II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une absence de maîtrise des dépenses de personnel, marquées par des mesures indemnitaires insoutenables

Le taux d'exécution des dépenses de personnel est légèrement plus élevé que celui de l'ensemble des dépenses.

Taux d'exécution des dépenses totales et des dépenses de personnel

(en millions d'euros)

LFI 2019

Exécution 2019

Exécution 2019 / LFI 2019

Gendarmerie nationale

Titre 2

9 607,93

9 743,94

101,42%

Total

10 743,91

10 902,96

101,48%

Police nationale

Titre 2

7 489,87

7 633,47

101,92%

Total

8 846,63

8 977,38

101,48%

Ensemble

Titre 2

17 097,80

17 377,41

101,64%

Total

19 590,54

19 880,34

101,48%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Leur part étant élevée dans l'ensemble des dépenses de la mission (voir infra ) , la sur-exécution des dépenses de personnel explique en réalité 96 % du dépassement de la prévision pour les deux programmes , soit 279,6 millions d'euros en AE/CP sur un dépassement total de 289,8 millions d'euros en CP.

Répartition de la sur-exécution des deux programmes en 2019 en fonction de la nature des dépenses

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Le dépassement est surtout imputable à l'absence de maîtrise des mesures catégorielles.

Structure de la variation des dépenses de personnel des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » en 2019

(en millions d'euros, en crédits de paiement)

P152

P176

Exécution 2018
hors CAS- Pensions

4 024,10

6 316,60

+/- Impact des mesures de transfert et de périmètre

-0,3

-5,6

- Débasage de dépenses atypiques

20

-46

+/- Impact du schéma d'emplois 2018

5,9

34,9

+/- Impact 2019 du schéma d'emplois

-18,3

23

+ Mesures générales

2,2

5,3

+ Mesures catégorielles

106,2

147,1

+ GVT positif

56,6

70,8

- GVT négatif

-69,6

-40,2

Rebasage de dépenses atypiques

89,2

59,8

+/- Mesures diverses

-10

30,1

Total : Montant exécuté 2019

4 206,00

6 595,90

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

En effet, les policiers et les gendarmes ont obtenu, en avril 2016, la signature de deux protocoles leur accordant d' importantes mesures de revalorisation des carrières et des rémunérations 329 ( * ) . Les coûts supplémentaires liés à ces protocoles étaient alors estimés par le ministère de l'intérieur à 470 millions d'euros en 2022, hors contribution au CAS « Pensions ». En outre, ainsi que le relevait la Cour des comptes 330 ( * ) , l'ensemble de ces mesures catégorielles a un coût annuel élevé et mal maîtrisé, puisqu'elles prévoient également des avancements massifs par repyramidage des corps, augmentant mécaniquement la part des gradés les plus élevés, et les dépenses de personnel associées.

Ce dernier a été suivi d'un autre protocole, conclu le 19 décembre 2018 331 ( * ) avec les syndicats de police nationale dans le contexte de la forte activité générée par le mouvement des « gilets jaunes », et devant s'appliquer à compter de l'exercice 2019. Ce protocole été négocié à la suite de l'adoption d'un amendement du Gouvernement par l'Assemblée nationale majorant de 33,3 millions d'euros les crédits de personnel de la mission « Sécurités », qui visait, aux termes de son objet, à « financer une prime exceptionnelle de 300 euros qui sera versée aux 111 000 policiers et militaires qui ont participé aux récentes opérations [de maintien de l'ordre] » 332 ( * ) . En réalité, le protocole en question a prévu de nouvelles mesures de revalorisation indemnitaire pérennes 333 ( * ) . Le coût de ces mesures en 2019, qui s'est élevé à 138 millions d'euros 334 ( * ) (hors contributions au CAS - Pensions) pour les deux programmes, a contribué au dépassement de l'enveloppe initiale votée pour les crédits de titre 2.

Une troisième étape de revalorisation est entrée en vigueur à compter du 1 er janvier 2020. Au total, selon la Cour des comptes, le protocole de 2018 atteindrait alors, pour les deux programmes, un coût annuel cumulé de 238,5 millions d'euros en 2021 (hors CAS « Pensions »).

