Rapport n° 105 (2021-2022) de Mme Brigitte LHERBIER , fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 octobre 2021

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N° 105

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 octobre 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à mettre l' administration au service des usagers ,

Par Mme Brigitte LHERBIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

76 (2020-2021) et 106 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Réunie le 27 octobre 2021 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a examiné le rapport de Brigitte Lherbier (Les Républicains - Nord) sur la proposition de loi n° 76 (2020-2021) visant à mettre l'administration au service des usagers déposée par Dany Wattebled (Les Indépendants - République et territoires - Nord), inscrite à l'ordre du jour de l'espace réservé du Groupe Les Indépendants - République et territoires.

Cette proposition de loi se place dans le fil de la réforme de 2013 qui a inversé le sens jusque-là donné au silence de l'administration en instituant le principe selon lequel ce « silence vaut acceptation » (SVA). Si cette réforme a bien permis l'augmentation du nombre des procédures effectivement concernées par le SVA, force est de constater que l'intelligibilité du droit positif a été la victime collatérale de ce développement.

Considérant que « le principe général du SVA est un système vertueux » qui « est affaibli par de très nombreuses exceptions d'origine réglementaire », la proposition de loi tend à apporter plusieurs modifications techniques au régime des décisions implicites de l'administration prévu par le code des relations entre le public et l'administration, dont la suppression d'une des bases légales permettant les exceptions d'origine réglementaire au SVA.

À l'issue de ses travaux, la commission des lois n'a pas adopté la proposition de loi . En conséquence, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance publique sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat .

I. LA DÉCISION IMPLICITE DE REJET : UNE SOLUTION INSTINCTIVE EN L'ABSENCE DE RECOURS EN CARENCE

A. LES DÉCISONS IMPLICITES : UNE FICTION JURIDIQUE RENDUE NÉCESSAIRE PAR L'ABSENCE DE RECOURS EN CARENCE DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF

Le juge administratif a très tôt reconnu qu'une abstention de l'administration pouvait être qualifiée de fautive et être à même d'engager sa responsabilité dans le cadre d'un recours de plein contentieux 1 ( * ) . En revanche, le juge administratif n'a pas fait émerger de recours « en carence », c'est-à-dire de recours objectif permettant de constater l'illégalité d'une absence d'acte réglementaire ou de décision individuelle lorsque l'autorité n'épuise pas sa compétence.

Or, cette absence de recours est préjudiciable pour l'usager lorsqu'il formule une demande à bon droit auprès d'une administration et que celle-ci refuse d'y répondre.

Afin de pallier cette difficulté, le juge administratif a créé au XIXème siècle le concept de décision implicite 2 ( * ) . Il s'agit d'une fiction juridique par laquelle le silence gardé par une administration, à la suite d'une demande, est réputé créer, à l'issue d'un délai déterminé, une décision d'acceptation ou de refus de la part de l'administration.

Cette décision n'est pas formulée par l'administration qui est présumée l'avoir prise, elle n'est pas davantage notifiée (elle est d'ailleurs dépourvue d' instrumentum) , mais elle suit alors le même régime qu'une décision explicite et peut, le cas échéant, faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

Le domaine d'application des lois est un exemple éclairant. Alors que le Premier ministre est tenu de publier les décrets d'application d'une loi dans un délai raisonnable, en vertu de l'article 21 de la Constitution 3 ( * ) , il n'est pas possible de saisir directement le juge administratif en l'absence desdits décrets. Une personne qui souhaite obtenir la publication de ces décrets doit, dans un premier temps, formuler une demande en ce sens au Premier ministre. Ce n'est que, dans un second temps, que cette personne pourra saisir le juge administratif en cas de refus implicite ou explicite du Premier ministre d'accéder à sa demande.

Cette procédure est parfois qualifiée de recours en carence mais ce qualificatif est erroné puisque le recours porte sur le refus de faire cesser l'absence de décret et non sur l'absence de décret elle-même.

B. LE SILENCE VALANT REJET COMME PRINCIPE CARDINAL DEPUIS 1864

De 1864 à 2013, le principe retenu en droit administratif français était celui selon lequel « lorsqu'un délai de plus de quatre mois 4 ( * ) s'est écoulé sans qu'il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée » 5 ( * ) . Le choix du principe selon lequel silence vaut rejet (SVR) représentait déjà une avancée en faveur du droit au recours du justiciable ( cf. supra ). Le principe d'une acceptation tacite des demandes pouvait donc sembler anachronique. En outre, faire découler un rejet du silence de l'administration permet de ne pas créer de droits subjectifs en l'absence de l'expression de la volonté et du consentement exprès de l'autorité compétente et répondait, en ce sens, à un impératif de prudence.

Suite à son adoption, le principe de 1864 a connu plusieurs évolutions conduisant, d'une part, au passage d'un délai de quatre mois à un délai de deux mois, en 2000 ( cf . supra ) et, d'autre part, à la multiplication d'exceptions ciblées dans lesquelles le silence de l'administration valait acceptation (SVA). Ce fut, notamment, le cas pour la délivrance des autorisations d'urbanisme (permis de construire, d'aménager ou de démolir) en application de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme.

II. LA RÉFORME DE 2013 : UNE VOLONTÉ D'ACCROÎTRE LE NOMBRE DE PROCÉDURES SVA MALGRÉ DES DIFFICULTÉS JURIDIQUES PRÉVISIBLES

A. UNE INVERSION DU PRINCIPE VOULUE POUR AUGMENTER LE NOMBRE DE PROCÉDURES SVA

Voulue par le président François Hollande comme un « choc de simplification » , la loi de 2013 précitée est venue renverser le principe en modifiant les articles 20 et suivants de la loi de 2000 précitée. Ces dispositions ont, depuis lors, été codifiées aux articles L. 231-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration (CRPA), créé par ordonnance en 2015 6 ( * ) , prise sur habilitation donnée à l'article 3 de la loi de 2013 précitée.

