui ; pourquoi alors vouloir le diminuer ? Je n'en vois pas la nécessité.

Quant au nombre de citoyens, il passerait de 4 875 234 à 1 million, seuil qui a déjà été atteint pour le texte portant sur la privatisation d'Aéroports de Paris. Je suis en faveur d'un abaissement, car il n'est pas simple de réunir près de 5 millions de signatures, mais je n'irais pas jusqu'à 1 million. Il s'agit d'un sujet de débat, qui mérite un travail collectif.

Ensuite, le texte prévoit la création d'un nouveau type de référendum d'initiative partagée, qui serait à l'initiative des citoyens, comme pour le droit de pétition. Quand les parlementaires mettent en oeuvre la procédure dans le cadre de l'article 11, le Conseil constitutionnel vérifie en amont la conformité du texte déposé. Si plus de 1 million d'électeurs ont apporté leur soutien à un texte d'initiative citoyenne, il sera délicat pour le Conseil d'effectuer ce contrôle a posteriori. En l'absence d'un contrôle exercé par le Conseil constitutionnel et les parlementaires, je crains que ces initiatives citoyennes ne donnent lieu à des textes que nous serions obligés d'examiner alors qu'ils violeraient les droits fondamentaux de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. L'idée paraît généreuse, mais sa réalisation n'est pas si simple.

Le texte permettrait d'imposer le recours au référendum d'initiative partagée si, à l'issue d'un certain délai, le Parlement n'a pas rejeté la proposition de loi. Actuellement, en vertu de la Constitution, le référendum est imposé si le Parlement n'a pas examiné la proposition de loi. Afin de lever le doute sur l'interprétation à donner à une inscription à l'ordre du jour, le Règlement du Sénat a précisé la notion d' « examen ». Ainsi, il prévoit une « motion tendant à ne pas examiner une proposition de loi déposée en application de l'article 11 », qui permet au Sénat de refuser l'examen d'une proposition de loi référendaire alors même que celle-ci a été inscrite à l'ordre du jour. Le règlement de l'Assemblée nationale ne prévoit pas de disposition similaire. C'est pourquoi je comprends que les auteurs de la proposition de loi aient voulu modifier la rédaction de l'article 11. Toutefois, ils n'envisagent l'absence de référendum que dans le cas où le Parlement a expressément rejeté le texte ; mais en cas d'adoption du texte, même s'il a été amendé, le référendum aurait lieu.

Je ne vois pas comment les citoyens pourraient être consultés sur un texte rejeté par le Parlement, car cela reviendrait à le désavouer. Parallèlement, je ne vois pas non plus comment pourrait leur être soumis un texte approuvé par le Parlement. Cela s'apparenterait à la procédure prévue par l'article 89 de la Constitution pour réviser la Constitution.

Ce texte ouvre un débat très intéressant, mais je ne peux l'approuver à ce stade sans imaginer de profonds changements de plusieurs articles de la Constitution, y compris au sujet de la procédure législative. J'estime que, sur un tel sujet, un seul débat de deux heures dans notre hémicycle n'est pas suffisant.

M. Éric Kerrouche. - Je ne suis pas juriste, mais politiste : les propos de Philippe Bas confirment que le droit peut servir à faire de la politique.

Il me semble étonnant que vous considériez qu'il est normal que l'on n'ait pas recouru au référendum d'initiative partagée. Vous n'êtes pas surpris par le fait que la pratique référendaire soit rare en France, où aucun référendum n'a été organisé depuis vingt ans. Je ne comprends pas que l'on puisse se satisfaire qu'un outil démocratique volontairement créé dans le cadre d'une révision constitutionnelle dysfonctionne et ne soit pas opérationnel.

Derrière la question du référendum d'initiative partagée se pose la question d'une certaine désespérance de la pratique démocratique en France, ou, plus exactement, celle de l'impossibilité pour une partie des Français d'exprimer leur avis. Vous vous étonnez que nous, élus de gauche, ayons voulu mettre au coeur du débat la question de la politique fiscale et des privatisations, qui nous semble prioritaire. En revanche, lorsqu'il est question d'étendre le référendum à la question de l'immigration, cela ne vous pose aucun problème. À chacun ses priorités !