Coût supplémentaire du protocole de 2018

(en millions d'euros, en AE/CP)

2019

2020

2021

Coût cumulé

Police nationale

84

60,7

2,6

147,3

Revalorisation AM

69,2

60,4

2,5

132,1

Revalorisation ISSP

14,8

0,3

0,1

15,2

Gendarmerie nationale

54,2

37

/

91,2

Revalorisation AMJ

45

37

/

82

Revalorisation ISSP

9,2

/

/

9,2

Total

138,2

97,7

2,6

238,5

Source : commission des finances du Sénat (d'après la Cour des comptes)

Le rapporteur spécial estime que ces mesures catégorielles, qui ne s'accompagnent d'aucune réelle mesure d'économie, ne sont pas maîtrisées et mettent en cause la soutenabilité de l'ensemble des deux programmes.

2. Un amorçage de l'indemnisation du stock d'heures supplémentaires de la police nationale, selon des modalités contestables

La soutenabilité des dépenses de rémunération des deux forces est également obérée par la persistance d'un stock d'heures supplémentaires dans la police nationale, qui atteignait 23 millions d'heures au 31 décembre 2018 335 ( * ) (l'équivalent de plus de 13 000 ETPT).

Au cours du dernier trimestre 2019, une partie de ce stock a été indemnisé, à la suite de l'adoption de la loi de finances rectificative pour 2019, à hauteur de 50 millions d'euros, dans des conditions toutefois contestables sur le plan de la régularité budgétaire.

La gestion hasardeuse de la première campagne d'indemnisation des heures supplémentaires dans la police nationale

Une partie du stock d'heures supplémentaires a été indemnisée à la suite de l'adoption de la loi de finances rectificative pour 2019.

Comme le relève la Cour des comptes, « les heures indemnisées dans le cadre de cette campagne l'ont été dans la limite du plafond brut de l'exonération fiscale prévue par la loi du 24 décembre 2018 portant mesures d'urgence économiques et sociales, à hauteur de 5 000 euros nets, ou 5 358 euros bruts, soit dans la limite de 429 heures. Au total, 3,5 millions d'heures ont été indemnisées, au profit de 30 648 agents, pour un coût de 44,25 euros ».

Cette campagne réalisée dans l'urgence a entrainé deux types de difficulté :

- le ministère ne peut établir avec certitude qu'il n'a indemnisé que le flux 2019 d'heures supplémentaires. Cette distinction n'est pas neutre puisqu'à l'inverse des années précédentes, les heures réalisées en 2019 sont défiscalisées ;

- le ministère de l'intérieur a indemnisé non seulement les heures supplémentaires travaillées mais aussi les heures de repos octroyées aux agents en compensation de leur réalisation, compte tenu de l'impossibilité de distinguer les deux au sein du stock les heures supplémentaires.

Source : commission des finances, d'après la Cour des comptes

Ces difficultés se conjuguent à un vaste plan de recrutement de nature à renforcer les doutes pesant sur la soutenabilité financière des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ».

3. Une poursuite du coûteux plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes

Le dynamisme des mesures catégorielles se conjugue à un important plan de recrutement, de 10 000 effectifs des forces de sécurité intérieure sur le quinquennat, dont 7 500 pour la gendarmerie nationale et 2 500 pour la police nationale. L'exécution de ce plan entre les deux forces est imputable à la police nationale (1 707 ETP), la gendarmerie nationale ayant réalisé un schéma d'emplois de moindre importance (645 ETP), mais en augmentation par rapport à 2018 (643 ETP).

Créations nettes d'emplois prévues et réalisées en 2019

(en ETP)

Gendarmerie nationale

Police nationale

LFI

Exécution

LFI

Exécution

Sorties

11 649

12 107

8 288

8 176

Entrées

12 292

12 752

10 023

9 883

Schéma d'emplois

643

645

1 735

1 707

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

La mise en oeuvre du schéma d'emplois des deux programmes a suscité moins de difficulté que lors des années précédentes, au cours desquelles il avait nécessité un effort des filières de formation 336 ( * ) . L'exercice 2019 s'accompagne d'un retour à des cycles de formation plus longs, après la réduction de la durée de scolarité décidée en 2016 et 2017 pour faire face aux recrutements accrus.

Si l'absence de difficultés d'exécution du schéma d'emploi constitue un élément positif pour le fonctionnement opérationnel des forces, le rapporteur spécial estime toutefois que la pertinence même de ces plans, qui sont menés au détriment des dépenses de fonctionnement et d'investissement, est contestable.