En outre, cette réforme a été inspirée par la directive « Services » de 2006 7 ( * ) qui incitait les États membres à « établir des principes de simplification administrative, notamment par la limitation de l'obligation d'autorisation préalable aux cas où cela est indispensable et par l'introduction du principe de l'autorisation tacite des autorités compétentes après l'expiration d'un certain délai » 8 ( * ) .

Depuis lors, en application de l'article L. 231-1 du CRPA, le « silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation » .

Comme le rappelle très justement Claire Landais, Secrétaire générale du Gouvernement, « dès l'origine, le législateur ne s'est pas donné comme objectif de soumettre l'ensemble des demandes adressées aux administrations à l'application uniforme du principe « silence vaut acceptation ». Il s'est agi de poser précisément un principe de nature à susciter, dans son champ, de nouvelles simplifications dans l'instruction des demandes et assorti, sous le contrôle du juge 9 ( * ) , de dérogations et d'exceptions » 10 ( * ) .

B. DES FAIBLESSES JURIDIQUES INTRINSÈQUES AU PRINCIPE SELON LEQUEL LE SILENCE DE L'ADMINISTRATION VAUT ACCEPTATION

La première faiblesse insurmontable du SVA est qu'il ne peut, par définition, s'appliquer qu'aux seules demandes pour lesquelles l'administration doit répondre par « oui » ou par « non ». Il peut donc, par exemple, s'appliquer à la demande d'autorisation d'urbanisme dont l'instruction, par les services compétents, conduit à constater la conformité ou la non-conformité du dossier transmis. En revanche, un tel principe ne peut s'appliquer aux demandes portant sur une obligation de faire ou une obligation de donner. Le silence gardé par l'administration à la suite d'une demande indemnitaire n'emportera pas versement de la somme demandée par le pétitionnaire. Ce même silence sera également sans effet à la suite d'une demande de position formelle ou rescrit à moins que cette demande ne porte sur la validation d'une proposition de position formelle existante transmise par le pétitionnaire.

La seconde faiblesse concerne les droits des tiers. En premier lieu, le SVA peut conduire à des atteintes au principe d'égalité dans tous les cas où une absence de réponse involontaire de l'administration (perte d'une demande ou erreur de traitement) crée des droits subjectifs indus en faveur du pétitionnaire. L'erreur de l'administration lui bénéficiant, ce dernier sera dans une situation plus favorable que les tiers ayant, le cas échéant, formulé une demande similaire rejetée à bon droit et dans les délais par l'administration saisie.

Le SVA peut également conduire à une perte de chance pour les tiers dans la mesure où, en l'absence de décision expresse en faveur du pétitionnaire, ils peuvent plus difficilement prendre connaissance de la décision tacite pour, le cas échéant, formuler un recours. Si les relations entre le public et l'administration sont souvent analysées sous le prisme de la bilatéralité, le rapporteur souligne que l'activité de régulation confiée aux administrations a in fine pour objet de préserver l'ordre public, l'environnement et les droits des tiers. L'instruction d'une autorisation d'urbanisme peut, par exemple, révéler une atteinte à une servitude établie au bénéfice d'un tiers. Or, l'information des tiers est consubstantielle à leur droit au recours effectif.

Ces obstacles insurmontables ou difficultés potentielles semblent motiver une partie des exceptions de portée générale prescrites par l'article L. 231-4 du CRPA ( cf. infra ) ainsi que les règles de publication des demandes régies par le SVA en application de l'article L. 232-2 du même code.

III. UNE AUGMENTATION DU NOMBRE DE PROCÉDURES SVA ATTEINTE AU PRIX D'UNE DÉTÉRIORATION IRRÉMÉDIABLE DE LA QUALITÉ ET DE L'INTELLIGIBILITÉ DU DROIT POSITIF

A. UNE AUGMENTATION NETTE DU NOMBRE DE PROCÉDURES POUR LESQUELLES LE SILENCE DE L'ADMINISTRATION VAUT ACCEPTATION

L'objectif de la réforme de 2013 d'augmenter le nombre de procédures SVA semble atteint. Selon le rapport remis le 1 er avril 2019 par le Gouvernement au Parlement en application de l'article 72 de la loi ESSOC 11 ( * ) , le nombre de procédures SVA aurait quasiment quadruplé depuis 2019, passant de 303 à 1 148, atteignant 38 % du nombre total de procédures .

Entendu par le rapporteur, Armand Desprairies, maître de conférence en droit public et auteur d'une thèse de doctorat sur ce sujet soutenue en 2019 12 ( * ) , fait état de résultats relativement proches, décomptant 1 377 procédures SVA en 2019 pour 3 009 procédures totales, soit 46 % dont seulement 14 % existait déjà en 2013 13 ( * ) .

Bilan de la réforme « silence vaut accord »

Sens et nature de la signification attribuée au silence

État

Collectivités territoriales

Organismes chargés d'un service public administratif

Total

Total des procédures recensées*

« silence vaut accord »

1 361

69

206

1 636 (1 509)

« silence vaut rejet »

1 476

142

132

1 750 (1 519)

Total

2 885 (2 583)

207 (163)

318 (282)

3 410 (3 028)

Total des procédures actualisées**

Total (lignes 6 et 13)

2 520

199

290

3 009 (100 %)

Procédures
« silence vaut accord »

1. Total de procédures « existantes »
avant la réforme de 2013

244

23

71

338

2. Total de procédures « créés »
à la suite de la réforme de 2013

837

28

91

956

3. Procédures spéciales et indépendantes

68

15

-

83

3.1 dont procédures spéciales « existantes »

51

15

66

3.2 dont procédures spéciales « créés »

16

-

16

4. Procédures supprimées - doublon

226

-

18

244

5. Procédures spéciales et indépendantes « aucun sens au silence » ; déclaration préalable

15

1

5

21

6. Total (lignes 1, 2, 3)

1 149

66

162

1 377 (46 %)

Procédures « silence vaut rejet »

7. Exceptions législatives

143

37

5

185

8. Exceptions de droit

582

44

46

672

9. Dérogations réglementaires

592

52

74

718

10. Procédures spéciales et indépendantes

54

-

3

57

11. Procédures supprimées - doublon

115

7

4

126

12. Procédures spéciales et indépendantes « aucun sens au silence » ; déclaration préalable.

9

-

1

10

13. Total (lignes 7, 8, 9,10)

1 371

133

128

1 632 (54 %)

Total des procédures recensées* : Total des demandes recensées en interne par le Gouvernement. Entre parenthèses, les données officielles communiquées ;

Total des procédures actualisées** : Total des demandes mis à jour par l'auteur en retirant notamment les doublons, les procédures supprimées ou déclarations préalables (lignes 4, 5, 11 et 12).