Le problème du référendum en France tient au fait qu'il a été utilisé de manière personnalisée. Aussi bien sous l'Empire que par la suite, la dérive plébiscitaire du référendum était avérée, puisqu'il y avait une confusion entre l'auteur de la question et la question elle-même. Je vous rappelle cependant que, dans les travaux préparatoires de la Ve République, l'article 11 était beaucoup plus étendu qu'il ne l'est actuellement et son périmètre englobait, me semble-t-il, l'ensemble du périmètre de l'article 34. Il n'a été réduit qu'après accord du général de Gaulle avec les forces politiques de l'époque. La volonté initiale était donc de faire en sorte que l'outil référendaire ait une certaine importance.

Le référendum revêt une importance singulière pour l'ensemble de nos citoyens. Si ces derniers choisissent d'ordinaire leurs représentants,  le référendum leur offre toutefois la possibilité particulière d'être à la fois gouvernés et gouvernants. D'où l'importance de cette proposition de loi.

En effet, nous ne pouvons nous satisfaire qu'aucune des cinq tentatives de référendum d'initiative partagée n'ait aboutie. Nous ne pouvons pas non plus nous satisfaire de ce que, après avoir passé la première étape, la procédure s'arrête alors même qu'un million d'électeurs, sur les 47 millions qui constituaient alors le corps électoral, se sont mobilisées.

Je rappelle que cette proposition de loi est assez consensuelle, puisqu'elle reprend les initiatives portées par Emmanuel Macron en 2019, mais aussi opportunément lors des rencontres de Saint-Denis. Elle permet de lever les verrous que sont les seuils actuels. Si nous souhaitons offrir aux citoyens des outils de participation, encore faut-il que ceux-ci ne soient pas remis en cause par des seuils difficiles à atteindre. Or le seuil actuellement fixé à 4,8 millions de personnes est proprement infranchissable, et tout le monde le sait. Le seuil d'un million, qui vous semble trop bas, est pourtant encore supérieur à celui qui a été retenu par un certain nombre de pays, parmi lesquels le Portugal, les Pays-Bas, la Suisse et l'Italie, dont la taille et la population sont comparables à celles de la France.

Remplacer le mot « réforme » par le mot « politique » et introduire les questions fiscales vous posent problème. Or, il s'agit là de reprendre les articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, eux-mêmes intégrés au bloc de constitutionnalité. Il est évident que la lecture faite par le Conseil constitutionnel du mot « réforme » a été trop restrictive et qu'elle empêche d'avancer sur des questions pourtant importantes pour les Français. Je rappelle que la proposition de loi constitutionnelle qui a été déposée par le groupe Les Républicains sur la souveraineté de la France, la nationalité, l'immigration et l'asile ne s'encombre pas des mêmes difficultés ni des mêmes subtilités, puisque le champ du référendum est plus vaste encore.

Je rappelle aussi que la possibilité donnée aux citoyens de présenter une proposition de loi avait déjà été proposée en 2008 par des députés socialistes ainsi que par des sénateurs de droite comme Hugues Portelli, Patrice Gélard et Jean-René Lecerf. Leur amendement avait été retiré au dernier moment.

Enfin, cette proposition de loi entend lever un dernier blocage technique.

Si un groupe politique choisit d'inscrire dans son espace réservé un texte proposé aux citoyens, le référendum peut être évité alors même que le texte en question a été soutenu. Après une tentative de modification du Règlement du Sénat en 2019 par Jean-Pierre Sueur, nous avions voté un dispositif à l'alinéa 1 bis de l'article 44 qui crée une motion précisément pour éviter ce cas de figure. Cette motion étant imparfaite, ce texte vient corriger ce dernier blocage.

Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons ce texte, car c'est un bon texte. Vous avez dit, Philippe Bas, que le référendum était une version en noir et blanc de la vie politique, tandis que la discussion politique en était la version en couleur. Cet argument est classiquement utilisé pour remettre en cause le référendum. Pour ma part, j'estime que le référendum donne de la vie politique une version en 3D.

Mme Cécile Cukierman. - Ce texte s'inscrit dans une actualité sénatoriale, marquée, d'une part, par la volonté du président du Sénat de relancer le groupe de travail sur les institutions et de réfléchir aux manières de mieux associer les citoyens aux décisions locales et nationales, et, d'autre part, par la rencontre avec le Président de la République à Saint-Denis en fin de semaine. Le sujet me paraît bien entendu important, mais il me semble délicat de le trancher rapidement et de manière binaire.

La vraie difficulté que nous avons aujourd'hui avec l'article 11 tient au fait qu'une mesure prévue dans la Constitution est inapplicable de fait. Rien n'est pire que d'afficher des possibles qui ne se réalisent jamais.

Nous traversons une crise politique de défiance, qui fait suite au mouvement des « gilets jaunes », mais aussi au développement d'une société dominée par les réseaux sociaux où s'exprime une forme de complotisme, parfois massivement suivi.

