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N° 211

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 6 février 1997.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (n° E-211),

par M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Union européenne.

Mesdames, Messieurs,

Au cours des dernières années, le Sénat, grâce à l'article 88-4 de la Constitution, a pu prendre position sur la plupart des propositions d'actes communautaires relatives aux services publics. Le Sénat a ainsi adopté :

- une résolution sur les propositions de directives relatives au marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel (30 juin 1994) ;

- une résolution sur les propositions d'actes communautaires visant à achever la libéralisation des télécommunications en Europe (27 décembre 1995) ;

- une résolution sur la proposition de directive concernant des règles communes pour le développement des services postaux communautaires (21 mai 1996);

- une résolution sur la proposition de directive modifiant la directive 91-440/CEE relative au développement des chemins de fer communautaires (2 juillet 1996).

En ce qui concerne l'énergie, la proposition de directive sur le marché intérieur de l'électricité a été définitivement adoptée en décembre 1996. Le texte adopté a permis un équilibre satisfaisant entre ouverture du marché et prise en compte des missions de service public et de la programmation à long terme.

Le Conseil a maintenant repris les discussions sur la proposition de directive relative au marché intérieur du gaz naturel. Il apparaît souhaitable que le Sénat soit pleinement informé et puisse se prononcer sur le texte en cours de négociation. Tel est l'objet de la présente proposition de résolution.


• L'état des négociations sur le marché intérieur du gaz naturel

Le texte de la proposition de directive a profondément évolué au cours des derniers mois, notamment sous l'influence des travaux conduits pour la mise en place du marché intérieur de l'électricité. La proposition de directive initiale, présentée au Conseil en 1992 par la commission européenne alors présidée par M. Jacques DELORS, envisageait, pour l'électricité et pour le gaz naturel, un Accès des Tiers au Réseau (ATR) généralisé ainsi que la séparation, pour les entreprises verticalement intégrées, de la gestion et de la comptabilité des activités de production, transmission et distribution. Par la suite, les États membres ont décidé de conduire séparément et successivement les négociations relatives au marché intérieur de l'électricité et au marché intérieur du gaz naturel. Et ce n'est qu'après l'adoption d'une position commune sur la directive concernant le marché intérieur de l'électricité que les travaux sur la directive relative au gaz ont repris.

La présidence irlandaise a proposé un texte de compromis en novembre dernier. Ce texte envisage une ouverture partielle du marché du gaz naturel ; les États membres pourraient choisir entre deux formules :

- soit un accès négocié au réseau : les États membres devraient alors prendre les mesures nécessaires pour que les entreprises de gaz naturel d'une part, les clients éligibles d'autre part, puissent négocier librement un accès au réseau pour conclure des contrats de fourniture entre eux sur la base d'accords commerciaux volontaires ;

- soit un accès réglementé donnant aux producteurs et aux entreprises de fourniture de gaz naturel ainsi qu'aux clients éligibles, un droit d'accès, sur la base de tarifs publiés aux réseaux de transport et de distribution.

En revanche, la proposition irlandaise ne contient pas de données chiffrées quant au degré d'ouverture du marché ; cet aspect doit encore faire l'objet de négociations approfondies.

Par ailleurs, les articles 12 et 13 du projet prévoient une certaine transparence de la comptabilité des entreprises de gaz naturel ainsi que la tenue, par les entreprises intégrées, de comptes séparés pour les activités de production, de transport, de stockage et de distribution.

