DEUXIÈME PARTIE
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L'ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL ET L'APPRENTISSAGE, DES FILIÈRES DE RÉUSSITE DE NOTRE SYSTÈME ÉDUCATIF : LE COPILOTAGE ÉTAT-RÉGIONS FACE AUX NOUVEAUX ENJEUX ET
BESOINS DE FORMATION

Comme le souligne un récent rapport établi à la demande du Haut Conseil de l'évaluation de l'école, « la région s'institue désormais comme « pôle de gouvernance » de la formation professionnelle dans toutes ses dimensions, formation initiale, formation d'adultes, publics en difficultés ; elle se veut garante de l'utilisation rationnelle des équipements (locaux et machines) qu'elle finance et de la cohérence d'ensemble de l'offre des formations, dans sa dimension territoriale notamment » .

Il n'en demeure pas moins que ces attributions, qui ont été réaffirmées et renforcées à l'occasion de l'acte II de la décentralisation, s'exercent dans le cadre d'une compétence partagée avec l'État.

Dans ce contexte renouvelé, il est essentiel de clarifier et consolider l'implication nécessaire du service public de l'éducation nationale , dans le développement de la formation professionnelle initiale, de la formation tout au long de la vie ou de l'apprentissage, ainsi que dans l'aide à l'information et à l'insertion des jeunes en difficulté.

Ces enjeux prennent un écho d'autant plus grand, dans le cadre de l'examen du présent projet de budget de la mission « Enseignement scolaire », que le défi de l'orientation et de l'insertion des jeunes constitue une priorité non seulement pour répondre aux objectifs de réussite de tous les élèves et d'élévation des niveaux de qualification fixés par la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, mais surtout pour permettre à chacune et chacun de nos jeunes, par son émancipation, l'élévation de ses connaissances et son savoir, de réussir son parcours scolaire afin de trouver sa place dans notre société et de s'insérer dans un monde du travail en constante évolution.

I. DE NOUVEAUX ENJEUX, DANS LE CADRE DU RENFORCEMENT DU PILOTAGE RÉGIONAL DE LA POLITIQUE DE FORMATION PROFESSIONNELLE

Comme le souligne un récent rapport de l'Observatoire de la décentralisation 20 ( * ) , l'exercice, par les régions, de leurs compétences en matière de formation professionnelle et d'apprentissage est désormais parvenu à l'« âge de la maturité ».

En effet, la décentralisation en ce domaine a été initiée il y a plus de 20 ans, par la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État.

La formation professionnelle est apparue comme une compétence qui pouvait être assumée de façon pertinente à l'échelon régional, dans le prolongement :

- d'une part, des compétences confiées aux régions en matière d'enseignement secondaire (construction, entretien et équipement des lycées) ;

- d'autre part, des attributions reconnues à la région en matière de planification, de développement économique et d'aménagement du territoire.

L'AFFIRMATION DE LA COMPÉTENCE DES RÉGIONS EN MATIÈRE DE FORMATION PROFESSIONNELLE ET D'APPRENTISSAGE

La loi de 1983 a confié aux régions une compétence de droit commun pour la mise en oeuvre des actions d'apprentissage et de formation professionnelle continue.

A cet effet, un fonds régional de l'apprentissage et de formation professionnelle continue est créé dans chaque région et sa gestion est confiée au conseil régional. En contrepartie, l'État conserve des compétences d'attribution limitativement énumérées : définition du cadre législatif et réglementaire, contrôle de la participation financière des employeurs et de la taxe d'apprentissage, mise en oeuvre des actions de portée nationale ou interrégionale et d'actions prioritaires.

La loi quinquennale n° 93-1313 du 20 décembre 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle marque une nouvelle étape importante :

- elle élargit les compétences de droit commun dévolues aux régions à l'ensemble de la formation continue et de l'insertion en faveur des jeunes de moins de 26 ans ; sont notamment transférés les programmes de formation et d'insertion des jeunes en difficulté : actions qualifiantes destinées à des jeunes de 16 à 25 ans, actions de pré-qualification et d'insertion, réseau d'accueil, d'information et d'orientation des jeunes -missions locales et permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO) ;

- elle crée un plan régional de développement des formations professionnelles des jeunes (PRDFP) , destiné à renforcer le rôle de la région pour la coordination et la mise en cohérence, au niveau territorial, des différentes actions de formation professionnelle ou par apprentissage. Cette loi a institué, de fait, une pratique qui avait déjà commencé à se mettre en place dans certaines régions depuis la fin des années 80, sous la forme d'un « schéma des formations ».