4. Pour la deuxième année consécutive, un effet d'éviction des dépenses d'équipement des deux forces par les dépenses de personnel

Les dépenses de rémunération représentent 87,41 % des crédits des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » exécutés en 2019, augmentant de 1,64 % par rapport à 2018, contre 1,48 % pour l'ensemble des CP.

Évolution des dépenses de personnel de la « Police nationale » et de la « Gendarmerie nationale »

(en crédits de paiement)

2018

LFI 2019

Exécution 2019

Évolution 2018-2019

Police nationale

Titre 2

9 400,80

9 607,93

9 743,94

1,42%

Total

10 595,74

10 743,91

10 902,96

1,48%

Titre 2 / Total

88,72%

89,43%

89,37%

Gendarmerie

Titre 2

7 346,69

7 489,87

7 633,47

1,92%

Total

8 734,98

8 846,63

8 977,38

1,48%

Titre 2 / Total

84,72%

84,29%

84,13%

Total

Titre 2

16 747,49

17 097,80

17 377,41

1,64%

Total

19 330,72

19 590,54

19 880,34

1,48%

Titre 2 / Total

86,64%

87,28%

87,41%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Ainsi, alors que les dépenses de personnel ont augmenté de plus de 25 % en 10 ans, les dépenses de fonctionnement et d'investissement n'ont augmenté que de près de 11 %, traduisant l'existence d'un effet d'éviction des secondes par les premières.

Évolution comparée des dépenses de personnel
et des autres dépenses depuis 2009

(en millions d'euros)

2009

2019

Évolution 2009/2019

Titre 2

13 855

17 377,41

25,42%

Hors titre 2

2 264

2 503

10,57%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Au sein des dépenses d'investissement et de fonctionnement, les dépenses d'équipement 337 ( * ) revêtent une importance particulière puisqu'elles conditionnent très directement la capacité opérationnelle de la police et de la gendarmerie nationales.

À cet égard, l'exécution 2019 constitue une confirmation du revirement regrettable observé à compter de l'exécution 2018 par rapport aux évolutions constatées depuis 2012. Ainsi, les dépenses d'équipement, qui avaient augmenté de 181 % entre 2012 et 2017 338 ( * ) , notamment après les attentats de 2015, connaissent en 2018, et pour la deuxième année consécutive, une baisse d'environ 8 millions d'euros.

Évolution comparée des dépenses d'équipement
depuis 2012

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après la Cour des comptes)

Le rapporteur spécial estime que cette baisse illustre le risque lié à l'augmentation tendancielle des dépenses de personnel, créant inévitablement un effet d'éviction des dépenses de fonctionnement et d'investissement.


* 329 Il s'agit, notamment, de la transposition pour la police et la gendarmerie nationale du protocole de modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations (PPCR).

* 330 Cour des comptes, référé au Premier ministre du 13 mars 2018 sur les rémunérations et le temps de travail dans la police et la gendarmerie nationales.

* 331 Ce protocole fait suite à un amendement du gouvernement adopté par l'Assemblée nationale, qui prévoyait de « de financer une prime exceptionnelle de 300 € qui sera versée aux 111 000 policiers et militaires qui ont participé aux récentes opérations [de maintien de l'ordre] »

* 332 Amendement à l'Assemblée nationale n° 1341 du 18 décembre 2018 sur le projet de loi de finances pour 2019.

* 333 Revalorisation de l'allocation de maîtrise (AM) pour la police nationale, de l'allocation de mission judiciaire (AMJ) pour la gendarmerie nationale, et de l'indemnité de sujétion spéciale police (ISSP).

* 334 Note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes.

* 335 Les données définitives pour l'année 2019 ne sont pas fiabilisées au moment de la publication du présent rapport.

* 336 Rapport général n° 625 (2018-2019) de M. Philippe Dominati, fait au nom de la commission des finances, déposé le 3 juillet 2019.

* 337 Parc automobile, armements, munitions, équipements de sécurité et habillement des personnels en tenue.

* 338 Rapport d'information n°717 (2017-2018) de M. Philippe Dominati, fait au nom de la commission des finances, Les équipements de la police et de la gendarmerie (acquisition et utilisation).

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