Source : Annexe 4-1 de la thèse de doctorat
«
La décision implicite d'acceptation en droit français » d'Armand Desprairies

B. LE RÉGIME DES DÉCISIONS IMPLICITES : UN DISPOSITIF JURIDIQUE DEVENU ILLISIBLE

Si l'objectif de la réforme de 2013 conduisant à multiplier les procédures SVA a été rempli, force est de constater que ce résultat a été obtenu en sacrifiant la lisibilité du régime du silence gardé par l'administration prévu par le CRPA.

L'inversion du principe à l'article L. 231-1 de ce code s'est accompagnée de la création d'une multitude d'exceptions principalement justifiées par les limites intrinsèques du SVA ( cf. supra ) et rendant, in fine , la compréhension du droit positif assez chaotique.

Ainsi, l'article L. 231-4 du CRPA pose quatre catégories d'exceptions au champ particulièrement vaste² . En vertu de cet article, le silence de l'administration ne vaut pas acceptation :

« 1° Lorsque la demande ne tend pas à l'adoption d'une décision présentant le caractère d'une décision individuelle ;

« 2° Lorsque la demande ne s'inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif ;

« 3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;

« 4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d'État, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l'ordre public ;

« 5° Dans les relations entre l'administration et ses agents ».

Certains des critères mobilisés par l'article L. 231-4 précité ne sont pas parfaitement objectifs et peuvent créer de l'incertitude dans le fait de savoir si le silence gardé par l'administration vaut rejet ou acceptation. C'est notamment le cas au 1° de cet article, qui prévoit que les demandes ne tendant pas à l'adoption d'une décision individuelle sont soumises au SVR, alors que la distinction entre acte réglementaire et décision individuelle n'est pas toujours parfaitement claire pour certains actes.

En outre, l'article L. 231-5 du même code précise que des exceptions au principe peuvent être prévues par décret en Conseil d'État lorsque le justifie « l'objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration » .

De plus, l'article L. 231-6 ouvre la faculté de prévoir, par décret, des délais autres que celui de deux mois pour fonder les décisions implicites de rejet ou d'acceptation lorsque « l'urgence ou la complexité de la procédure le justifie » .

Enfin, il convient de noter que les dispositions du CRPA ne régissent pas l'ensemble des relations entre le public et l'administration mais ont un caractère supplétif, en application de l'article L. 100-1 de ce code.

Ainsi, des dispositions législatives ou réglementaires spéciales sont venues qualifier les effets du silence gardé par certaines administrations, pendant un certain délai, face à certaines demandes. L'article R. 181-45 du code de l'environnement précise, par exemple, que le silence gardé pendant quatre mois vaut rejet implicite par le préfet de certaines demandes portant sur l'adaptation de prescriptions prévues par arrêté préfectoral.

L'article L. 1116-1 du code général des collectivités territoriales prévoit également que « le silence gardé par le représentant de l'État pendant trois mois [à compter de la demande de rescrit d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités] vaut absence de prise de position formelle ». Une telle disposition n'aurait pu être inscrite au sein du CRPA puisque les collectivités territoriales ou leurs groupements sont des administrations au sens de l'article L. 100-3 de ce code et ne font pas partie des personnes que cet article qualifie de « public ».

Schéma récapitulatif
du sens du silence de l'administration
depuis la réforme du 12 novembre 2013

Source : Annexe 1 de la thèse de doctorat
«
La décision implicite d'acceptation en droit français » d'Armand Desprairies

La complexité accrue de l'accès au droit a d'ailleurs été mise en exergue par le rapport précité de 2019 qui souligne « qu'il n'existe pas de liste exhaustive des procédures de SVA et de SVR et donc que le public, entreprises comme particuliers, ne dispose pas de la possibilité de prendre connaissance, sur un seul site, de l'ensemble des exceptions anciennes et nouvelles au principe du silence vaut acceptation » 14 ( * ) .

La jurisprudence récente de la ferme des « mille vaches » montre les difficultés également rencontrées par le juge administratif pour qualifier le silence de l'administration, le tribunal administratif d'Amiens ayant considéré que la procédure en cause relevait du SVA alors que la cour administrative d'appel de Douai puis le Conseil d'État ont, au contraire, considéré que s'appliquait le SVR 15 ( * ) .

IV. UNE PROPOSITION DE LOI TENDANT À CONFORTER LE PRINCIPE DU SVA PAR DES MODIFICATIONS PEU OPÉRANTES OU PEU OPPORTUNES

Considérant que « le principe général du SVA est un système vertueux » qui « est affaibli par de très nombreuses exceptions d'origine réglementaire » 16 ( * ) , la proposition de loi tend à apporter plusieurs modifications techniques au régime des décisions implicites de l'administration.

En conséquence, l'article 1 er de la proposition de loi tend à supprimer la possibilité de déroger au principe « SVA » par voie réglementaire, telle qu'actuellement prévue à l'article L. 231-5 du CRPA. Cette modification paraît toutefois difficilement réalisable puisqu'il faudrait faire « remonter » au niveau législatif un nombre particulièrement important d'exceptions réglementaires existantes.

L'article 2 tend, d'une part, à introduire un nouvel article L. 231-2 au sein du CRPA qui prévoirait la publication de deux listes distinctes : l'une relative aux procédures pour lesquelles le principe SVA s'applique avec un délai dérogatoire et une autre pour celles où le principe SVA ne s'applique pas. Ces listes seraient par ailleurs rendues opposables à l'administration. Or, l'existence de deux listes distinctes pourrait être source de confusion et leur opposabilité pourrait pénaliser certaines administrations, telles que les collectivités territoriales, en cas d'erreur au sein de ces listes alors même que ces administrations ne sont pas en charge de leur publication.

