Rapport n° 743 (2020-2021) de MM. Arnaud BAZIN et Éric BOCQUET , fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 juillet 2021

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N° 743

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juillet 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de règlement du budget et d' approbation des comptes de l' année 2020 ,

Par M. Jean-François HUSSON,

Rapporteur général,

Sénateur

TOME II

CONTRIBUTIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 30

Solidarité, insertion et égalité des chances


Rapporteurs spéciaux : MM. Arnaud BAZIN et Éric BOCQUET

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, M. Christian Bilhac, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4090 , 4195 et T.A. 628

Sénat :

699 (2020-2021)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. La loi de finances initiale pour 2020 avait prévu l'ouverture de 26,3 milliards d'euros en autorisation d'engagements (AE) et en crédits de paiement (CP) pour l'ensemble de la mission, soit une hausse de 10 % par rapport à l'autorisation budgétaire initiale pour l'année 2019.

2. Si la consommation des crédits de la mission, qui a progressé de 14 % entre 2017 et 2019, est structurellement dynamique depuis plusieurs années, le montant des crédits finalement consommés en exécution 2020, soit 29 milliards d'euros en AE et en CP, s'est avéré encore très nettement supérieur à l'exécution 2019 à périmètre courant (respectivement à + 17,7 % et + 17,4 %) .

3. De même, si l'on constate une sur-exécution chronique des crédits lors des exercices précédents, l'exécution 2020 est également très supérieure à l'autorisation budgétaire initiale pour 2020 (respectivement + 10,5 % et + 10,4 %) .

4. L'exercice 2020 se caractérise par une forte sur-exécution des dépenses d'allocation aux adultes handicapés (+ 378 millions d'euros) , dont la prévision doit être fiabilisée, cette dépense représentant à elle seule environ 41 % des crédits de la mission.

5. Les importants écarts constatés en exécution 2020, tant par rapport à l'exécution 2019 que par rapport à l'autorisation budgétaire initiale, tiennent pour l'essentiel aux importantes ouvertures de crédits votées dans le cadre des lois de finances rectificatives successives pour l'année 2020 et visant principalement à financer des mesures d'urgence en réponse à la crise sanitaire , qui représentent un total net de 2,7 milliards d'euros, ce qui vient nuancer le constat d'une forte augmentation des crédits par rapport à l'année 2019.

6. En particulier, les aides exceptionnelles de solidarité (AES) ont représenté un montant total de 2 milliards d'euros . Ces dispositifs se sont avérés indispensables pour aider les ménages précaires à faire face à la crise, bien qu'il ne s'agisse que d'un « coup de pouce » ponctuel d'un montant modeste. On peut par ailleurs déplorer le caractère très tardif de la décision de faire bénéficier d'une aide équivalente les jeunes précaires ou modestes . Il est enfin à noter que ce dispositif n'avait pas été reconduit en 2021 , le Gouvernement ayant au contraire proposé un budget « pour temps calmes » et en décalage avec la situation sociale du pays.

7. La réactivité des pouvoirs publics peut être saluée concernant les plans d'urgence qui ont été mis en place dans le secteur de l'aide alimentaire (94 millions d'euros) et de la lutte contre les violences faites aux femmes (5,2 millions d'euros) dans un contexte de risque accru lié aux mesures de confinement. La mobilisation exceptionnelle observée durant la crise sanitaire en faveur de la lutte contre ces violences doit devenir la norme .

I. L'EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2020

1. Une forte sur-exécution des crédits...

La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » porte les politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale de l'État en faveur des personnes les plus fragiles.

