EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 7 juillet 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Nougein, rapporteurs spéciaux, sur les projets financés par la mission « Transformation et fonction publiques ».

M. Claude Raynal , président . - Nous en venons maintenant à une communication des rapporteurs spéciaux de la mission « Transformation et fonction publiques » sur l'exécution des crédits de la mission.

M. Claude Nougein , rapporteur spécial . - Nous vous présentons ce matin, avec Albéric de Montgolfier, les résultats de notre contrôle sur les projets financés par la mission « Action et transformation publiques ». Cette mission a été créée par le Gouvernement en 2018, pour une durée de vie à l'origine temporaire, puisqu'elle devait s'éteindre en 2022. La mission regroupe désormais quatre programmes hétérogènes, chacun poursuivant un objectif bien différent : la rénovation énergétique des cités administratives pour le programme 348, l'accompagnement de la transformation de l'action publique pour le programme 349, les ressources humaines pour le programme 351 et le développement numérique de l'État pour le programme 352.

Même pour nous, rapporteurs spéciaux, il est parfois difficile de nous y retrouver et de savoir ce que fait chacun. Un cinquième programme a par ailleurs été rattaché à la mission au 1 er janvier 2021, le programme 148 « Fonction publique ». Il était auparavant attaché à la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », que nous suivons également en tant que rapporteurs spéciaux.

J'en viens maintenant aux raisons qui justifient ce contrôle, et j'en citerai deux.

La première vient du constat que nous faisons maintenant depuis trois ans : les crédits de la mission sont chaque année sous-consommés, de l'ordre de 75 % à 80 % pour trois programmes, et l'année 2020 ne fait pas exception. Cette gestion, que l'on ne saurait qualifier de satisfaisante, remet en cause le vote du Parlement. Nous avions proposé un amendement d'appel lors du projet de loi de finances 2021 pour annuler 75 % des crédits de la mission et ainsi attirer l'attention du Gouvernement sur ces graves problèmes d'exécution budgétaire.

La seconde raison vient du contexte de crise sanitaire, qui a remis en avant quelques-unes des grandes priorités de la transformation de l'action publique, telle la numérisation de nos administrations et de nos services publics. Pourtant, en dépit de la création d'une mission et de programmes ad hoc , il nous est très difficile de suivre les résultats dans ce domaine.

Notre principale conclusion est la suivante : si la mission soutient des objectifs que nous pouvons partager, les véhicules budgétaires sont totalement inadaptés. Le Gouvernement aura beau jouer la carte de la « crise » pour expliquer les nouveaux problèmes de consommation des crédits en 2020 et, même si nous ne nions pas ses conséquences, cette explication est insuffisante. Chaque année, le Gouvernement propose une « nouvelle excuse ». La mission souffre en réalité de problèmes structurels, qu'il nous semble urgent de régler.

Je commencerai par aborder le programme 348, supposé porter un milliard d'euros pour la rénovation des cités administratives. Les 39 cités éligibles au programme ont bien été sélectionnées, en 2018 et 2019. Or, les travaux ont commencé pour seulement deux d'entre elles en 2020, Bordeaux et Colmar. Six cités les ont rejoints au premier semestre 2021 et 15 projets ne devraient pas commencer avant 2022. Les travaux ne devraient donc constituer la majorité des dépenses du programme qu'en 2022.

Par conséquent, aucune livraison des travaux ne pourra intervenir avant 2023, voire 2024 pour Bordeaux. Il est donc quasiment certain qu'il y aura des restes à payer au-delà de 2022, mais le ministère se refuse encore à se prononcer sur le portage de ces crédits, dans l'éventualité où la mission ne serait pas reconduite.

Certes, ces retards ont pu être aggravés par la crise sanitaire, mais ils lui sont antérieurs. La direction de l'immobilier de l'État prévoyait au départ d'engager les travaux dès l'année 2019. Ces retards sont d'autant plus dommageables que le risque de surcoût s'est significativement accru cette année. En effet, les maîtres d'oeuvre constatent une hausse du coût des matériaux de près de 10 %, du fait de difficultés d'approvisionnement. Or, l'enveloppe ouverte sur le programme 348 est une enveloppe fermée, qui nécessite un pilotage fin des crédits. Tout ceci n'incite guère à l'optimisme.