Ce PRDFP a été étendu aux formations délivrées aux adultes par la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité.

La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a réaffirmé et renforcé la primauté de la région pour la conduite de l'apprentissage et de la formation professionnelle . Il s'agit ainsi, comme le souligne l'Observatoire de la décentralisation, d'une « consécration de la compétence générale des régions » en ce domaine.

Cette confirmation du rôle des régions, qui s'exprime notamment à travers l'élaboration et la mise en oeuvre du Plan régional de développement des formations professionnelles (PRDFP), se double d'une extension de leur champ de compétences, avec le transfert des formations sanitaires et sociales.

1. La définition de l'offre de formation dans le cadre des Plans régionaux de développement des formations professionnelles

Alors que la région était jusqu'alors chargée de mettre en oeuvre des actions de formation professionnelle continue et d'apprentissage, il lui appartient désormais de définir et mettre en oeuvre une politique régionale d'apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d'un emploi ou d'une nouvelle orientation professionnelle.

A cet effet, la loi confie explicitement aux régions le pilotage du PRDFP, qu'elle est chargée d'adopter et de mettre en oeuvre. De fait, chaque région devient responsable avec l'État de l'évolution de la carte des formations qui conduisent à une qualification professionnelle.

Le PRDFP a en effet pour objet de « définir une programmation à moyen terme des actions de formation professionnelle des jeunes et des adultes et de favoriser un développement cohérent de l'ensemble des voies de formation » 21 ( * ) .

Les ouvertures et fermetures de sections de formations professionnelles initiales dans les établissements du second degré seront déterminées et classées, par ordre de priorité, et en fonction des moyens disponibles, par la voie de conventions annuelles d'application du PRDFP passées entre l'État -l'autorité académique- et la région .

Ces conventions, qui devraient être signées d'ici 2006, préciseront, pour l'État et la région, la programmation et le financement des actions.

A défaut d'accord, il appartiendra aux autorités de l'État de prendre les décisions permettant d'assurer la continuité du service public.

Toutefois, comme le relève l'auteur d'un article paru dans l'AJDA 22 ( * ) , « cette dernière phrase peut apparaître comme un faux semblant. (...) Certes, ce dernier [l'État] doit maintenir la prévalence de l'intérêt général et de l'égalité du service public ; néanmoins lorsque l'ouverture d'une section professionnelle dans un établissement conduit à des travaux importants que la région n'est pas en mesure d'exécuter, il est très peu probable que l'État trouve les moyens de surmonter cet obstacle. »

L'élaboration des PRDFP, qui obéit à des méthodologies très différentes selon les régions, a déjà abouti dans 16 d'entre elles. Dans les autres, la phase de concertation se poursuit. C'est en effet l'un des intérêts principaux de cet instrument que de permettre et favoriser le dialogue entre les divers acteurs impliqués, au niveau du territoire, dans la politique de formation professionnelle : les régions et les autres collectivités, l'État -le rectorat notamment- et les organismes et milieux professionnels.

Votre rapporteure tient à souligner les principales priorités à prendre en compte pour la définition de l'offre de formation :

- recenser et identifier les besoins de formation ; il est toutefois délicat de faire du PRDFP un véritable outil prévisionnel , en cela qu'il est bien souvent difficile, en raison de la variabilité des flux d'entrée, d'avoir une connaissance très précise des besoins des professions à court ou moyen terme ;

- assurer, en parallèle, une répartition équilibrée des formations sur l'ensemble du territoire, de façon à garantir, pour les jeunes, une certaine égalité d'accès aux différentes filières, en maintenant le plus large éventail de choix .

Certes, il n'est pas envisageable de proposer partout toutes les formations. Toutefois, votre rapporteure ne souhaite pas que le pilotage régional de l'offre de formation conduise à la définition de bassins de formation exclusivement centrés sur le tissu industriel et économique local, dans la mesure où les bassins d'emplois évoluent.

A cet égard , la volonté de rationalisation de l'offre de formation doit se conjuguer prudemment et conduire à des études au cas par cas.