Pour mémoire, la mission comporte quatre programmes :

- le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » porte notamment les crédits de la prime d'activité . Il concourt entre autres à la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté. Il permet également de financer les politiques d'aide alimentaire, les actions relatives à la qualification en travail social, les mesures de protection juridique des majeurs, des actions de protection et d'accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables, ainsi que l'aide à la vie familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine ;

- le programme 157 « Handicap et dépendance » porte notamment les crédits de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Il assure également le financement de l'aide au poste versée aux établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ainsi que le dispositif d'emploi accompagné. Le programme finance en outre des actions de lutte contre la maltraitance des personnes dépendantes ;

- le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » vise notamment à financer des actions d'accès au droit, de lutte contre les violences faites aux femmes et visant à favoriser l'émancipation économique des femmes ;

- enfin, le programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales » constitue le programme d'appui et de soutien aux politiques du ministère des solidarités et de la santé, portant l'ensemble des emplois de la mission. Il finance également la subvention pour charges de service public allouée aux agences régionales de santé (ARS).

La loi de finances initiale pour 2020 1 ( * ) avait prévu l'ouverture de 26,3 milliards d'euros en autorisation d'engagements (AE) et en crédits de paiement (CP) pour l'ensemble de la mission, soit une hausse de 10 % par rapport à l'autorisation budgétaire initiale pour l'année 2019 . Cette évolution était essentiellement imputable à la dynamique des deux principaux dispositifs financés par la mission : la prime d'activité et l'AAH.

Si la consommation des crédits de la mission, qui a progressé de 14 % entre 2017 et 2019, est structurellement dynamique depuis plusieurs années, le montant des crédits finalement consommés en exécution 2020, soit 29 milliards d'euros en AE et en CP, s'est avéré encore très nettement supérieur à l'exécution 2019 à périmètre courant (respectivement + 17,7 % et + 17,4 %) .

L'exécution 2020 hors fonds de concours et contribution au CAS « Pensions » s'élève à 28,9 milliards d'euros, et dépasse ainsi la prévision de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 , qui s'établissait à 25,3 milliards d'euros pour 2020 au format du projet de loi de finances (PLF) pour 2020 2 ( * ) .

De même, si l'on constate une sur-exécution chronique des crédits lors des exercices précédents, l'exécution 2020 est également très supérieure à l'autorisation budgétaire initiale pour 2020 (respectivement + 10,5 % et + 10,4 %) .

Évolution des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » en 2020

(en millions d'euros et en pourcentage)

2019

2020

Exécution / prévision 2020

Exécution

2020 / 2019

Prévision

Exécution

Prévision

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

304 - Inclusion sociale et protection des personnes

AE

10 467,1

11 241,8

+ 7,4 %

12 410,7

14 595,6

+ 2 184,8

+ 17,6 %

+ 3 353,8

+ 29,8 %

CP

10 467,1

11 239,2

+ 7,4 %

12 410,7

14 590,8

+ 2 180,0

+ 17,6 %

+ 3 351,6

+ 29,8 %

157 - Handicap et dépendance

AE

11 923,0

11 995,8

+ 0,6 %

12 536,8

13 068,5

+ 531,7

+ 4,2 %

+ 1 072,7

+ 8,9 %

CP

11 923,0

11 995,0

+ 0,6 %

12 536,8

13 067,2

+ 530,4

+ 4,2 %

+ 1 072,2

+ 8,9 %

137 - Égalité entre les femmes et les hommes

AE

29,9

30,6

+ 2,4 %

30,2

35,8

+ 5,6

+ 18,6 %

+ 5,2

+ 17,0 %

CP

29,9

29,9

- 0,1 %

30,2

36,5

+ 6,3

+ 21,0 %

+ 6,7

+ 22,3 %

124 - Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative

AE

1 456,8

1 431,1

- 1,8 %

1 333,2

1 383,1

+ 49,9

+ 3,7 %

- 48,0

- 3,4 %

CP

1 479,5

1 446,6

- 2,2 %

1 304,9

1 324,7

+ 19,8

+ 1,5 %

- 121,9

- 8,4 %

Total mission

AE

23 876,8

24 699,2

+ 3,4 %

26 310,9

29 083,0

+ 2 772,1

+ 10,5 %

+ 4 383,7

+ 17,7 %

CP

23 899,5

24 710,6

+ 3,4 %

26 282,6

29 019,2

+ 2 736,6

+ 10,4 %

+ 4 308,6

+ 17,4 %

AE : autorisations d'engagement. CP : crédits de paiement. Prévision : prévision en loi de finances initiale, y compris les prévisions de fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP). Exécution : consommation constatée dans le projet de loi de règlement.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Évolution des crédits votés en LFI et exécutés entre 2017 et 2020 (CP)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