L'article 3 de la proposition de loi tend à préciser, au sein du CRPA, que les décisions implicites de rejet pourraient être motivées par l'administration à la demande de l'usager. Il semble satisfait par la rédaction actuelle de l'article L. 232-4 du CRPA.

L'article 4 tend à préciser que les délais dérogatoires permis par décret sur le fondement de l'article L. 231-6 du CRPA seraient figés à quatre mois. En l'état, ces dispositions conduiraient à augmenter certains délais dérogatoires et seraient inadaptées pour certaines procédures particulièrement techniques pour lesquelles l'instruction des demandes nécessite objectivement un temps plus long.

L'article 5 tend à ce que le délai permettant l'acceptation tacite d'une demande commence, le cas échéant, à courir au moment de sa réception par une administration incompétente, comme c'est actuellement le cas pour les demandes pour lesquelles le silence vaut rejet. Une telle modification pourrait conduire à ce qu'une administration reçoive des demandes pour lesquelles une décision implicite d'acceptation serait déjà acquise en l'absence de toute instruction de sa part.

L'article 6 tend à préciser, dans le CRPA, que l'administration dispose d'un délai de quinze jours pour publier les demandes « dans le cas où la décision demandée peut être acquise implicitement et doit faire l'objet d'une mesure de publicité à l'égard des tiers lorsqu'elle est expresse » . Il tend également à soumettre au même délai de quinze jours la délivrance, par l'administration, de l'attestation dont fait l'objet une décision implicite d'acceptation.

Cet article tend, en outre, à supprimer le délai qui enferme la possibilité de demander à une administration de motiver une décision implicite de rejet. Ce dernier point aurait des conséquences particulièrement dommageables pour les administrations recevant des demandes de motivation tardives.

Enfin, l'article 7 de la proposition de loi tend à procéder à diverses coordinations nécessaires pour l'application du texte outre-mer.

* *

*

À l'issue de ses travaux,
la commission des lois n'a pas adopté la proposition de loi.

Ce texte sera examiné en séance publique le jeudi 4 novembre 2021.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Suppression de la base légale
de certaines exceptions réglementaires au SVA

L' article 1 er tend à supprimer la possibilité de déroger au principe « SVA » par voie réglementaire, telle qu'actuellement prévue à l'article L. 231-5 du CRPA.

Cette modification paraît cependant difficilement réalisable puisqu'elle impliquerait de faire « remonter » au niveau législatif un nombre particulièrement important d'exceptions réglementaires existantes dans un délai contraint.

La commission n'a pas adopté l'article 1 er .

Introduit lors de la réforme de 2013 17 ( * ) puis codifié au sein du CRPA à sa création par l'ordonnance de 2015 précitée, l'article L. 231-5 du CRPA dispose qu' « eu égard à l'objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration, l'application de l'article L. 231-1 peut être écartée par décret en Conseil d'État et en conseil des ministres ».

L'auteur de la proposition de loi justifie la suppression de l'article L. 231-5 précité dans un délai de deux ans par le fait que « Conformément à l'article 5 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, "Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché" . Nous proposons de redonner vigueur et effectivité au principe d'ordre législatif selon lequel le silence gardé par l'administration vaut acceptation (SVA) de la demande formulée par le citoyen. Cela suppose qu'il n'est possible de déroger à ce principe général qu'en vertu d'autres principes législatifs et non pas réglementaires, afin de limiter au maximum le nombre d'exceptions et de préserver la lisibilité de cette règle pour les citoyens et les entreprises » 18 ( * ) .

Cette suppression est également motivée par le fait que « le principe général du SVA est un système vertueux » qui « est affaibli par de très nombreuses exceptions d'origine réglementaire » 19 ( * ) .

Sur le premier point, la notion de « Loi » utilisée par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC) doit être entendue au sens qui lui était donné en 1789. Il est anachronique de considérer qu'une référence à la « Loi » au sein de son article 5 exclut le recours à un règlement alors que la distinction entre le domaine de la loi et celui du règlement procède principalement, aujourd'hui, des articles 21, 34 et 37 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Par ailleurs, le rapporteur concède le manque de précision des critères permettant au pouvoir réglementaire d'écarter le principe SVA. Toutefois, elle souligne que les travaux récemment conduits par Armand Desprairies recensent près de 850 procédures dérogeant au SVA sur le fondement de l'article L. 321-5 précité.

Catégorisation des dérogations réglementaires (art. L. 231-5)

Sous-catégories
des dérogations réglementaires

État

Collectivités
territoriales

Organismes chargés d'un service public administratif

Total

Total
des procédures recensées*

708

60

81

849 (100 %)

Total
des procédures actualisées**

Demandes : doublon- supprimées

72

6

4

82 (9 %)

Demandes exceptions législatives ou dispositions spéciales

44

2

3

49 (6 %)

Total

592

52

74

718

2.

Objet
de la
décision

2.1 Demandes structurellement inadaptées à la logique du principe du silence vaut accord

266

42

37

345 (41 %)

Délivrance d'un titre sécurisé

51

2

5

58

Communication d'un document***

1

0

0

1

Demande concurrente

153

10

20

183

Acte positif de l'administration

61

30

12

103

2.2 Demandes mettant en cause des intérêts publics majeurs ou présentant une sensibilité particulière

218

8

15

241 (28 %)

Demande à effet financier

151

5

15

171

Protection de l'environnement et du patrimoine

13

2

0

15

Protection de la santé (enfance et au travail inclus)

36

0

0

36

Divers (dont ordre public)

18

1

0

19

Total

484

50

52

586 (69 %)

3.

