N° 378

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 7 avril 1998.

PROPOSITION DE RESOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT SUR :

EURO 1999 - 25 mars 1998 - Rapport sur l'état de la convergence et recommandation associée en vue du passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire (Partie 1 : Recommandation - Partie 2 : Rapport) (n° E-1045),

PRÉSENTÉE

Par Mmes Hélène LUC, Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Jean DERIAN, Michel DUFFOUR, Guy FISCHER, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Louis MINETTI, Robert PAGES, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Union européenne

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont attachés à une réorientation progressiste de la construction européenne, pour une véritable communauté entre nations souveraines, partenaires et égales pour favoriser leur codéveloppement et contribuer à rendre les relations internationales plus justes et plus équilibrées.

Ils n'ont cessé d'appeler à un autre type de construction européenne s'appuyant sur de véritables coopérations entre tous les peuples, profitables à tous et oeuvrant à une réelle harmonisation vers un haut niveau de l'emploi, de la protection sociale, de la qualité de vie. Ces objectifs restent d'actualité.

Dans le même esprit, la mise en oeuvre d'une « monnaie commune » serait un outil pour favoriser les échanges intracommunautaires tout en laissant à chaque pays les moyens et la liberté de conduire son développement.

La déclaration commune du parti socialiste et du parti communiste du 29 avril 1997 rappelait à cet égard :

« Avec toutes celles et tous ceux qui dénoncent les dogmes actuels de l'ultralibéralisme et qui, dans le même temps, considèrent non seulement que le repli nationaliste n'est pas la solution, mais que la France peut et doit affronter avec ses partenaires européens la mondialisation et les défis du monde tel qu'il est aujourd'hui; avec celles et ceux qui refusent de sacrifier la Nation et sa souveraineté à la construction européenne, nous disons non à l'Europe libérale, à l'Europe de l'argent-roi et de la soumission aux marchés financiers.

« Nous pensons qu'il faut redonner du sens à l'Europe en dépassant le traité de Maastricht sur lequel nous n'avons pas eu la même attitude lors du référendum de 1992.

« C'est à partir de l'affirmation en France d'une politique économique et sociale de gauche, pour la croissance et l'emploi, de l'action pour une politique sociale au niveau européen harmonisant par le haut les législations et pour une Europe organisant, pour cela, au plan poli tique, le partage des responsabilités, que nous pouvons nous engager sur une autre voie.

« Nous sommes convaincus que l'Europe a un modèle de civilisation à affirmer. Démocratie politique, développement économique, solidarité sociale, diversité culturelle.

« Nous estimons que la France doit proposer à ses partenaires européens d'engager des discussions, avec la volonté de faire l'Europe et de réorienter la construction européenne vers une Europe sociale, de progrès, de paix et de sécurité. »

La France et chaque pays d'Europe sont à un moment crucial de leur histoire. Notre pays s'est prononcé il y a moins d'un an, et vient de confirmer son vote, pour écarter une politique ultra libérale. Il revient donc à la majorité - monnaie unique ou pas - de répondre à l'attente de changements sociaux, économiques et démocratiques.

Il revient à cette majorité d'assurer notre peuple qu'en aucun cas elle se laissera entraver dans son action en faveur du changement en France, par la monnaie unique ou toute autre mesure prise sur le plan européen ou international.

Avec le sommet exceptionnel de Luxembourg en juin 1997, le Gouvernement avait obtenu de ses partenaires une attention nouvelle sur les questions de l'emploi. Cela prouve qu'il est possible de faire bouger les choses si l'on a la volonté de faire entendre la voix de notre peuple. Le résultat correspondra d'autant à cette volonté qu'elle sera exprimée avec force et avec constance.

Or, dans les jours qui viennent les chefs d'Etat et de gouvernement des Etats membres de l'Union européenne vont, sur proposition de la commission européenne, déterminer la liste des pays qui participent à la zone euro, ainsi que les parités définitives entre les monnaies des pays participants. Nous entrons à l'évidence dans une nouvelle étape.

La France est directement concernée par un dispositif institutionnel structurel qui touche à toutes les dimensions de la vie de la Nation. C'est parce que nous voulons la réussite de la construction européenne que nous avançons des propositions pour sa réorientation et que, dans ce même mouvement, nous tenons à rappeler nos inquiétudes et la gravité des conséquences de la mise en place de l'euro.