2. ...Largement imputable aux ouvertures de crédits en cours de gestion pour financer les mesures d'urgence

Les importants écarts constatés en exécution 2020, tant par rapport à l'exécution 2019 que par rapport à l'autorisation budgétaire initiale, tiennent pour l'essentiel aux importantes ouvertures de crédits votées dans le cadre des lois de finances rectificatives successives pour l'année 2020 et visant pour l'essentiel à financer des mesures d'urgence en réponse à la crise sanitaire , qui représentent un total net de 2,7 milliards d'euros.

Synthèse des ouvertures nettes réalisées en gestion 2020

(en millions d'euros)

LFR 2

LFR 3

LFR 4

Total

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

P304

880,0

880,0

224,0

224,0

1 100,1

1 099,1

2 204,1

2 203,1

dont AES

880,0

880,0

80,0

80,0

1 067,0

1 067,0

2 027,0

2 027,0

dont aide alimentaire

-

-

94,0

94,0

-

-

94,0

94,0

dont jeunes majeurs ASE

-

-

50,0

50,0

-

-

50,0

50,0

P157

-

-

-

-

526,9

526,9

526,9

526,9

P137

-

-

4,0

4,0

-

-

4,0

4,0

P124

-

-

-

-

12,3

4,3

12,3

4,3

dont renforcement des moyens des ARS

-

-

-

-

19,3

11,3

19,3

11,3

TOTAL

880,0

880,0

228,0

228,0

1639,3

1 630,2

2 747,3

2 738,3

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire relatif au PLF 2021

La deuxième loi de finances rectificative (LFR 2) 3 ( * ) a prévu une ouverture de crédits à hauteur de 880 millions d'euros sur le programme 304 pour financer une aide exceptionnelle de solidarité (AES) 4 ( * ) destinée aux foyers les plus modestes, d'un montant de 150 euros, majoré de 100 euros par enfant à charge. Cette aide a été attribuée, au titre des mois d'avril ou de mai 2020, aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), de la prime forfaitaire pour reprise d'activité, de l'allocation équivalent retraite (AER) ou du revenu de solidarité (RSO) ainsi que des allocataires des aides personnalisées au logement (APL) lorsqu'ils ont des enfants à charge.

La troisième loi de finances rectificative (LFR 3) 5 ( * ) a ensuite permis des ouvertures de crédits :

- à hauteur de 80 millions d'euros sur le programme 304 pour financer une aide exceptionnelle de solidarité de 200 euros pour les jeunes de moins de 25 ans précaires ou modestes non-étudiants 6 ( * ) (des financements complémentaires ayant été par ailleurs ouverts sur le programme 231 de la mission « Recherche et enseignement supérieur » pour verser une aide équivalente aux étudiants boursiers) ;

- à hauteur de 94 millions d'euros sur le programme 304 pour financer un plan d'urgence en faveur de l'aide alimentaire ;

- à hauteur de 50 millions d'euros sur le programme 304 pour prendre en charge une partie du surcoût pour les départements d'un maintien de la prise en charge jusqu'à la fin de l'année des jeunes relevant de l'ASE devenus majeurs ;

- à hauteur de 4 millions d'euros sur le programme 137 pour financer des mesures d'urgence en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes compte tenu des risques accrus engendrés par l'isolement à domicile.

