B. UN CARACTÈRE OBLIGATOIRE ENCORE PRÉMATURÉ

1. L'objectif de la proposition de loi : rendre l'assurance obligatoire

La proposition de loi qui est présentée à l'examen de notre commission prévoit de rendre l'assurance récolte obligatoire.

MM. les sénateurs Collin et Baylet estiment que « le régime dit des « calamités agricoles » souffre de nombreuses limites. En effet, la faiblesse des indemnités, la lenteur et la complexité des procédures rendent ce dispositif insuffisant . » Ils constatent que seuls 10% des exploitations ont conclu des contrats d'assurance récolte, principalement pour les grandes cultures, et notent que les arboriculteurs et les viticulteurs sont peu protégés, en dépit de la fragilité de leurs exploitations.

Donner à l'assurance récolte un caractère obligatoire permettrait d'élargir l'assiette de cotisants, selon un principe de solidarité face aux aléas climatiques.

2. Une mesure dont la mise en oeuvre soulèverait de nombreuses difficultés

Si l'assurance obligatoire paraît être un moyen efficace d'assurer la mutualisation la plus large du risque, elle se heurte à plusieurs objections théoriques et pratiques . Il est certes fréquent en France d'obliger des particuliers ou des professionnels à s'assurer, mais cette obligation concerne habituellement des situations où la responsabilité à l'égard d'un tiers est en jeu. Ce n'est pas le cas de l'assurance récolte, puisque la seule victime du sinistre, en absence d'assurance, est l'exploitant lui-même. L'assurance ne devrait-elle pas demeurer un choix d'entrepreneur, tout en étant encouragée par les politiques publiques ?

Une obligation d'assurance pose également des problèmes pratiques, liés à l'état du marché des assurances : celui-ci n'offre pas aujourd'hui des produits adaptés aux conditions d'exploitation de l'ensemble des agriculteurs.

a) Les assurances obligatoires, une exception française

L'idée d'une assurance obligatoire a longtemps été exclue du débat national : le choix de se protéger, semblait-il, devait rester individuel et toute contrainte en ce domaine aboutirait à déresponsabiliser les individus. C'est en 1910, avec la loi instituant les retraites ouvrières et paysannes, que l'autorité publique a obligé pour la première fois une partie de la population à souscrire à un système d'assurance.

Par la suite, les assurances obligatoires se sont largement développées, au point qu'on en a dénombré plus de 90 21 ( * ) . Or seule la France, parmi les pays de l'OCDE, a pris soin de rendre obligatoire la souscription d'une assurance dans un nombre de situations aussi variées.

Il ne s'agit pas simplement d'une tendance nationale à multiplier les règlementations. C'est aussi un objectif d'efficacité et de justice : la mutualisation des risques doit s'appuyer sur l'assiette la plus large possible de cotisants. L'obligation de s'assurer est alors un moyen d'arriver à une meilleure indemnisation.

Toutefois, on ne doit pas oublier qu'elle constitue une contrainte pour les individus et, à ce titre, qu'elle doit être justifiée par une raison particulière, par exemple la garantie des dommages causés par l'assuré à des tiers.

b) L'obligation de s'assurer est liée le plus souvent à une responsabilité à l'égard des tiers

À de rares exceptions près, les assurances obligatoires sont celles qui concernent la responsabilité de l'assuré à l'égard des tiers .

Un automobiliste lors d'un accident, un constructeur après la livraison d'un immeuble, mais aussi le locataire d'un appartement, l'écolier, l'organisateur de voyages, le professionnel qui exerce une activité juridique et bien d'autres personnes encore sont obligés de s'assurer contre les dommages qu'ils risquent de causer.

Ont ainsi été instituées l'assurance de responsabilité civile automobile, l'assurance contre les risques locatifs qui couvre les dommages causés par le locataire au propriétaire, l'assurance scolaire ou l'ensemble des assurances qui conditionnent l'accès à une profession.

