N° 143

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 22 décembre 2004

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 janvier 2005

PROPOSITION DE LOI

tendant à créer un Conseil des prélèvements obligatoires ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Jean ARTHUIS et Philippe MARINI,

Sénateurs.

( Renvoyée à la commission des Finances, du Contrôle budgétaire et des Comptes économiques de la Nation sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Impôts et taxes.

I. EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi tend à instaurer un Conseil des prélèvements obligatoires qui reprendrait, en les élargissant, les compétences de l'actuel Conseil des impôts.

Celle-ci reprend les dispositions adoptées par le Parlement, à l'initiative du président et du rapporteur général de votre commission des finances, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2005 1 ( * ) et annulées, pour des raisons de forme par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2004-511 DC du 29 décembre 2004. Le texte proposé constitue donc la reprise intégrale de la rédaction adoptée par la commission mixte paritaire.

A l'occasion de la discussion du dernier rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution 2 ( * ) , le président de votre commission des finances, a suggéré qu'un tel débat puisse, à l'avenir, prendre appui sur un Conseil des impôts réformé et disposant d'une base légale, dont la composition serait plus diversifiée et dont l'objet d'étude porterait sur l'ensemble des prélèvements obligatoires.

Il convient, en effet, afin d'avoir une vision complète du niveau préoccupant des prélèvements obligatoires en France, qui devrait atteindre 43,7 % du produit intérieur brut en 2005, qu'une seule institution soit chargée d'apprécier l'évolution et l'impact économique, social et budgétaire des impositions de toute nature, qu'il s'agisse des impôts ou des cotisations sociales.

La notion de prélèvements obligatoires

Selon l'OCDE , les prélèvements obligatoires se définissent par un triple critère :

- les flux doivent correspondre à des versements effectifs (ce qui conduit à ne pas comptabiliser les régimes de retraites directs d'employeurs, ne comprenant pas de circuit effectif de cotisations, comme dans la fonction publique et certaines grandes entreprises) ;

- les destinataires des versements doivent être des administrations publiques (ce qui conduit à exclure, notamment, les versements à des ordres professionnels, ou à des sociétés mutualistes) ;

- les versements doivent être non volontaires, c'est-à-dire en particulier être caractérisés par l'absence de contrepartie immédiate.

Au sein de l'Union européenne, la notion de prélèvements obligatoires ne figure pas dans le système européen de comptabilité nationale (SEC 95). Les impôts et les cotisations sociales y sont cependant définis selon des critères précis et contraignants.

Une telle approche globale est d'autant plus justifiée que la frontière entre ces deux catégories de prélèvements n'est pas toujours aisée à tracer tant sur le plan théorique que pratique, et que la montée de besoins sociaux, liée notamment au vieillissement de la population, se traduit par l'augmentation de la part relative des prélèvements effectués au profit des administrations de sécurité sociale par rapport aux prélèvements fiscaux proprement dits.

Evolution comparée du taux de prélèvements obligatoires affectés à l'Etat et aux administrations de sécurité sociale

(en points de PIB)

Source : rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, annexé au projet de loi de finances pour 2005

Telles sont les raisons pour lesquelles il apparaît souhaitable de remplacer le Conseil des impôts par un Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) , dont le recrutement serait diversifié , au lieu de se limiter à la fonction publique, et qui pourrait être saisi par les commissions des finances et des affaires sociales des deux assemblées .

Le Conseil des prélèvements obligatoires serait créé à partir du 1 er octobre 2005 , afin de permettre au Conseil des impôts, auquel il se substituerait, de remettre son dernier rapport, prévu pour septembre 2005, et aux membres actuels du Conseil des impôts d'achever leur mandat de deux ans.

Les compétences du CPO, placé auprès de la Cour des comptes comme l'est aujourd'hui le Conseil des impôts, seraient donc élargies à l'ensemble des prélèvements obligatoires.

La composition du CPO serait diversifiée, au lieu de se limiter à la fonction publique : le président (le Premier président de la Cour des comptes , comme pour le Conseil des impôts), huit fonctionnaires, universitaires et magistrats, mais aussi sept personnalités qualifiées choisies à raison de leur expérience professionnelle.

Quatre de ces personnalités qualifiées seraient nommées par les présidents des assemblées parlementaires après avis du président et du rapporteur général de leur commission des finances et du président de leur commission des affaires sociales. Une personnalité qualifiée serait nommée par le président du Conseil économique et social et deux respectivement par le ministre de l'économie et des finances et par celui des affaires sociales .