Enfin, la quatrième loi de finances rectificative 7 ( * ) a autorisé de nouvelles ouvertures de crédits, relevant pour une large part de la réponse à la crise sanitaire :

- à hauteur de 1 milliard d'euros pour financer une seconde AES, incluant, en plus des publics ciblés en LFR 2, les jeunes précaires ou modestes non-étudiants et les étudiants boursiers ;

- à hauteur de 19,3 millions d'euros en AE et 11,3 millions d'euros en CP sur le programme 124 pour renforcer les moyens des ARS, qui sont en première ligne dans la gestion de la crise sanitaire 8 ( * ) ;

- au titre de la fin de gestion sur le programme 304, à hauteur de 50 millions d'euros pour compléter le financement de la première aide exceptionnelle de solidarité et de 33 millions d'euros pour compléter le financement de la prime d'activité en 2020 ;

- au titre de la fin de gestion sur le programme 157, à hauteur de 270 millions d'euros pour compléter le financement de l'AAH en 2020, de 225 millions d'euros pour compléter le financement de la garantie de ressources des travailleurs handicapés (GRTH), notamment pour financer l'équivalent du dispositif d'activité partielle mis en place pour les usagers des ESAT, de 10 millions d'euros pour compléter le financement de l'allocation supplémentaire d'invalidité et renforcer l'emploi accompagné.

La mission est par ailleurs affectée en 2020 par une évolution de périmètre représentant un montant total de 518 millions d'euros , principalement liée à la recentralisation du revenu de solidarité active à La Réunion.

Ainsi, la prise en compte de ces effets de périmètre et du financement des mesures d'urgence expliquent largement la forte augmentation des crédits par rapport à l'année 2019.

Mouvements de crédits intervenus en gestion pendant l'exercice 2020

(en millions d'euros et en %)

Prog.

LFI 2020 (y.c. FDC et ADP)

Reports entrants (y.c. FDC et ADP)

Rattachements de FDC et ADP

Virements et

transferts

Annulations

LFR

Crédits ouverts 2020

Crédits consommés 2020

Taux de consommation des crédits ouverts

304

AE

12 410,7

2,6

0,6

- 5,1

2 204,1

14 612,8

14 595,6

99,88 %

CP

12 410,7

6,7

0,6

- 5,1

2 203,1

14 616,0

14 590,8

99,83 %

157

AE

12 536,8

0,7

5,0

526,9

13 069,5

13 068,5

99,99 %

CP

12 536,8

1,5

5,0

526,9

13 070,3

13 067,2

99,98 %

137

AE

30,2

0,05

1,99

- 0,23

4,0

36,0

35,8

99,4 %

CP

30,2

1,0

1,99

- 0,23

4,0

37,0

36,5

98,7 %

124

AE

1 333,2

36,8

5,1

15,9

- 0,1

12,3

1 403,2

1 383,1

98,6 %

CP

1 304,9

15,7

5,1

16,0

- 0,1

4,3

1 345,9

1 324,7

98,4 %

Total

AE

26 310,9

40,2

12,6

10,6

- 0,1

2 747,3

29 121,5

29 082,9

99,9 %

CP

26 282,6

25,0

12,6

10,6

- 0,1

2 738,3

29 069,1

29 019,2

99,8 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Par ailleurs, comme les années précédentes, la consommation des crédits ouverts est quasi-totale.

Il convient à ce titre de noter qu'une réforme des modalités de mise en réserve des crédits a été introduite par une circulaire du 12 décembre 2019, qui a prévu une dérogation à la règle tendant à ce que 3 % des crédits (hors titre 2) soient mis en réserve pour trois programmes du budget général, dont deux portés par la mission : les programmes 304 et 157, qui financent respectivement la prime d'activité et l'AAH. Pour ces derniers, le taux de mise en réserve a été abaissé à 0,5 % en raison du caractère non pilotable des crédits qu'ils portent. Cette évolution va dans le sens d'une sincérisation de la budgétisation, en mettant fin à une pratique de mise en réserve « artificielle » déjà soulignée l'an passé par les rapporteurs spéciaux .

II. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX : UN EXERCICE MARQUÉ PAR LA CRISE

1. Le financement par la mission de 2 milliards d'euros d'aides exceptionnelles de solidarité en 2020

La sur-exécution des crédits de la mission s'explique principalement par le financement d'aides exceptionnelles de solidarité (AES) versées aux personnes les plus fragiles (voir supra ). Au total, 2 milliards d'euros ont été consommés au titre de ces dispositifs, financés par une nouvelle action du programme 304.