La proposition irlandaise a donné lieu à un débat au sein du Conseil le 3 décembre. Le Conseil a adopté des conclusions comprenant en particulier les éléments suivants :

EXTRAITS DES CONCLUSIONS DU CONSEIL DES MINISTRES DE L'ÉNERGIE DU 3 DÉCEMBRE 1996

« Il existe un degré important de convergence de vues sur les questions-clés suivantes :

a) Obligations de service public

Il a été généralement estimé que les États membres qui le souhaitaient pouvaient imposer aux entreprises de gaz naturel des obligations de service public dans l'intérêt économique général. La concurrence entre les entreprises de gaz naturel ne devrait pas être entravée indûment.

b) Dissociation comptable et transparence des comptes

Bien que l'on soit généralement d'accord sur le principe d'un certain degré de dissociation comptable, il faudra encore s'efforcer de déterminer les limites des activités à dissocier, ainsi que le bon équilibre à obtenir entre les exigences de la transparence et la confidentialité des informations commerciales sensibles, sans créer de procédures administratives inutiles.

c) Accès au Réseau

La proposition de la présidence prévoyant un choix entre les deux types de procédures d'accès aux réseaux de gaz naturel a fait l'objet d'une discussion générale. Toutefois, les questions liées à l'accès nécessiteront encore un travail considérable.

d) Contrats « take-or-pay » et ouverture des marchés

Il faudra continuer d'explorer et d'étudier ces questions pour déterminer la nature des problèmes qui se posent dans les différentes situations de marché de l'Union européenne. »

Les négociations sont encore loin d'être achevées, mais il n'est pas exclu qu'un compromis puisse de dessiner au cours de la présidence néerlandaise de l'Union européenne qui a débuté le 1 er janvier dernier.


Des principes à respecter

L'adoption de règles communes pour le marché du gaz naturel en Europe paraît aujourd'hui souhaitable. D'ores et déjà, un système plus concurrentiel est en train de se dessiner. Ainsi, les entreprises gazières sortent souvent de leur marché national pour exercer leurs compétences dans d'autres pays d'Europe (Gaz de France distribue par exemple du gaz en Allemagne et en Hongrie).

Dans ce contexte, l'ouverture partielle à la concurrence envisagée par la proposition de directive aura des effets bénéfiques. Les grands industriels qui seront considérés comme des clients éligibles auront une garantie d'accès au gaz naturel dans les meilleures conditions. Défendre l'existence d'une industrie européenne forte, c'est notamment faciliter l'amélioration de la compétitivité des entreprises à laquelle ne peut que contribuer l'abaissement de leur facture énergétique.

Pour autant, l'ouverture à la concurrence du marché du gaz naturel envisagée par la proposition de directive ne peut être acceptée par la France que si un certain nombre de principes sont respectés.

En premier lieu, la France a démontré au cours des dernières années l'attachement qu'elle portait à l'existence d'un service public de haut niveau sur l'ensemble de son territoire. Gaz de France est une entreprise dotée de missions de service public - en particulier la continuité de fourniture et la sécurité des approvisionnements - qui devront être maintenues dans un environnement plus concurrentiel. Comme la directive sur l'électricité, la proposition de compromis de la présidence irlandaise contient des dispositions relatives aux obligations de service public alors que celles-ci étaient totalement ignorées dans la proposition initiale de 1992. Il conviendra de veiller à ce que ces dispositions recouvrent l'ensemble des missions de service public exercées par Gaz de France actuellement.

Le maintien de ces missions de service public implique en outre la possibilité d'une planification à long terme des investissements, surtout pour un pays comme la France, presque totalement dépendant de l'extérieur pour son approvisionnement en gaz naturel. Il est donc essentiel que les États membres qui le souhaitent puissent continuer à souscrire des contrats d'approvisionnement à long terme, dits « take-or-pay », qui sont la garantie de la programmation à long terme.