Par ailleurs, nous constatons que, parmi les projets sélectionnés, 12 ne présentent que des gains énergétiques faibles et sept ont été validés malgré un avis négatif de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. La maitrise d'ouvrage souffre par ailleurs de lacunes significatives, parmi lesquelles un déficit de compétences et de moyens humains.

Pour un programme de cet ampleur, de près d'un milliard d'euros je le rappelle, il est enfin extrêmement dommage de ne disposer d'aucun indicateur de performance vraiment pertinent. Le principal indicateur n'est qu'une estimation des économies d'énergie attendues, basées sur des auto-évaluations des porteurs de projet, autant dire que cela n'engage pas beaucoup le responsable du programme ! Ces indicateurs ne renseignent donc pas sur les effets concrets des travaux engagés et ne se prêtent pas non plus à une mesure annuelle.

Notre première recommandation porte sur l'urgence de revoir les indicateurs du programme 348, sachant qu'une partie de ces données est d'ores et déjà transmise à la Cour des comptes. Il faut aussi aller plus vite : les crédits sont disponibles, mais rien n'est prêt ! Il revient pourtant à l'État de donner l'exemple en matière de rénovation énergétique ou de cadre de vie et d'accessibilité pour les agents !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur spécial . - Le rapporteur général posait la question de la réduction des déficits publics et de la masse salariale de l'État dans son rapport sur la loi de règlement 2020, ce que doit normalement permettre la transformation de l'action publique. Or, nous ne pouvons que constater son échec à produire ses effets, avec des responsables de programme incapables de consommer les crédits. Nous avons également eu l'impression, lors de nos auditions, d'une certaine auto-satisfaction des directions en charge de suivre la transformation de l'action publique : à les écouter, nos concitoyens seraient parfaitement satisfaits de leurs services publics, de leur accessibilité et de leur qualité. Ce n'est pas du tout en accord avec ce que nous pouvons observer sur le terrain.

Ainsi, les difficultés que vient de décrire Claude Nougein sur le programme 348 de rénovation des cités administratives, nous les constatons aussi sur les autres programmes. Je commencerai par le deuxième le plus important par son volume de crédits : le programme 349, qui porte le Fonds pour la transformation de l'action publique. Il était supposé être doté de 700 millions d'euros sur cinq ans, mais nous sommes encore loin du compte. Moins de 35 % des crédits ont ainsi été consommés en trois ans, et il ne reste plus que deux ans au Fonds, en théorie, pour produire ses effets.

Son objectif est pourtant louable : il doit soutenir les réformes porteuses d'économies à moyen terme au sein des services de l'État en finançant le coût supplémentaire que peut représenter une telle réforme dans sa phase initiale. Un euro investi devait ainsi conduire à un euro d'économie pérenne au bout de trois ans. Ce critère de sélection a toutefois été remis en cause, justement pour pouvoir accroître le nombre de projets sélectionnés.

Là-encore, les délais sont encore trop importants pour envisager une exécution au plus juste des crédits du programme. Les délais de contractualisation avec les porteurs de projets sont en effet extrêmement longs : il y a de nombreux allers-retours avec les administrations, notamment pour réévaluer le montant d'économies attendu et le montant de crédits alloué. Résultat, la plupart de ces projets ne produiront pas leurs effets avant 2023 au moins, posant là-aussi la question du portage budgétaire des restes à payer.

Comme pour le programme 348, les indicateurs de performance sont lacunaires et il est quasiment impossible de suivre le montant total des crédits alloués à chacune des administrations. Notre deuxième recommandation invite ainsi à identifier clairement, dans les documents budgétaires, et pour chacun des programmes concernés, la part des crédits en provenance du Fonds pour la transformation de l'action publique. Cet effort de clarification doit également porter sur les projets soutenus : date d'amorçage, coût prévisionnel total, part et utilisation des crédits en provenance du FTAP. Les indicateurs de performance du programme 349 doivent être modifiés en conséquence. Nous recommandons également, hors de la phase d'amorçage, de confier directement aux gestionnaires et responsables de programme les crédits prévus sur le Fonds, pour accélérer leur mobilisation.