L'AES versée au printemps a bénéficié à 4,2 millions de ménages , (couvrant 5 millions d'enfants), et l'AES versée en fin d'année a quant à elle bénéficié à 4,3 millions de ménages et près de 600 millions de jeunes

Ces dispositifs se sont avérés indispensables pour aider les ménages à faire face à la crise, bien qu'il ne s'agisse que d'un « coup de pouce » ponctuel d'un montant modeste . Une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a montré que celle-ci a dans l'ensemble permis de couvrir l'augmentation du coût de l'alimentation pendant le confinement, mais n'a pas suffi pour compenser la perte de revenu liée au chômage partiel pour les salariés rémunérés au-dessus du SMIC 9 ( * ) .

On peut toutefois déplorer le caractère très tardif de la décision de faire bénéficier d'une aide équivalente les jeunes précaires ou modestes, qui ont ainsi dû attendre jusqu'à août , un nombre important d'entre eux ayant de surcroît dû renoncer aux « petits boulots » estivaux habituellement susceptibles de leur assurer un complément de revenu.

Les rapporteurs spéciaux avaient également relevé, lors de l'examen du PLF pour 2021, que ce dispositif n'avait pas été reconduit cette année, le Gouvernement ayant au contraire proposé un budget « pour temps calmes » et en décalage avec la situation sociale du pays.

2. Un plan d'urgence en faveur de la lutte contre la précarité alimentaire

La précarisation massive provoquée par la crise a entraîné une forte augmentation durable du recours aux dispositifs d'aide alimentaire , estimée par les acteurs associatifs à environ 25 %, du même ordre que celle constatée lors de la crise de 2008 10 ( * ) . Lors du premier confinement, les files actives devant les centres avaient même augmenté jusqu'à 40 %. Surtout, la crise se traduit par l'apparition de nouveaux publics dans les centres de distributions et épiceries solidaires, notamment des jeunes, travailleurs précaires ou auto-entrepreneurs.

L'aide alimentaire : un financement dispersé
entre l'État et l'Union européenne

Pour mémoire, le programme opérationnel FEAD prévoit d'octroyer à la France une dotation de 587,39 millions d'euros pour la période 2014-2020. Cette dotation est financée par des crédits européens à hauteur de 499 millions d'euros (85 %), via un fonds de concours relevant du programme 304, ainsi que par des crédits nationaux à hauteur de 15 %. Ces crédits sont destinés en grande majorité à l'achat de denrées, réalisé par FranceAgriMer au profit des quatre associations têtes de réseau nationales habilitées (la Fédération Française des Banques Alimentaires, les Restos du Coeur, le Secours Populaire Français et la Croix-Rouge française). Le solde permet de financer au niveau national par le budget de l'État le fonctionnement des têtes de réseau associatives ainsi que des projets d'approvisionnement en denrées, et au niveau régional le fonctionnement des associations habilitées localement. Le budget de l'État permet également le financement des épiceries sociales, qui ne bénéficient pas du FEAD.

L'enveloppe budgétaire votée en LFI 2020 de 72,6 millions d'euros, insuffisante pour faire face aux besoins des structures, a été renforcée par deux plans d'urgence , lancés en avril et en juillet et respectivement dotés de 39 millions d'euros et de 55 millions d'euros, soit 94 millions d'euros au total .

Ces plans d'urgence ont notamment permis de financer une compensation des surcoûts supportés par les associations (25 millions d'euros) ainsi que l'achat de chèques d'urgence alimentaires distribués dans des territoires particulièrement en tension (10 millions d'euros).

Au total environ 170 millions d'euros en AE et en CP ont été consommés au titre de l'aide alimentaire en 2020 .

Pour l'année 2021 et les années suivantes, des financements européens conséquents devraient prendre le relai , avec notamment 132 millions d'euros sur 2020-2022 au titre de l'instrument de relance européen React-EU et 647 millions d'euros sur 2021-2027 au titre du Fonds social européen « plus » (FSE +) qui succède au FEAD.