En ce qui concerne la transparence et la séparation comptable ou « unbundling », qui font l'objet du chapitre V de la proposition de directive, il est essentiel que ces principes ne pénalisent pas les entreprises gazières dans leurs négociations avec les producteurs. Comme je l'indiquais en 1994 dans mon rapport d'information sur les marchés intérieurs de l'électricité et du gaz naturel ( ( * )1) : « Le gaz est en effet une énergie substituable ; il n'est jamais indispensable. C `est pourquoi la tarification se fait à la valeur du marché. C'est en tenant compte du prix auquel le gaz peut être placé, puis des différents coûts, que l'on détermine les conditions dans lesquelles les contrats d'approvisionnement doivent être conclus. La transparence des coûts risque de mettre les opérateurs gaziers en position d'infériorité vis-à-vis des producteurs. Il est donc indispensable qu' `une certaine confidentialité puisse être maintenue ».

Enfin, de manière plus générale, il convient de prendre en considération la grande diversité des situations des pays membres de l'Union européenne. Certains pays disposent de ressources suffisantes pour être exportateurs nets, tandis que d'autres ne disposent pas de production nationale. Aussi est-il essentiel, dans la définition de règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, de laisser une large place à l'application du principe de subsidiarité pour tenir compte de ces profondes différences. Les pays qui le souhaitent devraient en particulier pouvoir exclure les distributeurs de la définition des clients éligibles, dans la mesure où cela risquerait de porter atteinte à l'exercice des missions de service public.

*

Les négociations de la proposition de directive se déroulent alors que la Cour de justice des Communautés européennes est appelée, à la demande de la commission européenne, à se prononcer sur les monopoles d'importation et d'exportation d'E.D.F. et de G.D.F. Il s'agit en particulier de savoir si ces monopoles sont contraires à certaines règles du Traité sur la Communauté européenne et si l'article 90-2 du Traité relatif aux missions d'intérêt économique général peut justifier l'existence de droits exclusifs de cette nature.

Dans ses conclusions rendues le 26 novembre 1996, l'avocat général, M. Georges COSMAS, a estimé que « bien que le maintien du droit exclusif d'importation de gaz naturel concédé à G.D.F. constitue une mesure interdite d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation, ainsi qu'une discrimination interdite dans les conditions d'approvisionnement et de débouchés entre les ressortissants des États membres, il est justifié par la nécessité d'accomplir la mission particulière qui a été impartie à G.D.F. dans le cadre de la gestion d'un service d'intérêt économique général ». En revanche, l'avocat général a estimé que la mission particulière impartie à Gaz de France ne justifiait pas l'existence d'un monopole d'exportation.

Si cette position était confirmée par la Cour dans son arrêt, elle ne pourrait que conforter la position de la France dans les négociations relatives à l'ouverture à la concurrence du marché du gaz naturel.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu la proposition d'acte communautaire E 211,

Considérant que le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen ont adopté une directive relative au marché intérieur de l'électricité conforme aux préoccupations françaises de maintien d'un service public de haut niveau et d'une planification à long terme des investissements ;

Considérant que ces préoccupations doivent également être prises en compte dans les négociations sur le marché intérieur du gaz naturel ;

demande au Gouvernement :

- de n'accepter l'adoption de la proposition de directive que si elle permet explicitement la préservation des missions de service public qui existent aujourd'hui dans le secteur du gaz ;

- de veiller à ce que les États membres qui le souhaitent puissent continuer à maîtriser la sécurité de leur approvisionnement en contrôlant leurs importations et en souscrivant des contrats d'approvisionnement dits « take-on-pay » , de façon à garantir la programmation à long terme ;

- de n'accepter la transparence et la séparation comptable que pour autant qu'elles ne portent pas atteinte à la capacité de négociation des entreprises gazières européennes ;

- de veiller à ce que, compte tenu de la diversité des situations de chacun des marchés des États membres dans le domaine du gaz naturel, la directive laisse une large place au principe de subsidiarité, en particulier pour la définition des clients éligibles qui pourront s'approvisionner directement auprès d'un producteur ;

- de s'assurer que le texte adopté permette le maintien de l'organisation française de la distribution ;

- de n'accepter aucun mécanisme automatique d'ouverture progressive du marché.

* (1) Rapport d'information n° 459, 25 mai 1994

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