Bonne administration

Contrôle effectif - afflux de demandes

-

1

13

14

Contrôle effectif - risque élevé de fraude

15

-

-

15

Contrôle effectif - risque d'atteinte au droit des tiers

7

0

0

7

Contrôle effectif - collaboration au service public

4

0

0

4

Contrôle effectif - bon fonctionnement de l'Établissement pénitentiaire

29

0

0

29

Bloc de procédure - profession réglementée

40

0

3

43

Bloc de procédure - opportunité (divers)

13

1

6

20

Total

108

2

22

132 (16 %)

Légendes : Procédures recensées* : ensemble des procédures « dérogations réglementaires » recensées par le Gouvernement ; Procédures actualisées** : ensemble des procédures « exceptions de droit » mises à jour en retranchant les doublons, les procédures supprimées ou relevant de dispositions spéciales ou exceptions législatives ; Communication d'un document*** : exclusion générique applicable à l'ensemble des administrations.

Source : Annexe 3-3 de la thèse de doctorat
«
La décision implicite d'acceptation en droit français » d'Armand Desprairies

Il découle de ce constat que l'adoption de l'article 1 er devrait conduire le législateur, en tout état de cause, à conserver plusieurs centaines d'exceptions fondées en les inscrivant dans la loi dans le délai de deux ans prévu par le III de l'article. Une telle démarche semble difficilement réalisable en pratique . En outre, l'oubli d'une exception législative dans un cas où le SVA ne peut matériellement pas s'appliquer ( cf. supra ) créerait de l'insécurité juridique en cas de silence de l'administration.

De plus, la suppression de l'article L. 231-5 pourrait être contournée par l'administration dans toutes les hypothèses où les exceptions réglementaires prises sur son fondement pourraient également entrer dans le champ des exceptions réglementaires prévues par le CRPA au 4° de l'article L. 321-4 ( cf supra ).

En outre, la suppression des exceptions de nature réglementaire pourrait être contreproductive pour l'ensemble des procédures purement réglementaires pour lesquelles l'ensemble des paramètres sont actuellement prévus un règlement.

La commission n'a pas adopté l'article 1 er .

Article 2
Publication et opposabilité des listes
de procédures SVA à délais dérogatoires et SVR

L' article 2 tend, d'une part, à introduire un nouvel article L. 231-2 au sein du CRPA prévoyant la publication de deux listes distinctes : une relative aux procédures pour lesquelles le principe s'applique avec des délais dérogatoires et une autre pour celles où il ne s'applique pas et, d'autre part, à rendre ces listes opposables à l'administration.

Or, l'existence de deux listes distinctes pourrait être source de confusion et leur opposabilité pourrait pénaliser certaines administrations telles que les collectivités territoriales, alors même qu'elles ne sont pas en charge de leur publication.

La commission n'a pas adopté l'article 2 .

L'article D. 231-2 du CRPA rend obligatoire, par les services du Premier ministre, la publication des procédures SVA, sur un site internet. Initialement assurée par le Secrétariat général du Gouvernement, cette publication est désormais assurée par la Direction de l'information légale et administrative sur le site internet « service-public.fr », en application de l'article D. 231-3 du CRPA modifié par le décret n° 2020-1119 du 8 septembre 2020.

Comme le relève la Secrétaire générale du Gouvernement, « il convient d'observer que la tenue à jour d'une liste exhaustive des décisions placées sous le régime SVA est particulièrement difficile dans la mesure où ce régime est celui qui s'applique par défaut. Il en résulte que, tout texte quel qu'en soit le niveau (loi, ordonnance, décret, arrêté) qui institue une nouvelle catégorie de décision implique normalement une actualisation de la liste » 20 ( * ) .

L'article 2 de la proposition de loi tend à faire remonter l'obligation de publication au niveau législatif et à la décliner en deux listes distinctes : l'une portant sur les procédures SVA avec délai dérogatoire en application de l'article L. 231-6 du CRPA et l'autre sur les procédures SVR. L'article tend également à rendre ces listes opposables à l'administration et à prévoir leur mise à jour « sans délai ».

Le rapporteur constate que la mise en place de ces deux listes nécessiterait une refonte totale du système actuellement en vigueur puisqu'elle conduirait, notamment, à recenser l'ensemble des procédures SVR et non plus les procédures SVA.

En outre, l'opposabilité de ces deux listes à l'administration est problématique du fait de la définition large donnée à l'administration à l'article L. 100-3 du CRPA ( cf . supra ). Ainsi, cette opposabilité pourrait conduire à imposer le SVA à une collectivité territoriale ou un organisme de sécurité sociale du fait d'une erreur commise par l'administration centrale dans la constitution ou la mise à jour des listes. Une telle erreur pourrait également conduire à rendre opposable, en droit, le SVA pour certaines procédures alors même qu'il serait matériellement impossible à mettre en oeuvre.

Enfin, la mention d'une mise à jour sans délai semble floue et difficilement réalisable du fait de la variété des procédures concernées, comme le constate la Secrétaire générale du Gouvernement.

La commission n'a pas adopté l'article 2.

Article 3
Motivation des décisions implicites de rejet

L' article 3 de la proposition de loi tend à préciser, au sein du CRPA, que les décisions implicites de rejet pourraient être motivées par l'administration à la demande de l'usager. Il semble satisfait par l'article L. 232-4 du CRPA qui dispose que : « à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande ».

La commission n'a pas adopté l'article 3.

Article 4
Fixation d'un délai dérogatoire unique de quatre mois
pour les procédures SVA

L' article 4 tend à préciser que les délais dérogatoires permis par décret sur le fondement de l'article L. 231-6 du CRPA seraient indifféremment fixés à quatre mois. En l'état, ces dispositions conduiraient à augmenter certains délais dérogatoires et seraient inadaptées pour des procédures particulièrement techniques pour lesquelles l'instruction des demandes nécessite objectivement un temps plus long.

La commission n'a pas adopté l'article 4 .

L'article L. 231-6 du CRPA ouvre la possibilité de fixer un délai dérogatoire différent de celui de deux mois tant pour les procédures SVA que SVR, par décret en Conseil d'État, « lorsque l'urgence ou la complexité de la procédure le justifie ».