J'en viens maintenant au programme 351, correspondant aux crédits du Fonds pour l'accompagnement interministériel Ressources humaines, et au programme 352, qui porte les crédits de ce qui était jusqu'au 31 décembre 2020 le Fonds pour l'accélération des start-up d'État. Je vais être clair : nous recommandons de les supprimer et de réallouer leurs crédits.

L'exécution du programme 351 entraine chaque année des contorsions budgétaires, en raison des règles applicables au transfert de crédits du titre 2, soit les dépenses de personnel. Simplifions tout cela et attribuons directement les crédits sur les programmes des administrations qui mènent des réformes structurelles en matière de ressources humaines. Ces crédits pourraient sinon être portés par le programme 148 « Fonction publique », dont l'action n° 3 porte déjà plusieurs fonds destinés à soutenir des réformes ou des actions dans le domaine des ressources humaines.

Le programme 352 est de taille très limitée, autour de quelques millions d'euros par an. Nous ne voyons pas l'intérêt de maintenir ce programme, d'autant qu'il a dû être renommé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 pour mieux correspondre aux projets qu'il finançait. Il vaudrait mieux redéployer ses crédits sur l'action 16 « Coordination de la politique numérique » du programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». La logique interministérielle du programme serait ainsi conservée et le Fonds pourrait s'intégrer aux autres actions d'ores et déjà portées par la Direction interministérielle du numérique.

Pour résumer, nous souhaitons insister sur une triple nécessité.

Premièrement, il faut modifier les indicateurs de performance et permettre au Parlement de mieux suivre l'avancée concrète des projets financés par la mission.

Deuxièmement, il convient de faire preuve de davantage de transparence sur le devenir de la mission.

Troisièmement, il est nécessaire d'accroître la sincérité des prévisions inscrites en projet de loi de finances initiale, afin de respecter l'autorisation parlementaire. Cet effort de sincérisation doit s'accompagner d'une rationalisation des programmes de la mission.

Pour conclure, le sentiment que nous retenons avec Claude Nougein à la fin de ce contrôle est celui d'un gâchis. La ministre de la transformation et de la fonction publiques se définit elle-même comme la ministre de la qualité des services publics, mais tout ceci semble manquer d'élan, à la fois sur le plan budgétaire et sur le plan des indicateurs.

Regardez par exemple les objets de la vie quotidienne (OVQ) : le cabinet a admis devant nous que cette désignation un peu trop « incompréhensible » des réformes à mener au sein des administrations et des ministères n'avait pas suscité l'élan attendu. Rien de surprenant ! Le Gouvernement nous parle donc désormais de réformes prioritaires.

Même constat pour l'objectif de rendre accessibles en ligne les 250 démarches administratives les plus usuelles, avec un haut niveau de satisfaction des usagers d'ici 2022. Au printemps 2021, nous ne pouvons que constater que de nombreux efforts restent à mener pour que le Gouvernement respecte ses engagements. 37 démarches n'ont fait l'objet d'aucune numérisation, 45 seulement présentent un niveau acceptable de satisfaction, 140 démarches ne sont pas évaluées. Tout ceci sans compter les problèmes d'accessibilité pour nos concitoyens les plus éloignés du numérique.

M. Jérôme Bascher . - La question que je souhaite poser aux rapporteurs est celle des objectifs fixés pour la mission. Ceux-ci vous paraissent-ils être clairement définis ? En effet, on peut s'interroger, au-delà de l'incantation à la transformation publique, sur les véritables objectifs poursuivis par le Gouvernement au travers de cette mission budgétaire.

M. Vincent Capo-Canellas . - En tant que rapporteur des crédits de Météo France, de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), j'ai pu constater que si ces établissements bénéficiaient en effet des crédits du fonds pour la transformation de l'action publique, ceux-ci sont de faible niveau au regard des mutations en cours.