La souveraineté de la France est en cause. L'application de cette recommandation, fût-elle conforme à l'article 2 du traité de Maastricht, retire à la Nation, à son gouvernement et à son parlement des moyens d'intervention pourtant essentiels à une politique économique et sociale répondant aux intérêts de nos concitoyens.

Privée de ces moyens, la politique nationale ne risquerait-elle pas de ne devenir que la gestionnaire d'une austérité sur le niveau de l'emploi, le niveau des salaires et de la protection sociale ? Quelles influences les Etats pourraient-ils avoir sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne ?

De plus, au regard des conséquences politiques, économiques et sociales engendrées par le passage à la monnaie unique, il était convenu, par le Président de la République lui-même durant la campagne électorale en 1995, qu'un nouveau recours au suffrage universel devrait concrétiser une pleine et entière adhésion des citoyens.

Faire l'impasse sur cet engagement ne peut qu'accentuer la défiance des populations envers la nécessaire construction de l'Europe. La démocratie, le respect des engagements pris devraient faire prévaloir l'organisation d'un référendum sur ce sujet qui engage durablement l'avenir du pays.

Dans la perspective de la monnaie unique, les Etats membres de l'Union européenne sont déjà contraints - depuis 1992 - de respecter l'article 102-A du traité de Maastricht et conduire leurs politiques économiques conformément aux objectifs de l'Union européenne et, depuis les sommets de Dublin puis d'Amsterdam, cette logique libérale est inscrite dans la durée par le Pacte de stabilité.

Cela s'est traduit concrètement par une augmentation importante du chômage officiel passant de 9 % de la population active en 1990 à plus de 12 % en 1996. Cela s'est également traduit par d'importantes et retentissantes délocalisations intra communautaires et par un fort mouvement d'exportation de capitaux profitant aux détenteurs des monnaies liées au mark.

Au regard des objectifs prévus à l'article 2 du traité de Maastricht, chacun est à même de constater l'écart entre les engagements concernant l'emploi, la protection sociale, le niveau et la qualité de vie tout comme la protection et la cohésion sociale, et la réalité.

De plus, à la place du « pacte pour la croissance et l'emploi » souhaité, nous avons le « Pacte de stabilité » dont toute la gauche a souligné le caractère ultralibéral. Il se situe à l'opposé de la « réorientation de la construction européenne » à laquelle parti socialiste et parti communiste se sont engagés à travailler, et son abandon était une des conditions posées par le parti socialiste à son accord pour le passage à l'euro.

Nous voyons bien en outre que les critères financiers « de convergence » sont plus ou moins respectés par les onze pays retenus par la commission de Bruxelles. Le doute existe sur la véracité des chiffres annoncés en ce qui concerne les déficits publics et au moins deux pays ont une dette publique deux fois plus importante que les 60 % du PIB requis. Seuls trois pays (Finlande, Irlande et Luxembourg) seraient à ce jour, selon certains experts, en situation de pouvoir respecter durablement les critères de convergence de Maastricht. Ces aspects participent du sentiment d'une marche forcée vers l'euro, avec tous les risques liés à un tel volontarisme.

Quoi qu'il en soit, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen continueront à nourrir, dans la transparence, et en partant de l'expérience de nos concitoyens, l'exigence d'une réorientation progressiste de la construction européenne.

Sous le bénéfice de ces dispositions, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RESOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la recommandation de la commission de Bruxelles (E 1045) pour le passage de onze pays - dont la France - à la monnaie unique dès le 1 er janvier 1999,

Vu que ladite recommandation doit être examinée par les chefs d'Etat et de gouvernement le 2 mai 1998,

Demande au Gouvernement :

- De surseoir à l'examen de la recommandation de la Commission européenne tant qu'un grand débat national n'aura pas eu lieu sur les implications de l'euro, notamment sur le plan social, de la démocratie et de la souveraineté, et sur les alternatives possibles en matière de coopération monétaire ;

- De faire respecter ses objectifs sociaux, de relance de l'emploi et de la réduction du temps de travail pour lesquels notre peuple vient encore d'affirmer sa volonté de voir l'action gouvernementale poursuivie et amplifiée ;

- De proposer à nos partenaires de travailler en commun à une véritable réorientation de la construction européenne tournée vers le développement social et l'emploi, et donc à une coopération monétaire conçue pour ces priorités ;

- Qu'en tout état de cause, la décision finale de passage ou non de la France à la monnaie unique revienne aux citoyens, consultés par voie de référendum.

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