Or un indicateur de performance, rattaché au programme « enseignement scolaire public du second degré » et à l'objectif n° 7 « Promouvoir un aménagement équilibré du territoire éducatif en optimisant les moyens utilisés », concerne le pourcentage d'heures d'enseignement délivrées devant des groupes de 10 élèves ou moins . La cible globale est fixée à moins de 8 d'ici 2010. En raison de la particularité des formations professionnelles, il est normal d'atteindre un taux bien plus élevé (20,3 % en lycée professionnel en 2004) que cette moyenne plancher.

En effet, certaines filières ou sections ne peuvent accueillir, de façon structurelle, que des effectifs réduits , soit en raison des équipements nécessaires (par exemple en atelier de cuisine ou de mécanique), soit en raison de leurs spécificités et des débouchés limités qu'elles offrent. Il ne faudrait pas aboutir pour autant à leur fermeture, qui entraînerait la disparition préjudiciable, dans certaines régions, de pans entiers de formation, ainsi que probablement l'accélération de la désertification des zones concernées.

Par ailleurs, dans les cas où des regroupements de sections sont nécessaires, il convient d'offrir des services complémentaires d'internat, voire de transport, afin d'en faciliter leur accès pour toutes celles et ceux souhaitant suivre ces filières.

- respecter, dans le même souci, un certain équilibre entre les différentes voies de formation , publiques ou privées, sous statut scolaire ou par la voie de l'apprentissage.

Or les politiques régionales , qui sont fondées, en général, sur des traditions anciennes, sont d'une grande disparité en ce domaine, et il est difficile d'infléchir à court terme ces équilibres. Comme le relève un récent rapport 23 ( * ) , « observée en 1993 et en 2003, la probabilité pour un jeune de 16 à 25 ans de suivre une formation sous contrat d'apprentissage varie selon les régions du simple au double, et même au-delà. » Ainsi, l'apprentissage est très présent dans les régions Poitou-Charentes, Centre, Bourgogne, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte d'Azur, alors qu'il est plus discret en Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Rhône-Alpes ou Languedoc-Roussillon.

Aussi, les orientations en fin de classe de 3 e sont variables d'une académie à l'autre, comme le montre le tableau ci-après.

ENTRÉES EN SECOND CYCLE GÉNÉRAL ET TECHNOLOGIQUE OU PROFESSIONNEL EN FIN DE TROISIÈME (en %)