Ces différentes structures se sont engagées dans des réorganisations internes très importantes et je m'interroge donc sur les raisons justifiant la sous-consommation des crédits du fonds. Est-ce un problème de critère ? Faut-il au contraire considérer que ce niveau de consommation relève d'une bonne gestion ou d'une volonté de montrer aux administrations bénéficiaires que ces crédits ne sont pas récurrents ?

M. Éric Bocquet . - Quel a été l'effet de levier de la transformation publique sur la diminution du nombre d'emplois publics ? François Fillon, alors candidat à l'élection présidentielle, avait pour objectif la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires. Aujourd'hui, où en est-on par rapport à cet objectif ambitieux ?

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je me joins aux constats des rapporteurs spéciaux : à partir du moment où 75 % des crédits ne sont pas consommés, il y a effectivement un problème majeur.

Les rapporteurs ont évoqué la situation des cités administratives et la nécessité de les moderniser pour renforcer leur efficience environnementale. Il me semble néanmoins qu'il n'y a pas d'indicateur pour mesurer cet objectif. Concernant la numérisation des services publics, on constate, d'une part, qu'elle n'est pas assez rapide sur certains services et, d'autre part, qu'elle ne prend pas toujours en compte l'ensemble des publics, surtout les plus éloignés du numérique.

M. Claude Nougein . - Concernant la rénovation des cités administratives, seuls des objectifs théoriques d'économies d'énergie ont été fixés, basés sur une auto-évaluation des porteurs de projet ! Ce constat, sur un programme d'un milliard d'euros, est d'autant plus préoccupant que les travaux n'ont été entamés que dans trois cités administratives en 2020, et six en 2021, sur les 39 sélectionnés.

Vous l'avez rappelé, plus de 75 % des crédits du programme dédié à la rénovation n'ont pas été consommés ces trois dernières années. Le Gouvernement nous promet chaque année un effet de rattrapage. Il s'agit en réalité d'un problème de fond, qui interroge sur la sincérité des prévisions du Gouvernement et sur le rôle du Parlement. Nous espérons que 2021 et, surtout, 2022, marqueront enfin de vraies améliorations quant à la consommation de ces crédits. Beaucoup de responsables de programmes aimeraient bénéficier de moyens aussi importants pour mener à bien leurs projets !

Les cités administratives, qui sont souvent des passoires thermiques construites dans les années 1970, demandent beaucoup de travaux. Ces crédits sont indispensables pour les rénover et pour améliorer la qualité de vie au travail des agents publics.

M. Albéric de Montgolfier . - Qu'on ne se trompe pas sur nos principaux constats. Oui, il nous apparaît nécessaire de donner des moyens aux administrations pour transformer la fonction publique, accélérer la numérisation et moderniser l'action publique. Ce sont des objectifs utiles pour lesquels il faut savoir investir et mobiliser des crédits.

Cependant, le système qui consiste à recourir à une direction interministérielle et à saupoudrer des crédits ne fonctionne pas. Il y a un grand nombre d'administrations et d'organismes qui ont un besoin en investissement considérable, en particulier dans le domaine informatique, et Météo France constitue de ce point de vue un bon exemple. Ce n'est pas en accordant ponctuellement quelques millions d'euros que l'on peut apporter des solutions durables et accompagner des transformations profondes. Nous considérons qu'il faut redonner aux gestionnaires des administrations les moyens d'accompagner les transformations.

Par ailleurs, je n'ai pas l'impression que les Français soient satisfaits de l'accès aux services publics sur le terrain. Avec la fermeture des trésoreries et des points d'accueil de la sécurité sociale, les démarches sont parfois très compliquées. Il faut revenir à la réalité et renforcer les moyens d'accès aux services publics des personnes les plus éloignées du numérique.

Il faut enfin que soient respectées les autorisations du Parlement et arrêter de faire de la communication et de l'affichage.

Il n'est pas normal que nous progressions aussi lentement sur les passoires thermiques ou qu'autant de démarches ne soient pas numérisées avec un niveau élevé de satisfaction. La mission « Transformation et fonction publiques » emporte de grandes déceptions et affiche des résultats qui ne sont pas à la hauteur.

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