À la différence d'autres pays, nous n'avons pas de véritable culture référendaire dans la vie politique française. En revanche, je suis très attachée, avec mon groupe, à une culture politique qui ne peut pas reposer sur un « ni oui ni non ». La responsabilité politique doit nous amener autant que possible à avancer ensemble, parfois dans nos contradictions et nos désaccords, plutôt que d'acter par facilité des clivages par un référendum.

Cette proposition de loi oscille entre le « trop » et le « pas assez ». Le seuil de 1 million de citoyens et des 93 parlementaires est une mauvaise bonne réponse. Il convient de prendre le temps de réfléchir pour fixer un seuil qui soit à la fois opérant et exigeant.

Oui, il importe de repenser le référendum d'initiative partagée, de revoir la place du Conseil constitutionnel pour renforcer celle du Parlement et ainsi assurer un contrôle constitutionnel. Il est nécessaire de penser des facilitations, mais, en l'état actuel du texte, celles-ci vont trop loin et seront demain la source d'autres problèmes pour notre démocratie.

C'est la raison pour laquelle nous ne voterons pas cette proposition de loi constitutionnelle dans sa rédaction actuelle.

M. Guy Benarroche. - La société a changé, les modes d'expression ont changé, la participation des citoyens à la vie politique a changé. L'un des principaux problèmes de ce que nous appelons la « non-application citoyenne » est que la Constitution, qui est restée globalement la même depuis 1958, est aujourd'hui en décalage avec l'évolution réelle de tous les modes d'expression citoyenne. Le rapporteur indique que le référendum est démocratie en noir et blanc ; il vise ce faisant par ricochet tous les modes d'expression citoyenne, car les réseaux permettent à tous de s'exprimer sur tous les sujets, sur le mode binaire qui est celui de l'informatique.

Je remercie les élus socialistes d'avoir déposé cette proposition de loi constitutionnelle, puisqu'elle soulève deux questions : d'une part, celle de l'utilité de garder dans notre Constitution un outil inapplicable, inopérant et, d'autre part, celle des outils permettant une application réelle de l'expression citoyenne qui s'exprime au quotidien sur les réseaux, mais aussi par les initiatives locales.

Je suis donc d'accord avec la proposition de modifier le référendum d'initiative partagée, ainsi qu'avec les remarques concernant le périmètre et le contrôle du Conseil constitutionnel, mais ces mesures ne sont pas suffisantes. D'autres mécanismes de démocratie participative locale doivent être expérimentés. Par exemple, Éric Piolle a expérimenté sans fondement légal le référendum d'initiative citoyenne local à Grenoble, avec des taux de participation assez élevés. Un certain nombre de mesures peuvent donc être prises, avant de réformer plus en profondeur notre Constitution, pour renforcer l'implication citoyenne et protéger nos décisions contre de constantes attaques en illégitimité.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Monsieur Kerrouche, vous vous demandez comment je peux me satisfaire de la création d'un outil démocratique qui dysfonctionne. Je ne reprends pas à mon compte, huit ans seulement après sa création, le constat d'un dysfonctionnement de cet outil. Je trouve au contraire qu'avoir écarté de la procédure du référendum d'initiative partagée des questions qui n'étaient pas cruciales pour l'avenir du pays prouve le bon fonctionnement de celle-ci. Je refuse de faire mienne l'idée qu'unmillion de citoyens, sur les 48millions d'électeurs que compte le pays, puissent déterminer l'agenda politique.

Je remercie Cécile Cukierman d'avoir montré toute l'ampleur des questions que ce texte soulève et qui justifient un examen approfondi de celui-ci. Je la remercie également de le relier aux autres questions d'actualisation de notre Constitution pour l'adapter aux temps modernes.

Monsieur Benarroche, lorsque je parlais de « démocratie en noir et blanc », je voulais dire que rares sont les questions politiques qui peuvent se résoudre par oui ou non. J'estime également que les usages en vigueur sur les réseaux sociaux ne doivent pas nous servir de cadre de référence pour modifier la Constitution.

Vous avez parlé d'initiatives locales nombreuses. En réalité, elles sont rares et, dans certains cas, désavouées par des décisions gouvernementales. Je pense notamment au référendum sur Notre-Dame-des-Landes. J'imagine que, dans ce cas précis, vous vous êtes réjouis que la volonté du peuple n'ait pas été suivie.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi constitutionnelle déposée sur le Bureau du Sénat.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page