Projection des financements européens au titre de l'aide alimentaire
sur la période 2021-2027

Enveloppe

Calendrier
de livraison

Financement UE

Co-financement national

Total

Reliquat du FEAD 2014-2020

recyclé pour une campagne 2021 supplémentaire

Septembre 2021

ð juin 2022

77 M€

(85 %)

13 M€

(15 %)

90 M€

React-EU

Relance européenne, pour les années 2020 - 2022

Juin 2021

ð juin 2022

132 M€

(100 %)

(0 %)

132 M€

FSE+

2021 - 2027

Septembre 2022

ð juin 2028

550 M€

(85 %)

97 M€

(15 %)

647 M€

Total

759 M€

110 M€

869 M€

Source : réponse au questionnaire budgétaire, d'après les réponses au questionnaire budgétaire relatif au PLF 2021

Les rapporteurs spéciaux se montreront extrêmement vigilants à ce que le soutien des pouvoirs publics aux associations d'aide alimentaire soit à la hauteur des enjeux dans le nouveau contexte social bouleversé par la crise sanitaire.

3. Des moyens supplémentaires d'urgence de lutte contre les violences faites aux femmes

Les crédits pour les politiques de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les violences faites aux femmes sont retracés, pour ce qui relève de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur le programme 137 . Ce programme intervient principalement par des subventions versées à des associations assurant des missions de service public ou d'intérêt collectif, qui interviennent tant en matière de lutte contre les violences sexistes que pour promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes.

Dans un rapport publié en juillet 2020 et intitulé : « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes » 11 ( * ) , les rapporteurs spéciaux ont dressé deux principaux constats :

- d'abord celui d' une politique publique budgétairement contrainte, souffrant d'un morcellement des crédits, qui nuit à la lisibilité et à l'efficacité de mesures mises en oeuvre ;

- ensuite, celui d' une politique insuffisamment portée et inégalement appliquée sur le territoire . L'administration et les associations, véritables pivots de cette politique, ne sont pas assez outillées, ni dotées pour mener à bien une politique, dont les demandes et les enjeux sont grandissants et qui requiert une capacité d'action interministérielle.

Les principales recommandations du rapport des sénateurs A. Bazin et E. Bocquet sur le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes

Axe n° 1 : Rendre les financements plus lisibles et à la hauteur des enjeux

- Pour lutter contre le morcellement des crédits, créer un fonds interministériel et pluriannuel sur le modèle du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), la lutte contre les violences étant à la croisée de plusieurs politiques publiques ;

- octroyer aux associations un niveau de financement public leur permettant de répondre à leurs missions tout en encourageant les cofinancements multi-acteurs publics et privés. Cela pourrait se traduire notamment par une simplification des réponses aux appels à projet et la généralisation des conventions pluriannuelles ;

- développer les financements privés (mécénat et dons des particuliers). L'enjeu est de rendre attractive la donation en faveur de cette politique de lutte contre les violences, comme cela a déjà été amorcé. Les associations doivent rendre visibles leurs actions et les pouvoirs publics doivent les accompagner dans leur modernisation, pour encourager les partenariats avec des fondations. Les rapporteurs spéciaux sont néanmoins conscients des limites de ces financements qui ne peuvent se substituer aux subventions publiques ;

- développer le recours aux financements européens, en identifiant mieux les sources potentielles de financement.

Axe n° 2 : Sortir du conjoncturel pour du structurel : doter cette politique publique d'une « vraie » administration et renforcer le maillage territorial

- Revoir les moyens et le positionnement du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) et de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), en dotant cette politique publique d'une vraie administration centrale et interministérielle ;

- renforcer le suivi de cette politique et du Grenelle, en particulier . Le suivi du Grenelle nécessiterait la mise en place d'un comité interministériel réunissant tous les ministres concernés, doublé d'un comité réunissant toutes les parties prenantes (y compris les associations et élus locaux), en pérennisant et institutionnalisant, par exemple, les groupes de travail du Grenelle. Le suivi de cette politique doit reposer sur des indicateurs de résultats et un tableau de bord régulièrement publié et communiqué, notamment au Parlement ;

- renforcer et homogénéiser le pilotage départemental, en veillant à la mise en oeuvre de la déclinaison locale de cette politique publique et notamment du Grenelle sur tout le territoire.