Ces obligations ont un fondement : il s'agit d'être certain que la victime bénéficiera d'une indemnisation effective, même lorsque le montant de celle-ci dépasse largement les capacités financières du responsable. La mutualisation exercée par l'assureur offre la certitude que les dommages pourront être réparés sur le plan civil.

Il existe également des assurances obligatoires lorsqu'il s'agit de couvrir un risque d'une nature particulière (assurance des exploitants et travailleurs agricoles non-salariés contre les accidents du travail et les maladies professionnelles 22 ( * ) ) ou de faciliter les remboursements (assurance «dommages-ouvrage » qui garantit, avant d'avoir déterminé les responsabilités éventuelles, les malfaçons pouvant se révéler après la construction d'un bâtiment 23 ( * ) ).

c) L'assurance devrait rester une décision prise librement par l'exploitant

L'assurance récolte n'est pas une assurance responsabilité, puisqu'elle couvre les dommages causés à l'assuré et non à des tiers . Ce n'est donc pas un impératif de protection des tiers qui pourrait justifier le caractère obligatoire de cette assurance.

On peut donc se demander, même si on partage le souhait de donner une efficacité maximale à l'assurance récolte, si la contrainte à l'égard des agriculteurs n'est pas un moyen disproportionné pour parvenir à cet objectif.

L'assurance récolte est un choix que prend un professionnel en fonction de critères objectifs, liés au montant de la prime et au risque effectif de survenance du sinistre. L'État peut intervenir en participant au paiement de la prime, mais il revient à la responsabilité individuelle de s'assurer ou non lorsqu'un tiers n'est pas en cause.

d) Des conséquences financières très importantes pour l'État

Le budget actuellement prévu pour le FNGCA, égal à 32 millions d'euros par an, serait très insuffisant si l'assurance devenait obligatoire pour l'ensemble des exploitations agricoles. L'impact sur les finances publiques serait d'autant plus élevé que la participation de l'État, qui est proportionnelle aux primes d'assurances, serait plus importante en valeur absolue pour les exploitants qui renoncent actuellement à l'assurance en raison de l'importance des primes.

À titre d'exemple, l'Espagne dépense cette année 280 millions d'euros au titre de l'assurance récolte, alors que 50% des exploitations seulement sont assurées.

e) La nécessité d'une réassurance publique

Le président-directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR) a indiqué à votre rapporteur que le besoin de réassurance, en cas de mauvaise année, pourrait se chiffrer à plusieurs milliards d'euros. Or la capacité de réassurance privée est actuellement de 300 à 700 millions d'euros, sans prendre en compte les effets de la crise financière actuelle qui pourrait affecter les actifs des compagnies d'assurance.

Une assurance récolte obligatoire impliquerait donc la mise en place d'un engagement de l'État pour la réassurance du secteur , comme l'avait demandé votre rapporteur lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole le 7 novembre 2005. La CCR pourrait proposer, avec la garantie de l'État, une offre de réassurance complémentaire à celle des sociétés privées du secteur. L'intervention de la CCR est soumise à une autorisation législative.

Notons ici encore que l'État offre une garantie de réassurance en Espagne et aux États-Unis. Il s'agit d'une condition indispensable à un engagement massif des assureurs et à la généralisation de l'assurance récolte à une majorité d'exploitations.

f) L'assurance récolte, un marché qui n'est pas encore arrivé à maturité

Il est également indispensable, avant de rendre une assurance obligatoire, de vérifier que le marché y est préparé . Une telle réforme ne peut produire d'effets que si des contrats sont effectivement proposés, à des conditions raisonnables, à tous les producteurs, quelles que soit leur taille, leur région et leur filière d'activité.