Les personnalités qualifiées désignées par le président de l'Assemblée nationale, du Sénat ou du Conseil économique et social ne pourraient pas être membres de l'une de ces assemblées.

Les membres (sauf le président) seraient nommés pour deux ans, leur mandat étant renouvelable une seule fois. Le nombre total des membres du CPO, président y compris, serait ainsi de seize (contre onze magistrats, fonctionnaires et universitaire pour le Conseil des impôts). Il convient de souligner que, même si la loi a créé nombre d'organismes ne disposant d'aucun pouvoir décisionnel, celle-ci prévoit rarement leur composition de manière aussi précise. Ceci apparaîtrait cependant utile pour garantir un élargissement effectif de la composition du CPO.

La pratique actuelle consistant à ce que le directeur de la prévision et le directeur de la législation fiscale (DLF) ou leurs représentants assistent aux réunions du Conseil serait formalisée et étendue au directeur de la sécurité sociale ainsi qu'à celui du budget.

L'indépendance des membres et des rapporteurs du Conseil serait consacrée (interdiction de recevoir des instructions du gouvernement ou de toute autre personne publique ou privée) et ils seraient soumis au secret professionnel , disposition incontestablement de nature législative. L'assujettissement des membres et rapporteurs du CPO au secret professionnel pourrait apparaître contradictoire avec la présence de représentants du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, ainsi que du ministère des affaires sociales, qui ne peuvent, en pratique, être également soumis au secret professionnel. On retrouve toutefois cette situation dans le statut de l'autorité des marchés financiers (AMF) : le commissaire du gouvernement n'est pas soumis, contrairement aux membres, au secret professionnel.

En contrepartie, les membres ou rapporteurs non fonctionnaires du Conseil seraient rémunérés de manière « propre à assurer leur indépendance ».

Un droit de saisine serait reconnu aux commissions des finances et des affaires sociales des assemblées et, naturellement, au Premier ministre. Cette disposition contribuant au contrôle parlementaire serait donc incontestablement de nature législative.

Les rapports au président de la République et au Parlement, dans lesquels les membres du Conseil des prélèvements obligatoires pourraient inclure une contribution personnelle, éventuellement dissidente, seraient rendus publics, ainsi que les débats auxquels ils auraient donné lieu au sein du Conseil.

Enfin, les membres et les rapporteurs du CPO disposeraient d'un droit d'accès à l'information comparable à celui reconnu par les textes aux grands corps d'inspection.

Ils auraient donc libre accès aux services, établissements, institutions, et organismes entrant dans le champ de leurs compétences.

Ceux-ci seraient tenus de leur prêter leur concours, de leur fournir toutes justifications et tous renseignements utiles à l'accomplissement de leurs missions.

Pour le reste, le statut du CPO serait similaire à celui du Conseil des impôts.

En conséquence, nous vous proposons d'adopter la proposition de loi dans la rédaction suivante.

PROPOSITION DE LOI TENDANT À CRÉER UN CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES

Article unique

I- Le livre III du code des juridictions financières est complété par un titre V ainsi rédigé :

« TITRE V

« LE CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES

« CHAPITRE UNIQUE

« Art. L. 351-1.- Il est institué un Conseil des prélèvements obligatoires, placé auprès de la Cour des comptes et chargé d'apprécier l'évolution et l'impact économique, social et budgétaire de l'ensemble des prélèvements obligatoires, ainsi que de formuler des recommandations sur toute question relative aux prélèvements obligatoires.

« Art. L. 351-2.- Le Conseil des prélèvements obligatoires remet chaque année au président de la République et au Parlement un rapport rendant compte de l'exécution de ses travaux. Ce rapport, auquel est joint le compte rendu des débats auquel il a donné lieu au sein du Conseil, ainsi que, éventuellement, les contributions personnelles de ses membres, est rendu public.

« Art. L. 351-3.- Le Conseil des prélèvements obligatoires peut être chargé, à la demande du Premier ministre, des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances ou des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des affaires sociales, de réaliser des études relatives à toute question relevant de sa compétence. Les résultats de ces études sont transmis au Premier ministre et aux commissions.

« Art. L. 351-4.- Le Conseil des prélèvements obligatoires est présidé par le Premier président de la Cour des comptes. Celui-ci peut se faire représenter par un président de chambre. En cas de partage égal des voix, il a voix prépondérante.