Source : Rapport d'information de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances, n° 602 (2019-2020) - 8 juillet 2020

En LFI 2020, 30,2 millions d'euros en AE et en CP avaient été ouverts au titre de ce programme , soit un montant stable par rapport à l'exécution 2019.

En exécution 2020, les crédits ont été consommés à hauteur de 35,8 millions d'euros en AE et de 36,5 millions d'euros en CP .

Cette sur-exécution s'explique par le financement d'un plan d'urgence de 5,2 millions d'euros en réponse à la forte augmentation de l'exposition des femmes aux violences conjugales induite par les mesures de confinement et d'isolement à domicile mises en oeuvre dans le contexte de la crise sanitaire.

Celui-ci est financé par une ouverture de crédits à hauteur de 4 millions d'euros prévue par la loi de finances rectificative pour 2020 et par un dégel des crédits mis en réserve (1,2 million d'euros).

Dans le détail :

- 3 millions d'euros ont permis de soutenir les associations locales, notamment pour la recherche de solutions d'hébergement des femmes victimes de violences, et le déploiement d'un dispositif d'information et d'accueil dans 99 centres commerciaux (dont 40 ont été pérennisés) ;

- 2,2 millions d'euros ont permis de financer des mesures liées à l'hébergement et à l'écoute des auteurs de violence.

Pour les rapporteurs spéciaux, la mobilisation exceptionnelle observée durant la crise sanitaire en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes doit devenir la norme .

4. Un impact ambivalent de la crise sur les dépenses de la prime d'activité et d'AAH, dont la budgétisation reste encore insuffisamment sincère

La prime d'activité et l'allocation aux adultes handicapés ont fait l'objet de sous-budgétisations massives ces dernières années.

Depuis 2018, dans le cadre d'une démarche de sincérisation, les prévisions en loi de finances initiale reposent sur les évaluations faites par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) et la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) .

Cela n'a toutefois pas empêché, en 2019, une nette sous-estimation de l'ampleur de l'impact budgétaire sur la réforme de la prime d'activité intervenue en réponse à l'urgence sociale exprimée par le mouvement des « gilets jaunes » (voir encadré ci-dessous), ce qui s'était traduit par une sur-exécution de 790 millions d'euros.

Les revalorisations de prime d'activité décidées
en 2018 et en 2019

La prime d'activité a été revalorisée afin de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs modestes et particulièrement ceux rémunérés au Smic :

- le montant forfaitaire de la prime d'activité a été revalorisé de 20 euros à compter du 1 er août 2018 (pour mémoire, le montant forfaitaire de la prime d'activité s'élève, depuis la revalorisation de 0,3 % de son montant en avril 2020, à 553,16 euros pour un foyer composé d'une personne seule sans enfant) ;

- le montant maximal de la composante individuelle de la prime d'activité, le bonus, a été revalorisé de 90 euros à compter du 1 er janvier 2019, passant de 70,49 euros à 160,49 euros, en application du décret n° 2018-1197 du 21 décembre 2018 relatif à la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité. Versé à chaque membre du foyer dont les revenus sont supérieurs à 0,5 Smic, le montant du bonus est croissant jusqu'à 1 Smic où il atteint son point maximal. Il reste stable au-delà.

Tableau : Impact des mesures réglementaires de revalorisation de la prime d'activité
en masses financières, tous régimes

(en millions d'euros)

Source : réponse au questionnaire budgétaire relatif au projet de loi de finances pour 2021

En revanche, en 2020, la consommation des crédits s'est avérée fidèle à la prévision (+ 0,5 %). Le dispositif a bénéficié à 4,3 millions d'actifs en moyenne annuelle, pour un montant d'environ 10 milliards d'euros , soit une hausse de près de 4 % par rapport à 2019.