Or on a vu que la situation est fortement différenciée selon les cultures. Si les grands céréaliers ont à leur disposition des possibilités de couverture dont ils font largement usage, ce n'est pas le cas des producteurs de cultures fourragères : les risques particuliers, notamment de sécheresse, liés à cette activité n'ont pas permis jusqu'à présent de distribuer sur une grande échelle des produits assurantiels adaptés. Par ailleurs, certains exploitants ne s'assurent pas contre la grêle parce que celle-ci survient si rarement que le montant des primes est disproportionné par rapport aux risques. Enfin, les contrats ne sont pas toujours adaptés aux risques, comme l'ont constaté de nombreux arboriculteurs de la Drôme qui n'ont pu recevoir une indemnisation de leur assureur après les gelées survenues au mois de mars dernier.

La solution consistant à proposer un contrat d'assurance unique, quelle que soit la culture ou la région, paraît peu réaliste en raison de la très grande hétérogénéité des risques. Par un phénomène d'anti-sélection, certains assureurs attireraient, par des primes faibles, les exploitants qui présentent le risque le plus bas, tandis que les autres n'auraient accès qu'à des contrats proposant des conditions beaucoup moins favorables.

Il conviendrait aussi de vérifier, région par région, que les diverses catégories d'exploitations ne sont pas « captives » d'une offre unique : chacun devrait avoir accès à plusieurs offres d'assurance afin de ne pas être obligé d'accepter les conditions d'un seul opérateur. Tant que l'assurance n'est pas obligatoire, l'exploitant a toujours le choix de ne pas s'assurer si le contrat qui lui est proposé ne convient pas à ses besoins.

Une solution envisageable serait d' ajouter à l'obligation de s'assurer pour les exploitants une « obligation d'assurer » pour les assureurs. Une telle obligation existe par exemple pour l'assurance automobile ou l'assurance construction : un organisme particulier, le Bureau central de tarification, intervient alors pour contraindre un assureur à proposer, dans certaines conditions, un contrat à une personne qui en fait la demande. Cette procédure n'est toutefois utilisée que pour un nombre limité d'assurances et, si elle peut résoudre des cas spécifiques où un assureur refuserait de contracter avec certaines catégories de population, il n'est pas certain qu'elle permette à elle seule de créer un marché de l'assurance récolte pour toutes les cultures.

Votre rapporteur est convaincu qu' une généralisation de l'assurance récolte ne pourra se faire qu'en prenant en compte les spécificités de chaque culture .

g) La question de la sanction

Il n'y a pas en droit, d'obligation sans sanction . Une obligation de s'assurer n'aura d'efficacité que si des sanctions sont prévues et appliquées pour ceux qui s'y soustrairaient.

Par exemple, dans le cas d'une assurance responsabilité liée à l'exercice d'une profession ou d'une activité, l'administration conditionne la délivrance d'un certificat ou d'une licence à la présentation d'une attestation d'assurance. La sanction consiste en l'impossibilité d'exercer cette profession ou cette activité. Dans le cas du locataire, le défaut d'assurer peut justifier la résiliation du bail par le propriétaire.

Si la loi rend obligatoire l'assurance récolte, un régime de sanctions administratives ou civiles devrait donc être prévu. L'agriculteur non assuré devrait-il être soumis à une amende ? Peut-on envisager de l'empêcher d'exercer sa profession pour cette raison ? Une telle interdiction pourrait-elle être limitée aux cultures pour lesquelles il n'est pas assuré ?

En tout état de cause, un régime de sanction suppose la mise au point des procédures de contrôle et par conséquent une intervention de l'administration. Un automobiliste prouve qu'il est assuré en affichant sur son pare-brise une vignette verte. Comment contrôler que tous les exploitants agricoles sont assurés ?

* *

*

Au bénéfice de ces observations, votre commission vous propose de rejeter la proposition de loi tendant à généraliser l'assurance récolte obligatoire .

* 21 Voir Le droit des assurances obligatoires , André Favre Rochex et Guy Courtieu, L.G.D.J, avril 2000.

* 22 Code rural, art. L. 752-1.

* 23 Code des assurances, art. L. 242-1, résultant de la « loi Spinetta » du 4 janvier 1978.

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