EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Entre 1932 et 1933 s'est déroulée en Ukraine une des plus grandes tragédies du XXème siècle, avec l'organisation méthodique d'une famine dans tout le pays. La collectivisation forcée et réquisition des récoltes ordonnées par Staline conduisirent à la mort de plusieurs millions de personnes -entre 4,5 et 9 selon les historiens-, sans compter les déportations ou exécutions systématiques de dizaines de milliers de paysans résistant à cette collectivisation de leurs terres et des élites culturelles les soutenant.

Longtemps nié par les Soviétiques, peu connu des Occidentaux, le Holodomor « extermination par la faim » des années 1932 et 1933, n'a été reconnu qu'à la chute de l'URSS en 1991 mais est à nouveau réfuté aujourd'hui par Vladimir Poutine.

Les événements actuels en Ukraine semblent en effet démontrer le parallélisme entre l'Holodomor et un objectif poutinien d'une négation de l'identité ukrainienne et de la disparition de la nation ukrainienne. Il ne fait en effet aucun doute, au regard de la déportation des centaines de milliers d'enfants ukrainiens en Russie - comme ce fut le cas après le Holodomor afin de les russifier- de la destruction systématique des infrastructures énergétiques avant un hiver qui s'annonce glacial, des viols et tortures à grande échelle, des pillages et des destructions des institutions culturelles visent à terroriser la population, en sinistre écho des méthodes déjà utilisées il y a 90 ans.

Il est donc urgent de dénoncer l'Holodomor pour ce qu'il est, un véritable génocide. Si le terme de génocide n'existait pas encore dans les années 1932-33, la déportation de dizaines de milliers d'enfants ukrainiens est clairement à elle seule un acte de génocide selon les termes de la Convention de 1948. C'est le juriste polonais Rafaël Lemkin qui a forgé en 1943 le terme de génocide, un concept qui s'inscrit dans le droit positif avec l'adoption à l'unanimité à Paris en décembre 1948 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (CPRCG), concept qui s'applique parfaitement à l'Holodomor.

La République Française reconnaît, à travers les lois et résolutions mémorielles, les différents évènements qui ont douloureusement marqué l'Humanité. Ces textes permettent de mieux faire connaître les atrocités et souffrances subies par des peuples, afin que ces tragédies et agissements ne rentrent jamais dans l'oubli et que, grâce à leur dénonciation, la répétition d'événements similaires puisse être évitée.

L'objet de cette résolution est donc de reconnaitre officiellement comme constitutif d'un crime de génocide l'Holodomor, afin à la fois de proclamer notre indéfectible attachement au respect de la dignité de la personne humaine, d'exprimer notre soutien au peuple ukrainien pour lequel cette reconnaissance est essentielle et enfin de prévenir la poursuite de tels agissements, comme ceux que nous voyons se dérouler à nouveau en Ukraine.

Plusieurs propositions de loi ont déjà été déposées pour la reconnaissance de l'Holodomor comme génocide. Ainsi au Sénat, en 2001 (Jean-Claude Carle) et à l'AN en 2006 (Christian Vanneste).

Le Parlement européen a également reconnu dans une Résolution l'Holodomor comme un « crime effroyable perpétré contre le peuple ukrainien et contre l'humanité » mais cette qualification nous semble insuffisante. Elle ne prend en effet pas en compte la volonté de destruction, pas seulement de populations civiles, mais de tout un peuple du fait de son identité nationale et culturelle, comme le prouve la déportation de centaines de milliers d'enfants en Russie.

La définition du « génocide », telle que fixée à l'article 2 de la Convention de 1948 recouvre bien les caractéristiques de l'Holodomor et, comme nous le demandent expressément les Ukrainiens, c'est la qualification qu'il nous faut obtenir pour l'Holodomor.

Comme le disait Albert Camus, « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ».

Ne pas reconnaitre l'Holodomor comme un génocide mais comme un simple crime contre l'humanité, serait une erreur, d'une part parce que l'Holodomor présente toutes les caractéristiques juridiquement constitutives d'un génocide et d'autre part parce que la situation actuelle en Ukraine semble démontrer que, faute de gagner la guerre par les armes conventionnelles, la Russie s'applique à détruire l'esprit de résistance et de combativité des Ukrainiens par les armes insidieuses et similaires à celles d'il y a 80 ans, la faim, le froid, la privation d'électricité, les tortures et viols, la désinformation visant à présenter les dirigeants ukrainiens comme des « nazis ». C'est une vraie négation de l'identité de l'Ukraine qui a eu lieu il y a quatre-vingt-dix ans et que Moscou est en train de reproduire aujourd'hui. La reconnaissance de l'Holodomor comme génocide sera déterminante à la fois aujourd'hui pour éveiller la conscience du peuple Russe peu informé du dossier et lorsque viendra demain le temps de la reconnaissance des atrocités commises, et de l'établissement des responsabilités.

Plusieurs pays ont déjà adopté une Résolution en ce sens, comme la République Tchèque, et tout récemment le Sénat irlandais et le Bundestag allemand en novembre 2022.

Il est du devoir moral de la France d'en faire de même aujourd'hui, et son parlement s'honorera en votant au plus vite la reconnaissance publique par la France du génocide de 1932-33.

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