La crise a eu un impact ambivalent sur la prime d'activité : si le recours massif au dispositif de chômage partiel a entraîné une baisse des rémunérations et donc une augmentation du recours à la prime d'activité, la hausse du chômage constatée à compter de l'été 2020 a provoqué des sorties du dispositif, qui ne bénéficie qu'aux actifs.

La prime d'activité est pour cette raison un dispositif pouvant être qualifié de pro-cyclique en cas de perte d'emploi, puisque la prime n'est à l'inverse pas prise en compte pour le calcul du salaire journalier de référence servant de base à l'allocation de retour à l'emploi, et a donc pour effet d'accentuer la perte de revenus des personnes concernées. En dépit de la promesse du président de la République faite en réponse au mouvement des « gilets jaunes » selon laquelle, grâce à la prime d'activité, « le salaire d'un travailleur au Smic augmentera de 100 euros par mois » 12 ( * ) , il convient de rappeler qu'en ce qu'elle n'ouvre aucun droit, la prime d'activité n'est pas du salaire 13 ( * ) .

Écart entre la prévision et l'exécution des dépenses
de la prime d'activité (en CP)

(en millions d'euros)

2016

2017

2018

2019

2020

Prévision

3 938

4 338

5 379,6

8 781,9

9 900,8

Consommation

4 458*

5 320

5 599,6

9 572,8

9 950,8

Écart

520

982

220

790,9

50,0

* à périmètre constant.

Source : commission des finances du Sénat d'après documents budgétaires

S'agissant de l'AAH, dont le financement est assuré par le programme 157, la consommation des crédits s'élève en 2020 à 11,2 milliards d'euros, contre 10,7 milliards d'euros prévus en LFI.

Sur les dernières années, on constate :

- d'une part, une dynamique importante de la dépense , qui a progressé de 69,7 % depuis 2010, sous le double effet d'une hausse du nombre de bénéficiaires et de revalorisations du montant de la prestation intervenues en 2019 ;

- d'autre part, de substantiels écarts à la prévision pour certains exercices (+ 249 millions d'euros en moyenne annuelle depuis 2010), et, notamment en 2020 (+ 378 millions d'euros). Cet écart n'est pas imputable à la crise, hormis le coût supplémentaire induit par la prolongation automatique des droits entre la mi-mars et la fin juillet, estimée à 20 millions d'euros.

Évolution des dépenses d'AAH et des écarts à la prévision (en CP)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après documents budgétaires et la Cour des comptes

Au vu de ces constats, les rapporteurs spéciaux considèrent ainsi qu'il est indispensable de poursuivre l'effort de sincérisation de la budgétisation l'AAH .


* 1 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 2 Source : projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2020.

* 3 Loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 4 Décret n° 2020-519 du 5 mai 2020 portant attribution d'une aide exceptionnelle de solidarité liée à l'urgence sanitaire aux ménages les plus précaires.

* 5 Loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 6 Décret n° 2020-769 du 24 juin 2020 portant attribution d'une aide exceptionnelle de solidarité liée à l'urgence sanitaire aux jeunes de moins de vingt-cinq ans les plus précaires.

* 7 Loi n° 2020-1473 du 30 novembre 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 8 Une annulation de crédits de T2 à hauteur de 7 millions d'euros est également proposée sur ce programme.

* 9 Muriel Pucci, Hélène Périvier et Guillaume Allègre, « L'aide exceptionnelle de solidarité a-t-elle permis de couvrir les coûts du confinement pour les familles? », OFCE, 31 juillet 2020.

* 10 Compte-rendu de l'audition des acteurs de la lutte contre la précarité alimentaire par la mission d'information du Sénat sur l'évolution et la lutte contre la paupérisation et la précarisation d'une partie des Français, consultable à cette adresse : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210405/mi_precarisation.html .

* 11 Rapport d'information de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances, n° 602 (2019-2020) - 8 juillet 2020.

* 12 Allocation du président de la République, 10 décembre 2018.

* 13 Muriel Pucci, « La Prime d'activité n'est pas du salaire : elle amplifie la perte de revenu à la suite d'un licenciement », OFCE, 24 septembre 2020.

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