Ainsi, certains délais dérogatoires sont significativement plus courts, tels que celui nécessaire pour une autorisation tacite de dépassement de la durée de temps de travail maximale pour un salarié (SVA) qui est fixé à 15 jours 21 ( * ) . D'autres sont, au contraire, plus long tels que celui pour obtenir l'inscription sur la liste des administrateurs judiciaires (SVA) qui est de 12 mois 22 ( * ) .

L'article 4 de la proposition de loi tend à compléter l'article L. 231-6 précité afin de fixer un délai dérogatoire unique et invariable de quatre mois .

Or, un délai invariable de quatre mois ne permettrait plus de raccourcir le délai de droit commun lorsque l'urgence le nécessite. Il aurait également pour conséquence de rallonger certains délais dérogatoires motivés par la complexité de la procédure qui sont aujourd'hui de trois mois comme pour l'instruction de certains permis de construire 23 ( * ) .

À l'inverse, ce délai invariable de quatre mois pourrait se révéler trop court pour les procédures dont la complexité justifie des délais plus longs pour l'instruction des demandes.

La commission n'a pas adopté l'article 4.

Article 5
Alignement de la computation
des délais SVA sur les délais SVR
en cas de réception de la demande
par une administration incompétente

L' article 5 tend à ce que le délai permettant l'acceptation tacite d'une demande commence, le cas échéant, à courir au moment de sa réception par une administration incompétente, comme c'est actuellement le cas pour les demandes pour lesquelles le silence vaut rejet.

Une telle modification pourrait conduire à ce qu'une administration reçoive des demandes pour lesquelles une décision implicite d'acceptation serait déjà acquise en l'absence de toute instruction.

La commission n'a pas adopté l'article 5 .

L'article L. 114-3 du CRPA fixe les règles de computation des délais aboutissant à une décision implicite de l'administration lorsque la demande a été initialement transmise à une administration incompétente avant que cette dernière ne la transmette à son tour à l'administration compétente, en application de l'article L. 114-2 du même code.

Ces règles différent selon que la procédure concernée relève du SVA ou du SVR. Pour le SVR, le délai commence à courir dès la réception de la demande par l'administration incompétente initialement saisie. À l'inverse, pour le SVA, le délai commence à courir à compter de la réception de la demande par l'administration compétente.

L'article 5 de la proposition de loi tend à mettre fin à cette distinction en alignant la computation des délais SVA sur celle des délais SVR plus favorable à l'usager.

Or, une telle modification pourrait conduire à ce qu'une administration reçoive d'une autre administration des demandes pour lesquelles une décision implicite d'acceptation serait déjà acquise en l'absence de toute instruction ou, à défaut, qu'elle dispose d'un délai d'instruction raccourci. En outre, certains usagers pourraient détourner le mécanisme en destinant volontairement leurs demandes à des administrations incompétentes afin de bénéficier plus facilement d'une acceptation tacite.

La commission n'a pas adopté l'article 5.

Article 6
Instauration et adaptation de divers délais

L' article 6 tend à préciser, dans le CRPA, que l'administration dispose d'un délai de quinze jours pour publier les demandes « dans le cas où la décision demandée peut être acquise implicitement et doit faire l'objet d'une mesure de publicité à l'égard des tiers lorsqu'elle est expresse ». Il tend également à soumettre au même délai de quinze jours la délivrance, par l'administration, de l'attestation dont fait l'objet une décision implicite d'acceptation.

Cet article tend également à supprimer le délai qui enferme la possibilité de demander à une administration de motiver une décision implicite de rejet. Ce dernier point aurait des conséquences particulièrement dommageables pour les administrations recevant des demandes de motivation tardives.

La commission n'a pas adopté l'article 6 .

Afin d'assurer l'information des tiers des éventuelles décisions implicites d'acceptation, l'administration est tenue de procéder à la publication des demandes concernées, en application de l'article L. 232-2 du CRPA. En outre, afin de fournir une preuve de l'existence d'une décision implicite d'acceptation au bénéfice du pétitionnaire, l'article L. 232-3 impose à l'administration de lui fournir une attestation, à sa demande.

Les 1° et 2° de l'article 6 de la proposition de loi tendent à enfermer la publication de ces demandes et la délivrance de ces attestations dans un délai de quinze jours.

En outre, le 3° de l'article 6 précité tend à supprimer l'obligation faite à l'usager de formuler une demande de motivation d'une décision implicite de rejet à l'intérieur du délai de recours contentieux, en application de l'article L. 232-4 du CRPA (voir commentaire de l'article 3 de la proposition de loi). Or, la suppression de cette condition de forclusion pourrait être particulièrement dommageable pour l'administration qui s'exposerait à des demandes de motivation tardives.

La commission n'a pas adopté l'article 6.

Article 7
Coordinations outre-mer

Enfin, l' article 7 de la proposition de loi tend à procéder à diverses coordinations au sein du CRPA rendues nécessaires pour l'application du texte outre-mer.

La commission n'a pas adopté l'article 7.

* *

*

La commission des lois n'a pas adopté
la proposition de loi.

Par conséquent, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 27 OCTOBRE 2021

M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons le rapport de Mme Lherbier sur la proposition de loi visant à mettre l'administration au service des usagers, déposée par notre collègue Dany Wattebled et ses collègues.

Mme Brigitte Lherbier , rapporteur . - Notre droit administratif a pour particularité de reconnaître des « décisions implicites ». À défaut de recours en carence, une fiction juridique fait découler du silence de l'administration une décision implicite qui peut, le cas échéant, être contestée devant le juge administratif, au même titre que les décisions expresses.

De 1864 à 2013, le principe retenu était celui selon lequel le silence gardé par l'administration valait rejet de la demande - système dit « SVR » -, sous réserve d'exceptions ciblées, comme pour l'attribution des autorisations d'urbanisme, par exemple. Mais, depuis 2013, une réforme à l'initiative du président Hollande a eu pour objet de renverser ce principe. Depuis lors, le silence gardé par l'administration vaut, en principe, acceptation - système dit « SVA » -, sous réserve des exceptions prévues par le droit.