Second cycle général et technologique

Second cycle professionnel

dont

Lycée professionnel public

Lycée professionnel privé

Lycée agricole

Centre de formation d'apprentis

Aix-Marseille

61,3

39,0

22,4

7,2

2,3

7,2

Amiens

54,7

41,6

27,6

4,0

2,8

7,2

Besançon

54,5

44,1

25,1

4,7

5,0

9,3

Caen

54,9

43,6

20,6

6,2

5,6

11,3

Clermont-Ferrand

58,6

42,5

21,7

6,3

4,5

9,9

Corse

61,5

35,1

27,2

0,0

1,1

6,7

Créteil

62,2

35,6

26,0

3,1

0,8

5,7

Dijon

56,2

44,8

21,6

5,1

5,0

13,0

Grenoble

62,2

37,2

19,3

6,4

4,6

6,9

Lille

54,8

44,6

30,8

7,3

1,9

4,6

Limoges

58,4

41,3

24,8

3,4

4,9

8,3

Lyon

61,9

37,2

19,4

7,2

3,4

7,2

Montpellier

58,3

41,5

23,6

6,3

4,2

7,4

Nancy-Metz

56,1

43,9

25,9

6,1

1,6

10,3

Nantes

56,3

43,9

15,0

9,8

6,5

12,6

Nice

61,4

37,9

21,7

3,9

1,6

10,7

Orléans-Tours

56,5

41,8

22,8

4,2

3,8

11,0

Paris

79,4

29,7

16,6

3,8

0,2

9,0

Poitiers

54,9

45,4

22,8

4,3

6,5

11,9

Reims

53,5

44,4

25,9

6,0

3,9

8,7

Rennes

60,2

40,3

14,3

10,9

7,3

7,8

Rouen

55,7

42,7

24,7

5,7

2,5

9,8

Strasbourg

55,0

42,9

23,6

3,4

1,1

14,7

Toulouse

61,0

39,1

21,9

5,5

5,0

6,8

Versailles

65,1

31,9

23,5

3,1

0,7

4,6

France métropolitaine

59,3

40,1

22,7

5,8

3,3

8,3

Guadeloupe

56,1

41,3

32,4

4,0

2,2

2,8

Guyane

48,5

38,6

32,5

3,3

1,1

1,7

Martinique

57,1

40,7

34,9

2,0

1,6

2,2

La Réunion

52,1

42,0

37,5

0,5

1,3

2,8

Ecart type

4,8

4,1

4,7

2,3

2,0

2,9

Source : Études de la Direction de l'évaluation et de la prospective, « Dix-huit questions sur le système éducatif », 2004.

A cet égard, le développement des « lycées des métiers » constitue un moyen privilégié de favoriser, d'une part, ce développement équilibré des voies de formation et de faciliter, d'autre part, les passerelles entre celles-ci. Toutefois, si ce concept contribue à renforcer la cohérence et la fluidité des parcours, autour de « pôles » de formation, il ne doit pas pour autant conduire à faire émerger une offre locale de formation trop spécialisée.

La loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école a modifié le code de l'éducation pour prévoir que ce label peut être délivré aux établissements répondant à un certains nombre de critères définis par un cahier des charges national, précisé par le décret n° 2005-1394 du 10 novembre 2005.

CRITÈRES CONSTITUANT LE CAHIER DES CHARGES NATIONAL
POUR LA DÉLIVRANCE DU LABEL « LYCÉE DES MÉTIERS »

Le décret n° 2005-1394 du 10 novembre 2005 relatif au label « lycée des métiers », pris en application de l'article 33 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, précise que ce label, délivré sur décision du recteur, « permet d'identifier des pôles de compétences en matière de formation professionnelle, de certification ou d'accompagnement, d'information ou de services techniques aux entreprises » .

Les critères constituant le cahier des charges national pour la délivrance du label sont les suivants :

- une offre de formation, comportant notamment des formations technologiques et professionnelles, construite autour d'un ensemble cohérent de métiers ;

- l'accueil de publics de statuts différents : élèves, adultes en formation continue, apprentis et étudiants ;

- la préparation d'une gamme de diplômes et titres nationaux allant du CAP aux diplômes d'enseignement supérieur ;

- une offre de services de validation des acquis de l'expérience ;

- l'existence de partenariats avec les collectivités territoriales, les milieux professionnels ou des établissements d'enseignement supérieur ;

- la mise en place d'actions destinées aux enseignants et aux élèves de collège visant à améliorer l'orientation des collégiens et les conditions de leur accueil dans les formations professionnelles ;

- une ouverture européenne ou des échanges avec des pays étrangers ;

- une offre de services d'hébergement ;

- un dispositif d'aide à l'insertion professionnelle ou de suivi des publics sortant de formation.

Les établissements qui ne répondent pas à eux seuls aux critères du cahier des charges peuvent obtenir le label à condition d'établir des conventions de partenariat avec un ou plusieurs établissements qui leur apportent les compléments nécessaires.

Un groupe académique « lycée des métiers » est chargé, sous l'autorité du recteur, de l'adaptation des critères du cahier des charges national aux particularités de l'académie, du recueil des demandes de délivrance du label des établissements, puis de l'organisation de l'instruction de ces demandes. Il transmet au recteur ses propositions.

Il est également chargé d'accompagner et d'évaluer, avec l'ensemble des corps d'inspection pédagogique, la mise en place effective des projets des établissements labellisés.

* 20 « Formation professionnelle et apprentissage : La décentralisation à l'âge de la maturité », Rapport de M. Jean Puech, président, et M. Roger Karoutchi, rapporteur, au nom de l'Observatoire de la décentralisation du Sénat, n° 455 (2004-2005).

* 21 article L. 214-13 du code de l'éducation

* 22 « Les transferts de compétences dans les secteurs de la formation professionnelle, de l'éducation et de la culture », par Pierre-Laurent Frier, professeur à l'université Paris-I, Actualité juridique et droit administratif (AJDA), 25 octobre 2004.

* 23 « L'apprentissage au sein de l'éducation nationale : un état des lieux », Jean-Jacques Arrighi et Damien Brochier, Avril 2005.

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