« Art L. 351-5.- Le Conseil des prélèvements obligatoires est constitué, outre son président, de huit magistrats ou fonctionnaires, choisis pour leurs compétences en matière de prélèvements obligatoires, ainsi que de sept personnalités qualifiées choisies à raison de leur expérience professionnelle :

« - un membre du Conseil d'Etat, désigné par le vice-président du Conseil d'Etat ;

« - un magistrat de l'ordre judiciaire désigné par le Premier président de la Cour de cassation ;

« - un magistrat de la Cour des comptes désigné par le Premier président de la Cour des comptes ;

« - un inspecteur général des finances désigné par le ministre chargé de l'économie et des finances ;

« - un inspecteur général des affaires sociales désigné par le ministre chargé des affaires sociales ;

« - un inspecteur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques désigné par le ministre chargé de l'économie et des finances ;

« - deux professeurs agrégés des facultés de droit et de sciences économiques désignés respectivement par le ministre chargé de l'économie et des finances et par le ministre chargé des affaires sociales ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le ministre chargé de l'économie et des finances ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le ministre chargé des affaires sociales ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le président de l'Assemblée nationale après avis du président et du rapporteur général de la commission de l'Assemblée nationale chargée des finances ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le président de l'Assemblée nationale après avis du président de la commission de l'Assemblée nationale chargée des affaires sociales ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le président du Sénat après avis du président et du rapporteur général de la commission du Sénat chargée des finances ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le président du Sénat après avis du président de la commission du Sénat chargée des affaires sociales ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le président du Conseil économique et social.

« Les personnalités désignées par le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou le président du Conseil économique et social ne peuvent appartenir à l'une de ces assemblées.

« Art. L. 351-6.- Les membres du Conseil des prélèvements obligatoires autres que son président sont désignés pour deux ans et leur mandat peut être renouvelé une fois. Cependant, à titre exceptionnel, huit des quinze membres désignés en 2005, tirés au sort dans les deux mois suivant la nomination de tous les membres, le sont pour une période de quatre ans et leur mandat peut être renouvelé une fois pour une période de deux ans.

« En cas de vacance, pour quelque cause que ce soit, d'un siège autre que celui du président, il est procédé à son remplacement pour la durée restant à courir du mandat. Un mandat exercé pendant moins d'un an n'est pas pris en compte pour l'application de la règle de renouvellement fixée à l'alinéa précédent.

« Art L. 351-7.- Le secrétariat du Conseil des prélèvements obligatoires est assuré par la Cour des comptes. Les agents chargés du secrétariat peuvent assister aux réunions du Conseil.

« Art L. 351-8.- Le Conseil des prélèvements obligatoires peut faire appel à toute compétence extérieure de son choix. En particulier, le Conseil peut désigner des rapporteurs chargés de recueillir les informations nécessaires à l'exercice de ses missions.

« Art L. 351-9.- Afin d'assurer l'information du Conseil des prélèvements obligatoires, le directeur de la sécurité sociale, le directeur du budget, le directeur de la prévision et de l'analyse économique et le directeur de la législation fiscale assistent, à la demande de son président, à ses réunions, sans voix délibérative, ou s'y font représenter.

« Art. L. 351-10.- Pour l'exercice de leurs missions, les membres du Conseil des prélèvements obligatoires et les rapporteurs désignés en application de l'article L. 351-8 ont libre accès aux services, établissements, institutions et organismes entrant dans leur champ de compétences.

« Ceux-ci sont tenus de leur prêter leur concours, de leur fournir toutes justifications et tous renseignements utiles à l'accomplissement de leurs missions.

« Art. L. 351-11.- Dans l'exercice des missions qu'elles accomplissent pour le Conseil des prélèvements obligatoires, les personnes visées aux articles L. 351-5, L. 351-7 et L. 351-8 ne peuvent solliciter ou recevoir aucune instruction du gouvernement ou de toute autre personne publique ou privée. Elles sont tenues au secret professionnel sous peine des sanctions prévues à l'article 226-13 du code pénal et sous réserve des dispositions de l'article 226 - 14 du code pénal.

« Art. L. 351-12.- Les personnalités qualifiées visées à l'article L. 351-5 et les rapporteurs visés à l'article L. 351-8 sont rémunérées dans des conditions propres à assurer leur indépendance.

« Art. L. 351-13.- Les conditions de fonctionnement du Conseil des prélèvements obligatoires et les modalités de suppression du Conseil des impôts, auquel le Conseil des prélèvements obligatoires se substitue, sont précisées par décret en Conseil d'Etat. »

II- Les dispositions du I entreront en vigueur à compter du 1er octobre 2005.

* 1 Article 70 sexies du projet devenu l'article 112 du texte adopté par le Parlement.

* 2 Rapport d'information n° 52 (2004-2005), « Pour une fiscalité plus compétitive ».

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