Comme l'a justement rappelé la secrétaire générale du Gouvernement en réponse à mes interrogations : « dès l'origine, le législateur ne s'est pas donné comme objectif de soumettre l'ensemble des demandes adressées aux administrations à l'application uniforme du principe "silence vaut acceptation". Il s'est agi de poser précisément un principe de nature à susciter, dans son champ, de nouvelles simplifications dans l'instruction des demandes et assorti, sous le contrôle du juge, de dérogations et d'exceptions. »

En effet, le principe SVA connaît des faiblesses intrinsèques importantes. La plus significative est qu'il ne peut s'appliquer que pour les demandes auxquelles l'administration doit répondre par « oui » ou par « non ». Si vous demandez à une administration d'effectuer un choix parmi plusieurs possibilités, le silence de l'administration ne permettra pas de répondre à la question. De la même manière, si vous demandez à une administration de vous verser une indemnité, son silence n'emportera pas versement de la somme demandée. Il s'agit d'un état de fait, et le législateur n'y peut rien.

La seconde faiblesse concerne les droits des tiers. Avec le principe SVA, la perte d'un courrier ou une erreur de traitement peut aboutir à l'acceptation tacite d'une demande, par l'administration, pour un usager qui ne remplit pourtant pas les critères d'attribution. Il sera donc dans une situation plus favorable qu'une personne présentant le même dossier et qui aura été déboutée à juste titre. Se pose donc un problème d'égalité.

Le SVA peut également conduire à une perte de chance pour les tiers dans la mesure où, en l'absence de décision expresse en faveur du pétitionnaire, ils peuvent plus difficilement prendre connaissance de son existence pour, le cas échéant, formuler un recours.

En effet, les relations entre le public et l'administration sont souvent perçues comme des relations purement bilatérales. Or, je rappelle que l'activité de régulation confiée aux administrations a in fine pour objet de préserver l'ordre public, l'environnement et les droits des tiers. L'instruction d'une autorisation d'urbanisme peut, par exemple, révéler une atteinte à une servitude établie au bénéfice d'un tiers.

De manière analogue, lorsque le Conseil d'État examine l'existence d'une autorisation tacite de regrouper des élevages dont se prévalait la ferme dite « des mille vaches », ce n'est pas pour savoir si l'administration a tort ou raison, mais, in fine , pour faire respecter le droit de l'environnement au bénéfice des tiers.

Depuis la réforme de 2013, force est de constater que ces faiblesses n'ont jamais été véritablement surmontées. Si l'objectif de cette réforme conduisant à multiplier les procédures SVA a été rempli - elles ont été multipliées par quatre - , ce résultat a été obtenu en sacrifiant la lisibilité du régime des décisions implicites de l'administration prévu par le code des relations entre le public et l'administration (CRPA).

Comme c'était prévisible, l'inversion de principe s'est accompagnée d'une multitude d'exceptions principalement justifiées par les limites intrinsèques du SVA que je vous ai décrites. Elles rendent aujourd'hui la compréhension du droit positif assez chaotique. L'affaire des « mille vaches » en est une preuve puisqu'il a fallu aller en cassation devant le Conseil d'État pour déterminer si, en l'espèce, le silence de l'administration valait acceptation ou rejet. D'ailleurs, même l'administration chargée de publier la liste des procédures SVA a du mal à s'y retrouver... Alors mettez-vous à la place de l'usager !

C'est dans ce contexte particulièrement compliqué qu'a été déposée la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Dany Wattebled, son auteur, a eu le courage de se pencher sur cette problématique avec une volonté que je partage : rendre le système plus efficace et moins compliqué. Si nous étions d'accord sur l'objectif, nous ne l'avons pas nécessairement été sur les moyens choisis pour le mettre en oeuvre.

L'article 1 er de la proposition de loi tend à supprimer la possibilité de déroger au principe SVA par voie réglementaire, telle qu'elle est actuellement prévue à l'article L. 231-5 du CRPA. Cette modification paraît toutefois difficilement réalisable puisqu'il faudrait faire « remonter » au niveau législatif plusieurs centaines d'exceptions réglementaires existantes, et ce dans des délais contraints.

L'article 2 prévoit la publication de deux listes distinctes : l'une relative aux procédures pour lesquelles le principe SVA s'applique avec un délai dérogatoire et une autre pour celles où il ne s'applique pas. Ces listes seraient par ailleurs rendues opposables à l'administration. Or, l'existence de deux listes distinctes pourrait être source de confusion et leur opposabilité pourrait pénaliser certaines administrations, telles que les collectivités territoriales, en cas d'erreur au sein de ces listes, alors même que ces administrations ne sont pas chargées de leur publication.

L'article 3 vise à préciser que les décisions implicites de rejet pourraient être motivées par l'administration à la demande de l'usager. Ce point est déjà satisfait par le droit en vigueur.

L'article 4 indique que les délais dérogatoires permis par décret seraient figés à quatre mois. En l'état, ces dispositions conduiraient à augmenter certains délais dérogatoires et seraient inadaptées pour certaines procédures particulièrement techniques pour lesquelles l'instruction des demandes nécessite objectivement un temps plus long.

L'article 5 prévoit que le délai permettant l'acceptation tacite d'une demande commence, le cas échéant, à courir au moment de sa réception par une administration incompétente, comme c'est actuellement le cas pour les demandes SVR. Avec une telle modification, une administration pourrait recevoir des demandes pour lesquelles une décision implicite d'acceptation serait déjà acquise en l'absence de toute instruction de sa part.

L'article 6 tend, notamment, à supprimer le délai qui enferme la possibilité de demander à une administration de motiver une décision implicite de rejet, ce qui aurait des conséquences particulièrement dommageables pour les administrations recevant des demandes de motivation tardives.

Vous l'aurez compris, mon propos cible volontairement les points négatifs de la proposition de loi pour démontrer qu'il n'est pas possible d'adopter le texte sans y apporter de très profondes modifications. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé à Dany Wattebled que la commission n'adopte pas de texte afin que soit examinée en séance publique sa proposition de loi dans sa rédaction initiale. En contrepartie, je me suis engagée à proposer, en séance, de nouveaux dispositifs juridiques allant dans le même sens que l'objet initial de la proposition de loi en vue, notamment, de limiter la marge de manoeuvre de l'administration dans la définition des exceptions au principe SVA ou de modifier certaines modalités de décompte de délais dans un sens plus équitable pour l'usager. Ces amendements de séance seront élaborés en toute transparence avec Dany Wattebled, que je remercie pour la qualité et la franchise de nos échanges.

M. Dany Wattebled , auteur de la proposition de loi . - Je tiens à remercier le rapporteur pour les échanges que nous avons eus. En voulant rendre l'administration responsable, il est vrai que ma proposition de loi est un peu « brut de décoffrage ». La proposition du rapporteur est intéressante. Ce sujet est important. Nous allons retravailler ce texte.

M. Jean-Pierre Sueur . - Même si je souscris aux intentions sous-tendues par ce texte, je suis perplexe. Non seulement un député LR a commis un rapport, mais Hugues Portelli et moi-même avons publié en 2015 un rapport d'information sur ce sujet. Cette affaire apparaît simple, mais elle est effroyablement compliquée : nous nous retrouvons face à deux listes : l'une qui recense les cas où le système SVA s'applique et l'autre les cas où il ne s'applique pas. Au final, nos concitoyens ne s'y retrouvent pas. Certes, le système n'est pas idéal, mais il a le mérite d'exister. Or l'article 1 er vise à abroger l'article du code précité pendant deux ans, ce qui est dommageable dans les cas où le système fonctionne bien.

Vous avez souligné, madame le rapporteur, que vous allez nous proposer d'autres dispositions lors de la réunion des amendements de séance. Mais cela pose un problème de procédure. Comment voulez-vous que nous déposions des amendements sur des dispositions que nous ne connaissons pas ? Nous voulions amender ce texte en réécrivant notamment l'article 1 er . J'avoue ma perplexité face à cette procédure que vous instaurez.

M. Alain Marc . - Cette proposition de loi présente l'intérêt de revoir nos rapports avec l'administration. Nous sommes souvent interpellés par des pétitionnaires, notamment pour ce qui concerne les permis de construire, et les sous-préfets qui viennent sur le terrain souhaitent prendre des décisions en faveur des pétitionnaires, alors que la direction départementale des territoires (DDT) y est hostile. Nous nous retrouvons donc confrontés à cette opposition entre les administrations ; le SVA avait sa pertinence. Cette proposition de loi a au moins le mérite de poser le problème.

Mme Brigitte Lherbier , rapporteur . - Monsieur Sueur, cette proposition de loi sera examinée dans le cadre d'un espace réservé et, en l'espèce, nous appliquons le principe du gentlemen's agreement .

M. Jean-Pierre Sueur . - Cela ne nous empêche pas de déposer des amendements.

M. François-Noël Buffet , président . - Cela ne modifie en rien votre droit à déposer des amendements de commission ou de séance.

Mme Brigitte Lherbier , rapporteur . - Permettez-moi d'indiquer le périmètre indicatif de la proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.

Entrent dans le champ de la proposition de loi les dispositions en lien avec le régime des décisions implicites de l'administration.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

L'article 1 er n'est pas adopté.

Article 2

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

L'article 3 n'est pas adopté.

Article 4

L'article 4 n'est pas adopté.

Article 5

L'article 5 n'est pas adopté.

Article 6

L'article 6 n'est pas adopté.

Article 7

L'article 7 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 24 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 25 ( * ) . Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 26 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 27 ( * ) .

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté , lors de sa réunion du
mercredi 27 octobre 2021, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 76 (2020-2021) visant à mettre l'administration au service des usagers .

Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions en lien avec le régime des décisions implicites de l'administration.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DE LA CONTRIBUTION ÉCRITE

M. Dany WATTEBLED , sénateur du Nord, auteur de la proposition de loi

Personnalités qualifiées

M. David CAPITANT , professeur de droit public à l'École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

M. Armand DESPRAIRIES , maître de conférences, auteur de la thèse « La décision implicite d'acceptation en droit administratif français »

CONTRIBUTION ÉCRITE

Mme Claire LANDAIS , Secrétaire générale du Gouvernement

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-076.html


* 1 Voir, récemment, Conseil d'État, 6 décembre 2019, n° 417167.

* 2 Voir, notamment, Conseil d'État, 28 janvier 1864, Anglade.

* 3 Voir, notamment, Conseil d'État, 1964, Veuve Renard.

* 4 Le délai de droit commun est passé à 2 mois en application de l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

* 5 Article 3 de la loi du 17 juillet 1900 reprenant, dans leur principe, les dispositions de l'article 7 du décret impérial du 2 novembre 1864.

* 6 Ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 relative aux dispositions législatives du code des relations entre le public et l'administration.

* 7 Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

* 8 Extrait du considérant 43.

* 9 Cf. Conseil d'État, 30 décembre 2015, n° 386805, aux T.

* 10 Extrait de la contribution écrite transmise au rapporteur par la Secrétaire générale du Gouvernement.

* 11 Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance dite « loi ESSOC ».

* 12 « La décision implicite d'acceptation en droit français » dirigée par le Professeur Melleray et soutenue le 12 décembre 2019.

* 13 Ibidem , annexe 4, page 491.

* 14 Page 20.

* 15 Conseil d'État, 23 septembre 2021, n° 437748.

* 16 Extrait de l'exposé des motifs de la proposition de loi.

* 17 Initialement prévu au II de l'article 21 de la loi du 12 avril 2000 précitée.

* 18 Extrait de l'exposé des motifs de la proposition de loi.

* 19 Extrait de l'exposé des motifs de la proposition de loi.

* 20 Extrait de la contribution écrite de la Secrétaire générale du Gouvernement.

* 21 Article D. 3121-5 du code du travail.

* 22 Source : service-public.fr.

* 23 Article R. 423-23 du code de l'urbanisme.

* 24 Voir le commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 25 Voir par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 26 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 27 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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